Souvenirs d’un hugolâtre
la Génération de 1830
Jules Lévy, 1885 (pp. 19-22)
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V

Revenons à 1830. Les journées de juillet avaient échauffé les têtes, surexcité la jeunesse française, secoué l’indolence des uns, éveillé l’ambition des autres, donné beaucoup d’espérances à tous.

Le mois des révolutions ne produisit pas absolument ce qu’on en attendait. En cela, les choses se passaient comme d’habitude.

Dans la politique, les amis de la monarchie tempérée étaient placés et satisfaits ; mais les républicains, estimant qu’on leur avait « escamoté » leur œuvre, s’apprêtaient à semer des articles violents dans certains journaux, — pour récolter une ample moisson d’emprisonnements ; les légitimistes, qui ne cessaient de croire à un nouvel et prochain épanouissement des lis, plaisantaient sur ce qu’ils nommaient « l’anecdote de juillet ».

Dans la littérature, les novateurs n’avaient pas suffisamment effiloqué les « perruques » de l’Académie, et étaient résolus à combattre les vieilles phalanges classiques, toujours en possession de l’Institut, des Facultés et des théâtres. Ils fourbissaient leur grand sabre, — ou plutôt ils trempaient leur plume dans le vinaigre.

Certainement, il devait y avoir des récriminations, des plaintes, des vengeances. Le lecteur les appréciera ; il se méfierait peut-être de l’opinion d’un hugolâtre.

Gérard de Nerval écrivait :


Liberté de Juillet, femme au buste divin,
LiEt dont le corps finit en queue.

Théophile Gautier remarquait :


Un budget éléphant boit notre or par sa trompe…

Seule la poésie incarnée en Hugo,

Ne nous a pas déçus…

Toutefois, avant d’entrer dans l’examen du mouvement général des esprits, ayant précédé, accompagné ou suivi les « journées glorieuses » de 1830, qu’il nous soit permis de ne pas encore quitter le collège, et de rappeler ce qui arriva dans plusieurs établissements de l’Université, où les révoltes se succédèrent.

Je faisais mes études, à Henri IV, avec les fils des généraux Foy et Lamarque, avec Xavier Eyma, qui devint romancier et journaliste, avec Privat d’Anglemont, qui fit plus tard sensation parmi les bohèmes, — et avec Armand Durantin, l’auteur d’Héloïse Paranquet.

Ce collège, qui donna la pâture latine et grecque à une foule de littérateurs, depuis Casimir Delavigne, Laya et les deux Musset, jusqu’à Émile Augier et Victorien Sardou, devait facilement adopter les idées du jour.

La Belgique avait imité la France, et, le 25 août 1830, elle avait accompli sa petite révolution ; l’Italie, la Suisse et d’autres pays n’allaient pas tarder à suivre le courant.

Bientôt le collège Henri IV imita la Belgique et organisa sa petite révolte. Les élèves internes n’appréciaient pas outre mesure le bonheur d’être réveillés au son du tambour, au lieu de l’être au son de la cloche.

Et puis, l’esprit de mouvement contre l’autorité gagnait tout le monde, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits.

Nos camarades s’insurgèrent ; seulement, je n’ai jamais su pourquoi. Les prétextes à insurrection, d’ailleurs, n’ont jamais manqué.

Avec quelle joie nous apprîmes, nous, externes, que les internes s’étaient barricadés dans leurs « quartiers », et qu’ils tenaient bon contre leurs maîtres, c’est-à-dire contre leurs tyrans !

La cour des anciens, au collège Henri IV, longeait la rue Clovis, et, par-dessus le mur de clôture, nous jetions à nos camarades révoltés toutes sortes de vivres, — pains, pâtés, saucissons et autres comestibles, — afin que le congé « par force majeure » durât le plus longtemps possible ; un mois, s’il se pouvait.

Force resta à l’autorité. Tout se calma, après l’expulsion de quelques meneurs.

Bon gré, mal gré, il fallut reprendre le collier de misère, manger les durs haricots et le poisson mal cuit ; il fallut retomber sous la coupe, j’allais dire sous la férule de nos professeurs ; il fallut se bercer de l’espoir d’une revanche.

D’autres collèges, qui avaient aussi levé le drapeau insurrectionnel, n’y gagnèrent pas davantage. Ils perdirent des élèves. Voilà tout.

Notre pension, d’ailleurs peu nombreuse, ne chercha pas à imiter ces grands établissements.

Elle ne fit pas sa révolution politique ; mais elle avait fait sa révolution littéraire, elle avait abandonné les routes banales et cherché des chemins nouveaux.


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