Souvenirs d’un aveugle : voyage autour du monde/02/28

Souvenirs d'un aveugle; voyage autour du monde
Texte établi par François AragoJules JaninH. Lebrun (2p. 300-313).

XXVIII

NOUVELLE-HOLLANDE

Phénomènes météorologiques. — Campsin austral. — Voyages de M. Oxley dans l’intérieur de la Nouvelle-Galles du Nord.

Péron, si logique d’ordinaire dans la solution de ses divers problèmes météorologiques, qu’il a étudiés avec une profonde science dans son voyage aux terres australes, me paraît s’appuyer sur des bases bien fragiles pour constater la contradiction qui règne ici, sur certains phénomènes célestes, avec les effets remarqués en d’autres climats.

Dans sa conviction intime que tout, sur la terre de Cumberland, est contraire aux lois connues et consacrées par tous les pays du monde, il s’étonne, par exemple, que les vents d’ouest et de nord-ouest, qui soufflent ici une partie de l’année avec une grande régularité, ne soient pas imprégnés d’une haute température, et il ne peut expliquer cette singularité qu’à l’aide d’une théorie formulée d’avance, mais, par malheur, fausse en tout point quant à l’application à en faire aux caractères topographiques du pays qui nous occupe. Si la Nouvelle-Galles du Sud n’était pas une terre à part, les vents d’ouest devraient être froids, puisque avant d’arriver à Sidney et sur la côte ils viennent de traverser les montagnes Bleues, qui devraient les avoir notablement rafraîchis.

Ainsi s’exprime à peu près M. Péron.

Ne dirait-on pas, en vérité, que la chaîne des plateaux dont il parle a, comme les Alpes, les Pyrénées et les Andes d’Amérique, des cimes neigeuses, des glaciers éternels, et que son étendue en largeur doit donner le temps au souffle qui les visite et les balaie de se vêtir des frimas ? Qui ne croirait, à entendre le savant et zélé naturaliste-physicien, que ces montagnes Bleues, dont on a parlé si diversement dans les premières relations des voyages en ces contrées découvertes par l’intrépide Cook, n’ont été longtemps inaccessibles, infranchissables, que par le chaos des avalanches qui s’engouffraient dans les profondeurs des vallons, après être descendues de la haute région des nuages ? Hélas ! les cimes qu’on a vues trôner sur le monde pendant un grand nombre d’années ont du courber leur orgueilleuse tête depuis que la science les a mesurées de son œil classificateur, et si le géant n’est pas devenu pygmée, du moins le Chimborazo s’est-il incliné en face de l’Illimanie, le Canigou et le Pic du Midi devant la Maladetta et la Malahita, le Pic des Açores à côté de celui de Ténériffe, le Mont-Blanc en présence du Mont-Rose ; et il n’y a pas jusqu’à l’Hymalaya qui ne se soit affaissé, humble vassal, pour rendre hommage au nouveau pic du Thibet, que le condor seul bat de son aile infatigable.

Toutes les races de rois ont eu leurs périodes de grandeur et de décadence ; l’homme est dégénéré, et le lion même rugit souvent aujourd’hui sans déchirer les montagnes Bleues n’ont pas échappé à la règle générale ; elles se sont soumises de force à cette loi de dépression et de décadence qui régit le monde, et l’on va bien s’étonner quand je dirai avec vérité à ceux de mes lecteurs encore dans l’incertitude, qu’en général cette chaîne de plateaux, courant à peu près du nord au sud, a rarement plus de six cents mètres de hauteur, et que les cimes les plus élevées n’en ont que neuf cents.

Faut-il s’étonner, d’après cela, que les vents qui les traversent ne portent pas le caractère que Péron, dans sa logique, voudrait leur donner, surtout si l’on se rappelle que Sidney est située par 36º de latitude ? Tout édifice dont la base n’est pas solide s’écroule tôt ou tard, et Péron s’est trompé, non parce qu’il a été illogique, mais parce qu’il est parti d’un principe évidemment faux. Les démentis donnés par les faits à M. Péron sont constatés dans toutes les relations scientifiques ; lui-même les cite en toute humilité dans son mémorable ouvrage, et nous aurions peine à croire aux terribles phénomènes qui se déroulent à nos yeux s’ils ne nous étaient certifiés par les voyageurs le plus en garde contre l’exagération.

