Souvenirs d’un voyage en Perse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 79 (p. 856-883).
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SOUVENIRS
D’UN
VOYAGE EN PERSE

II.[1]
LE LITTORAL DU GOLFE-PERSIQUE ET LE FARS.

Au moment de quitter Ram-Hormuz, nous nous rendîmes chez le gouverneur de la ville pour le prier de nous faire escorter par quelques cavaliers, afin surtout qu’ils nous servissent de guides dans ces vastes plaines sans routes. « Je serais désireux, nous répondit-il, de vous donner cent cavaliers pour vous honorer et vous servir ; mais actuellement le pays que vous vous proposez de traverser est si dangereux, que je ne puis laisser un seul de mes hommes s’y aventurer. »

Une partie de la nuit se passa à tenter de séduire quelque Arabe et de le déterminer à nous servir de guide. Rien ne réussit. Un seul consentit à nous accompagner jusqu’au-delà de l’Allar, qu’il nous fallait de nouveau traverser. Toutes ces hésitations nous avaient fait perdre un temps précieux, celui de la fraîcheur nocturne, et il fallut se résigner à partir à l’aurore avec la perspective d’une étape au soleil. Heureusement des nuages s’étaient formés, et nous espérions qu’ils nous garantiraient pendant quelques heures de la trop grande ardeur da jour.

Notre guide nous conduisit jusqu’au bord du fleuve. C’était facile, il n’y avait pas plus de A kilomètres et le sentier était bien tracé. Arrivé là, il nous déclara qu’il ne connaissait pas le gué, et que d’ailleurs aucune récompense ne pourrait le décider à aller sur l’autre rive. Ennuyés de tous ces délais, nous poussons nos chevaux dans l’eau. C’est encore un torrent qui file autour de nous avec une incroyable vitesse; mais nous commençons déjà à nous accoutumer à ces fleuves rapides, et leur course impétueuse ne nous donne plus de vertige. M. Babin est sur le point d’atteindre la rive opposée, h. ce moment, mon cheval tombe dans un trou, s’abat, et je me trouve plongé dans une eau glacée. J’eus quelque peine à sortir de là, gêné par mes vêtemens et par le poids de mes armes. Les mulets suivent, et tiennent bravement tête au courant; tout d’un coup, le muletier qui traversait auprès d’eux perd pied et est entraîné. Ses mains s’agitent en l’air et rencontrent par bonheur la queue d’une de ses bêtes. Sans cela, peut-être, ne l’aurions-nous jamais revu.

Un peu mouillés, mais contens malgré tout, nous examinons les alentours pour savoir de quel côté porter nos pas. Nous apercevons un petit village, nous l’atteignons rapidement. Le ket-khodâ qui gouverne ces quelques cabanes de boue et de troncs de palmiers vient à notre rencontre. Après les complimens d’usage, nous lui demandons un guide en proposant un prix élevé pour le pays. Il parut très étonné et nous crut certainement un peu fous quand il sut que nous nous proposions de gagner Bebahan si maigrement accompagnés. Ni les promesses, ni même les menaces ne déterminèrent aucun homme à venir avec nous. Le ket-khodâ nous dit d’ailleurs avec une parfaite bonne grâce que, si nous voulions attendre chez lui un état de choses meilleur, sa maison était la nôtre. Nous lui présentâmes des remerciemens en rapport avec ses offres, et, persuadés que nous finirions bien par arriver quelque part, nous prîmes la résolution d’aller tout seuls à l’aventure.

Les petits nuages du matin étaient tout à fait dissipés. Le soleil nous brûlait la peau à travers nos vêtemens mouillés, l’air chaud montait du sol et sa trépidation rendait indistincts et confus les squelettes jaunis des grands chardons.

Cependant, la figure de notre muletier devenait de plus en plus mélancolique. Tout ce qu’il entendait dire depuis la veille, ces échecs répétés dans la recherche d’un guide, lui inspiraient de grandes inquiétudes ; il craignait de se faire voler ses mulets.

— Je ne puis aller avec vous plus loin, nous dit-il tout à coup ; retournons à Ram-Hormuz. — Retourne seul si tu veux ; mais nous avons besoin de tes quatre pieds pour porter nos bagages et nous les gardons.

Et, tout en parlant, nous rassemblons les mulets et nous les poussons devant nous. Entre le danger possible d’être volé par les Arabes et le danger certain de s’opposer à notre volonté, il n’hésite pas et prend le sage parti d’aller où iront ses bêtes.

Un soldat persan, grimpé sur son petit âne, et qui se rendait à Bebahan ne savait pas non plus quel chemin suivre. Il nous demanda l’autorisation de se joindre à nous, plus confiant pour sa sécurité dans la bonne renommée de courage dont jouissent les Européens que dans le prestige de son uniforme de soldat royal. Il n’avait d’ailleurs pas grand air, et la petite pipe à fumer l’opium passée dans sa ceinture expliquait de reste son aspect maladif. Cette coutume, pour n’être pas très répandue chez les Persans, ne laisse pas que de produire de grands ravages : car ceux qui s’y adonnent le font avec excès.

C’est de cette façon, assez peu brillante, que commença la seconde partie de notre voyage.


I.

Nous nous sommes d’abord dirigés au sud-ouest de Ram-Hormuz, sur un plateau ; puis une première descente, très brusque, nous a conduits dans la petite plaine de Zeitun et, par une seconde rampe également rapide, nous avons gagné les bords du Golfe-Persique. De là nous avons suivi la mer jusque auprès de Bender-Bouchir, et nous avons atteint Chiraz en traversant une nouvelle fois la montagne de l’ouest à l’est.

La partie du plateau voisine de Ram-Hormuz est entièrement ruinée par une guerre récente. Naguère encore, ce pays était très florissant, ainsi que l’attestent les nombreux villages groupés à droite et à gauche de la route que nous suivons. A chaque fois que nous en rencontrons un, nous lançons nos chevaux au galop pour voir si l’on ne pourrait pas y trouver à la fois un abri contre le soleil qui nous aveugle et des provisions pour déjeuner. La même scène de silence et de désolation se reproduit k chaque fois ; pas un chien n’aboie, les maisons sont vides et abandonnées. Et nous continuons notre route la tête alourdie et les oreilles bourdonnantes. Dans un seul endroit, nous trouvons un tas d’oignons, et comme nous étions depuis longtemps privés de nourriture végétale, nous nous empressons d’en faire une petite provision, qui nous dura jusqu’à Chiraz.

Après deux pénibles journées, nous arrivons dans la partie du plateau que la guerre n’a pas aussi profondément troublée. Nous pourrons désormais nous procurer un guide à chaque étape et nous ne risquerons plus d’errer sans fin. Quel contraste avec le pays d’hier! Partout des villages... Tout autour de nous, aussi loin que nous pouvons voir, s’étendent des champs de blé mûr, superbes, la tête inclinée sous le poids des lourds épis. Du sein de cette mer dorée émergent partout les têtes des moissonneurs. Des caravanes de petits ânes, dont les oreilles et la queue sortent seuls de leur charge de gerbes, s’acheminent vers les villages.

C’est la zone qui sépare l’Arabistan du Fars. L’habitant participe des deux races arabe et persane ; mais l’Aryen a imprimé à cette population son amour de la terre, son goût de la maison fixée près du blé qui mûrit. Il n’y a plus de nomades ; auprès de chaque ruisseau, un bois de palmiers s’élève, et un petit village de cabanes en terre et en troncs d’arbres abrite tons ces agriculteurs.

Les blés sont loin d’être tous consommés sur place. Concentrés à Bebahan par petites caravanes, ils sont de là conduits à Bender-Dilem, et de petits bateaux les transportent ensuite par mer à Bender-Bouchir et Bassorah, où les Anglais les achètent à 5 et 7 francs l’hectolitre. Malgré la modicité du prix, ce commerce enrichit toute la région, où l’argent est très rare et a beaucoup de valeur.

Il y a parfois en Perse de terribles famines, aggravées encore par l’accaparement éhonté que pratiquent tous les fonctionnaires, lorsqu’une situation un peu élevée les met à l’abri des récriminations populaires. Au moment de notre passage, il y avait en Perse, et particulièrement à Chiraz, une véritable disette. Le peuple s’était soulevé pour faire rendre gorge aux accapareurs et avait été apaisé par de bonnes paroles. La crise avait continué : nous avons été obligés à plusieurs reprises de contraindre par la force des boulangers à nous vendre du pain. Les prix avaient décuplé, et néanmoins ils atteignaient à peine ceux de France. Par suite de l’incurie du peuple et des gouvernans, on ne s’aperçoit de la disette que lorsque la récolte est toute terminée. À ce moment, on interdit l’exportation des céréales; mais dans l’Arabistan, le blé est depuis six semaines battu, vendu et exporté ; et le décret ne sert à rien.

On arrive ainsi, avec des alternances de petits pays cultivés et de grands déserts, jusqu’au bord de la mer. Le long de la côte règne une zone très riche. Les habitans, pouvant facilement vendre les produits de leurs travaux, sont très actifs. Ils s’occupent surtout à la culture des céréales et à l’élevage des chevaux. Ils en ont de superbes, et les envoient aux Indes d’une façon continue : c’est pour eux une source considérable de revenus. Malheureusement, cette bande littorale est étroite. D’ailleurs, en bien des points, elle est si plaie que la mer la recouvre très loin au moment des grandes marées ; dans ces parties toute culture est impossible.

