SOUVENIRS
D'UN AMIRAL

LA MARINE DE LA RESTAURATION

UNE CAMPAGNE DANS LA MER DU SUD.



I.

Le gouvernement de la restauration avait accueilli avec bienveillance les divers rapports que je lui avais adressés au retour de ma campagne sur les côtes des régences barbaresques[1]. Il ne tarda pas à me confier une nouvelle mission, gage incontestable de sa sollicitude éclairée et active pour le développement de notre commerce maritime. J’allais cette fois rencontrer, non plus le concours, mais l’opposition à peine dissimulée de l’Angleterre, car si les intérêts politiques des deux pays ont été trop longtemps rivaux, les intérêts commerciaux l’ont été bien davantage, et ceux-ci, dans leur âpreté, sont les plus inconciliables et les plus exigeans.de tous. A peine le vaisseau le Centaure, conduit de Toulon à Brest et complètement réarmé dans ce dernier port, eut-il été ramené en rade, que je reçus l’ordre de me tenir prêt à partir pour la Mer du Sud. Les riches colonies qu’avait fondées l’Espagne dans ces contrées lointaines pro- clamaient l’une après l’autre leur indépendance, et la liberté du commerce y succédait au monopole jaloux qui les avait exploitées pendant près de trois siècles. Le devoir de la France était de revendiquer sa part des avantages que promettait à l’industrie européenne ce nouvel état de choses. Les Anglais, fidèles à leurs traditions, avaient pris sur nous les devans. Ils dépeignaient la France comme un pays épuisé par des guerres continuelles, sans marine, sans finances, incapable de mettre en mer le moindre armement. Il importait de démentir ces bruits intéressés et d’assurer à notre commerce une protection sans laquelle nous l’eussions vu exposé à mille avanies. Jamais vaisseau de ligne français n’avait doublé le cap Horn. Le ministre des affaires étrangères, M. Le baron Pasquier, d’accord avec le ministre de la marine, jugea qu’un vaisseau pouvait seul donner aux populations sur l’esprit desquelles nous voulions agir une idée convenable de notre puissance navale. La frégate la Renommée, qui avait accompagné déjà le vaisseau le Centaure sur les côtes d’Afrique, lui fut encore adjointe pour cette seconde campagne.

Sans la double usurpation qui proclama la déchéance de la maison de Bragance et fit momentanément descendre du trône d’Espagne les héritiers de Philippe V, l’on peut se demander si le Nouveau-Monde catholique aurait eu, comme le Nouveau-Monde protestant, sa révolution. Les colonies de l’Amérique du Sud ne songèrent à se gouverner elles-mêmes que le jour où l’étranger fut le maître dans la métropole. L’affranchissement les surprit à l’improviste. Leur éducation politique était tout entière à faire, et une révolution imprévue faisait tomber leurs lisières avant qu’elles eussent appris à marcher. Bien qu’une même impulsion animât tous les insurgés, bien qu’ils sentissent instinctivement que leurs causes étaient solidaires, nulle pensée d’unité ne parut présider à leurs efforts. Chaque soulèvement fut l’effet de souffrances ou d’ambitions locales, et l’Espagne vit ses possessions d’outre-mer se détacher l’une après l’autre de sa domination, en conservant la forme administrative sous laquelle elle les avait constituées. Entre ces diverses provinces, peuplées par la même race, la nature avait élevé des frontières qui les rendaient presque étrangères l’une à l’autre. Aussi chacune de ces possessions lointaines avait-elle eu, dès les premiers jours de la conquête, une existence distincte. Il était difficile qu’un lien fédératif parvînt à les réunir. Ce fut peut-être le rêve de quelques-uns des chefs de la révolution, ce fut surtout celui du plus éminent d’entre eux ; mais la force des choses devait l’emporter sur de vaines théories, et le morcellement des nouveaux états n’a fait jusqu’ici que s’accroître.

Au moment où je reçus mes dernières instructions, vers le milieu de l’année 1820, la lutte, terminée à l’avantage des insurgés sur les rives de la Plata et dans la province du Chili, n’était point encore engagée au Pérou; elle se prolongeait avec un acharnement incroyable dans la Colombie, mais sans grande apparence de succès pour l’Espagne. La cause de cette puissance gagnait au contraire du terrain au Mexique. En pareille circonstance, la neutralité la plus absolue était de rigueur, et le ministre en faisait le premier devoir de la mission que j’allais remplir; il me prescrivait d’assurer à notre commerce les garanties qu’exigeait l’instabilité du pouvoir dans ces états nouveaux, et m’invitait à recueillir tous les renseignemens propres à éclairer le gouvernement du roi sur l’avenir d’un mouvement qu’on ne voulait encore ni reconnaître ni désavouer. La tâche était délicate; je ne pouvais cependant qu’être flatté du rôle qu’on m’attribuait. Sans avoir l’importance des événemens qui préparèrent l’émancipation des États-Unis, l’insurrection à laquelle les colonies de l’Amérique méridionale dupent leur indépendance n’en est pas moins le fait capital de la période qui sépare la chute de l’empire de la révolution de juillet. Il y avait donc un certain honneur à être choisi pour l’observer, il y avait aussi d’intéressans souvenirs à se promettre d’une semblable campagne.

Le 6 juin 1820, la brise s’étant élevée du nord-ouest, je fis signal à la division de mettre sous voiles. A huit heures du matin, nous étions par le travers de la chaussée de Sein. Les côtes de Bretagne avaient disparu. On oublie trop vite les angoisses du départ; si on se les rappelait dans toute leur amertume, il faut bien le dire, il n’y aurait plus de marins. Le vent avait successivement tourné au nord, puis à l’est; nous filions près de dix nœuds à l’heure. Penché sur le bastingage, je suivais des yeux ce sillage rapide, dont le murmure semblait moins parler d’éloignement que de prompt retour. C’est ainsi que l’espoir rentre insensiblement, et comme à son insu, dans le cœur du marin : espoir incorrigible, qui n’entrevoit jamais que des retours heureux !

Quatre jours après notre départ de Brest, nous étions devant l’embouchure du Tage. Les pilotes vinrent à bord, et nous allâmes jeter l’ancre au-dessus de la tour de Bélem. Le gouvernement avait voulu que nous pussions apporter au roi Jean VIe retiré depuis 1808 au Brésil, des nouvelles récentes de son royaume; celles que nous recueillîmes n’étaient pas de nature à réjouir le cœur d’un souverain. On connaît la situation admirable de Lisbonne : peu de villes ont offert le spectacle d’une plus grande opulence; mais l’éloignement de la cour et l’influence dominante des Anglais avaient depuis quelques années porté la plus funeste atteinte à la prospérité de cette partie de la Péninsule. Le Portugal, à son tour, était devenu une colonie. En 1820, il avait deux métropoles, Londres et Rio-Janeiro. L’industrie nationale n’y existait pas même de nom. La beauté du climat, la richesse des productions agricoles ne faisaient que mieux ressortir la misère des habitans. Malgré sa profonde apathie, le peuple était mécontent; les troupes, mal payées et misérablement vêtues, se montraient animées du plus mauvais esprit. L’atmosphère était comme imprégnée de ces miasmes malsains qui précèdent les révolutions.

Nous ne nous arrêtâmes dans le Tage que quelques jours. Le 18 août, nous étions mouillés dans la rade de Rio-Janeiro. Le Brésil avait déjà pris rang parmi les grandes puissances commerciales. Ses exportations annuelles pour l’Europe s’élevaient en 1820 à 150 millions de francs; ses consommations d’objets européens ne dépassaient pas encore 60 millions, sur lesquels l’Angleterre comptait 40 millions pour sa part, la France 10, le Portugal et les autres nations réunies le même chiffre. Le principal objet d’importation ne venait pas d’Europe, mais de la côte d’Afrique. On sait que, par une clause spéciale, le Brésil avait obtenu le privilège de faire jusqu’en 1830 la traite au sud de l’équateur. Il se hâtait d’exploiter cette précieuse tolérance, et recevait chaque année des comptoirs portugais environ quatre-vingt mille nègres.

Pendant que l’Angleterre introduisait au Brésil des tissus de laine et de coton de tout genre, de la quincaillerie, et plusieurs autres articles de détail, la France y envoyait des farines, du beurre salé, des vins, des eaux-de-vie, des meubles, des soieries, et surtout des objets de mode. En vertu d’un traité conclu en 1810, les droits d’importation payés par les Anglais étaient de 15 pour 100 d’après les évaluations mêmes de leurs factures; ceux qu’il nous fallait subir se montaient à 24 pour 100, et n’avaient d’autre base que les appréciations arbitraires de la douane[2]. L’état de notre commerce au Brésil, particulièrement à Rio-Janeiro, était tel alors que, sans la passion que montraient les Brésiliens pour quelques-unes de nos marchandises, sans l’élégance inimitable d’un certain nombre de nos produits, toute transaction nous serait devenue impossible. Il n’y avait point de temps à perdre pour obtenir la réforme d’une situation si préjudiciable à nos intérêts; j’en signalai l’urgence, et indiquai comme un des moyens qui pourraient le mieux assurer le succès des négociations l’apparition plus fréquente de nos forces navales dans ces parages, où l’on s’était fait à la longue une trop mince idée de notre puissance.

