Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 1/La Légende de la Grotte du Diable (Morgat)

Légende de la Grotte du Diable
(morgat)

Cette légende nous reporte aux temps fabuleux à l’époque de Pharamond ou même de son aïeul ou trisaïeul ; l’historien n’a pas réussi à trouver la date exacte de ce règne.

On pourrait nommer Membre de l’Académie des Inscriptions, etc., quiconque pourrait préciser une date au règne de ce roi mythologique.

En somme, qu’importe ; Pharamond a vécu ; et personne ne viendra le contester. Qu’importe aussi, s’il n’a pas laissé une liste de faits glorieux ? tant mieux, je le dirais même.

Honneur aux rois qui après eux, n’ont laissé aucune histoire. Ce sont les meilleurs et les plus sages… et de confiance, on peut dire en parlant d’eux. Ils étaient bons.

Or, du temps où régnait ce fameux Pharamond, arriva sur la pointe de la Chèvre au pays de Crozon, un oiseau magnifique… sa tête était belle, et son bec plus dur et plus brillant que le diamant, ses ailes étaient dorées, les plumes de son ventre étaient d’argent… et ce bel oiseau d’où venait-il ? il venait de l’Île de Sein, alors vrai nid de fées, et ce nid était la suite de palais magnifiques, plus beaux les uns que les autres… Cet oiseau qui avait traversé les mers, était une fée d’un ordre supérieur.

Il y avait alors des bonnes fées, et des fées malignes, comme il y a seigneurs et seigneurs. Les unes étaient pour le bien, les autres pour le mal… c’est toujours comme cela.

Celle dont nous parlons était une bonne fée, et sa présence un heureux présage pour le pays de Crozon et c’est dans ce but qu’elle avait abandonné son beau palais de cristal, qu’elle ne devait plus revoir. C’était dans leurs lois d’alors, et c’est pour elles que l’on disait : « Qui va à la chasse perd sa place. » Son désir de faire le bien, l’avait fait descendre dans ce beau pays, et chaque jour on la voyait se promener le long des falaises. Son apparition seule, calmait les tempêtes ou les semait. C’était la manière de rendre service aux habitants qu’elle aimait… C’est pour cela que les Crozonais sont des veinards.

Le plus souvent elle portait ses pas dans le pays de Morgat, surtout au pied d’une montagne que l’on nommait et que l’on nomme encore Ménez-Aro.

Un matin notre bonne fée ne songeait qu’au bien qu’elle pourrait faire dans la journée, ne voulant pas le soir se faire le reproche de Titus… Elle se promenait le long de la falaise, car les plus petits sentiers, qu’eussent pu fréquenter les cabris et les chamois des montagnes, ne pouvaient lui donner crainte, et ceux-ci ne vont-ils pas d’un rocher à un autre, sans se soucier de l’abîme qu’ils franchissent ? Leurs pieds agiles posent sur une arête qui est une véritable aiguille, et par un nouveau saut, ils rebondissent sur un petit sentier où nul chasseur ne saurait les atteindre… Elle se promenait donc absorbée dans les réflexions, cheminant dans le sentier étroit.

Soudain un choc terrible fut sur le point de la renverser. Surprise, elle regarda et qu’aperçoit-elle ? un vilain, très vilain Diable… Celui-ci levé matin allait, bien sûr, accomplir quelque méfait… Ils sont capables de tout, ces malins, à part d’une bonne action, et je sais parmi le monde, plus d’un à figure humaine dont on pourrait dire autant.

Ce diable malin était d’un ordre inférieur, par conséquent il devait à la fée, respect et obéissance… mais vous savez fort bien que ces malins n’aiment pas à se soumettre. C’est toujours comme cela… Surprise, Madame, la bonne fée se contente de dire : « Le sentier est étroit, retire-toi de ma route, tu me gênes…

La bonne fée dit ces paroles sans la moindre colère, mais d’une voix ferme en bon breton du pays de Cornouaille. Ce n’est pas étonnant, car ce langage est le plus ancien de tous ; même on le parle au paradis… Mais notre diable était têtu, et d’autant plus têtu qu’il était de Crozon, ce qui n’est pas peu dire.