Citons le plus exact d’eux tous :

« Dans le mois de février 1791, dit Collins, la plupart des torrents et des ruisseaux étaient à sec; on fut obligé de creuser le lit de la rivière de Sidney, qui pouvait à peine fournir aux besoins de la ville… Le 10 et le 11, la chaleur devint si forte qu’à Sidney-Town le thermomètre à l’ombre s’éleva jusqu’à 105° de Fareinhet (32° 4 de Réaumur) ; à Ros-Hill, la chaleur fut, tellement excessive que des milliers de grandes chauves-souris en périrent. Dans quelques parties du port, la terre était couverte de différentes espèces d’oiseaux, les uns déjà suffoqués, et les autres réduits aux abois par la chaleur ; plusieurs tombaient morts en volant. Les sources qui n’étaient pas encore taries furent tellement infectées par le grand nombre de ces oiseaux et des chauves-souris qui, venus pour s’y désaltérer, avaient expiré sur leurs bords, que l’eau, pendant plusieurs jours, en fut corrompue. Le vent soufflait alors du nord-ouest, et il fit beaucoup de mal aux jardins, consumant tout ce qui se trouvait devant lui. Les personnes que des affaires indispensables appelaient au dehors, déclarèrent qu’il était impossible de tenir pendant cinq minutes la face tournée du côté d’où venait ce vent. »

« Novembre 1791.

« L’excessive chaleur, durant ce mois, rendit beaucoup de monde malade. Le 4, un convict qui, sans avoir la tête couverte, attendait M. Withe dans le passage de sa maison à sa cuisine, fut frappé d’un coup de soleil qui le priva presque aussitôt de la parole, du mouvement, et, en moins de vingt-quatre heures, de la vie. Le thermomètre, à midi de ce jour-là, se soutenait à 95° 0 F. (28° 0 R.), et le vent était au nord-ouest.

« À cette même époque, notre eau se trouvait non-seulement altérée, mais encore tellement réduite par l’évaporation, que le gouverneur donna l’ordre qu’aucun navire ne pût en faire au ruisseau de la ville, et, en outre, pour remédier ensuite à ce mal, autant du moins que l’état de la colonie pouvait le permettre, il arrêta que toutes pierres de taille employées à la construction des édifices publics ou particuliers seraient prises dans le lit du ruisseau de manière à former des espèces de citernes capables de conserver une assez grande quantité d’eau pour en fournir un supplément aux citoyens durant la saison chaude. »

« Décembre 1791.

« La température, durant ce mois, fut très-forte ; le 5, la chaleur fut étouffante ; le vent soufflait avec violence du nord-ouest. La contrée, comme pour ajouter à l’ardeur dévorante de l’atmosphère, était en feu de toutes parts. À Sidney, l’herbe et les broussailles qui se trouvaient derrière la colline de l’ouest de la crique avaient pris feu, et l’incendie, excité par le vent chaud qui soufflait avec force, se propageait rapidement et dévorait tout avec une incroyable furie. Déjà une maison était brûlée ; toute la crête du coteau était couverte de flammes qui menaçaient la ville d’une entière destruction. Heureusement les efforts réunis de la garnison et des habitants parvinrent à arrêter les progrès de cette terrible conflagration. La crainte du danger avait contraint tous les individus à sortir de leurs maisons à peine on pouvait respirer ; la chaleur était insupportable ; la végétation souffrait beaucoup ; les feuilles de la plupart des plantes potagères étaient réduites en poudre, et le thermomètre à l’ombre se soutenait à 100° 0 F. (32° 2 R.). À Paramatta, à Tangabée, la chaleur n’était pas moins excessive ; tout le pays était pareillement en feu, et quelques habitations devinrent la proie des flammes. Pendant ce jour d’alarmes, le tonnerre se fit entendre à diverses reprises dans le lointain, et, sur le soir, il tomba quelque pluie qui rafraîchit un peu l’atmosphère.

« L’action de ce vent redoutable se fit sentir jusqu’à la hauteur de l’île Maria, et par conséquent à plus de 250 lieues de distance du port Jackson ; car, à la même époque où le vent de nord-ouest dévastait ainsi la colonie anglaise, le navire américain The Hope éprouvait aux environs de l’île Maria une horrible tempête excitée par ce même vent. Le temps était sombre, pesant et très-chaud. L’atmosphère paraissait comme remplie d’une épaisse fumée. »

« Août 1794.

« Le vent brûlant de terre nous visita le 25 pour la première fois dans cette saison, soufflant jusqu’au soir avec beaucoup de violence ; alors il fut remplacé, comme il arrivait ordinairement après ces jours si chauds, par le vent du sud. »

Comme on le voit, il y a ici harmonie parfaite entre la terre et le ciel, et désaccord complet avec ce qui se passe en d’autres climats. Toutefois, sans accuser la véracité de Collins, ne serait-il pas possible de trouver d’autres causes plus probables que celles qu’il donne à ces incendies immenses qui plongeaient la colonie dans la terreur, et ne serait-on pas fondé à croire que, profitant du deuil et de l’effroi des habitants, des malfaiteurs ou des sauvages auraient mis eux-mêmes le feu aux plantations, espérant le pillage ou la liberté au milieu du désordre ? Quoi qu’il en soit, on ne se persuade pas aisément que 32° 2 de Réaumur puissent incendier les arbres, et si cela a été bien constaté, c’est un argument de plus en faveur des hommes qui ont écrit de si étranges choses sur la Nouvelle-Galles du Sud.

