Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI/La ménagerie
CHAPITRE XVII
la ménagerie
Mais, dans cet autre lieu, quel peuple renfermé
De ses cris inconnus a frappé mes oreilles ?
Là, sont des animaux, étrangères merveilles,
Là, dans un doux exil, vivent emprisonnés
Quadrupèdes, oiseaux, l’un de l’autre étonnés.
C’était un usage ancien, plutôt que le plaisir et l’agrément, qui portait tous les souverains à rassembler tant d’animaux extraordinaires. Les empereurs romains, les grands généraux de la république amenaient, des pays qu’ils avaient subjugués, les bêtes les plus rares pour orner leurs triomphes et servir aux combats du cirque. La barbarie continua longtemps ce sanglant plaisir ; et Pépin, tout bref qu’il était, trancha la tête d’un lion, en présent de toute sa cour. Charlemagne, son fils, fit succéder aux ours et aux tigres d’immenses bergeries, des troupeaux nombreux et un nombre prodigieux de volatiles dont il ne dédaignait point de tirer un grand profit. Ses descendants, laissant à leurs sujets ces détails champêtres, continuèrent de former auprès d’eux une réunion des tributs que tous les voyageurs leur apportaient. Outre qu’ils suivaient en cela un vieil usage, il était agréable, et de plus intéressant pour les progrès de l’histoire naturelle, de voir réunis tant d’animaux divers, de rencontrer sous un même toit l’ours des régions hyperboréennes et le lion des sables brûlants de l’Afrique, de pouvoir étudier, dans une même volière, les mœurs de tant de petits oiseaux de langage et de parure si divers.
La ménagerie de Versailles était un petit château sur la route de Saint-Cyr. Mansart, qui l’avait construit, l’avait placé à l’extrémité d’un des bras du canal, pour faire, comme je l’ai dit, le parallèle du grand Trianon. Dans le même endroit, était une ferme considérable, dont le tenancier exploitait toutes les terres situées dans cette partie du parc de Versailles, et dont les troupeaux superbes, qui broutaient pêle-mêle avec les daims et les chevreuils, en animant ces beaux lieux fournissaient à la cour le laitage dont on avait besoin.
Le pavillon de la Ménagerie contenait de jolis appartements ; mais on les avait négligés depuis qu’on avait cessé d’y aller. Au rez-de-chaussée se trouvait un de ces salons de coquillages et de rocailles qui faisaient autrefois la beauté des jardins, et les délices de nos aïeux, parce qu’un robinet, adroitement tourné, lâchait plusieurs petits jets d’eau qui inondaient les curieux et divertissaient les spectateurs.
Ce pavillon était isolé et entouré de cours où passaient tranquillement les animaux à qui leur naturel paisible permettait de bondir en liberté. Dans d’autres étaient les grandes loges où rugissaient les lions, les tigres et les panthères. La Ménagerie était toutefois peu garnie d’animaux. On y voyait quelques tigres, un rhinocéros, des singes et ce beau lion amené des forêts du Sénégal avec un chien, compagnon de son enfance, consolateur de son exil, qui est mort au Jardin des Plantes, à Paris. L’éléphant était mort depuis longtemps. Ce colosse, qui aurait traversé facilement le Gange, se noya dans une petite mare où il se baignait.
La volière était très-agréable, parce que, au moyen d’un petit ruisseau qui la traversait, on y avait réuni toute la gent volatile qui gazouille dans les buissons et les espèces boiteuses des marais et des bords de l’Océan. Le chant de la fauvette accompagnait le petit cri aigu de l’hirondelle de mer, tandis que le faisan de la Chine promenait gravement sa robe et son aigrette dorées.
On m’a raconté, et j’avoue que j’ignore si l’histoire est vraie, qu’un suisse de la Ménagerie avait demandé à Louis XIV la survivance d’un éléphant à qui on donnait chaque jour un certain nombre de bouteilles de vin. Je n’ai point, cela va sans dire, connu cet original ; mais je lui ai connu un pendant dans un certain capitaine Laroche, concierge de la Ménagerie.
On peut dire que, sans en avoir tout l’esprit, ce capitaine remplaçait à la cour les anciens fous de nos rois. De tout temps, quelques originaux ont servi aux amusements des princes. Nous voyons dans les Mémoires de Saint-Simon, qu’une certaine dame Panache divertissait toute la cour, emportant les débris des festins qu’on lui fourrait dans les poches, y entassant pêle-mêle entremets, desserts et rôtis, et qu’on mettait en colère le plus que l’on pouvait. Le capitaine Laroche, bien galonné et aussi chargé de bagues et de diamants qu’un financier, était l’être le plus sale qu’on pût rencontrer, et jamais sanglier dans son bouge ne laissa échapper d’odeurs aussi fétides. C’était à qui agacerait le capitaine, et son mot favori : « N’en parlons plus, » faisait rage en ce temps-là, comme aujourd’hui les calembours les plus à la mode. Avant que Louis XVI éprouvât tous les chagrins dont il fut abreuvé, il se divertissait très-souvent avec Laroche, toujours fort exact au coucher. Il s’établissait alors, entre les pages de service et le capitaine, une lutte très-plaisante qui aboutissait à l’enlèvement de sa perruque que l’on jetait sur le ciel du lit ; mais le capitaine, en guerrier prudent, avait toujours dans ses poches de quoi réparer ses pertes. C’était à qui inventerait des niches pour faire enrager ce pauvre diable, qui s’en consolait aisément avec de bonnes places et de bonnes pensions. Enfin, le roi étant devenu plus triste, et le capitaine plus musqué que jamais, on finit par lui interdire l’entrée de la chambre du roi, à son grand regret et à son grand scandale. Je dois dire, à l’honneur de Louis XVI, que toutes ces plaisanteries étaient suspendues quand le duc de Villequier, premier gentilhomme de la Chambre, était présent, le duc étant parent de M. de Laroche, par son second mariage avec mademoiselle de Mazade, fille d’un financier.