Dès 1820, nos compatriotes témoignaient un grand penchant à émigrer au Brésil. La ville seule de Rio-Janeiro comptait, sur une population de cent trente à cent quarante mille âmes, trois mille Français, qui propageaient au Brésil le goût de nos produits; les capitaux qui pouvaient se former au sein de cette population laborieuse devaient refluer tôt ou tard vers la France. Ces émigrés avaient donc des droits incontestables à notre protection. Le roi Jean VI ne les voyait pas sans plaisir apporter dans ses vastes états leur industrie et leur activité;, il daigna m’en donner lui-même l’assurance, lorsque je lui fus présenté avec les officiers de la division. Ce souverain débonnaire, qui n’aimait que le repos, et auquel le repos fut constamment refusé, se trouvait fort heureux au Brésil. La douceur de son administration le faisait aimer de ses sujets. Il n’avait pour toute armée qu’un cadre de seize mille hommes, dont la moitié tout au plus se trouvait sous les drapeaux. Il ne lui en fallait pas tant pour être à l’abri des insurrections dans un pays où sa présence était considérée comme un bienfait; mais il fallait que ces troupes fussent fidèles et que le vent de la révolte ne traversât pas l’Atlantique.

Nous prîmes congé du roi Jean VI dans les premiers jours de septembre, et le 13 du même mois nous appareillâmes de Rio-Janeiro pour continuer notre voyage vers le sud. Avant de me diriger sur l’embouchure de la Plata, j’avais résolu de m’arrêter dans la baie de Sainte-Catherine. Je savais que j’y trouverais un excellent mouillage, et j’attachais un grand intérêt à connaître les ressources que cette baie profonde pouvait offrir à nos croiseurs en temps de guerre. L’île de Sainte-Catherine, située par 27 degrés de latitude, presque à la limite de la zone tropicale, est séparée du continent par un détroit large au plus de deux ou trois lieues ; elle présente une longueur de neuf lieues sur une largeur de deux lieues et demie. Les bords en sont généralement escarpés; l’intérieur, inégal, montueux, coupé par une infinité de ruisseaux, offre partout le spectacle de la végétation la plus vigoureuse. Le climat de Sainte-Catherine rappelle celui des fabuleuses Hespérides. La température y est douce, l’air sec et salubre. Le sol peut recevoir avec un égal avantage les productions des deux zones. La canne à sucre, le caféier, le bananier, l’ananas, le tabac, s’y cultivent à côté du pêcher et de toutes les plantes potagères de l’Europe. Le cotonnier seul n’y a jamais bien réussi ; ses produits sont restés inférieurs en qualité à ceux du cotonnier de Bahia ou de Fernambouc.

Les habitans de Sainte-Catherine, lorsque je les visitai, n’avaient eu presque aucune relation avec les Européens. Un sol complaisant fournissait sans peine à leurs besoins : ils ne lui demandaient pas davantage. Sur la lisière odorante d’un bois d’orangers, dont les fruits abandonnés jonchaient partout la terre, chaque famille se contentait de défricher un étroit espace de terrain pour y bâtir une modeste cabane et y semer un peu de blé ou de maïs. Des volailles, quelques bestiaux, et surtout les produits de la pêche, ajoutaient de faciles ressources à cette récolte. Le poisson, préparé et séché au soleil, était mis en réserve pour les mauvais jours de l’hiver. L’existence matérielle se trouvait ainsi assurée. Les vêtemens mêmes étaient tissés avec le coton indigène. Ces heureux insulaires sont originaires des Açores, qu’ils ont abandonnées pour fuir les exigences et les exactions de la métropole. Comme tous les peuples dont la vie est facile, ils sont doux, affables, hospitaliers. L’admirable climat de Sainte-Catherine n’a fait que fortifier une race chez qui le sang des Maures s’unit à celui des Germains. Les femmes sont généralement belles; les hommes ont le teint brun, les traits réguliers, les membres vigoureux et souples. Le gouvernement portugais n’avait pas encore établi d’une façon bien complète son autorité dans cette île. Le recrutement militaire y rencontrait surtout d’opiniâtres résistances. Les habitans se cachaient dans les bois pour échapper à un service qui leur était odieux. Un bataillon de huit cents hommes venait d’être envoyé de Bahia pour les faire rentrer dans le devoir; un fort avait été construit sur l’île, à l’entrée du goulet, et deux routes percées à travers la forêt assuraient les communications avec l’intérieur. La soumission prochaine des conscrits réfractaires était donc assurée.

S’il faut subir un joug, si l’on ne peut échapper à cette loi fatale, mieux vaut du moins le joug d’un pouvoir régulier que celui d’une tyrannie mobile et capricieuse. Le Brésil n’était certes pas en 1820 un paradis terrestre; mais les républiques que j’allais visiter étaient plus éloignées encore d’en présenter l’image. Le nouveau continent était à cette époque pour les âmes paisibles, pour ces bienheureux pacifiques dont parle l’Evangile, un séjour aussi peu enviable que les contrées les plus troublées de notre vieux monde. La vie, hélas! est partout un combat; en 1820, on eût pu ajouter... surtout en Amérique !

Les ports du Nouveau-Monde situés au sud de l’équateur, ceux même que baigne l’Atlantique, n’avaient été que rarement visités par notre marine. La jalousie commerciale nous en avait exclus avant la révolution; la suprématie de la marine anglaise nous en avait fermé l’accès tant qu’avait duré l’empire. Au Brésil, nous commencions à nous créer des relations fructueuses; j’avais pu m’en assurer pendant mon séjour devant Rio-Janeiro. Il me restait à savoir quel accueil serait fait à notre commerce dans les états indépendans qui confinaient aux provinces brésiliennes. La plaine qui s’étend le long des deux rives de la Plata, de l’Océan jusqu’à Santa-Fé, est en général très fertile. Excepté le bois, tout ce qui subvient aux besoins ordinaires de la vie y croît abondamment. La véritable richesse de cette contrée consiste surtout dans les vastes pâturages où errent en liberté d’immenses troupeaux de bœufs, de moutons, de chevaux et de mules. Les exportations des provinces de la Plata se composent presque exclusivement de cuirs et de suif pour l’Europe, de viande boucanée pour le Brésil ou les colonies espagnoles. L’Europe, en retour, y envoie des soieries, des tissus de coton et de laine, des eaux-de-vie et des vins. Malheureusement la guerre civile avait décimé ces troupeaux, devenus tour à tour la proie de l’un et de l’autre parti. Les bestiaux commençaient à devenir rares sur les bords de la Plata. Le moment semblait donc peu favorable pour y nouer des relations commerciales. L’apparition de notre pavillon dans ce fleuve, où l’on était si peu habitué à le voir flotter, n’en devait pas être pour cela moins utile : elle rappellerait à tous ces partis, mutuellement acharnés à leur perte, que la France, sans vouloir s’immiscer en aucune façon dans leurs querelles, était bien décidée à ne pas souffrir que nos compatriotes ou leurs intérêts en fussent victimes.

Le 29 septembre 1820, je sortis de la baie de Sainte-Catherine et je me dirigeai vers l’embouchure de la Plata. Sur la rive gauche de ce fleuve, entre l’Uruguay et le cap Sainte-Marie, on rencontre les villes de Maldonado et de Montevideo; sur la rive droite, au fond du golfe immense dont Montevideo et Maldonado occupent l’entrée, s’élève la ville de Buenos-Ayres. Le 12 octobre, je mouillai devant Maldonado. Cette rade est complètement exposée aux vents du large. Un terrain inculte et sablonneux nous conduisit à la ville, distante d’un quart de lieue environ du rivage. Les rues, bien alignées et très spacieuses, étaient désertes. Les maisons, bâties en briques rouges, n’ont d’autre étage qu’un rez-de-chaussée; la plupart tombaient en ruines. Deux églises s’élevaient du milieu de ces masures. Dans l’une, dont la façade dégradée accusait un long abandon, on avait creusé de vastes fosses encore découvertes où gisaient entassés les cadavres des soldats tués pendant les derniers troubles. Cette ville, délaissée par ses habitans, avait un aspect sinistre. Je ne pus du reste m’y arrêter plus d’un jour. Au moment même où nous jetions l’ancre sur la rade de Maldonado, Buenos-Ayres venait d’être enlevé d’assaut par un de ces chefs de partisans qui se succédaient alors si rapidement au pouvoir; un pareil événement m’imposait le devoir de me rapprocher d’une ville où la fortune et la vie de nos compatriotes pouvaient être en péril. Je portai mon pavillon sur la Renommée, dont le tirant d’eau, bien inférieur à celui du Centaure, devait me permettre de remonter, s’il le fallait, jusque devant Buenos-Ayres, et j’allai immédiatement avec cette frégate prendre le mouillage de Montevideo. Là, j’appris en quelques heures quelle était à peu près la situation politique du pays, quels partis le divisaient, quelles influences y exerçaient tour à tour leur ascendant.