Mais rapprochons-nous encore, et disons une excursion périlleuse entreprise par M. Oxley dans l’intérieur des terres, par ordre de M. Macquarie, gouverneur de la contrée. L’habile officier de marine m’a communiqué plusieurs lettres qu’il adressait alors à M. Macquarie, et si je n’en public que deux, c’est que je suis soumis aux exigences de mon livre, aux promesses que j’ai faites à mes lecteurs, à qui je dois d’autres précieux documents. Voici donc la relation de M. Oxley, que j’ai traduite sur les originaux :

LETTRE DE J. OXLEY, REVENANT DE SA PREMIERE EXPÉDITION,
AU GOUVERNEUR MACQUARIE.
Bathurst, 30 août 1817.

« Monsieur,

« J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence de mon arrivée à Bathurst hier soir, avec les personnes formant l’expédition de l’ouest, que Votre Excellence a jugé à propos de placer sous mes ordres.

« Votre Excellence est déjà informée de ce que j’ai fait jusqu’au 30 avril. Les bornes d’une lettre ne me permettent pas de m’étendre sur les détails de tout ce qui s’est passé pendant dix-neuf semaines, et comme j’aurai l’honneur de voir Votre Excellence dans quelques jours, j’espère qu’en attendant cette époque, elle aura la bonté d’accepter le récit sommaire que je lui offre ici.

« Je continuai à suivre le cours de la rivière Lachlan, avec mes bateaux, jusqu’au 12 mai ; le pays descendait rapidement, jusqu’à ce que les eaux de la rivière, s’élevant de niveau avec lui et se divisant en beaucoup de branches, nous présentèrent la terre inondée à l’ouest et au nord-ouest, et nous empêchèrent d’avancer davantage dans cette direction ; la rivière elle-même se perdit au milieu des marais : elle n’avait, jusqu’à cet endroit, reçu aucune autre augmentation d’eau d’aucun côté ; mais, au contraire, elle se dissipait constamment en marécages et lagunes.

« L’impossibilité d’aller plus avant avec les bateaux étant évidente, je me déterminai, après une mure délibération, à les hâler hors de la rivière, et, nous dépouillant de tout ce qui ne nous était pas indispensable, à continuer notre route avec les chevaux chargés des provisions tirées des bateaux, et à nous diriger vers l’ouest, de manière à couper tout courant qui pourrait provenir des eaux divisées de la rivière Lachlan.

« Conformément à ce plan, je quittai la rivière le 17 mai, en me dirigeant dans l’ouest vers le cap Northumberland, direction qui me semblait la plus propre au but que je me proposais. Je ne détaillerai pas ici les difficultés et les privations que nous éprouvâmes en traversant un pays nu et désolé, et qui ne nous offrit d’autre eau que celle que la pluie avait déposée dans les trous et les fentes de rochers. Je continuai à m’avancer ainsi jusqu’au 9 juin, époque où ayant perdu deux chevaux exténués de fatigue et de besoin, et voyant que les autres étaient dans un état déplorable, je changeai notre route vers le nord, le long d’une suite de collines élevées s’étendant dans cette direction, attendu qu’elles seules nous offraient le moyen de nous procurer de l’eau jusqu’au moment où nous pourrions rencontrer quelque courant. Je continuai à marcher de la sorte jusqu’au 23 juin, jour où nous rencontrâmes de nouveau une eau courante que nous eûmes d’abord quelque difficulté à reconnaître pour le Lachlan, car elle était plus large que la branche de cette rivière que nous quittâmes le 17 mai.

« Je n’hésitai pas un moment à suivre son cours, non que la nature du pays ou son apparence indiquât en aucune manière qu’elle deviendrait navigable, mais je ne voulais pas qu’il restât le moindre doute sur l’existence d’une rivière qui se serait jetée vers l’ouest dans la mer, entre les limites qui m’étaient indiquées dans mes instructions.