Il y a de nombreuses sources de naphte, dans la région qui s’étend au pied de la montagne. Elles sont exploitées entre Ram-Hormuz et Chouster et donnent un pétrole blanc très pur. D’autres ont été récemment trouvées à Daliki ; mais leur produit est très impur et très noir. Le pétrole suinte de partout et forme des flaques de boue noire et empestée. L’eau des ruisseaux voisins de ces points en est chargée, et la décomposition de l’hydrogène sulfuré qu’il contient y produit un épais dépôt de soufre d’un beau jaune. Depuis deux ou trois jours, nous observions que l’air était chargé d’émanations fétides qui filtraient du sol : près des sources, elles étaient plus prononcées encore. Ce fait donne à penser que la zone pétrolifère s’étend très loin, et il serait peut-être possible d’y trouver quelques points d’exploitation facile.

La seule route, actuellement pratiquée, qui met en rapport la plaine de l’Arabistan avec le reste de la Perse, est celle de Bouchir à Chiraz. Le 20 juin, nous entrions dans la montagne, avec satisfaction, car la chaleur commençait à devenir un peu forte en plaine, et nous soupirions après la fraîcheur de Chiraz ; fraîcheur toute relative d’ailleurs, car le thermomètre y marquait à l’ombre 45 degrés. Depuis longtemps, nous n’avions vu aucun objet qui rappelât notre civilisation d’Occident, aussi fûmes-nous ravis en apercevant tout à coup un pont jeté sur un torrent. Voilà donc une rivière que nous allons traverser sans risquer de nous noyer! Tout auprès, un poteau du télégraphe que les Anglais ont établi à travers toute la Perse de Bender-Bouchir à Téhéran.

La route que nous suivons est très fréquentée. Deux cents mulets partent chaque jour ou plutôt chaque nuit de Chiraz pour Bouchir; il en passe autant dans l’autre sens. C’est un continuel bruit de clochettes. A chaque instant, on croise une caravane, les mulets passent dans un nuage de poussière, les muletiers s’appellent pour relever une bête tombée, pour refaire une charge dont l’équilibre est compromis. Nous sommes très surpris de tout ce bruit et de toute cette activité, qui succèdent pour nous presque sans transition à la vie dans les grandes plaines nues, brûlées, où l’on n’entend même pas un bourdonnement d’insecte dans les heures chaudes du jour. Le matin et le soir seulement, on voit une bande de chameaux qui passe avec des airs bizarres, ou un pâtre à demi-nu qui suit d’un air nonchalant son troupeau de chèvres. C’est du mouvement, mais ce n’est pas de l’activité.

Les caravanes qui viennent de l’intérieur apportent à Bouchir des tapis, des balles de coton, d’opium, de tabac. Elles emportent, au retour, les marchandises d’Europe amenées par les bateaux anglais : les allumettes d’Italie et d’Autriche, les cotonnades anglaises, le thé de l’Inde, les bougies et le sucre de France. Depuis quelques années, l’importation du sucre et du thé est devenue très considérable en Perse. Il y a vingt ans, on trouvait chez les médecins de petites quantités de sucre qu’ils appelaient « sucre russe » et dont ils se servaient pour les maladies des yeux. Mais la coutume de prendre du thé, venue de Russie, a pris depuis cette époque une extension increvable. Tous les Persans, même les gens du peuple, en prennent jusqu’à huit et dix fois le jour. Comme conséquence, le sucre est devenu une denrée de première nécessité, et il donne lieu actuellement à un grand commerce.

Ce continuel mouvement de caravanes, cette dépense considérable en journées d’hommes et de bêtes de somme, font penser tout d’abord à un très grand transit. Mais le résultat atteint est peu de chose en raison du travail produit. Au résumé, il n’arrive par jour que 25 tonnes de marchandises à Bouchir et 25 tonnes à Chiraz, en comptant à 120 kilos la charge du mulet. C’est peu, étant donné surtout que les transports se font dans la belle saison seulement, la montagne étant impraticable en hiver et au printemps. La perte de temps n’a d’ailleurs pour les muletiers aucun inconvénient, et une grosse caravane s’arrête très bien deux ou trois jours pour reposer un mulet blessé ou trop fatigué pour suivre le reste du convoi.

Sur cette route, la sécurité est complète : on trouve à la fin de chaque étape un caravansérail et un poste de gendarmes (tofangchis). On entrelient même un peu le chemin ; lorsqu’un bloc de gypse a roulé dans le sentier, les tofangchis le brisent et en dispersent les morceaux. Ils demandent pour leur peine un pourboire aux caravanes qui passent, et ils ont soin naturellement de faire durer le travail longtemps pour qu’il passe beaucoup de caravanes.

Les kotals, c’est ainsi qu’on appelle les rampes escarpées qui donnent accès d’un plateau à l’autre, sont pavés, ce qui empêche les mulets de s’y tenir debout. La plupart du temps, les caravanes suivent de petits sentiers en dehors de la route et tournent ainsi l’obstacle dressé par une administration trop prévoyante pour ce cas particulier. Mais cette manœuvre n’est pas toujours possible ; tel est le cas du Kolalé Dokhtar (kotal de la jeune fille), nom singulier pour ce sauvage endroit. La route longe un précipice d’un côté, de l’autre une muraille à pic, la pente est très raide. Elle est pavée de calcaire siliceux qui devient extrêmement poli. Chaque pierre porte des traces de sang. Tous les mulets que l’on croise ont les genoux emportés. Les bêtes, qui sont déjà fatiguées ou malades, s’épuisent dans le violent effort nécessaire pour cette ascension ; elles tombent et ne se relèvent plus. Le chemin est bordé de squelettes blanchis. Des bandes de grands aigles tournoient au-dessus du précipice ou bien, groupés sur une tête de rocher, ils regardent silencieusement passer tous ces mulets chargés, bien certains que d’ici le soir quelques-uns seront abandonnés et qu’il y aura festin d’entrailles palpitantes et de chair encore chaude.


II.

La constitution géologique du pays compris entre une ligne allant de Ram-Hormuz à Bebahan et la mer est peu variable. Ce sont presque partout des marnes d’où sortent par places des massifs d’un poudingue analogue à celui de Disfoul et Chouster. Tout le long de la côte règne un calcaire de formation très récente, qui renferme dans sa masse de nombreux fossiles absolument semblables aux animaux qui vivent encore aujourd’hui dans le golfe.

La plaine qui s’étend tout autour de Ram-Hormuz ressemble beaucoup à la Susiane. Sur le même sol marneux croissent les mêmes plantes ; c’est au mois de juin que nous l’avons traversée. Les chardons tardifs étaient depuis longtemps jaunis ; les grandes chicorées sauvages, très abondâmes, ne portaient plus que des lambeaux imperceptibles et desséchés de feuilles. Le tronc seul avait échappé à la voracité des sauterelles. On entendait encore leur innombrable multitude bruire sous les hautes herbes. Il faisait une chaleur de fournaise. Il eût fallu ne pas sortir après huit heures du matin. Mais la longueur des étapes, la difficulté de s’orienter la nuit, nous obligeaient toujours à rester dehors jusque vers dix ou onze heures. Ces matinées étaient vraiment pénibles : on respirait un air embrasé, le sang affluait à la tête et produisait des bourdonnemens d’oreilles ; puis la vue se troublait, les tempes devenaient douloureuses ; la chaleur était d’autant plus difficile à supporter qu’elle s’ajoutait à la fatigue d’une nuit de marche. Heureusement, nous avons toujours pu gagner la fin de l’étape et éviter les insolations dont nous étions chaque jour menacés. La sécheresse était presque absolue, la nuit n’avait point de rosée ; c’est grâce à cela que nous avons pu supporter d’aussi hautes températures. L’air est tellement sec en cette saison que la peau n’est jamais moite, la transpiration est évaporée à mesure qu’elle se produit.

Cette plaine est arrosée par l’Allar et quelques ruisseaux qui s’y jettent. Le long de leurs cours, le pays est un peu frais. Il y a, comme en Susiane, de grandes forêts de saules et de tamaris, et elles y sont tout aussi mal fréquentées ; plus mal même, car, outre les fauves, elles abritent des gardiens de buffles arabes, sorte d’outlaws qui ont fui le territoire de leur cheik pour ne plus payer l’impôt. Sans maîtres, insoucieux de la ruine du pays environnant, ils suivent le long du fleuve et dans les marécages leurs buffles qui paissent la grande herbe parfumée de menthe, et ils pillent entre temps les rares voyageurs qui s’aventurent de ce côté. Bebahan est un peu plus élevé que Ram-Hormuz ; il faut franchir entre les deux un petit seuil de poudingue. En approchant de ce point, le plateau devient pierreux, la végétation y est moins puissante : l’aspect du pays est, d’ailleurs, très différent. Ce n’est plus la plaine à l’horizon que rien ne coupe, on y trouve une quantité de ces arbres nommés par les Persans kouars. Les pieds sont trop clairsemés pour qu’on puisse employer le mot de forêt; mais c’est néanmoins fort boisé, La nuit, il y fait très sombre : les guides nous recommandaient toujours de ne pas passer trop près des arbres par crainte d’une embuscade. Nos chevaux, d’ailleurs, suivaient d’eux-mêmes scrupuleusement ce conseil, car le konar est très épineux et fait des piqûres cruelles qui s’enveniment facilement. Une ét de nuit en plaine se fait toujours au milieu d’un lourd silence, l’oreille accoutumée au pas cadencé des chevaux ne le perçoit plus et n’est sensible qu’à l’absence de tout autre son. Le feuillage épais de chaque arbre est, au contraire, rempli du mouvement des oiseaux que notre passage réveille. Le bruit des branches froissées, des faibles battemens d’ailes, qui se propage tout au long de notre chemin rompt l’écrasante impression de solitude, qui, répétée chaque nuit, cause à l’esprit un malaise particulier.