Vers la fin de 1819, le parti français avait pris le dessus à Buenos-Ayres. La forme républicaine ne semblait promettre à ces provinces que de sanglantes discordes et d’interminables orages. Quelques personnes songèrent à demander à l’Europe un prince étranger. Des propositions furent d’abord adressées à notre gouvernement. Les autorités de Buenos-Ayres offraient sur les bords de la Plata un trône constitutionnel à M. Le duc d’Orléans. Cette démarche n’eut aucun succès. Les vœux du congrès, secrètement consulté, parurent se réunir alors sur le prince de Lucques. Tout était préparé, les conditions faites. Ce plan aurait obtenu bientôt l’approbation unanime du pays, lorsqu’une indiscrétion éveilla l’attention de nos éternels rivaux. Les Anglais, avertis, n’hésitèrent pas à déjouer cette prétendue intrigue par une révolution; ils unirent leurs efforts à ceux de quelques mécontens, et parvinrent à renverser le directeur Puyredon en prêtant leur appui à Saratea, son ennemi personnel. Ce fâcheux antagonisme, qui se révélait entre l’Angleterre et la France sur un terrain où les intérêts directs des deux nations n’étaient pas en jeu, ne montrait que trop l’inanité des espérances qu’aurait pu faire naître dans mon esprit la campagne que je venais d’accomplir, il y avait à peine quelques mois, de concert avec le vice-amiral Freemantle. Il devrait cependant répugner aux instincts généreux de deux puissans peuples de sacrifier toujours le bonheur et la tranquillité des états secondaires aux préoccupations de leurs jalouses querelles.

Montevideo avait été occupé par des troupes portugaises; Puyredon s’y réfugia. A partir de ce moment, l’anarchie fut complète dans la province de Buenos-Ayres. Tous ceux qui purent rassembler quelques forces aspirèrent au gouvernement et se firent entre eux une guerre acharnée. Enfin, le à octobre 1820, un ami de Puyredon, Martin Rodriguez, fut proclamé gouverneur-général par les électeurs des provinces; il parut devant Buenos-Ayres à la tête de quatre mille hommes, et l’enleva le jour même de vive force. Près de quatre cents personnes furent tuées ou blessées dans cet assaut. Rodriguez montrait une grande sévérité. Quelques individus avaient été condamnés à mort; contre un plus grand nombre, la peine de l’exil avait été prononcée. Montevideo voyait accourir en foule les émigrés et les proscrits. Une telle rigueur faisait penser que cette révolution serait la dernière. Les précédentes avaient eu lieu sans effusion de sang, et la succession rapide de pareilles crises avait accrédité l’idée qu’on pouvait parvenir sans danger au pouvoir : encouragement certain pour les ambitieux et les fauteurs de troubles. Grâce à l’avènement de Martin Rodriguez, partisan, je l’ai dit, de Puyredon, notre partisan lui-même, la présence du pavillon français devant Buenos-Ayres était devenue inutile. Dans l’état de fermentation où se trouvait le pays, elle n’eût pu que compromettre le petit nombre de Français qui ne s’étaient pas encore réfugiés à Montevideo. Les indépendans, — tel était le nom qu’avaient pris les républicains de la Plata, — se montraient avant tout fort jaloux des Européens, dont la supériorité blessait leur orgueil; ils se fussent à l’instant réunis contre le pouvoir soupçonné de pactiser avec eux. Tant que l’ordre ne serait pas mieux affermi dans ces malheureuses provinces, la France n’avait rien à en attendre. L’instabilité du gouvernement rendait toute négociation souverainement dangereuse. Le chef qui eût accordé à notre commerce quelques conditions favorables n’aurait pu en garantir l’exécution : cet avantage illusoire fût devenu pour ceux qui en auraient été l’objet un tort impardonnable aux yeux de son successeur.

Pendant que la guerre civile exerçait ses dévastations sur la rive droite du fleuve, à Montevideo on jouissait d’une tranquillité relative. Seul, le général Artigas tenait encore la campagne avec une armée de pillards et d’assassins, qu’il continuait à recruter par la violence. C’était pour éloigner ce bandit redouté que le gouvernement de Buenos-Ayres, au temps du directeur Puyredon, s’était prêté à l’occupation de la province de Montevideo par les Portugais. Malgré la tranquillité que la présence de ces troupes étrangères procurait aux habitans, l’inimitié des deux races n’en subsistait pas moins. On ne pouvait douter que, si les indépendans de la Plata parvenaient jamais à s’entendre et à fonder un gouvernement plus stable et plus régulier, le premier usage qu’ils feraient de leur puissance serait d’expulser les Portugais d’un territoire où ils ne souffraient leur présence qu’à regret. Quant à l’Espagne, elle devait renoncer à toute domination à Buenos-Ayres comme à Montevideo. En déployant un peu plus de vigueur cependant, cette puissance, dans les premières années qui suivirent la paix de 1815, eût pu sauver encore ses possessions d’outre-mer. C’était avant tout sur les rives de la Plata qu’il importait de se maintenir. Il fallait commencer par rétablir l’ordre dans les provinces qui avaient les premières donné l’exemple de la sédition. Une armée de sept ou huit mille hommes y eût suffi quand le pays, déchiré par des querelles intestines, était incapable d’organiser la moindre résistance. Les habitans des villes auraient vraisemblablement accueilli avec une secrète sympathie des efforts dont le succès eût assuré le prompt rétablissement de l’ordre. On n’aurait eu contre soi que les gens de la campagne. Ceux-là malheureusement avaient fait l’essai de leur force. C’était de cette classe ignorante et grossière que les ambitieux se servaient pour repousser toute idée d’accommodement avec l’Espagne et pour se disputer le pouvoir.

L’instinct du self-government, il faut bien le reconnaître, n’a pas été départi à tous les peuples aussi largement qu’aux Américains du Nord. Il est des peuples éternellement enfans qui semblent demander une éternelle tutelle. Il y avait donc autant de patriotisme que de sagesse dans le projet qu’avaient fait échouer les menées des Anglais. « Nous ne pourrions, me disaient à Montevideo les partisans d’un gouvernement monarchique, ajouter aucune foi aux offres des Espagnols. Leur gouvernement n’est pas plus stable que le nôtre, et ce qu’il nous promettrait aujourd’hui serait désavoué demain. Nous voulons être une nation; mais il nous faut à la tête de l’état un homme d’un grand nom qui nous assure de solides alliances, et dont la considération personnelle décourage les espérances des factieux. » Les années qui ont suivi le passage de notre division dans la Plata ne se sont que trop chargées de prouver à quel point ce raisonnement était juste. Le Brésil a vu sa prospérité grandir de jour en jour; la république argentine semble avoir banni à jamais la paix de ses rivages. Je ne suis pas plus qu’un autre insensible aux charmes de la liberté; mais je ne crois pas qu’un honnête homme puisse se sentir véritablement libre dans un pays qui ne connaît plus le respect des lois.


II.

Le 18 novembre 1820, nous étions prêts à reprendre la mer. Nous quittâmes le mouillage de Maldonado par une belle matinée de printemps, car, au sud de l’équateur, le mois de novembre, c’est le mois de mai de nos contrées. Dès que nous eûmes traversé la vaste et dangereuse embouchure de la Plata, nous fîmes route sous toutes voiles vers le sud, pour doubler le cap Horn et entrer dans l’Océan-Pacifique. Je m’éloignai sans regret d’un pays où tout me rappelait que vingt longues années s’étaient écoulées depuis le jour où je l’avais visité pour la première fois. Vingt années sont beaucoup dans la vie d’un homme; elles ne sont rien dans la vie d’un pays. Malheureusement ces vingt années renfermaient une révolution, et par les ruines qu’elles avaient entassées, elles avaient fait aux malheureuses provinces de la Plata une décrépitude précoce. J’allais retrouver, il est vrai, sur la rive occidentale du continent américain d’autres colonies en voie de transformation; mais là du moins je n’aurais pas à repousser sans cesse comme un fantôme importun quelques-uns des plus chers souvenirs de ma jeunesse. Les ruines, si j’en rencontrais, ne seraient pour moi que les débris d’un passé inconnu. Je me trouverais d’ailleurs en présence de républicains encore occupés à conquérir leur indépendance. C’est une heure favorable aux états naissans. La période délicate dans tout enfantement politique, c’est celle où les partis, n’ayant plus rien à craindre de l’ennemi commun, s’abandonnent sans réserve au besoin de se haïr et au bonheur de se déchirer.