« Je continuai à suivre les bords de cette eau courante jusqu’au 9 juillet. Je trouvai qu’elle avait pris une direction vers l’ouest, et avait traversé un pays entièrement plat, nu au dernier point, et qui par moments était évidemment tout à fait sous l’eau. Jusqu’à cet endroit, la rivière avait diminué par degrés et étendu ses eaux sur des lagunes stagnantes, sans recevoir aucune eau courante tributaire que nous connussions durant toute l’étendue de son cours. Les bords n’avaient pas plus de trois pieds de haut, et les marques que nous voyions sur les buissons et les arbrisseaux indiquaient que quelquefois la rivière s’élevait de deux ou trois pieds de plus, et rendait tout le pays marécageux et entièrement inhabitable.

« Il devenait inutile d’avancer davantage vers l’ouest dans le cas même où cela eût été possible, attendu qu’il n’y avait ni colline ni éminence de terre à la portée de notre vue, qui n’était bornée que par un horizon éloigné ; nous ne voyions point de bois, à moins qu’on ne puisse donner ce nom à quelques petits arbres à gomme qui étaient sur le bord même des lagunes. L’eau, dans le lit du marais (nom qui convient maintenant), était stagnante ; ce lit avait environ vingt pieds de large, et les têtes d’herbes qui y poussaient montraient qu’il pouvait avoir trois pieds de profondeur.

« Cette manière inattendue et vraiment singulière dont se termine une rivière que nous avions espéré avec raison devoir nous conduire à une conclusion bien différente nous remplit des sensations les plus pénibles. Nous étions à plus de cinq cents milles dans l’ouest de Sidney et presque par sa latitude, et pour nous avancer si loin, nous avions éprouvé pendant dix semaines des fatigues continuelles. La partie la plus proche de la côte, vers le cap Bernoulli, si elle eût été accessible, était éloignée de plus de cent quatre-vingts milles. Nous avions démontré de manière à n’en pouvoir douter qu’aucune rivière ne pouvait tomber dans la mer entre le cap Otway et le golfe de Spencer, du moins aucune rivière tirant ses eaux de la côte orientale, et que le pays situé par le parallèle de 34° de longitude S. et par le méridien de 147° 30 de longitude était inhabitable, et n’offrait aucun espoir de pouvoir un jour y former un établissement.

« Dès lors il devint de mon devoir de rendre les ressources qui nous restaient aussi utiles à la colonie que notre position nous le permettait. Ces ressources étaient bien diminuées : un accident qui était arrivé à un de nos bateaux, au moment où notre expédition partit, nous avait privés d’un tiers de nos provisions sèches, dont nous avions été dans le principe fournis pour dix-huit semaines seulement, et nous avions conséquemment vécu quelque temps avec une modique ration de deux quarts de farine par chaque homme par semaine. Retourner au dépôt par la même route que nous avions prise en venant eût été une chose aussi inutile qu’impossible ; et considérant sérieusement l’intention des instructions de Votre Excellence, je résolus, après une délibération très-mûre, de revenir par la route qui me semblait devoir être la plus conforme aux vues de Votre Excellence, si elle avait été témoin de notre situation actuelle.

« Remontant donc la rivière de Lachlan, je recommençai à l’observer depuis l’endroit où nous la reconnûmes le 22 juin, avec l’intention de suivre ses bords jusqu’à ce que sa liaison avec les marais où nous la quittâmes le 17 mai fût établie d’une manière évidente, et de déterminer si quelques courants d’eau avaient échappé à notre recherche. La liaison avec tous les points déterminés auparavant fut complétée entre le 19 juillet et le 3 août. Dans l’espace parcouru durant cet intervalle, la rivière s’était divisée en plusieurs branches et formait trois beaux lacs qui, avec un autre situé près de l’endroit où se termina notre voyage dans l’ouest, étaient les seules pièces d’eau considérables que nous eussions vues jusqu’alors, et j’estimai que la rivière, depuis l’endroit où elle fut d’abord reconnue par M. Evans, avait parcouru, en comprenant tous ses détours, une étendue de plus de douze cents milles, longueur qui est sans exemple, lorsqu’on considère que la rivière coule sans recevoir aucun auxiliaire, et que sa source primitive constitue toute la quantité d’eau qu’elle a dans cette étendue.

« En la traversant à cet endroit, mon intention était de me diriger dans le nord-est pour couper le pays, et pour déterminer, s’il était possible, la situation de la rivière Macquarie, qui, bien évidemment, n’avait jamais joint le Lachlan. Cette direction nous conduisit à travers un pays aussi mauvais qu’aucun de ceux que nous avions jusqu’alors traversés, et également dépourvu d’eau, dont le besoin personnel nous mit dans une grande détresse. Le 7 août, la scène commença à changer, et le pays prit un aspect bien différent. Nous quittions alors le voisinage du Lachlan, et nous avions passé au nord-est de la haute suite de collines qui par ce parallèle bornent la contrée située au nord de cette rivière.