C’est passé en proverbe, et ceux qui possèdent plusieurs bons amis dans ce coin de terre le savent bien… Ils les ont entendu dire, et même ils s’en aperçoivent bien sans cela…

Ne les entendons pas s’exprimer ainsi : « Nous sommes d’abord têtus parce que nous sommes bretons et nous sommes de plus de Crozon parce que nous sommes têtus, oui, Nous sommes têtus parce que nous sommes de Crozon, c’est dans notre sang.

Que les habitants de ce pays ne se formalisent pas, si je dis que le diable était têtu… oui, il était têtu pour faire le mal, tandis que nos amis ne sont têtus que pour faire le bien… C’est bien entendu.

Après cette digression, je retourne à mon diable, que j’ai laissé en tête-à-tête avec la bonne fée, le sentier était étroit et donnait sur la mer, et il n’y avait pas place à deux. Le diable ne bougeait pas et restait comme un Therme… pour aucun prix il n’eut cédé la place. La fée renouvela son ordre, car elle pouvait commander.

Tout bon homme qu’on soit, on se met en colère, même quand on est fée… Celle-ci se tourna vers la montagne Aro qui domine, et que l’on appelle Menez-Aro… et l’interpellant : Raz pe me ta razo. Abats-le, ou je t’abattraifoussa pe me te foussoEnfouis-le, ou je t’enfouirai.

Aussitôt dit, la montagne s’effronda avec un fracas épouvantable, engloutissant le diable têtu et grossier, tandis que la bonne fée s’envolant à tire d’aile, vint s’abattre où se trouve le casino, indiquant la place future.

En s’effrondant, la montagne forma la grotte du diable que nous voyons encore, et dans laquelle cet esprit malin et têtu est toujours renfermé, c’est peut-être à son exemple que les gens de Crozon sont restés têtus et qu’ils ont une pierre comme cervelle.

C’est ce diable que vous entendrez hurler dans les tempêtes.

Le malin voudrait bien sortir, les gens de Crozon ont bien raison de le tenir enchaîné et mieux vaut qu’il y reste… N’y a-t-il pas assez de diables comme cela par le monde, et même il y en a de trop… Malheureusement il n’y a plus de bonnes fées… Hélas ! hélas ! Siouas ! siouas ! ainsi me disait la conteuse de la légende.

La population de Morgat fit une ovation à la belle et bonne fée, qui y vécut longtemps, sans s’écarter jamais ; elle restait fidèle à son pays de Crozon.

Un beau soir on la vit disparaître, c’était par un beau soir d’été, alors que le soleil allait faire disparaître sa belle chevelure d’or dans les flots du large… peut-être y allait-elle ?… en tous cas, on ne la vit plus revenir : probablement elle est sur quelque roche isolée, ignorée des marins, une île fortunée, récompense de ses bonnes actions, en un mot au paradis des fées.

Les gens de Morgat, regrettèrent son départ et firent élever un temple à cette Dame de bien, à cette dame venue de la mer, et comme de juste on l’appela Santès Marina… Dans le pays on vous montrera l’emplacement, mais il n’y a plus que des ruines… Touristes qui portez vos pas de ce côté, renseignez-vous près des habitants, l’endroit vous sera indiqué… Dans tous les cas, allez voir la grotte du diable, et là, vous entendrez des bruits, oui, des sons plus sonores que ceux du bon Dieu de St-Flour qui fait seulement hou… hou… hou…, rien que ça.

Ici vous entendrez par la tempête, le diable prisonnier qui hurle, hurle toujours et sans trêve… et pour le faire se taire, la mer est forcée de lui barrer le passage, de se précipiter sur les parois en retombant en écume blanche… c’est la vengeance de la bonne fée.