Le 9 décembre, nous étions par le travers du cap Horn. Nous n’avions pas un seul malade, et nos équipages avaient conservé toute leur gaieté. Des jours sans nuits étaient un spectacle nouveau pour nos jeunes marins, qui les passaient presque tout entiers à danser sur le gaillard d’arrière. Je leur fis annoncer qu’ils étaient sur le premier vaisseau français qui eût doublé le cap Horn. Avec des équipages tels que les nôtres, il ne faut jamais négliger de faire appel à l’amour-propre : c’est un moyen de leur faire supporter sans murmure bien des fatigues et bien des misères. Des vents d’ouest-sud-ouest nous obligèrent à remonter vers le sud, jusqu’au 60e degré de latitude. Le froid était devenu très rigoureux. Nos marins n’avaient pas les chauds et comfortables vêtemens des baleiniers; ils souffrirent beaucoup, et plus d’un eut les pieds gelés.

Doubler le cap Horn est devenu un jeu depuis le temps de l’amiral Anson. A cette époque même, ce n’était pas une action aussi hardie que bien des navigateurs ont voulu le faire entendre. Chaque saison a pour cette navigation ses avantages. L’hiver, on a des vents moins constamment contraires; l’été, on est favorisé par la longueur des jours. Le récit fort intéressant que nous a laissé lord Anson des épreuves de son long voyage fut notre seul guide dans le passage du cap Horn. Ainsi que l’illustre amiral anglais, nous éprouvâmes de fréquens coups de vent interrompus par de courts intervalles de calme, et nous ressentîmes l’effet des courans qui l’avaient entraîné dans l’est. Nous passâmes en vue de Valdivia sans nous y arrêter. J’ignorais si ce port était propre à recevoir des vaisseaux, car je n’avais emporté de France aucun plan des côtes du Chili, et depuis notre départ de la Plata nous faisions un véritable voyage de découvertes. Le 30 décembre, nous donnâmes hardiment et à tout hasard dans la baie de La Conception. Ce port est sans contredit le meilleur et le plus sûr de la côte du Chili. C’est le seul qui, en toute saison, puisse offrir à une escadre les moyens de se réparer, de remplacer son eau, son bois, et de se procurer à des prix modérés les rafraîchissemens nécessaires. M. de La Pérouse avait visité avant nous la province de La Conception : la relation de ses voyages en contenait une description très détaillée ; mais la guerre avait rendu méconnaissable cette heureuse et florissante partie du Chili. La Conception ne présentait plus en 1820 que le spectacle douloureux d’une ville saccagée plusieurs fois par l’ennemi. Les campagnes abandonnées restaient sans culture, et le commerce avait déserté des rivages où il ne trouvait plus ni profits ni sécurité. Aussi la population de La Conception, qui, au moment du passage de La Pérouse, s’élevait à quinze mille âmes, se trouvait-elle déjà réduite en 1820 à huit mille habitans.

Bien que le parti des indépendans eût remporté des victoires décisives, la guerre civile n’était pas complètement terminée dans les provinces du Chili. Les habitans des montagnes, dirigés par les moines, qui avaient conservé sur leur esprit une très grande influence, combattaient encore pour la cause royale. A leur tête marchait un Chilien, le fameux Benavidès, à qui la connaissance parfaite du pays donnait pour cette guerre de partisans de très grands avantages. Les royalistes du Chili se battaient en héros et mouraient en martyrs. S’ils avaient le malheur de tomber dans les mains de l’ennemi, ils réclamaient pour toute faveur qu’on leur laissât le temps de prier pour le roi; leur prière achevée, ils s’offraient d’eux-mêmes au coup mortel : ne demandant point de merci, ils n’en accordaient pas. Bien souvent les indépendans avaient proposé des échanges de prisonniers; ces offres avaient été repoussées avec dédain. Il y avait seulement quelques mois que Benavidès s’était emparé de La Conception. Le général Freyre, qui commandait au nom de la république dans la province, avait dû se retirer avec les milices et le peu de troupes restées disponibles dans la ville voisine de Talcahuana, située à l’entrée de la baie. Le 25 novembre 1820, il avait fait une sortie et engagé une action qui n’avait pas duré moins de deux jours. Les royalistes avaient été complètement battus; ils avaient laissé sept cents hommes sur le champ de bataille et trois cents prisonniers au pouvoir du vainqueur.

Si la métropole avait réussi à armer en faveur de sa cause quelques bandes de paysans fanatiques, le Chili avait trouvé dans les peuplades sauvages qui vivent au-delà du Biobio des alliés dont le concours avait une bien autre importance. Depuis la conquête du Nouveau-Blonde, ces peuplades, connues sous le nom d’Araucanos, avaient toujours été les ennemis les plus acharnés des Espagnols. Elles combattent à cheval. Leurs armes sont la lance, l’arc, la fronde, le lasso et les boules. Il n’est pas sur le continent de l’Amérique de cavalerie qui puisse résister à celle des Araucanos. Avant de charger, ces Indiens dénouent leur chevelure et la laissent tomber autour de leur tête de manière à s’en couvrir jusqu’à la ceinture. Un cri aigu donne le signal de l’attaque. Tous fondent à la fois sur l’ennemi, se faisant avec une incroyable adresse un bouclier du corps de leurs chevaux; ils évitent ainsi la première décharge des armes à feu. Leur choc est terrible, et les renforts continuels qu’ils reçoivent les empêchent de sentir leurs pertes. Gagnés par les indépendans, les Araucanos fournirent à l’armée chilienne quatre mille cavaliers aguerris. Chaque jour diminuait donc les chances que pouvait avoir conservées l’Espagne de rétablir son autorité dans ces colonies lointaines; mais tant qu’il restait à cette puissance un pied sur le continent américain, les colons émancipés pouvaient craindre quelque brusque retour de fortune. Affranchi par les secours qu’il avait reçus de Buenos-Ayres, le Chili devait au soin de sa propre sécurité de tenter à son tour l’affranchissement du Pérou. Une expédition considérable venait de partir de Valparaiso et de La Conception, se dirigeant vers la rade de Lima. L’œuvre d’émancipation semblait approcher de son dénoûment, et tout me commandait de redoubler de circonspection.

Les Chiliens sont naturellement hospitaliers, et de notre côté nous accordons facilement notre sympathie aux étrangers, surtout à ceux qui ont arboré l’étendard de la révolte. Une grande intimité ne tarda donc pas à s’établir entre les officiers de nos bâtimens et les habitans de La Conception. C’était à qui, parmi ces derniers, obtiendrait l’honneur de recevoir sous son toit un des compatriotes de La Pérouse. Le souvenir de l’illustre navigateur était encore vivant dans cette ville, qu’il avait visitée en 1785. Des vieillards, des mères de famille, qu’un pareil souvenir rajeunissait de près de quarante ans, se plaisaient à nous montrer l’endroit où les marins de la Boussole et de l’Astrolabe avaient dressé leurs tentes. Mes relations officielles avec le général Freyre prirent aussi, et presque malgré moi, un degré inusité de confiance. Ce général était alors âgé de trente-quatre à trente-cinq ans. Il passait pour habile politique et avait en mainte occasion donné des preuves incontestables de bravoure personnelle. La douceur et la générosité de son caractère le faisaient aimer de tous les Chiliens. Il m’engagea vivement à ne pas poursuivre mon voyage sans toucher à Valparaiso. Cette relâche me mettrait, disait-il, en rapports directs avec le président O’Higgins, et m’éclairerait pleinement sur la véritable situation du pays.

Je cédai à ces instances; mais, lorsque j’arrivai à Valparaiso, le 14 janvier 1821, ce fut à Santiago même, à Santiago, siège du gouvernement et capitale de la république du Chili, que le gouverneur don Luiz de la Cruz essaya de m’entraîner. Il avait reçu l’ordre de m’accompagner en personne; des voitures devaient être mises à ma disposition, et, par l’ordre exprès du suprême directeur, un hôtel était préparé pour me recevoir. Je n’étais pas homme à commettre une si lourde faute. Ce voyage, auquel on voulait donner tant d’éclat, eût été représenté comme une reconnaissance tacite des droits de la république. La France, il faut en convenir, aurait eu mauvaise grâce à prendre sur ce point l’initiative; elle était l’alliée de l’Espagne, et ne pouvait donner à l’égard de cette puissance l’exemple des mauvais procédés. Je me sentais sur un terrain glissant, où le moindre faux pas pouvait avoir les plus graves conséquences. Loin de vouloir trancher du diplomate, je jugeai à propos de me renfermer plus que jamais dans mon rôle d’amiral. Je refusai nettement de faire le voyage auquel on m’invitait d’une façon si pressante. Tout ce que je pus promettre, ce fut d’attendre quelques jours encore à Valparaiso l’arrivée du directeur suprême, dont le général Freyre m’avait fait espérer la visite; mais le directeur, justement soucieux de sa dignité, resta à Santiago.

On tenait cependant à savoir ce que j’étais venu faire sur les côtes du Chili. La question était trop naturelle pour que je pusse m’en montrer blessé. Le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, don Joachim d’Echaveria, fut chargé de me la poser avec tous les ménagemens dont les chancelleries se sont de temps immémorial fidèlement transmis le secret.