Un petit cours d’eau, affluent du Kurdistan, s’est creusé une étroite et tortueuse vallée qui coupe le plateau. Le fond du ravin n’a que 40 ou 50 mètres de largeur, et, des deux côtés, se dressent à pic deux murailles de roche dure peu élevées, mais encaissant très étroitement le ruisseau. Les roseaux, les tamaris et les lauriers-rose forment tout le long de ce ravin d’épais fourrés où clapote l’eau claire, et rien de ce frais endroit ne se laisse deviner, même à une faible distance, tant les bords sont escarpés.

Nous descendons dans le ravin, nous passons le ruisseau et nous oe savons plus où aller; car, pour regagner le plateau, il faut grimper par des sentiers tellement à pic que nous ne pouvons songer à y engager nos mulets, bien qu’ils aient fait leurs preuves dans la montagne. Tout en haut se trouve perché un petit village ; nous crions pour demander le chemin. Peu habitués à voir cette route fréquentée par des gens honnêtes, les habitans, hommes, femmes et chiens, font une sortie en masse; mais ils n’osent cependant pas s’aventurer jusqu’en bas. Bref, ils ne nous donnent aucun renseignement; mais, en revanche, ils nous traitent de Turcs. Cette formidable injure nous laisse froids, mais elle blesse cruellement nos Persans. Sur ces entrefaites, le soleil se lève et nous permet de sortir de la gorge.

Un jour de marche encore, un fleuve à passer à gué, et nous sommes à Bebahan. Depuis quelque temps, on nous parle de cette ville comme d’une terre promise. Il y a, nous dit-on, des fruits en abondance; Mahmoud, notre domestique, qui décidément se gâte à notre contact, nous insinue même qu’on pourrait peut-être y trouver du vin. Quelle déception à la vue des misérables maisons de terre qui forment la ville ! On ne trouve rien au bazar, les fruits tant vantés se réduisent à quelques concombres. Au milieu des maisons jaunes éventrées et à demi ruinées, une ou deux coupoles à briques émaillées jettent seules une note un peu gaie. — Le gouverneur nous donne l’hospitalité dans son palais. C’est un Persan de Chiraz d’une grande distinction et d’une politesse parfaite. Nous constatons avec plaisir qu’il possède un jardin ; nous pourrons reposer sur des arbres verts nos yeux qui sont las de regarder les herbes brûlées de la plaine. Ce n’est plus la grandeur et la fraîcheur des fourrés de Ram-Hormuz; mais nous avons cependant passé une bonne journée de repos à l’ombre des palmiers et des grands jasmins.

Sur le plateau de Bebahan, du côté de la mer, règne une petite crête de marnes à bancs de grès tendre que l’érosion a respectée. Une profonde et très étroite coupure la traverse. Il y a des passages extrêmement pittoresques, des amoncellemens de roches où circulent de minuscules torrens, de place en place une touffe de roseaux ; des deux côtés, la muraille du ravin, et au-dessus de nos têtes une bande de ciel plus claire et toute semée d’étoiles. Ce tang c’est le nom qu’on donne en Perse aux défilés de cette sorte, est très mal famé. Un nombre assez considérable de caravanes parcourt, à l’époque de la moisson surtout, les deux étapes qui séparent Bebahan de Bender-Dilem ; elles sont très souvent attaquées et dévalisées en cet endroit, malgré la présence d’un poste de tofangchis qui surveille les alentours.

Le défilé débouche tout à coup sur un petit plateau qu’on traverse en moins d’une heure. Il s’arrête net du côté de la mer, et, à 500 mètres au-dessous, se trouve la grande plaine de Zeitun. Peu large de l’est à l’ouest, elle forme du nord au sud une grande bande au pied de la montagne. Le Chirin, devenu un très grand fleuve à cet endroit, la traverse dans toute sa longueur. Au long de son cours, ce ne sont que champs cultivés, rizières, oasis de palmiers, villages où nous trouvons des vivres en abondance. Il faut descendre dans cette plaine. Le sentier, très raide, serpente dans les marnes. Des érosions gigantesques, d’énormes ravinemens ont formé des précipices tout autour de nous. Il faut tenir la tête des chevaux et descendre à pied. Le soleil qui se lève colore la roche en rose léger; il n’y a pas une touffe d’herbe. Il y fait, même à cette heure, une chaleur étouffante ; car, dans ces gorges nues et sauvages, fournaises pendant le jour, l’air frais de la nuit ne circule pas et la température s’y abaisse à peine par le rayonnement. Nous dépassons la zone des villages ; nous aimerions assez nous y arrêter; mais il faut traverser le fleuve, car la nuit le passage est impraticable. Nous arrivons sur la rive à neuf heures du matin, il fait déjà beaucoup trop chaud. Nous nous trouvons en face d’un fleuve aux eaux verdâtres, large, rapide, profond. Il n’est pas guéable ; mais il y a un service de quellek. Un quellek est formé par une dizaine de peaux de mouton gonflées d’air sur lesquelles on dispose une claie de roseaux. Deux hommes apportent sur leurs épaules ce primitif engin de navigation et le mettent à l’eau. On vérifie que les outres ne perdent pas trop d’air et on met sur la claie une demi-charge de mulet. On peut, grâce à ce procédé ingénieux, passer de grands fleuves en ne se mouillant que les pieds. Un homme, à genoux à l’avant, rame avec une petite palette; la traversée se fait lentement, et le courant, étant très fort, nous fait dériver pendant ce temps d’une façon considérable. Nous abordons à plus de 500 mètres en aval du point d’où nous sommes partis. Le quellek vide dérive encore d’autant pour retourner sur l’autre rive prendre une nouvelle charge. Deux hommes l’enlèvent alors sur leurs épaules et le remontent à pied le long de l’eau. Au moment où le quellek part et pour s’épargner la peine de descendre à pied jusqu’au point où ils doivent le reprendre, ces deux hommes, absolument nus d’ailleurs, se jettent à l’eau et, nageant doucement, ils se font porter par le courant jusqu’à l’endroit où ils doivent recommencer leur travail. Pour passer une grande caravane, il faut plusieurs jours de ce va-et-vient. Nous en fûmes quittes au bout de deux heures, deux heures d’attente au soleil.

Le paysage qui se déroulait sous nos yeux avait, sous l’éclatant soleil, un caractère de magnifique grandeur. Le fleuve, roulant ses eaux impétueuses entre deux larges grèves de galets, séparés de la plaine par une ligne de lauriers-rose, en arrière les oasis de palmiers, et, plus loin, la montagne que nous avions descendue le matin. Inondée de clarté, elle avait des tons chauds jaunes et rouges qui tranchaient sur le ciel d’un bleu intense : pas la moindre indécision dans les contours ; tout cela se détachant en lignes nettes dans une atmosphère limpide où ne flottait pas la plus légère buée. Cependant midi approchait, l’ombre se faisait rare autour de nous; la tête abritée dans une anfractuosité de rocher, le reste du corps allongé sur la pierre, et, cuisant doucement, nous attendions, sans impatience la fin de cet interminable transport.

Enfin, la dernière charge est embarquée, les mulets et les chevaux, débarrassés de leurs bâts et de leurs selles, traversent à la nage. Sur la rive gauche du fleuve, il n’y a pas un seul village. Nous nous mettons à l’ombre sous un grand konar et nous songeons au repos ; mais un vent brûlant s’élève, violent et sec comme le khamsin, que les Égyptiens redoutent tant; malgré la fatigue, il est impossible de s’endormir sous ce souffle ardent ; nous attendons comme une délivrance la fraîcheur du soir, bien qu’elle doive être le signal du départ pour une autre étape.

Nous avons encore une descente moins abrupte que celle d’hier et une série de défilés moins redoutés des muletiers, quoiqu’ils soient beaucoup plus sauvages. Le dernier, où l’on marche plus d’une heure, a une horreur grandiose. Le fond est large à peine de 20 mètres, et des deux côtés se dressent des murailles hautes d’au moins 50 mètres; des blocs, par endroits, surplombent d’une façon inquiétante. Le fond est semé d’éboulis entre lesquels filtre le sentier ; tout cela est fort imposant enveloppé du morne silence d’une nuit étouffante et sans brise. En sortant de là, nous débouchons dans une large plaine, un souffle frais arrive que nous aspirons avec volupté : c’est la brise de mer. Le soleil, en se levant, nous montre en effet au loin une petite ville aux maisons cubiques entre lesquelles s’élancent quelques palmiers, et, à l’horizon, une bande verte. C’est Bender-Dilem et le Golfe-Persique.

Le calcaire qui forme le sol de la plaine littorale est un dépôt marin récent. Le Golfe-Persique, à une époque peu éloignée de celle où nous vivons, recouvrait cette zone, et ses flots venaient battre le pied des derniers contreforts de la montagne, comme cela a lieu encore sur la côte Baloutche. Ses eaux se sont retirées peu à peu, abandonnant à l’homme des terres nouvelles à cultiver. Il est possible que ce mouvement de retrait continue encore de nos jours ; la côte est très basse, hérissée de hauts fonds. A Bender-Bouchir, les navires doivent toujours mouiller au moins à 3 milles au large. Des observations de plusieurs siècles sont nécessaires pour percevoir ces mouvemens du sol si lents, comme tous les phénomènes pour lesquels le temps ne compte pas. Peut-être cependant depuis la période historique, étant donné surtout que le terrain est prodigieusement plat, la mer a-t-elle abandonné de grands espaces, et ce qui reste des ports antiques du golfe est peut-être actuellement assez avant dans les terres.