« Le pays, au nord-ouest et au nord, était haut et ouvert avec une bonne terre forestière. Le 10, nous eûmes la satisfaction de rencontrer le premier courant d’eau se dirigeant vers le nord. Cette vue renouvela notre espoir de rencontrer bientôt la rivière Macquarie, et nous continuâmes la même route en inclinant quelquefois vers l’est jusqu’au 19, en traversant une riche et belle contrée bien arrosée. Nous vîmes dans cet espace de temps neuf courants d’eau qui poussaient au milieu de riches vallées, et dont la direction était vers le nord ; le pays de tous côtés était assez haut et ouvert, et généralement aussi beau qu’on peut se l’imaginer.

« Nous ne doutions plus que ces courants ne se jetassent dans la Macquarie, et notre principal souhait était de voir celte rivière avant qu’elle reçût cet aliment. Le 19, nous eûmes l’agrément de rencontrer une nouvelle rivière arrosant un fort beau pays, et que j’aurais eu bien du plaisir à supposer être celle que nous cherchions. Le hasard nous conduisit le long de ce courant pendant environ un mille ; nous fûmes alors surpris de le voir se joindre avec une rivière venant du sud, d’une largeur et d’une grandeur telles que nous ne pouvions douter qu’elle ne fût cette rivière que nous avions si longtemps cherchée avec anxiété. Dans le triste état de nos ressources, nous ne pûmes résister à ta tentation que nous offrit un si beau pays, de rester deux jours à la jonction de ces deux rivières, pour examiner ses environs dans toute l’étendue possible.

« Nos observations augmentèrent la satisfaction que nous avions d’abord éprouvée. Aussi loin que notre vue pouvait s’étendre, et de tous côtés, nous apercevions un pays riche et pittoresque, d’une grande étendue, produisant en grande quantité la pierre à chaux, l’ardoise, le bon bois de construction, et toutes les ressources enfin que l’on peut désirer dans un terrain non cultivé.

« Il n’existe point de meilleur sol, attendu qu’une belle rivière, de première grandeur, procure le moyen de transporter au loin les productions. À l’endroit où nous quittâmes cette rivière, son cours se dirigeait vers le nord, et nous nous trouvions alors au nord du parallèle du port Stéphens, car nous étions par 32° 32′ 45″ de latitude S. et par 148° 52′ de longitude E.

« Il me sembla que la rivière de Macquarie avait pris une direction nord-nord-ouest depuis Bathurst, et qu’elle devait avoir reçu d’immenses accroissements d’eau dans son cours depuis cet établissement. Nous vîmes cette rivière à une époque bien propre à nous faire juger exactement de son importance lorsqu’elle n’était ni élevée au-dessus de sa hauteur ordinaire par des débordements ni resserrée dans ses limites naturelles par les sécheresses d’été. On pourra se former une idée de sa grandeur après qu’elle a reçu les courants d’eau que nous avions traversés, outre ceux qu’elle est susceptible de recevoir encore de l’est (qui, d’après la hardiesse et la hauteur du pays, doivent être, ce me semble, au moins en aussi grand nombre que ceux qui viennent du sud), quand on saura qu’à cet endroit elle surpassait en largeur et en profondeur apparente le Hawkesbury à Windsor, et que beaucoup de ses bras étaient plus grands et plus étendus que celui que l’on admire sur le fleuve Népeau, depuis le Warragamba jusqu’aux plaines Ému.

« Résolus de nous tenir aussi près que possible de la rivière pendant le reste de notre route vers Bathurst, et tâchant de déterminer au moins dans l’ouest quelles sont les eaux qui s’y jettent, nous continuâmes le 22 à la remonter entre le point de départ et Bathurst ; nous traversâmes les sources d’une foule d’eaux courantes, qui toutes se jetaient dans la Macquarie ; deux de ces courants étaient presque aussi larges que cette rivière elle-même à Bathurst. Le pays d’où toutes ces eaux tirent leur source était montagneux et irrégulier, et paraissait également l’être sur la côte orientale de la Macquarie.