« Le gouvernement chilien, m’écrivit don Joachim, s’attendait à être fidèlement instruit de l’objet que s’est proposé sa majesté très chrétienne en vous envoyant dans ces parages. Ce n’est que par un avis du gouverneur de La Conception qu’il a appris, il y a quelques jours, le but de votre voyage. Vous venez, écrit ce gouverneur, manifester la sympathie de la France pour les états indépendans de l’Amérique, et établir avec eux des relations d’amitié et de commerce. Une semblable mission n’exigeait point peut-être l’envoi si coûteux d’une division navale. Vous ne devez donc pas vous étonner que les citoyens de cette république en aient, au premier abord, conçu quelques alarmes. Son excellence le directeur suprême eût été heureuse de se concerter personnellement avec votre seigneurie, certaine que cet entretien eût dissipé tous les doutes et donné de nouveaux gages à l’indépendance du pays; mais son excellence est informée que vous vous proposez de quitter prochainement les côtes du Chili et de vous diriger vers le port du Callao, qui est en ce moment bloqué par nos forces de terre et de mer. La neutralité qu’ont fidèlement observée jusqu’ici les puissances étrangères, la conduite libérale et généreuse de cette république, le respect dont elle n’a cessé de faire preuve envers le pavillon de la France, nous donnent lieu d’espérer que votre seigneurie ne nous refusera pas une explication qui nous tranquillise sur le but de son voyage. Si votre seigneurie ne veut pas que nos craintes soient encore augmentées, elle consentira à différer son apparition sur les côtes du Pérou, jusqu’au jour où l’occupation de ce pays par nos troupes assurera à la division qu’elle commande un mouillage paisible. »


Cette lettre demandait une réponse. Je la fis aussi nette que le permettait la situation ambiguë dans laquelle nos relations avec l’Espagne devaient nous maintenir. Je réitérai les assurances d’une stricte neutralité, et je rappelai que j’attendais en retour, pour les armateurs français, assistance et protection. Quant aux inquiétudes manifestées au sujet du prochain départ de la division pour les côtes du Pérou, je laissai entendre que je les considérais comme une injure gratuite faite à notre loyauté, et je m’abstins de les réfuter.

Notre politique n’était point à double face : elle était expectante. Quelques mots l’auraient exposée dans toute sa sincérité ; mais ces mots, nous ne pouvions pas les dire. Nous ne pouvions pas avouer que nous n’attendions qu’un succès plus complet pour nous déclarer. Quant à moi, je ne mettais pas un instant en doute l’issue de cette insurrection. La lutte que les Chiliens soutenaient depuis plusieurs années les avait aguerris. C’est d’ailleurs une race belliqueuse et tenace. Le Chili pouvait mettre sur pied douze mille hommes de troupes régulières et joindre à cette armée des milices plus nombreuses encore. Plusieurs officiers français servaient à cette époque dans l’armée chilienne. Les victoires de Maypu et de Chacabuco, si célèbres dans les annales du Chili, furent dues en partie à leur courage. Si j’en croyais les informations que je recueillis pendant mon rapide passage dans la Mer du Sud, toute cette partie de l’histoire américaine serait à refaire, mais je n’ai aucun goût pour les révisions historiques; ce ne sont la plupart du temps que de présomptueuses tentatives ou d’ingénieux paradoxes : il faut laisser la gloire a qui eut la responsabilité.

Le Chili est sans contredit le plus beau pays de l’Amérique méridionale. Situé sous la zone tempérée, il ne connaît ni la rigueur des hivers ni les chaleurs excessives de l’été. Le sol, partout fertilisé par un grand nombre de rivières, rend presque sans effort des récoltes abondantes. Chacune de ses provinces se distingue par des produits différens. La province de La Conception renferme d’immenses forêts; elle est riche en vins, en blé, en bestiaux et en laine. La province de Santiago, moins grande, mais proportionnellement plus peuplée, fournit, outre du blé, du chanvre et des fruits de toute espèce; elle possède aussi de nombreux troupeaux. La province de Coquimbo, qui occupe la partie septentrionale du Chili, est avant tout propre à la culture des denrées coloniales : on y récolte le coton et la canne à sucre. Mais les plus grandes richesses de cette terre privilégiée ne sont pas à la surface. L’objet du travail et des spéculations de toutes les classes d’habitans, ce sont les mines abondantes d’argent et de cuivre que renferme le territoire des trois provinces. De telles ressources devaient attirer le commerce européen. Le commerce, à son tour, devait, avec le goût du luxe et des aisances de la vie, faire pénétrer dans ces contrées naturellement indolentes les habitudes salutaires du travail. Dès l’année 1821, tous les objets provenant de nos manufactures jouissaient au Chili de la vogue exceptionnelle qu’ils avaient rencontrée au Brésil. Pour en soutenir la concurrence, les Anglais n’avaient pas trouvé d’autre moyen que d’employer la contrefaçon. On vit à cette époque leurs draps porter frauduleusement la marque de nos fabriques. L’engouement des Chiliens pour les produits de l’industrie française fut de courte durée; le Chili n’en est pas moins devenu un des meilleurs marchés de notre commerce d’outre-mer. Le chiffre total de nos échanges avec cette république, qui ne compte pas un million et demi d’habitans, s’élève aujourd’hui à près de 72 millions de francs. On comprend l’importance qu’il y avait à sauvegarder de bonne heure nos intérêts dans cet état naissant, et à ne pas nous y laisser supplanter par nos rivaux.

Des anciennes possessions espagnoles dans l’Amérique méridionale, il ne me restait plus à visiter que le Pérou. L’autorité royale se maintenait encore intacte dans cette province. L’armée chilienne, débarquée sur la côte méridionale, s’avançait, il est vrai, vers la capitale, mais avec une prudente lenteur. Le 18 janvier 1821, je partis de Valparaiso pour me rendre, ainsi que je l’avais annoncé, devant Lima. La veille de mon arrivée sur la rade du Callao, une révolution militaire avait fait passer le pouvoir aux mains du général Lacerna. On accordait généralement au nouveau vice-roi de grands talens militaires. Il avait la confiance des troupes, et c’était sur lui que se fondait le dernier espoir des partisans de l’Espagne. L’entrevue à laquelle il s’empressa de me convier me laissa une idée aussi favorable de sa capacité que de sa courtoisie. Je trouvai un homme d’une cinquantaine d’années, dont la figure ouverte et la contenance assurée me plurent à la première vue. Le général Lacerna parlait avec une très grande facilité le français ; il avait longtemps résidé à Nancy, où, pendant une partie de la guerre de la Péninsule, il fut retenu prisonnier sur parole.

Je pus juger dans cette entrevue que le vice-roi n’était pas sans inquiétude sur sa situation, quoiqu’il exagérât beaucoup ses forces et ses ressources. Il ne put me dissimuler que si l’Espagne tardait à lui envoyer des secours, la position deviendrait très critique. Il portait à neuf mille hommes la force de l’armée espagnole. Des renseignemens plus exacts me donnaient à penser que l’effectif réel en était bien moins considérable. Je ne pouvais me défendre d’une sérieuse sympathie pour cette poignée de braves qui, au milieu d’un pays déjà frémissant, restaient fidèles à leur drapeau; mais je n’étais point libre d’obéir à mon penchant. Trop d’indices m’avertissaient que la cause de l’Espagne était définitivement perdue. Lui prêter le moindre appui, c’eût été se compromettre sans la sauver. Je crus donc devoir résister aux instances que m’adressait le général Lacerna pour obtenir que je prolongeasse mon séjour sur la rade du Callao. «Notre présence, me disait-il, avait produit un excellent effet sur l’esprit des habitans de Lima. » Si nous avions rassuré les royalistes, nous devions au même titre alarmer les indépendans. Rien ne m’autorisait à assumer ce rôle. Arrivé, le 31 janvier 1821, devant Lima, je fixai irrévocablement mon départ au 4 février.

Je voulus mettre cependant à profit le peu de temps que je devais passer sur les côtes du Pérou pour en visiter au moins la capitale. Nous ne connaissions la ville de Lima que par les récits fabuleux des moines et des flibustiers. Je savais que, pendant plus de deux siècles, de prodigieuses richesses s’y étaient accumulées, et que dans ce pays, où le fer était rare, l’argent, méritant son nom de vil métal, se voyait souvent consacré aux plus vulgaires usages. En réalité, cette ville, où j’aurais vu, je crois, avec moins d’étonnement que l’élève du docteur Pangloss, de jeunes garçons, pour jouer au palet dans les rues, se servir d’émeraudes et de rubis, cette ville dont la renommée nous avait tant vanté l’opulence fantastique, est une de celles dont l’aspect m’a semblé le plus modeste et le moins oriental. Le trait qui m’en a le plus frappé est celui-ci : sur une population de cent à cent dix mille âmes, les deux tiers des habitans étaient des femmes; l’autre tiers comptait près de dix mille moines. Le luxe de toute ville espagnole, ce sont les églises et les couvens : on comptait à Lima en 1821 soixante-quinze de ces édifices; c’étaient les seuls monumens de la capitale du Pérou. Le palais même du vice-roi me sembla d’apparence assez chétive. J’y pus cependant contempler dans une vaste galerie les portraits de tous les vice-rois qui avaient exercé le gouvernement du Pérou depuis Pizarre. L’un d’eux était cet O’Higgins qui signala son administration par d’utiles réformes, et dont le petit-fils était devenu, au moment de notre passage dans la Mer du Sud, le directeur suprême de la république du Chili.