Ce calcaire, peu compact, est une excellente terre à blé; quoique les ruisseaux soient très rares, le pays n’est point sec, le voisinage de la mer donne une nappe d’infiltration, et l’on trouve l’eau partout à moins de 1 mètre de profondeur. Aussi les villages, dont la position n’est déterminée par aucun autre accident de la terre, abondent-ils et sont éparpillés au hasard dans la plaine. Beaucoup ne sont que des amas de misérables cabanes en nattes supportées par des troncs de palmiers. Les dattiers, les mimosas, les mûriers, les figuiers surtout sont d’une belle venue; ils atteignent une taille colossale et procurent aux demeures une fraîcheur relative, en créant alentour une zone où ne se produit pas l’ardente réverbération du sol.

L’eau des puits, dont la plaine est criblée, n’est pas très bonne à boire. Elle est assez limpide ; mais elle a une forte saveur salée et amère; néanmoins elle est encore préférable à l’eau de la plus grande partie de la Perse. Soit à cause de ces puits, soit parce qu’ils vont souvent à la mer, les habitans du littoral sont presque tous atteints du ver de Guinée, qui leur produit de grosses tumeurs aux bras, aux épaules ou aux jambes. A Bouchir, en particulier, ce parasite est extrêmement répandu, et il n’est pas exagéré de dire que la majorité des gens du peuple en est victime.

Il est si aisé de parcourir ce pays dans tous les sens, qu’il ne s’y est point créé de routes; chacun va droit d’un point à un autre sans qu’aucun obstacle l’arrête. En partant, chaque jour, nous étions obligés de prendre un guide. Tantôt il nous faisait traverser de petits bras de mer de 1 kilomètre de large avec de l’eau aux jarrets des chevaux : le fond était heureusement très régulièrement plat. Puis on allait à travers des plaines toujours en droite ligne, presque toutes les nuits, après quelques heures de marche, le guide déclarait qu’il ne savait plus de quel côté se diriger. Pendant une heure, nous examinions le terrain autour de nous pour essayer de trouver une trace de sentier, un indice quelconque. Si nous apercevions un village, nous nous dirigions de ce côté ; mais dès que les aboiemens des chiens nous avaient signalés, on nous accueillait à coups de fusil. Presque toujours nous acquérions la certitude d’être bien perdus. Alors, nous ressentions une douce satisfaction, nous descendions de cheval, et, étendus sur la terre encore chaude, nous goûtions jusqu’au lever du soleil quelques heures d’un bienfaisant sommeil. Nous trouvions ce court repos dans la fraîcheur du matin bien préférable à la sieste des étouffantes après-midi. Le jour venu, le guide retrouvait son chemin et nous achetions notre étape.

Tout ce pays est splendide, au coucher du soleil surtout : les palmiers ne sont vraiment beaux qu’à ce moment du jour. Sur le ciel et sur la plaine, séparés par un horizon tout droit, s’étend une infinie variété de couleurs : le recueillement des choses gagne l’homme, le bruit cesse dans les villages. C’est l’heure de la prière. Il y a dans ces spectacles un caractère de grand calme et de grande majesté, et l’on trouve beaux au crépuscule ces paysages brûlés que le soleil a rendus insupportables le jour.

Les érosions qui ont raviné le pays ont respecté un petit massif de marnes. Ilot isolé et nu dans la période qui a précédé la nôtre, s’élevant au-dessus des eaux du golfe, tandis que se formait dans leur profondeur le dépôt calcaire qui a si bien nivelé la région, il conserve encore ce caractère aujourd’hui, bien qu’aucune vague ne déferle à ses pieds ; il se dresse au-dessus de la plaine comme il se dressait autrefois au-dessus des eaux. Ces petites collines ont, elles aussi, leur défilé. Au milieu est creusé un puits; nous nous arrêtons un instant pour faire boire nos chevaux et pour remplir nos outres. Quelques hommes arrivent, suivis par un grand troupeau de moutons qu’ils conduisent à Bouchir. On entend de très loin leur piétinement, qui soulève autour d’eux une colonne de poussière. Ils s’arrêtent auprès de nous, et l’un des pâtres puise, dans un vase de cuir fixé là, de l’eau qu’il répand dans un tronc de mûrier creusé, servant d’auge. Les moutons altérés se pressent alentour et les hommes silencieux attendent, leur long bâton sur l’épaule, le moment de reprendre la marche. C’est un tableau de la Bible entrevu dans les premières rougeurs de l’aurore, à cette heure d’engourdissement que produit le sommeil longtemps combattu. Il est rare que les voyageurs qui se croisent alors échangent d’autres paroles qu’un bref salut; puis hommes et bêtes reprennent dans un demi-sommeil une marche que la fatigue rend de plus en plus lente, jusqu’à ce que la vue de l’étape vienne ranimer tous les courages.

A l’exception de cette heure qui précède le jour, les nuits dans ce pays étaient toujours délicieuses. Sous le ciel encore bleuâtre, semé d’éclatantes constellations, les objets conservaient des silhouettes très arrêtées. L’air toujours limpide laissait voir les astres avec une incroyable netteté. Jupiter, émergeant de l’horizon, comme un feu de phare, nous donnait chaque soir l’heure du départ. Nous n’avions plus d’autres montres, celles que nous avions apportées de France nous refusant un service régulier. Lorsque le fin croissant de la lune apparaissait au firmament, marquant aux musulmans le commencement d’un mois, ils levaient au ciel la paume de leurs mains jointes et faisaient leurs dévotions. Nous étions presque tentés d’en faire autant, car la venue de la lune nous annonçait le commencement des étapes claires dans lesquelles le charme de la fraîcheur nocturne s’ajoute à celui de cette lumière blanche, d’une douceur infinie, qui permet de tout voir et qui n’aveugle pas.

Et le jour, quels beaux spectacles, tout au long de la mer! Tantôt, au bout de la plaine jaune, elle apparaissait comme un ruban bleu sombre ou vert, suivant sa profondeur ; des traînées d’écume marquaient la crête des vagues. Ces lointains, d’une invraisemblable clarté, étaient splendides, à demi masqués de place en place par des bouquets de palmiers. D’autres fois, nous étions sur le rivage même, dans de petits ports où se groupaient des flottilles d’archaïques bateaux avec leur arrière surchargé de jolis ornemens en bois découpé; les grèves d’un sable fin, et indéfiniment plates étaient couvertes de petits crabes. effrayés à notre vue, ils se précipitaient dans leurs retraites, en se couvrant le corps comme d’un bouclier, avec leur pince droite, devenue à cet effet très large et très plate, tandis que la gauche a conservé la grandeur et la forme normales. Retirés dans leurs trous, ils en fermaient l’orifice avec cette pince, bouclier et porte-cochère. La brise du large était toujours fraîche, et l’on pouvait sortir tout le jour, aussitôt satisfait le premier besoin de sommeil.

La montagne est beaucoup plus près de la mer au sud de la Perse que du côté de Suse. A deux étapes, à l’est de Bender-Bouchir, on pénètre dans les premières gorges. Les stratifications géologiques ne diffèrent que par des détails de celles que nous avons rencontrées en allant à Malamir. On y trouve aussi superposés des marnes à banc de grès, du gypse, des marnes encore, et enfin les assises du calcaire compact. D’une façon générale, les ravinemens ont été, dans cette partie de la chaîne, beaucoup plus profonds; d’énormes éboulemens ont en partie adouci les pentes trop abruptes, et l’on conçoit que cette route ait été suivie de préférence par les piétons ou les caravanes pour descendre à la mer des plateaux de l’Iran.

Un premier kotal donne accès sur le plateau de Konartakhteh. Le centre de cette plaine est entièrement couvert par une forêt de palmiers. De misérables cabanes de nattes, quelques maisons de terre, forment le village auprès duquel s’élève, blanche et coquette, la maison du télégraphiste anglais. Elle est abandonnée en cette saison, l’employé, en raison de la trop forte chaleur, étant allé occuper un poste plus haut dans la montagne. Les palmiers de Konartakhteh produisent d’excellentes dattes ; celles de Bassorah, dont la réputation est universelle, leur sont de beaucoup inférieures.

En sortant de ce plateau, la route suit le fond d’une profonde gorge où court un petit ruisseau d’eau saumâtre encombré de paquets d’algues. Bientôt on gravait toute la masse du gypse par un sentier appliqué au flanc de la paroi du ravin. Les pieds des mulets ont creusé leur chemin dans la roche tendre assez profondément pour qu’il se soit produit un parapet du côté du précipice. Il y a 400 mètres à monter. Une caravane est engagée avant nous dans le kotal ; l’étroitesse du chemin ne permet pas de la devancer, et sa longue file de bêtes chargées serpente au-dessus de nos têtes.