« Telle était la physionomie du pays jusque dans le voisinage immédiat de Bathurst ; mais à l’ouest de cette étendue de montagnes, la terre était couverte de collines peu élevées, et produisant de l’herbe, ainsi que de belles vallées arrosées par des ruisseaux prenant leur source sur le côté occidental des montagnes qui, dans le côté oriental, jettent leurs eaux directement dans la Macquarie. Ces courants, situés sur le côté occidental, me semblèrent se joindre à celui que j’avais pris au premier abord pour la Macquarie, et se jeter, lorsqu’ils se sont joints, dans cette rivière au point où nous la découvrîmes d’abord le 19 du courant. Nous arrivâmes hier soir ici, sans qu’aucun homme faisant partie de l’expédition eût éprouvé le moindre accident depuis notre départ, après avoir parcouru, depuis Bathurst, un espace d’environ mille milles entre les parallèles de 34° 30′ S. et de 32° S., et entre les méridiens de 149° 29′ 30″ E. et de 143° 30′ E.

« Ma lettre, datée du 22 juin dernier, a fait connaître à Votre Excellence les grandes espérances que m’avait fait concevoir l’apparence de la rivière Macquarie, à l’égard de la manière dont elle se termine ; je m’attendais à la voir se jeter dans des eaux intérieures ou s’étendre jusqu’à la côte. Quand j’écrivis cette lettre à Votre Excellence, je ne prévoyais certainement pas que quelques jours de plus nous conduiraient à son extrémité navigable.

« Le 28 juin, ayant tracé son cours, sans la plus petite diminution ou addition, à environ soixante-dix milles dans le nord-nord-ouest, une petite brise soufflant sur la rivière, celle-ci déborda, et, quoique nous en fussions à environ trois milles de distance, le pays était tellement plat que bientôt le terrain où nous nous trouvions lut couvert d’eau. Nous avions, quelques jours auparavant, voyagé sur une terre si basse que nos hommes qui étaient dans les bateaux, trouvant le pays submergé, avancèrent lentement ; circonstance qui me mit à même de leur envoyer l’ordre de retourner au poste que nous avions quitté le matin, où le terrain était un peu plus élevé. Ce poste n’étant nullement sûr, il fut décidé que les chevaux, avec les provisions, regagneraient la dernière terre élevée que nous avions quittée, et qui était à seize milles de distance. Comme il me paraissait que la masse d’eau de la rivière était trop importante pour être beaucoup diminuée par le seul débordement de ses eaux, je résolus de prendre le grand bateau et de tâcher, à l’aide de cette embarcation, de découvrir le point où elles se déchargeaient.

« Le 2 juillet je descendis la rivière dans le canot, et dans le cours de la journée je fis environ trente milles vers le nord-nord-ouest. Pendant une étendue de dix milles, nous ne vîmes, à strictement parler, aucune terre, car le débordement faisait du pays environnant une véritable mer. Les bords de la rivière étaient encombrés de bois de construction, et beaucoup d’espaces étendus que nous voyions étaient non-seulement couverts de roseaux ordinaires, mais encore d’arbres très forts. Le 3 juillet, le principal canal était très resserré, mais très profond, et sur les bords il y avait depuis douze jusqu’à dix-huit pouces d’eau. Le courant conserva pendant environ vingt milles la même direction que la veille ; ensuite nous perdîmes de vue la terre et les arbres ; le canal de la rivière tournait à travers les roseaux, parmi lesquels l’eau avait environ trois pieds de profondeur. Il continua de la sorte pendant environ quatre milles, lorsque, sans aucun changement ultérieur dans la largeur, la profondeur et la rapidité du courant d’eau, et au moment où j’espérais vivement entrer dans le lac depuis longtemps désiré, il éluda tout à coup notre plus longue poursuite, en s’étendant de toutes parts du nord-ouest au nord-est, sur la plaine de roseaux qui nous entourait. La rivière variait de profondeur depuis plus de vingt pieds jusqu’à moins de cinq pieds, et coulait sur un fond de vase bleue tenace ; le courant avait presque la même rapidité qu’à l’endroit où l’eau était resserrée entre les bords de la rivière. Ce point de jonction avec les eaux intérieures, c’est-à-dire le lieu précis où la Macquarie cesse d’avoir la forme d’une rivière, est situé par 30° 45′ de latitude S., et par 147° 10′ de longitude E.

« Assurer positivement que nous étions sur le bord du lac ou de la mer dans laquelle cette grande masse d’eau se décharge, pourrait avec raison être regardé comme une conclusion qui n’est basée que sur des conjectures ; mais si l’on peut hasarder, d’après les apparences actuelles. une opinion que notre route postérieure tendit plus fortement à confirmer, j’ai l’entière confiance que nous étions dans le voisinage immédiat d’une mer intérieure, très probablement peu profonde et diminuant par degrés, ou comblée par les immenses dépôts des eaux qui s’y jettent du haut des teres élevées qui, sur ce singulier continent, semblent ne pas s’étendre au delà de quelques centaines de milles des côtes maritimes, attendu qu’à l’ouest de ces étendues de terre qui servent de bornes (et qui, d’après les observations que j’ai été à même de faire, me paraissent parallèles à la direction de la côte), il est impossible de découvrir une seule colline ou autre éminence sur cet espace qui semble n’avoir point de bornes, excepté ces points isolés, sur lesquels nous restàmes jusqu’au 28 juillet. Les rocs et les pierres qui s’y trouvent sont d’une espèce distincte de ceux que l’on voit sur les ranges[1] dont nous avons parlé plus haut.

