Souvenirs de 1848/2/20

Calmann Lévy, éditeur (p. 427-430).


XX

GUSTAVE TOURANGIN


Le 29 janvier 1872 a marqué la fin d’une des plus recommandables existences qu’il nous ait été donné de connaître et d’apprécier.

Gustave Tourangin, né à Bourges le 7 février 1815, consacra toute sa vie exclusivement aux sciences naturelles. Il les possédait toutes à un degré éminent et avait sur leurs corrélations des idées aussi ingénieuses que vraies. Il était le vrai naturaliste qui, en poursuivant le détail des choses avec une clairvoyance et une patience infinies, n’oublie jamais leur ensemble, et remonte de cause en cause à l’immense et sublime logique de l’univers. On a beaucoup regretté qu’une débile santé et une modestie excessive l’aient empêché de publier ses innombrables observations. Il avait pourtant le don de bien dire ; ses lettres particulières étaient admirables ; et il avait la clarté et le charme d’une élocution heureuse.

Il possédait l’ornithologie, l’entomologie et la botanique d’une manière toute spéciale, et chaque jour il enrichissait le catalogue de sa mémoire des plus intéressantes découvertes. Combien ceux qui l’ont connu regrettent qu’il n’ait pas laissé des notes à défaut de manuscrits ! Il était de ceux qui croient ne savoir jamais assez pour établir un travail utile.

Et quel autre pourtant eût pu faire faire de nouveaux progrès à des sciences si nouvelles encore !

Il donnait ses observations et ses précieuses récoltes à qui les lui demandait. M. Boreau lui a dû pour une bonne part le complément considérable et indispensable de son excellente Flore du Centre. Dans un milieu moins indifférent que la France aux études naturelles, Gustave Tourangin, forcé et stimulé, eût mis de l’ordre dans les sciences et eût rendu de grands services.

Il s’est contenté de jouir de la nature pour lui-même et d’en faire profiter quelques-uns. Peut-être se réservait-il d’occuper sa vieillesse à un travail plus durable et plus général. La mort l’a surpris peut-être au moment de la réalisation à laquelle nous cherchions toujours à l’amener ; c’est une perte réelle et sérieuse pour les sciences, et, pour ses amis, c’en est une irréparable et cruelle. Il avait le charme pénétrant d’une bonté à toute épreuve, d’une patience sans borne, d’un désintéressement absolu, trop absolu, de toute personnalité.

Nulle existence n’a été plus pure, plus studieuse et plus noble ; il ne lui a manqué, pour être une des gloires du Berry, que de l’avoir voulu. Quoi de plus touchant et de plus respectable qu’une telle modestie !

Décembre 1872.