L’ascension est fort longue, car à chaque instant un mulet s’abat et barre le sentier, arrêtant tout le convoi ; il faut attendre qu’il soit relevé et rechargé sans hâte, avant de reprendre le mouvement. Bientôt nous entendons les sonneries d’une autre caravane qui descend. Vite les muletiers se hâtent d’arrêter leurs bêtes dans toutes les parties élargies de la route, et l’on attend. Un cheval en tête, chargé de pompons et d’énormes cloches, fier du rôle important qui lui est confié et ne se laissant devancer sous aucun prétexte, le flot descendant passe devant nous. Les hommes, très affairés, n’oublient pas cependant de se faire de mutuelles politesses et de se demander réciproquement des nouvelles de leurs excellences. Ce sont des paquets de coton qu’ils emportent, et il en passe toujours. Toujours on voit, à l’échancrure qui marque sur le ciel la fin du kotal, apparaître un nouveau mulet entre ses deux ballots. Enfin, c’est tout ! La caravane disparaît dans la profonde gorge d’où nous venons. On n’entend plus que le bruit de ses clochettes qui va s’affaiblissant ; nous achevons notre ascension, la barbe et les cheveux poudrés à blanc par la poussière de plâtre, sans compter ce qui nous est entré dans la bouche.

Voici le joli plateau de Kamaradj avec sa coquette petite ville, dont les blancs imam zadés, les maisons surmontées de badgirs, tours carrées qui amènent l’air du dehors, s’adossent à la montagne. À la fin de juin, c’est-à-dire en plein été, la température nous paraît tout à fait douce, à nous qui venons de l’Arabistan ; même le soleil de midi ne nous incommode pas. Les habitans ont déjà vu des Européens, et nous ne sommes plus en butte à l’indiscrète curiosité qui nous avait si fort fatigués à Suse, chez les Bakhtyaris et chez les Arabes.

Une route accidentée et sinueuse, où abondent les montées, les descentes et les gorges, mais où ne se trouve aucune pente trop abrupte, nous mène dans le grand plateau de Kasrân, clos de toutes parts par la montagne. C’est une des plus belles parties de la Perse. La plaine est parcourue par des eaux vives, et l’on comprend fort bien sa splendeur passée, attestée par les ruines qui s’étendent sur 20 kilomètres de Kasrân à Chapour. À la fois exempte du torride été de l’Arabistan et du long hiver des plateaux iraniens, elle jouit d’un climat charmant. C’est la limite supérieure du palmier. On peut comparer ce plateau au nord de l’Algérie ; l’été, le thermomètre monte peut-être plus haut ; mais comme, en revanche, il y fait beaucoup plus sec, la chaleur est plus facile à supporter. De nombreux villages sont encore aujourd’hui répandus çà et là. Des champs de blé, d’orge, des rizières couvrent une partie du plateau ; mais comme il est trop étendu pour le nombre d’hommes qui y vivent, il existe encore de grands pâturages, et c’est de toute la Perse l’endroit où l’on voit les plus grands et les plus beaux troupeaux, ceux des nomades exceptés. Le konar des parties inférieures de la montagne est devenu très grêle ; il est fort répandu encore, mais ne dépasse pas la taille d’un buisson ; en revanche, les myrtes fleuris forment de véritables bosquets.

De ce plateau se détache une longue gorge où l’on pénètre à travers des rizières, dans lesquelles les chevaux enfoncent jusqu’au ventre. Elle est enfermée à droite, à gauche et au fond par de hautes montagnes, et sur leurs flancs sont taillés les bas-reliefs représentant les exploits de Chapour. D’un point un peu élevé de la montagne cette étroite vallée offre le plus riant tableau. Le ruisseau qui la traverse se déroule au loin comme un long ruban verdâtre taché d’écume : il est encadré dans la verdure des arbres et des grands roseaux. Par endroits, il disparaît en bouillonnant dans les restes d’un antique aqueduc : en d’autres points ses eaux vives et froides comme la glace se perdent sous des massifs de myrtes, de saules, d’acacias et de figuiers.

Kasrân est une assez grande ville : une eau limpide court dans toutes les rues. Le bazar est rempli d’étoffes de Bombay et de pacotille anglaise: on y trouve aussi de la glace, ce qui ne fut pas sans nous causer une certaine joie. Dans toutes les grandes villes de Perse, sur les plateaux, c’est un produit commun, au point que le plus pauvre soldat peut boire de l’eau fraîche pendant tout l’été. Au milieu de la ville se trouve une petite place, et, sous les arbres, des Persans assis causent et fument leur éternel ghalian. Une belle piscine de pierre se trouve là, au milieu des tombes, car la place sert aussi de cimetière. Il règne alentour une grande activité : les uns y puisent de l’eau pour laver leur cheval ; les autres, tout nus, y entrent pour faire leurs ablutions. Une mosquée, entourée de maisons blanches, s’élève au milieu des palmiers, et le tout se détache sur la montagne bleue. C’est un fort joli séjour.

Le mûrier prospère dans toute la Perse, et il n’y a pas un seul ver à soie. Dans le nord, on le comprend assez, en raison du long et froid hiver; mais à Kasran, par exemple, où il n’y a ni neige durable, ni chaleurs excessives, on ne se rend pas compte de cette absence. Des magnaneries installées là produiraient la soie à très bas prix. En communication avec l’Europe par le télégraphe; à quatre jours de la mer, avec toute facilité par conséquent pour faire venir des approvisionnemens et pour envoyer les produits du pays ; les journées d’hommes presque pour rien ; on ne saurait trouver de meilleures conditions pour une exploitation.

Au-dessus de Kasrân, l’aspect de la montagne devient plus rude et plus sauvage; autour des plateaux, plus étroits, se dressent des montagnes de roches éboulées, dont les durs contours disparaissent sous le vert manteau des grandes forêts de chênes. Ces arbres sont un peu rabougris ; leurs branches tordues ont des allures grimaçantes. Dans les périodes de disette, en particulier l’année de notre voyage, les habitans, assez clairsemés d’ailleurs, recueillent les glands et en font du pain. Au moment de la fonte des neiges, des torrens, des cascades se précipitent dans les gorges et rendent le passage impraticable. Le sommet du Kotal Pirizan (Kotal de la vieille femme) est le point le plus élevé de cette route; il est environ à 2,500 mètres au-dessus de la mer. Nous redescendons de là sur Chiraz, qui n’a plus que 1,660 mètres d’altitude.

Nous sommes enfin rendus dans le beau pays des mosquées à coupoles émaillées, des jardins et du vin doré. Les quelques Européens et les Arméniens qui y sont établis nous font le plus charmant accueil. De là à Téhéran, nous traverserons désormais cette partie de la Perse que Mme Dieulafoy a décrite dans le Tour du monde d’une façon si vivante : la Perse avec ses bazars, ses marchands, ses fonctionnaires, ses caravanes et ses muletiers, qui se distinguent de tous les autres Persans non-seulement parce qu’ils conduisent des mulets, mais encore parce qu’ils sont relativement honnêtes.


III.

Le nord de la grande plaine qui s’étend du pied de la montagne à la mer est occupé par les Arabes ; le sud, à partir de Bebahan, par les Persans. Des tribus issues du mélange des deux races forment, au sud de Ram-Hormuz et tout au long de la côte, le fonds de la population.

Les Arabes de Perse, que nous avons eu surtout occasion de connaître à Suse, puisque nous vivions constamment au milieu de leurs tribus, présentent, moins que leurs voisins de Turquie, le type sémite pur. Il ne se trouve guère que chez les chefs; les autres sont plus ou moins fortement marqués du caractère des Susiens, avec lesquels ils se sont évidemment fondus. Par leur front large, par leur nez épaté, ils se rapprochent des habitans de Dizfoul; mais ils restent Arabes par la rareté et la finesse relatives de la barbe, la maigreur du mollet et la délicatesse des attaches. Leurs cheveux sont légèrement crépus ; ils ne les coupent que dans la première enfance : arrivés à l’âge d’homme, ils en font le plus souvent deux longues nattes, qu’ils laissent tomber sur la poitrine de chaque côté de la tête. Leur vêtement se compose presque uniquement d’une pièce de laine, grossièrement tissée, dans laquelle ils se drapent; les riches seuls ont une robe mieux ajustée. Ils ont sur la tête la classique koufée, ceinte de la corde de chameau. Leur force musculaire est très faible ; ce qui tient non point à leur alimentation, mais à la race : car les Loris, qui mènent exactement le même genre de vie, sont très vigoureux. Ils sont, en revanche, doués d’une extrême résistance à la fatigue, aux privations et à la douleur. Pouvant facilement rester vingt-quatre heures sur un cheval sans prendre aucune nourriture, ils sont également bons piétons. Ils marchent indéfiniment, jour et nuit, sans s’arrêter, soutenant leurs forces avec une poignée d’herbes ou quelques têtes de chardons qu’ils épluchent à la façon d’un artichaut. A la vérité, ces prouesses, que chacun d’eux peut faire et qui n’étonnent personne, ne constituent point leur régime ordinaire; le repos au soleil est l’état qu’ils affectionnent le plus et auquel ils se livrent le plus volontiers.

Ils sont d’une violence inouïe; leur physionomie, en général assez dure, prend, lorsque la colère les domine, une expression vraiment farouche. Ces emportemens de sauvages sont, en réalité, leur moyen d’intimidation le plus efficace sur les Persans, qui demeurent épouvantés à la vue de ces faces qui se crispent, de ces yeux féroces et de ces dents blanches entre lesquelles sortent de rauques imprécations. Au reste, ils ont la main légère et sont prompts à jouer du lourd bâton qui ne les quitte jamais, à moins qu’ils n’aient un fusil ou un sabre. Leurs mouvemens impétueux sont d’ailleurs tempérés par une extrême prudence, et, vis-à-vis des Loris ou des Bakhtyaris, qui ne les redoutent point, ils ont d’autres façons d’agir. Leur colère ne suit son libre cours que si leur adversaire a peur le premier.