« J’espère que Votre Excellence croira que, bien convaincu de la haute importance de la question à résoudre sur la formation intérieure de cette grande contrée, j’ai pris le plus grand soin d’éloigner tout motif de conjecture, en faisant les observations les plus scrupuleuses sur la nature du pays. Quoique ces faits me prouvent que l’intérieur est couvert d’eau, cependant j’ai pensé qu’il était de mon devoir de ne négliger aucune mesure tendant d’une manière quelconque à éclaircir directement ce doute.

« Il était physiquement impossible de gagner le bord de ces eaux en faisant un circuit autour de la partie inondée du pays sur la côte sud-ouest de la rivière, car nous nous convainquîmes que c’était un marais privé de végétation, affectant une forme polygonale et n’offrant pas le moindre îlot vers lequel nous puissions nous diriger. D’après les observations faites durant ma première expédition, j’étais convaincu qu’il n’était point probable qu’il s’en trouvât dans cette direction. Il restait encore à explorer le pays inondé situé dans le nord-est; et lorsque, le 7 juillet, je retournai aux tentes, que je trouvai dressées sur la terre haute ci-dessus mentionnée, et de laquelle nous pouvions voir les montagnes à la distance de quatre-vingts milles à l’est, le pays intermédiaire étant entièrement uni, M. Evans (mon lieutenant) fut envoyé en avant pour entreprendre cette opération.

« Le 18 juillet, M. Evans revint, n’ayant pas pu continuer sa route vers le nord-est pendant plus de deux journées ; il fut arrêté par des eaux coulant dans la direction du nord-est, au travers de roseaux élevés, et qui très probablement étaient celles de la rivière Macquarie, attendu que durant son absence ce fleuve s’était élevé à une telle hauteur qu’il nous entourait entièrement, et venait jusqu’à quelques toises de la tente. M. Evans s’avança ensuite davantage vers l’est, et (à une distance de cinquante milles de la rivière Macquarie, il en traversa une autre beaucoup plus large, mais moins profonde, se dirigeant vers le mord. Mais, poussant encore plus vers l’est, il alla presque jusqu’à la base des montagnes vues de la tente, et, retournant par une route plus méridionale, il trouva le pays un peu plus sec, quoique aussi peu élevé. Les instructions discrétionnaires qu’il a plu à Votre Excellence de me donner me laissant le choix de la route que je jugerais le plus convenable de suivre pour revenir au port Jackson, je résolus d’essayer de gagner la côte maritime en me dirigeant vers l’est et en m’avançant le long de la base des monts dont j’ai déjà parlé, par lesquels j’espérais encore être conduit aux autres eaux intérieures que cette partie de la Nouvelle-Galles méridionale pouvait contenir.

« Nous quittâmes ce poste le 30 juillet ; nous étions par 30° 18′ de latitude S. et par 147° 31′ de longitude E., et nous nous dirigions vers la côte. Le 8 août nous arrivâmes à la haute suite de montagnes vers laquelle nous avions fait route. Étant à la pointe la plus élevée de cette chaîne, nous eûmes un horizon sans bornes. Depuis le sud-ouest jusqu’au nord, ce n’était qu’un pays uni, ressemblant à l’Océan par son étendue, mais sans qu’on pût distinguer de l’eau en aucune partie, tandis que les cimes les plus élevées de la chaîne des montagnes étaient en vue à la distance de plus de cent vingt milles.

« En partant de ce point, conformément à la résolution que j’avais prise en quittant la rivière Macquarie, je me dirigeai vers le nord-est ; mais, après avoir rencontré de nombreuses difficultés, parce que le pays était une immense lagune entremêlée de sable mouvant, jusqu’au 20 août, et trouvant que j’étais entouré de marais, je fus, malgré moi, forcé de me diriger plus vers l’est, ayant prouvé par ma propre expérience, que le pays ne pouvait être traversé sur aucun point s’écartant de la chaîne de montagnes qui borne l’intérieur. Quoique des parties sèches de terre alluviale et unie s’étendent depuis leur base occidentale jusqu’à une distance que j’estime excéder cent cinquante milles, je suis convaincu que ces eaux couvrent l’intérieur du pays. Avant dirigé notre route plus vers l’est, nous ne tardâmes pas à nous trouver dans un pays d’une physionomie bien différente, et formant un contraste remarquable avec celui qui nous avait occupés si longtemps.