Le dénoûment que j’avais prévu se fit peu attendre. Quand l’heure marquée par le destin a sonné, tout semble se réunir pour hâter la chute des empires. On eût pu croire que la constitution libérale adoptée en Espagne mettrait un terme aux révolutions des colonies. Ce fut pour la révolte un nouvel aliment. Le clergé, qui avait jusque-là employé son influence en faveur de la mère-patrie, changea subitement de conduite et de langage. La haine des principes proclamés par la métropole suffit pour gagner à la cause de l’indépendance les vœux de la sainte milice qui n’avait cessé de combattre pour le maintien de l’autorité royale. L’armée se trouva, comme la population, partagée en deux camps, et la discipline militaire subit l’ébranlement général de la chose publique. Malgré tant de chances contraires, les Espagnols auraient encore pu sauver leur domination au Pérou, s’ils avaient conservé l’empire de la mer; mais ils laissèrent une division chilienne, composée de deux ou trois navires achetés au commerce, prendre un ascendant marqué dans la Mer du Sud. Une de leurs frégates fut capturée dans la baie de La Conception. Une autre, l’Esmeralda, fut enlevée sous le canon des forts du Callao par des embarcations que commandait lord Cochrane en personne. De deux vaisseaux expédiés d’Europe, l’un, démâté sous l’équateur par un violent orage, fut obligé de rentrer en Espagne; le second disparut en doublant le cap Horn. Toute communication se trouva coupée entre l’armée du Pérou et la mère-patrie. Ce qui doit étonner, c’est que cette armée ait pu prolonger aussi longtemps sa résistance. De bien grands événemens peuvent souvent être décidés par des forces presque insignifiantes. Sans sa flotte, qui ne compta jamais qu’un vaisseau de soixante canons, trois frégates, une corvette, quatre bricks, quatre goélettes et neuf transports, le Chili eût peut-être été incapable de maintenir son indépendance. À coup sûr, il n’eût point aussi efficacement contribué à l’affranchissement du Pérou.

Ce ne fut point cependant le Chili qui eut la gloire d’expulser les derniers Espagnols du sol américain. Cet honneur était réservé aux soldats de la Colombie et au général Bolivar. Le Pérou ne prit par lui-même qu’une assez faible part à sa propre délivrance ; il n’avait pas au même degré que les autres provinces espagnoles la haine de l’étranger : trop heureux s’il eût pu échapper jusqu’au bout à la fièvre révolutionnaire qui faisait ainsi tomber l’un après l’autre les plus nobles fleurons de la couronne d’Aragon et de Castille ! Il fallait laisser aux graves descendans des pères pèlerins de l’Amérique du Nord les institutions auxquelles les avait si bien préparés tout un siècle de vertus austères. Autre peuple, autre gouvernement. Cette race aimable, au langage emphatique et sonore, aux instincts capricieux, que l’ardeur des aventures avait conduite jusque sur le revers occidental des Andes, avait sans doute aussi, dans les desseins d’en haut, sa mission providentielle; mais je serais tenté de croire que ce n’était pas celle de fonder une république.

Quand on songe aux antipathies qui séparaient autrefois et qui séparent encore, bien qu’à un moindre degré, la race néo-latine et la race anglo-saxonne, on a peine à comprendre que les colonies espagnoles aient pu avoir un instant la pensée d’emprunter aux États-Unis leur programme politique et leurs institutions. Peu de temps avant mon arrivée sur la rade du Callao, un tragique incident était venu manifester cette antipathie instinctive de la façon la plus frappante et en même temps la plus cruelle. L’enlèvement de la frégate espagnole l’Esmeralda avait vivement blessé l’orgueil et le point d’honneur castillans. L’amour-propre national ne pouvait se résigner à reconnaître dans ce brillant fait d’armes le triomphe de l’audace sur l’incurie et l’imprévoyance. La frégate anglaise l’Andromaque était mouillée à très petite distance de l’Esmeralda pendant la nuit où lord Cochrane avait enlevé le bâtiment espagnol. Des marins de l’Esmeralda, qui, après avoir déserté leur poste au milieu de l’action, étaient parvenus à gagner la terre à la nage, assurèrent que l’Andromaque avait servi de point de réunion aux embarcations chiliennes, que des canots anglais avaient prêté à lord Cochrane leur concours, et que c’était à l’aide des amarres qu’ils avaient fournies que l’Esmeralda avait pu être emmenée aussi rapidement hors de la portée des forts. La crédulité populaire accueillit avec empressement cette version. Des Anglais se virent insultés dans Lima, et le capitaine de l’Andromaque ne jugea pas prudent de rester mouillé sous le canon du Callao. Il conduisit sa frégate à la hauteur de l’île San-Lorenzo, et c’est là que nous le trouvâmes à notre arrivée. Le Macedonian, frégate américaine, était également à l’ancre près de l’Esmeralda le jour où lord Cochrane exécuta son coup de main. Les Américains n’échappèrent pas plus que les Anglais aux soupçons des Espagnols. Le lendemain même, un canot ayant voulu communiquer avec la terre, fut invité par la garde du fort Saint-Philippe à ne point accoster. L’officier qui commandait l’embarcation ne tint aucun compte de cet avis. A peine eut-il mis pied à terre qu’il fut assailli par une multitude furieuse. Les soldats espagnols firent de vains efforts pour le sauver : il tomba victime de son imprudence, et avec lui périrent les seize hommes qui montaient le canot du Macedonian.

Si je ne me trompe, ce qui peut expliquer ces terribles haines de races, c’est moins le souvenir de longues guerres et d’antiques querelles que la différence même des tempéramens. Le sang latin est prompt à s’émouvoir. Le flegmatique dédain que l’habitant du nord oppose à ses enthousiasmes comme à ses emportemens l’irrite et l’humilie. Il devine sous cette enveloppe épaisse dont son esprit se raille une force morale qu’il ne peut s’empêcher d’envier, mais dont il ne veut pas subir le joug. C’est encore Abel et Gain. Il ne faut qu’une funeste inspiration pour les mettre aux prises. Peu aimés des Chiliens, auxquels ils ne marchandaient pas cependant leurs secours, les Anglais ne rencontraient au Pérou qu’éloignement et méfiance; mais la prétention des Anglais n’est pas, on le sait, de se faire aimer. Oderint dim metuant, telle a été de tout temps leur devise. Malgré la haine dont on payait leurs allures hautaines, ils avaient déjà fait passer une partie de l’argent du Pérou dans les coffres de la banque de Londres. On ne citait pas en 1821 un seul navire anglais de guerre ou de commerce qui eût quitté l’Océan-Pacifique sans emporter en Europe des sommes considérables. Ainsi, dans la Mer du Sud comme ailleurs, le commerce britannique s’était assuré déjà le premier rang; mais je ne croyais pas impossible, grâce aux sympathies qu’on nous témoignait, de le lui disputer.

Le 4 février 1821, comme j’en avais prévenu le général Lacerna, nous appareillâmes de la rade du Callao pour rentrer en Europe. Le 10 mars, nous doublions de nouveau le cap Horn, et le 7 avril nous entrions dans la baie de Rio-Janeiro. Une grande nouvelle nous y attendait. Le 29 septembre 1820, Mme la duchesse de Berri avait donné au roi, à la famille royale et à la France ce prince dont la naissance, assurant l’avenir, eût pu être le gage d’une réconciliation durable entre tous les partis. Malheureusement les partis ne se réconcilient pas, si ce n’est pour travailler à la ruine de ce qui existe. Le sentiment monarchique n’était pas seulement éteint en France, il menaçait de s’éteindre en Europe. Les premiers mots que me dit le roi Jean VI, lorsque j’eus l’honneur de lui être de nouveau présenté, furent ceux-ci : « Les affaires de cette grande ville vont mal, monsieur l’amiral; c’est comme partout. »

Rien ne dénonçait cependant à Rio-Janeiro une bien sérieuse agitation : le roi, par des réformes administratives, s’était efforcé d’endormir l’esprit révolutionnaire; mais les provinces du Brésil avaient de constantes communications avec le Portugal, et pour le Portugal l’exemple de l’Espagne avait été contagieux. Le peuple et l’armée exigèrent une constitution. D’une constitution à une abdication il n’y a qu’un pas. Dès que la confiance a cessé d’exister entre le souverain et les sujets, la retraite est généralement le parti le plus sage; elle est toujours le parti le plus sûr. C’est ce que pensa le bon roi Jean VI, fort peu soucieux de jouer le rôle de Charles Ier ou celui de Louis XVI. Le 22 avril, un décret nomma le prince royal dom Pedro lieutenant-général du royaume du Brésil, et trois jours après sa majesté très fidèle s’embarquait à bord du vaisseau qui portait son nom. La reine l’y avait précédé avec toute la cour. La flotte portugaise mit à l’instant sous voiles et fit route pour Lisbonne. La séparation du Brésil et du Portugal se trouvait accomplie.