Très hospitaliers, faisant beaucoup moins que les Persans de vaines promesses ou de chimériques offres de services, ils sont aussi bien moins intelligens. La force brutale est leur seule manière de prendre le bien d’autrui, ce qui semble être en Perse le but de tout effort. Les Arabes sont pillards au-delà de toute expression; la maraude est à peu près la seule occupation des hommes. Ils se précipitent sur les caravanes en poussant de grands cris et en tirant des coups de feu ; ils assomment à moitié ceux qui n’ont pas pu fuir assez vite et emportent tout ce qu’ils peuvent. Les plus audacieux enlèvent tout le convoi, bêtes et charges. Le cheik de la tribu prélève un tant pour cent sur la prise, et les hommes qui ont mené l’expédition se partagent le reste. Outre ces aubaines, qui sont accidentelles, il y a chaque jour un coup de main contre une autre tribu ; non pas qu’ils se haïssent. « Nous ne sommes point, disent-ils, ennemis de cœur, mais seulement ennemis de buffles. » Ils entendent par là que le vol des troupeaux est seul cause de leurs querelles, il existe ainsi entre eux une comptabilité très compliquée. Telle tribu, disent les uns, a encore tant de bêtes à nous. Alors une petite bande se met en marche, et, si les circonstances sont favorables, ils reprennent ce qui est censé leur appartenir et même quelque chose en plus s’ils ! le peuvent. De ce fait, l’autre tribu devient la volée et se considère comme ayant des troupeaux à reconquérir.

Au bout de quelques années, les comptes s’embrouillent, et chacun, pour ne pas être dupe, voie tout ce qu’il peut dès que l’occasion s’en présente. D’ailleurs, voler n’a point pour eux un sens méprisant, ils montrent leur butin avec le même orgueil que s’il s’agissait de n’importe quel fait de guerre. Nous avons rencontré une fois en plaine une dizaine d’Arabes armés ; ils nous saluèrent et nous demandèrent du pain. « Depuis cinq jours, nous dirent-ils, nous marchons dans le Sahara, n’ayant à manger que de l’herbe, et, par Allah ! nous sommes vraiment malheureux, nous avons seulement pu voler ces deux buffles que vous voyez. » Leur infortune était encore au-dessus de leurs prévisions ; car, à peine à une heure de leur campement, les propriétaires dépouillés, qui les suivaient depuis deux jours, tombèrent sur eux à l’improviste, les mirent en fuite et reprirent le chemin de leurs tentes avec les deux buffles, qui devaient commencer à trouver singulière cette promenade sans but.

Les combats qui se livrent autour des troupeaux ne sont pas toujours inoffensifs. Il y a souvent mort d’homme. En descendant l’Ab Dizfoul, nous avons trouvé, s’en allant au fil du courant, un Arabe tué par un coup de sabre dans le dos. Combien d’autres sont venus à Suse pour faire soigner des blessures reçues en pareille circonstance ! L’un avait depuis six semaines une balle dans la poitrine, et, chose vraiment prodigieuse, il avait fait dans cet état une longue étape à cheval ; un autre, avec une balle dans le mollet, fit trois jours de marche pour venir se faire panser. Leur bestiale résistance à la douleur est vraiment extraordinaire.

Les Arabes sont, en immense majorité, nomades. Ils vivent sous des tentes de laine noire que les femmes tissent elles-mêmes. Les hommes filent, et, en traversant les tribus, on les voit causer et se promener en tournant rapidement entre leurs doigts le primitif dévidoir. La tente est divisée, perpendiculairement à sa longueur, par une claire-voie de roseau ou de palmier. Un des compartimens est affecté à la vie du dehors : c’est là que le mari reçoit ses amis ou les étrangers ; l’autre côté est réservé pour la vie de famille. Les femmes y séjournent le plus souvent : les jeunes, occupées au tissage des tapis ou des étoffes ; les vieilles, s’employant aux plus gros travaux. Cependant, les femmes de tribus ne sont point strictement tenues au séjour dans le harem; elles vont et viennent à visage découvert, causent avec l’étranger, ce que l’on ne saurait jamais voir dans une ville persane.

Les tribus, aujourd’hui ruinées par des impôts excessifs et toujours croissans, étaient, il y a quelques années, très riches. Ce fait est facile à comprendre. Les nomades retirant de leurs troupeaux le vivre et le couvert, n’ayant d’ailleurs aucun besoin factice, n’achètent presque rien ; ils vendent au contraire beaucoup : la laine, le beurre, les chevaux, les mulets, les chameaux.

Au printemps, lorsque vient le moment de tondre les troupeaux, une activité inusitée secoue tous les campemens. Entre les tentes, ce ne sont que groupes de femmes tenant les moutons, tandis qu’un homme fait tomber l’épaisse toison et que les enfans dansent et glapissent. C’est le seul moment de travail pour les hommes, car les femmes sont toujours fort occupées. Il leur faut courir la plaine pour recueillir ci et là les brindilles des rares buissons. La recherche du bois à brûler est leur perpétuel souci : on les voit rentrer aux campemens par files de dix ou douze, portant sur la tête d’énormes paquets. Puis, il faut préparer les alimens, écraser le blé entre deux meules que l’on tourne à la main, pétrir, faire cuire le pain, traire les troupeaux. Les hommes aident un peu pour ce dernier travail, qui se fait au point du jour, avant le départ pour le pâturage, dans la tiède buée qui monte des tentes et de toutes ces bêtes réunies. Les jours de grosse besogne sont surtout ceux où la tribu lève le camp. Il faut tout plier, attacher et fixer sur le dos des chameaux, des mulets et même des vaches. Sur le haut des charges, on juche de tout petits enfans, sans se soucier des chutes fréquentes qu’ils font pendant l’étape : ceux qui résistent deviendront évidemment excellens cavaliers. Les premiers prêts s’en vont; les autres suivent à mesure, et c’est une pittoresque confusion de troupeaux, d’hommes, de femmes et d’enfans. Le soir on s’arrête, on plante les tentes, et l’on recommence au bout de quelques jours.

Le beurre est, après la vente des chevaux et des chameaux, la plus grosse source de revenus. Poor le fabriquer, les femmes agitent violemment une outre pleine de fait suspendue à trois bâtons croisés. Ce procédé primitif et fatigant leur permet néanmoins d’obtenir du beurre. Elles ne lui font subir aucune autre préparation que de le faire fondre pour le séparer de l’eau, puis elles le coulent dans des outres. C’est alors le rooughan que les Persans emploient pour leur cuisine, et dont ils sont si friands qu’ils le mangent à pleines mains jusqu’à s’en rendre malades. De petits marchands viennent acheter ces produits et porter aux Arabes les objets qu’ils ne savent point fabriquer, en particulier les outils de fer. Ces colporteurs circulent sur le territoire des tribus les plus pillardes sans être jamais inquiétés, les nomades, qui ne fréquentent pas volontiers les villes, ayant constamment besoin d’eux. Les moutons de Perse ont de très grosses queues, masses de graisse qui se gonflent au printemps, quand la nourriture est à discrétion, et qui décroissent l’été; les bœufs ont aussi sur les épaules une bosse graisseuse. C’est un fait fort curieux que tous les herbivores vivant dans les régions où règne, pendant la plus longue partie de l’année, une sécheresse absolue, puissent ainsi accumuler dans une partie de leur corps des réserves pendant la période d’abondance et les absorber peu à peu pour s’aider à vivre dans les momens où l’herbe est rare. C’est ainsi que le chameau et le bœuf ont leur bosse et le mouton sa queue. Il y a même plus : dans l’Arabistan, où le gazon atteint une taille extraordinaire, les troupeaux n’en absorbent qu’une faible portion au printemps ; il reste pour l’été une quantité considérable de vivres, secs à la vérité, mais pouvant aussi bien servir d’aliment que le foin pour nos animaux domestiques. Aussi les moutons des Arabes ont-ils la queue beaucoup moins développée que leurs congénères des plateaux persans, où la rareté du fourrage en été est plus accentuée. Les buffles, hôtes du même pays, mais vivant toujours au bord des fleuves, ne connaissent pas la période d’herbe séchée et rare, aussi n’ont-ils jamais de bosse.

Les Arabes vivent sous un régime à la fois de communauté et de propriété individuelle. Chaque chef de famille possède en propre ses bestiaux, ses ustensiles de ménage, ses vêtemens et sa tente. D’autre part, le cheik de la tribu paie impôt au gouvernement ou plutôt paie la location de la terre qu’il occupe. La jouissance d’un territoire déterminé appartient donc à toute la tribu, représentée par son chef; le fourrage est une propriété commune à toutes les familles, et les troupeaux de la tribu paissent ensemble. Si quelqu’un veut cultiver du blé, il doit d’abord verser une certaine somme au cheik ; c’est en quelque sorte une sous-location du sol. Contre cet argent, la jouissance du champ, retirée à la communauté, lui est acquise pour une année; il peut cultiver, récolter et emporter le blé, qui est sa propriété. Cependant le cheik, qui paie au gouvernement pour toute sa tribu, doit retrouver l’argent qu’il a versé. Il prélève une certaine part sur la vente des bestiaux, de la laine, du blé, et chaque homme, d’ailleurs, lui paie une cote personnelle.