« Un grand nombre de beaux courants d’eau, se dirigeant vers le nord, arrosaient une riche et belle contrée, que nous parcourûmes jusqu’au 7 septembre, jour où nous traversâmes le méridien de Sidney et la terre la plus élevée qui soit connue dans la Nouvelle-Galles méridionale, nous trouvant alors par 31° de latitude S. ; ensuite nous fûmes considérablement embarrassés et retardés par de très hautes montagnes. Le 20 septembre, nous gagnâmes le sommet le plus élevé de cette chaîne étendue, et là nous eûmes le plaisir de voir l’Océan à cinquanle milles de distance. Le pays à nos pieds avait la forme d’une vallée triangulaire, dont la base s’étendait le long de la côte, depuis les Trois-Frères, dans le sud, jusqu’à la terre haute, située au nord du cap Fumeux (Smoky cape). Nous eûmes de plus la satisfaction de trouver que nous étions près de la source d’une large rivière se dirigeant vers la mer. En descendant la montagne, nous suivîmes le cours de ce grand courant d’eau, augmenté par beaucoup d’autres qui venaient s’y joindre, jusqu’au 8 octobre, jour où nous arrivâmes sur le rivage situé près de l’entrée du port, où cette rivière venait se jeter. Nous avions traversé, depuis le 18 juillet, un pays d’environ cinq cents milles d’étendue de l’ouest à l’est.

« L’entrée de ce port est située par 31° 25′ 45″ de latitude S., et par 152° 51′ 54″ de longitude E., et avait déjà été remarquée par le capitaine Flinders ; mais la distance à laquelle il fut obligé de se tenir de la côte ne lui permit pas de découvrir que cette entrée était navigable. Notre plus grande attention fut donc dirigée vers ce point important ; et quoique le manque de canot nous empêchât de déterminer complètement la profondeur du canal, cependant il parut qu’il y avait au moins trois brasses, à marée basse, et que le passage était sûr, quoique étroit, entre les sables mouvants des deux côtés. Ayant poussé mes remarques jusqu’à me convaincre qu’à l’aide de ce port le beau pays environnant les bords de la rivière pouvait être un jour utile à la colonie, je pris la liberté de le nommer port Macquarie, en l’honneur de Votre Excellence , qui la première encouragea cette expédition.

« Le 12 octobre, nous quittâmes le port Macquarie pour nous diriger vers Sidney, et quoique aucune carte ne puisse être plus soignée dans son esquisse et dans ses points principaux que celle du capitaine Flinders, cependant nous ne tardâmes pas à éprouver combien peu l’on doit compter sur les meilleures cartes marines pour l’indication de tous les passages et entrées qui se trouvent sur une longue étendue de pays. La distance à laquelle son bâtiment se tint ordinairement de cette partie de la côte que nous dûmes traverser ne lui permit pas d’apercevoir des ouvertures qui, quoique de peu de conséquence sans doute pour la navigation, présentaient cependant les plus graves difficultés aux voyageurs par terre, et dont j’aurais hésité à essayer le passage sans nul secours du côté de la mer, dans le cas où elles eussent été indiquées. Dans l’état actuel des choses, nous devons notre conservation et celle de nos chevaux à la rencontre d’un petit canot que la Providence nous fit découvrir sur le rivage, et que les hommes portèrent avec la plus grande gaieté sur leurs épaules pendant plus de quatre-vingt-dix milles, nous mettant ainsi à même de vaincre des obstacles que sans cela nous n’eussions jamais pu surmonter.

« Il y a peu de jours encore, j’espérais avoir la satisfaction d’annoncer que nous étions de retour de notre expédition sans qu’aucun accident fut arrivé aux personnes qui en font partie ; mais le caractère des naturels qui habitent le long de la côte nord est tellement cruel et perfide, que toute notre prudence ne put empêcher un de nos hommes (William Blake) d’être grièvement blessé par eux. Cependant, grâce aux soins habiles du docteur Harris (qui nous a accompagnés comme volontaire, et duquel, dans cette occasion, ainsi que dans tout le cours de notre voyage, nous avons reçu des secours très importants), j’espère que son rétablissement n’est plus douteux. »

Comme on le voit, le savant et courageux Oxley croit à l’existence possible d’une mer intérieure à la Nouvelle-Hollande ; d’autres explorateurs géologues combattent cette opinion. À qui restera la victoire ? Le temps seul en décidera.

  1. Range. Je connais peu la vraie signification de ce mot anglais.