Ce grave événement semblait clore ma campagne. Parti de Rio-Janeiro le 5 mai, je ne m’arrêtai que quelques jours à Bahia. Il ne me restait plus qu’à toucher aux Antilles avant d’opérer mon retour en France; mais, arrivé à la Martinique, j’y appris que la lutte qui se poursuivait avec acharnement sur la côte de Colombie entre les royalistes et l’armée de Bolivar avait mis en péril la sûreté de plusieurs de nos bâtimens de commerce. Après en avoir conféré avec le gouverneur de la Martinique et le contre-amiral qui commandait alors la station des Antilles, je me décidai à me porter devant La Guayra et Puerto-Cabello pour y faire respecter le pavillon du roi. Je devais longer ainsi la côte ferme, remonter ensuite au vent de Saint-Domingue, suivre toute la côte septentrionale de cette île, passer de là entre la Jamaïque et l’île de Cuba, toucher à La Havane, et me diriger de ce point vers les côtes des États-Unis, dernière étape d’où je partirais complètement ravitaillé pour traverser l’Atlantique.

Dans les premiers jours de juillet. J’arrivai en vue de La Guayra. Bien que le pavillon espagnol y flottât encore, la situation de la garnison était désespérée. Bolivar venait de gagner la bataille de Carabobo sur les généraux La Torre et Morales ; il les avait contraints à se réfugier dans Puerto-Cabello et avait investi La Guayra avec un corps de quatre mille hommes. Il tenait renfermés dans cette place, qu’avaient abandonnée ses habitans, le colonel Pereyra et neuf cents soldats espagnols. Depuis deux jours, cette malheureuse garnison n’avait eu pour toute nourriture que quelques cannes à sucre. La vue du drapeau français rendit un peu d’espoir aux assiégés. Le colonel Pereyra me fit dire qu’il était résolu à s’ensevelir sous les décombres de la place avec ses Indiens et ses nègres, si l’ennemi ne les recevait pas à merci, mais qu’il me suppliait de sauver les Européens, pour lesquels le vainqueur serait sans pitié. Il fallait prendre une prompte résolution : les Espagnols n’avaient plus de munitions, la plupart des canons de la place étaient encloués, et une attaque de vive force pouvait avoir lieu d’un instant à l’autre. Cette attaque aurait eu facilement raison de soldats exténués de fatigue et mourant d’inanition. Pouvais-je cependant venir aussi ouvertement au secours de l’armée royaliste? La soustraire aux conséquences inévitables de sa défaite, n’était-ce pas frustrer le vainqueur et manquer à la rigoureuse neutralité qui m’était prescrite? Je n’hésitai pas longtemps; je connaissais trop bien le caractère impitoyable des guerres civiles. Si je rejetais la prière de ces braves soldats, je les livrais à une mort certaine. A aucun prix, je n’aurais voulu souiller mon nom d’un pareil refus. Cependant, avant de prendre un parti dont je ne me dissimulais point la gravité, je voulus essayer de concilier ce qu’exigeaient le soin de mon honneur et le respect du droit international. Je songeai à faire appel aux sentimens élevés que la voix publique prêtait au général Bolivar. Mon espoir ne fut pas déçu. J’avais fait demander au général de consentir à l’embarquement des troupes espagnoles sur les bâtimens de ma division, prenant de mon côté l’engagement de ne débarquer ces troupes qu’à Puerto-Cabello. Dès le lendemain, le colonel don José Pereyra recevait du libérateur, général en chef, président de la république de Colombie, cette courte dépêche : « Par considération pour les vaillantes troupes que vous commandez, j’adhère aux articles de la capitulation que vous avez arrêtée de concert avec les officiers de la division française. Je l’approuve dans toutes ses parties, et j’espère qu’en exécution de cette convention la place de La Guayra sera remise dans deux heures aux armes de la république. »

Informé sur-le-champ de l’issue presque inespérée d’une négociation si délicate, j’envoyai mon premier aide-de-camp à terre pour qu’il s’entendît avec le colonel Pereyra sur les moyens d’activer autant que possible l’évacuation de la ville et l’embarquement des troupes. Je chargeai en même temps cet officier de porter mes remerciemens au général Bolivar. « C’est à moi, répondit le général, de remercier et de féliciter M. L’amiral. La conduite qu’il a tenue en cette circonstance est un témoignage irrécusable des loyales intentions de la France. Il m’a fourni en même temps l’occasion de prouver au monde, et en particulier à l’Espagne, que nous ne faisons pas pas la guerre en barbares. Le colonel Pereyra est un excellent militaire qui défend avec une constance incroyable une cause injuste et perdue. Je lui ai accordé une capitulation qu’il ne pouvait raisonnablement espérer; je la lui ai accordée parce que je suis sûr qu’il se fût défendu jusqu’à la dernière extrémité. C’eût encore été du sang inutilement répandu. Nous devons tous les deux à M. L’amiral, de l’avoir épargné. »

Je trouvai, je l’avoue, une véritable grandeur dans ces paroles, et je ne pus m’empêcher de me sentir honoré de l’opinion flatteuse que le président de la république colombienne voulait bien exprimer sur mon compte. Bolivar n’était plus alors un chef de partisans, soutenant avec plus ou moins de succès une lutte factieuse contre l’autorité de son roi légitime : c’était un général illustre, salué par ses compatriotes du nom de libérateur et cité dans l’Europe entière comme le plus vaillant champion de l’indépendance américaine. Bolivar n’occupera pas dans l’histoire le même rang que Washington. L’histoire tient moins compte aux héros des vertus qu’ils ont déployées que des œuvres qu’ils ont accomplies. Fonder un état dont les destinées pussent marcher de pair avec celles de l’Union américaine ne pouvait être l’œuvre d’un seul homme : il y eût fallu le concours d’un peuple; mais pour donner le jour à ces chétives républiques du Nouveau-Monde, que le moindre souffle pouvait éteindre et qu’une anarchie périodique n’a cessé d’ébranler, pour les préserver d’une dissolution immédiate, pour les défendre contre l’ennemi étranger, les protéger contre l’ennemi intérieur, Bolivar dépensa peut-être plus d’énergie, plus de ressources, plus d’abnégation et de magnanimité que l’heureux fondateur des États-Unis. Il fut, lui aussi, un grand homme de Plutarque.

Avant de quitter La Guayra, je réclamai la protection du libéra+eur pour le commerce français dans les villes qui dépendaient déjà de son gouvernement, ou que le sort des armes ferait tomber en son pouvoir. « Vous pouvez, me fit-il répondre, assurer M. L’amiral que le commerce français ne sera nulle part aussi protégé que dans la république de Colombie. Nous avons dernièrement pris deux fois Caracas, la ville la plus attachée à l’Espagne. Aucun désordre n’y a eu lieu, même envers les Espagnols. Que ferions-nous donc pour une nation qui donne en ce moment au monde dans notre guerre de famille un si bel exemple de neutralité ! »

Le 4 juillet, à dix heures du matin, les troupes espagnoles qui occupaient La Guayra s’acheminèrent vers la plage. Les canots de la division française étaient prêts à les recevoir. L’embarquement ne put s’effectuer qu’avec les plus grandes difficultés. La mer déferlait violemment sur le rivage. Nos canots n’auraient pu s’en approcher sans courir le risque d’être engloutis; ils durent rester mouillés en dehors de la barre. Les malheureux Espagnols, pour atteindre ces embarcations, étaient forcés de s’avancer dans l’eau jusqu’aux épaules; des femmes mêmes, épuisées par les affreuses privations qu’elles venaient de subir, se voyaient réduites à cette cruelle nécessité. C’était un spectacle à la fois touchant et douloureux. A une heure, il ne restait plus à terre que le colonel Pereyra et quelques officiers. Un canot que j’avais fait réserver pour eux les conduisit à bord du Centaure. Leur mâle physionomie s’éclaira d’un rayon de joie quand ils reconnurent, rangées en faisceaux, les armes de leurs soldats, que, malgré l’état de la mer, nous étions parvenus à sauver.