Le cheik est l’homme de la tribu le plus riche, celui qui possède les plus grands troupeaux et les plus belles tentes. Son autorité est toute fondée sur le respect et l’amour de ses hommes; il se montre, d’ailleurs, toujours extrêmement bienveillant avec eux, et le plus pauvre vient sous sa tente, fume son gahlian, boit son café sans la moindre gêne et sans aucune affectation de déférence, — fait qui paraît monstrueux aux Persans, chez qui l’étiquette est observée avec une rare précision. Les chefs de tribu vivent entourés de l’estime générale, ne se livrant à aucun travail, restant graves, assis sous leurs tentes. Ce manque absolu de mouvement, marque de leur dignité, rend tous les vieux cheiks impotens et goutteux, ce qui contraste singulièrement avec leurs alertes et maigres sujets. Au reste, ils ne peuvent exiger aucun acte d’obéissance autre que le paiement de l’impôt, sans quoi on fuirait vers un autre campement. Le titre de cheik est héréditaire et appartient à tous les fils; mais l’autorité ne revient qu’à un seul, généralement l’aîné, à moins que le gouvernement ou la tribu elle-même n’exige que le pouvoir soit exercé par un autre membre de la famille.

Dans une région, le chef de la plus grande tribu, de laquelle les petites sont en général des rejetons, a une sorte d’autorité sur les autres cheiks. Il les réunit à un jour donné et il distribue à chacun les pâturages suivant l’époque de l’année. Les collisions qui se produiraient si deux tribus voulaient occuper en même temps le même point sont ainsi évitées. C’est aussi le moyen de tirer le meilleur parti possible des herbages. Telle partie sableuse de la plaine produit exclusivement des graminées dont l’épi est très barbelé et qu’il est impossible de faire paître aux troupeaux quand il est sec. Le grand cheik concentre, au commencement du printemps, avant que l’épi ne soit formé, toutes ces tribus à cet endroit. Cette ressource épuisée, il disperse les campemens sur tous les points où la venue des chardons empêchera de pénétrer un mois plus tard. Il réserve pour la fin les lieux où croissent l’herbe tendre et la folle avoine. Il distribue aux propriétaires de buffles les territoires qui bordent les fleuves. Son autorité ne va pas plus loin. Il a sa tribu qu’il administre comme les autres, il y perçoit l’impôt : c’est aussi à lui que les petits cheiks versent leur tribut, et il sert d’intermédiaire entre le gouvernement et eux.

Quelques-uns de ces grands cheiks groupent autour d’eux d’énormes campemens; leurs tentes noires, qui abritent parfois une population de 5 à 6,000 âmes, couvrent la plaine comme de véritables villes. Leurs cavaliers sont nombreux et hardis, et pourraient tenir tête aux troupes royales s’ils avaient le moindre soupçon de discipline. vêtus, comme leurs hommes, de laine, un peu plus finement tissée peut-être, les cheiks ne font point montre de cette puissance et de cette richesse réelle : point d’éclatans costumes, point de belles armes ou de superbes harnachemens pour les chevaux. Sous la domination persane, tout faste extérieur serait d’ailleurs une imprudence et une tentation pour le gouverneur royal de s’emparer d’une richesse ainsi manifestée. L’exploitation de l’Arabe par le fonctionnaire persan ressemble à une véritable curée. Les Téhérani, que la débauche ou le jeu ont ruinés et qui ne peuvent, à cause de la grande concurrence, refaire leur fortune à la cour, partent pour l’Arabistan, et l’impôt va toujours en croissant, car le seul principe économique, en pareille matière, est de faire rendre à chacun tout ce qu’il peut. Les nomades qui ont besoin d’un grand territoire et d’un grand calme pour nourrir leurs troupeaux dont ils vivent, sont obligés de payer. La résistance leur est impossible : quelques cavaliers battant la plaine et empêchant les troupeaux de sortir ou seulement de paître librement, et voilà la tribu affamée. La seule ressource qu’ils aient, c’est de fuir vers la Turquie, au long de la Karkhah, dans ces territoires qui, en droit, appartiennent à la Perse, mais qui, en fait, n’ont point de maîtres. Ils ont parfois recours à ce moyen extrême, et le gouvernement, privé de l’impôt régulier pour avoir trop voulu exiger, est obligé de faire des concessions. Une tribu fuit aussi parfois lorsqu’elle se trouve opprimée par un grand cheik. Dans ces conditions, dégagés de tout lien, les Arabes donnent libre cours à leurs instincts pillards que ne tempère plus la crainte d’un fort impôt extraordinaire au cas où ils seraient découverts, et il est fort dangereux de les rencontrer sur son chemin.

Les territoires désertés qui environnent Ham-Hormuz ont été envahis par ces tribus fugitives. Faute de guide, nous étions forcés de faire route le jour seulement ; nous avions résolu dépasser la nuit à Sultanabâd, village abandonné et ruiné; une seule famille d’Arabes, n’ayant rien à perdre, n’avait point fui. On nous avait bien parlé de pillards; mais, néanmoins, nous nous préparions à dormir lorsque notre domestique vint nous avertir que plusieurs hommes s’approchaient de nous en rampant à terre pour se dissimuler. Nous envoyons quelques balles dans cette direction, un bruit, de pas précipités se fait entendre : les Arabes ont manqué leur coup et s’enfuient. Trois fois dans la nuit ils reviennent à la charge, et ils sont toujours reçus à coups de fusil. D’ailleurs, ils n’insistent pas; voyant qu’ils ne peuvent nous surprendre endormis et que nous sommes sur nos gardes, ils se retirent, n’osant affronter en face des armes qui font de si terribles détonations et dont ils ont admiré le mécanisme dans la journée. A l’aurore, un des Arabes restés dans le village consent à nous servir de guide, en nous recommandant, par-dessus tout, de casser la tête sans pourparlers à quiconque s’approcherait, sous n’importe quel prétexte, pour prendre la bride des chevaux. Nous longeons une épaisse forêt de saules» De temps en temps, de petits groupes d’Arabes en sortent avec leurs longs fusils sur l’épaule; rien dans leur aspect général n’annonce l’honnêteté. Notre muletier croit décidément venu le jour de sa ruine, et, oubliant les soins affectueux dont il entoure ordinairement ses bêtes, il saute sur la charge la plus légère et sans relâche active la marche, lui qui toujours trouvait l’allure de la caravane trop rapide. Il ne retrouve un peu de calme que lorsque nous arrivons enfin dans une belle plaine cultivée et que nous quittons les territoires arabes.

Une étroite bande de terrain passant par Chouster, Ram-Hormuz et Mohammerah, marque la limite entre les Arabes et les Persans. Les habitans, cultivateurs du sol, rappellent les Farsis par leur nez long et droit ; mais ils sont Arabes par la barbe et les cheveux. Ce caractère semble être celui que les Sémites croisés conservent le plus intact. Leur costume est un mélange de celui des deux peuples dont ils sont issus. Ils sont coiffés d’un turban de couleur sombre dont ils disposent les plis d’une façon toute spéciale et assez coquette. Ils parlent les deux langues avec facilité, mais ils semblent avoir une certaine prédilection pour l’arabe. C’est de cet idiome qu’ils se servent entre eux, et ils en font sentir les dures et gutturales intonations en parlant le persan. Conservant un peu de la brutalité du nomade, ils n’offrent pas l’intérieur prévenant de l’Iranien ; mais ils sont plus dissimulés que lui et plus dépourvus encore de tout sens moral.

Le village de Kurdistan fut une de nos plus agréables étapes. Nous entrions dans le Fars. L’hospitalité des ket-khoda, des aghas ou des khan de villages était tout aussi cordiale que celle des nomades et beaucoup plus discrète. Nous étions seuls toute la journée : le soir seulement, ils venaient prendre de nos nouvelles, et nous causions longuement et amicalement jusqu’à l’heure de la prière. Leur esprit vif leur suggérait sur nos mœurs les questions les plus variées, et leur aimable tolérance nous épargnait les oiseuses controverses théologiques auxquelles nous étions trop souvent soumis. Ils nous donnaient, en retour, des détails sur la vie du pays. Même, au long du littoral, ils avaient connaissance de notre civilisation et des puissances européennes : la question anglo-russe en Asie centrale, qui traversait alors une de ses périodes aiguës, les intéressait vivement. Ce sont eux, d’ailleurs, qui nous donnèrent, à cet égard, des renseignemens, étant mieux informés que nous.

Les chefs de villages possèdent tous une maison de briques très habitable. Devant la porte, on voit parfois de petits canons rouilles, sans affûts, hors de service, mais dont le maître est très fier, car le canon est pour lui comme le symbole de la puissance occidentale. La maison est toujours formée de quatre corps de bâtimens entourant une cour. La partie qui fait façade est traversée par un long couloir qui donne accès sur la cour; et des deux côtés de cette entrée se trouvent deux chambres dont le sol est couvert de nattes. Elles sont réservées aux étrangers qui s’arrêtent au village. Toute la vie intérieure des hommes de la maison se passe sous cette porte où règne un perpétuel courant d’air. C’est là qu’ils causent et fument, tandis que les femmes demeurent enfermées dans le reste du logis. C’est là qu’on se raconte toutes les nouvelles de la région et qu’on se rassemble pour écouter les derviches et les voyageurs. Il s’y passe parfois des scènes amusantes.

A Chabounkara, un singe était attaché sous cette porte. Chaque homme qui passait là, et il en passait beaucoup, enlevait sa coiffure et lui présentait sa tête. Le singe, sans manifester d’étonnement, habitué à ce manège sans doute, plongeait ses petites mains dans les longs cheveux, les écartait avec des gestes fébriles, tout en les examinant avec le plus grand sérieux. Nous comprîmes tout de suite qu’il cherchait la petite bête. Toutes les fois que son attentive application le conduisait à un résultat, sa physionomie mobile s’éclairait brusquement ; il saisissait l’objet, le portait à sa bouche et, redevenu grave, il le grignotait à la manière arabe.

Parfois nos hôtes nous donnaient à choisir entre cette chambre et l’ombre d’un arbre. Nous préférions toujours ce dernier abri, parce qu’il nous permettait de ne perdre aucune des brises qui effleuraient la plaine. Nous avons ainsi passé sous de grands figuiers de charmantes journées.

Les khans qui gouvernent les petites villes des bords du golfe sont à la fois des administrateurs et des commerçans. En relations continuelles avec les maisons européennes de Bender-Bouchir et de Bassorah, ils ont acquis une façon de traiter les affaires plus en rapport avec nos mœurs que celle de leurs congénères de l’intérieur. A Chiraz, un petit marché peut durer un mois, mais il dure au moins plusieurs jours. Le vendeur demande d’abord un prix exorbitant, l’acheteur fait une offre dérisoire ; puis, à chaque fois qu’ils se rencontrent au bazar, l’un baisse son prix, l’autre augmente son offre, et, au bout de quelque temps, ils s’accordent à peu près à la valeur réelle de l’objet. Mais le marchand diminue d’autant moins ses prétentions que le client lui paraît plus pressé ou plus désireux d’acquérir. Celui des deux qui a le mieux le temps d’attendre a tout l’avantage. Cette façon d’agir leur est préjudiciable vis-à-vis des Européens, auxquels ils font des prix exagérés, les voyant toujours pressés de conclure; alors ceux-ci n’achètent pas. Aussi, à Téhéran et à Bender-Bouchir, les Persans ont-ils renoncé à ces mœurs et traitent-ils les affaires d’une façon relativement rapide. Dans les villages du littoral, le khan sortait chaque soir sur une terrasse qui regardait la mer. Ses nombreux intendans venaient un à un, apportant leurs recettes, qu’il inscrivait lui-même à mesure. Cette comptabilité durait assez longtemps, car ils font un important commerce. Puis, les affaires finies, on apportait le thé et les gahlians, et ils restaient là, devisant à voix basse, engourdis par la tiédeur d’une nuit d’été et bercés par le léger clapotis des vagues.

Dans les très petits villages, nous étions encore en butte à la défiance et à l’intolérance religieuse. Aïssar, en particulier, est un amas de chétives huttes ; les habitans ne connaissent rien au-delà de leurs palmiers. Nous y arrivâmes dans les premiers jours du mois de rhamadan, et, comme nous ne dissimulions pas notre intention de nous restaurer, les habitans, indignés, se mirent à nous injurier et refusèrent de nous vendre des vivres. Le jeûne n’entrant point dans notre programme, nous fîmes. malgré leurs protestations, une chasse à la poule, couronnée bientôt par le plus brillant succès. L’animal tué, plumé et cuit, son propriétaire n’eut plus qu’à venir chercher l’argent qui lui était dû, et nous pûmes manger le déjeuner si étrangement conquis.

Malgré son état de ruines, Bebahan est encore la ville la plus importante de cette région. Ethnographiquement et politiquement, elle dépend du Fars, bien que les cartes la comprennent dans l’Arabistan. Son gouverneur relève de celui de Chiraz. Nous y fûmes bien accueillis. Notre hôte nous envoya un déjeuner et un dîner servis à la persane, tous les plats ensemble sur un grand plateau. Les gens de la maison nous apportèrent des chirini, sucreries variées, poudre de café, de sucre et d’aromates broyés ensemble. Très parfumé et délicieux, ce mélange avait sur les nerfs une action énergique, et il eut pour effet de nous tenir tout une nuit éveillés. Tous les couloirs, tous les escaliers du palais étaient encombrés de dormeurs ; la promenade n’était possible que dans les jardins. Il faisait très doux au dehors ; toute la maison paraissait endormie. Vers minuit, nous vîmes sortir de l’endéroun un homme portant à la main une de ces lanternes vénitiennes ayant la taille d’un petit tonneau et que les Persans appellent des fanous ; une femme voilée marchait derrière lui d’un pas rapide. Il la conduisit à l’appartement où, le soir, nous avions vu se retirer notre hôte. Une heure avant le jour, la même femme suivait d’un pas moins rapide le même domestique portant son fanous et rentrait à l’endéroun. Quoique déjà habitués aux mœurs musulmanes, cette façon d’envoyer quérir une compagne par un homme de confiance et de la congédier quand le besoin de solitude se fait sentir nous parut assez originale.

Le gouverneur de Bebahan est propriétaire de nombreux mulets et fait un gros commerce par caravanes. Il nous recommanda vivement de descendre sur le bord de la mer pour gagner Chiraz et de ne point traverser la plaine de Lichter, comme nous en avions l’intention. En cette saison, les habitans, fuyant la torride chaleur de l’été, sont tous à la montagne, et nous n’aurions pas pu, disait-il, trouver de vivres. Il nous donna une lettre pour le chef d’un détachement de tofangchis qu’il avait chargé d’escorter ses caravanes pour le passage d’un défilé réputé dangereux. Nous eûmes la mauvaise idée d’accepter. Une vingtaine d’hommes formaient ce poste. Ils étaient installés avec leurs femmes et leurs enfans à l’entrée du défilé ; ils s’étaient construit des cabanes en nattes. Ils faisaient leur service avec une ponctualité de troupes mieux disciplinées et mieux rétribuées : ce qui nous donna une haute opinion de la sévérité du gouverneur, qui paraissait cependant un homme fort aimable. Chaque caravane avait son escorte de six ou sept hommes armés, qui l’accompagnaient jusqu’à la sortie du défilé au moins 10 kilomètres plus loin.

Nous arrivions au coucher du soleil et nous comptions partir immédiatement pour profiter de la nuit ; le chef des tofangchis vint à notre rencontre. « Tous nos hommes sont en marche, nous dit-il. Reposez-vous quelques heures et, au milieu de la nuit, vous serez plus dispos pour partir. »

Nous nous étendons à terre à une certaine distance du village et, lorsque nous nous réveillons,.. C’était le lendemain matin. Nous aurions voulu partir. Impossible, l’escorte a besoin de quelques heures de repos et ne sera prête qu’à midi. — Il fait une température exquise, à l’aurore, quand on a bien dormi. Nous cherchons une anfractuosité du rocher pour passer la matinée à l’abri. Nous avons devant nous une petite plaine grillée, hérissée de blocs de poudingue. — Le temps se passe, l’ombre devient rare.

— Si nous partions ?

— Si vos excellences l’ordonnent, mes hommes sont prêts ; mais il vaudrait beaucoup mieux pour vous attendre la nuit et ne pas vous exposer au soleil, en plein midi, dans ces gorges, où il fait plus chaud que partout ailleurs.

Après tout, cet homme a raison. Au reste, puisque l’escorte n’est pas là auprès de nous, rien ne prouve qu’elle soit prête. Nous cherchons de l’autre côté du rocher une autre saillie faisant ombre l’après-midi, et nous nous disposons, sans impatience inutile, à passer quelques heures en ce lieu. Ce n’est pas qu’il soit agréable, il s’en faut de beaucoup. L’eau que nous avons bue ce matin au déjeuner nous a semblé fort bonne, quoique un peu trouble ; nous en ignorions la provenance. En ce moment, nous avons devant nous, au fond d’un trou, une petite mare, résidu des pluies auquel l’imperméabilité du sol n’a pas permis de filtrer. Ce réservoir a moins de 10 mètres carrés, mais il est assez profond. C’est là que les femmes du village viennent remplir leurs outres et, sans se soucier autrement de nous, elles procèdent à toutes les ablutions recommandées par le Prophète, avec la même liberté d’esprit que dans le hammam le plus discret. Un peu plus tard, notre muletier, passant au bord de la mare, y prend un bain complet, puis y lave ses habits; il est juste de dire qu’ils en avaient grand besoin. Nous ne bûmes pas le soir au dîner.

— La nuit venue, point d’escorte. Nous faisons charger nos mulets et nous allons nous mettre en route. Le chef du poste arrive.

— Vous partez?

— Nous partons.

— Seuls?

— Seuls.

— C’est impossible, le khan m’a donné les ordres les plus formels pour vous faire accompagner. L’escorte n’est pas prête encore. En partant, vous faites tomber ma tête. Je vais, avec ce qui me reste de tofangchis, vous en empêcher de force.

— Tu as le choix ou de nous faire escorter ou d’essayer de nous arrêter. Ce dernier parti n’est pas prudent.

En même temps, nous entrons dans le défilé. Bientôt quelques hommes armés courent derrière nous et se mettent à marcher à nos côtés sans dire une parole. Ils firent leur métier d’éclaireurs en conscience. Nous nous attendions à être frappés d’un bakchich en conséquence. A la sortie du défilé, nous regardons autour de nous : plus d’escorte. Ils étaient partis sans tendre la main. Ce fut un des grands étonnemens de ce voyage.

La Perse du Nord, à part Téhéran, est bien privée des ressources et du confortable européens ; néanmoins, comme nous avions débuté par les pays les plus sauvages et par les plus fatigantes étapes, elle nous parut un ravissant séjour. Nous fîmes un long, mais bien intéressant voyage. Au mois de novembre, nous étions de retour à Bender-Bouchir; nous y retrouvions M. et Mme Dieulafoy et nous partions tous ensemble pour la Susiane, afin de faire, pendant l’hiver et le printemps, une seconde campagne de fouilles.


F. HOUSSAY.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.