Je ne me rappelle pas sans émotion les sentimens généreux que manifesta dans cette circonstance le bravé équipage du Centaure, Transis de froid, pouvant à peine se soutenir, les Espagnols étaient montés à bord de notre vaisseau dans un état de détresse et de dénûment qui ne rappelait que trop toutes les Souffrances qu’ils venaient d’endurer. Ils y étaient à peine depuis quelques minutes qu’il eût été difficile de les distinguer de nos matelots. Chacun s’empressant à l’envi autour d’eux, ils s’étaient trouvés en un clin d’œil débarrassés de leurs haillons humides et enveloppés dans de chauds vêtemens. C’était à qui de nos jeunes marins viendrait le premier au secours de ces vieux militaires, la plupart blessés ou couverts d’honorables cicatrices. Le matelot français a souvent la malice, mais il a aussi la sensibilité et la candeur d’un enfant.

Après l’évacuation de La Guayra, le général Bolivar y fit son entrée, et le pavillon colombien fut à l’instant arboré sur la citadelle. De mon côté, je fis signal à la division de mettre sous voiles, et je me dirigeai vers Puerto-Cabello. Nous étions le lendemain mouillés devant ce port. Le vice-roi du Mexique et celui de la Nouvelle-Grenade y étaient arrivés le jour même où nous sauvions la garnison de La Guayra. Je rencontrai ces grands personnages réunis chez le général La Torre. J’obtins d’eux de tristes détails sur l’état des affaires de l’Espagne dans cette partie de l’Amérique. L’armée royale, forte à peine de quatre mille hommes, était complètement découragée. Un envoyé de la république était venu à Puerto-Cabello offrir un armistice, et Bolivar lui-même était attendu dans peu de jours à Valencia, où l’on espérait que la paix pourrait se conclure. Depuis huit ans, l’Espagne épuisait dans cette lutte inégale ses armées et ses trésors. Le moment était venu de céder à l’ascendant du libérateur.

Je n’avais aucun motif pour m’arrêter devant Puerto-Cabello; J’en repartis aussitôt que j’eus mis à terre la garnison de La Guayra. Ainsi que j’en étais convenu avec le gouverneur de la Martinique, je visitai, sans toucher sur aucun point, toute la côte septentrionale de Saint-Domingue. Il m’était prescrit de ne pas inspirer d’inquiétudes au gouvernement du président Boyer, avec lequel on songeait dès lors à s’entendre. Je revis ainsi le cap Français et le môle Saint-Nicolas, où les forts et la ville me parurent également abandonnés. Partout des ruines, partout des rades désertes, telles étaient les œuvres que me présentait à chaque pas le fatal génie de la révolution.

Arrivé à La Havane, je retrouvai des gens auxquels l’exemple de tant de maux n’avait rien appris. Fatigués des entraves que l’Espagne mettait à leur commerce, les habitans de Cuba auraient voulu, eux aussi, secouer le joug de la métropole et proclamer leur union avec le Mexique. Aujourd’hui c’est dans l’annexion aux États-Unis que les mécontens ont mis leur espoir. Tout n’est point parfait sans doute dans l’administration coloniale de l’Espagne, mais il faut que des abus soient bien graves et bien profondément odieux pour n’être pas encore préférables aux inévitables conséquences d’une émancipation violente. L’île de Cuba, sous ce joug qu’elle voudrait répudier, a vu dépérir à côté d’elle la Jamaïque pendant qu’elle devenait la rivale de Java, Pourquoi donc vouloir échanger cette prospérité qui ne fait que s’accroître contre le vain mirage d’une situation meilleure? C’est ainsi que parlent les sages; par malheur, la philosophie des peuples leur a depuis longtemps enseigné une autre logique. L’ivresse hébète les sens, l’ivresse abrège la vie. Faut-il donc pour cela renoncer au plaisir de s’enivrer? L’homme, cet être raisonnable dont se rit si tristement le poète, a besoin d’un excitant nerveux, vin, alcool, opium, ou changemens politiques. Vous le trouverez toujours de l’avis du chantre de Don Juan :

And the best of life is but intoxication.

Le 4 août, nous adressâmes nos derniers adieux à cette race passionnée, si pleine de grandeurs et de contrastes, qui a conquis la moitié du Nouveau-Monde, qui, après l’avoir dépeuplé, l’a couvert de cités florissantes, et qui, depuis trente ans, ne sait plus y entasser que des ruines. Nous franchîmes le canal de Bahama, et nous nous dirigeâmes vers des rivages où nous attendaient un autre peuple, d’autres mœurs et de nouvelles leçons. Le 26 août 1821, nous étions sur la rade de Staten-Island, dans la baie de New-York. Quel magnifique spectacle présentaient alors les États-Unis ! Comme tout y respirait le bien-être et la liberté, mais le bien-être honnête, la liberté décente! La prospérité publique n’y cachait pas les hideux ulcères de nos vieilles monarchies ; le corps social tout entier était sain et robuste; des mœurs pures, un esprit profondément religieux et l’amour du travail avaient consolidé dès le principe les institutions naissantes. Je venais de passer près de quatorze mois au milieu de populations qui ne connaissaient plus aucun frein et n’obéissaient qu’au caprice du moment, qui, misérables jouets de quelques chefs de bandes, se croyaient libres parce qu’elles pouvaient périodiquement changer à leur gré de tyrans. Ici au contraire je pouvais admirer l’activité féconde d’un grand peuple qui, justement fier d’avoir secoué toute entrave, avait su régler lui-même ses volontés et discipliner ses passions. Longtemps encore après être rentré en France, je racontais avec enthousiasme les merveilles dont mon séjour sur la rade de New-York m’avait rendu témoin : ces bateaux à vapeur qui déjà se croisaient en tout sens sur la rade, ces immenses navires de commerce accourant vers New-York des quatre coins du monde, cette multitude toujours occupée, où pas un citoyen ne portait la livrée de la misère, ces paysans qu’une carriole élégante transportait au marché, et qu’en tout autre pays j’aurais pris pour des dandies allant à leurs plaisirs ou pour des négocians allant à leurs affaires! Ce dernier trait du mobile tableau qui passait chaque jour sous mes yeux était celui qui me frappait le plus. Je ne pouvais m’empêcher de comparer dans ma pensée ces heureux campagnards aux Celtes à demi sauvages de notre pauvre Bretagne. Je me demandais quelle barrière avait pu arrêter chez nous la marche de la civilisation et quel véhicule si puissant en avait hâté les progrès de l’autre côté de l’Atlantique. « La liberté! » étais-je quelquefois tenté de me répondre; mais la liberté a des fruits différens suivant le sol qui en reçoit le germe. Il n’est point vrai d’ailleurs que ce soit la liberté seule qui ait fait la grandeur des États-Unis. Cette grandeur, il la faut bien plutôt attribuer à la salutaire pratique des rigides devoirs qu’impose un sévère christianisme. Les Américains du Nord ont été jusqu’ici guidés par la nuée lumineuse qui conduisait les Hébreux dans le désert. Que leurs croyances s’émoussent, et nous verrons comment ils supporteront cette dangereuse possession de soi-même, qui est le grand écueil des individus et des peuples ! Le peuple américain n’a point connu d’enfance. Il est né avec la sagesse de l’âge mûr; mais depuis quelques années peut-être trop de sang étranger est-il venu se mêler à celui de la vigoureuse génération qui avait hérité des vertus d’un autre âge. En plus d’une occasion déjà, la voix des aventuriers a pu étouffer celle des descendans de Franklin et de Washington. Ce n’est plus tout à fait là, je le crains, l’Amérique que j’ai connue. Peu m’importe que des horizons infinis se soient tout à coup ouverts devant elle, qu’elle abaisse les montagnes, qu’elle défriche les forêts, qu’elle joigne les océans. Je ne me laisserai pas éblouir par ces prodiges. Les Américains sont devenus trop turbulens pour moi. Je comprends que de nobles cœurs préfèrent la liberté périlleuse à la servitude facile ; mais est-il donc impossible d’échapper à cette alternative? En 1821, l’Amérique eût pu être la seconde patrie de mon choix; il me semble qu’aujourd’hui je ne lui donnerais plus la même préférence parmi les pays libres.

Nous avions jeté l’ancre devant New-York le 26 août 1821; j’en partis le 12 septembre. Un secret pressentiment me disait de me hâter. J’avais cependant abrégé autant que possible chacune de nos relâches. Les yeux et le cœur constamment tournés vers la France, je comptais avec impatience les jours qui m’en séparaient. Je n’arrivai au port que pour recueillir le dernier soupir de ma femme. Il est des douleurs qu’on profane en les racontant. Je n’oserais d’ailleurs arrêter ma pensée sur les angoisses de ce cruel retour. Tout ce que je puis dire, c’est qu’à partir de ce moment, mon existence a été brisée. Si j’ai survécu à un deuil aussi profond, c’est que j’avais à remplir un devoir que la douce compagne de ma vie ne pouvait plus partager avec moi. Je ne voudrais point m’exposer à décourager de généreuses vocations. Il ne faut pas cependant qu’on ignore les poignantes épreuves qui attendent trop souvent le marin. Si une humeur hardie vous entraîne vers cette rude profession, s’il vous faut à tout prix courir à la poursuite des rêves de votre enfance, je ne vous en détourne pas, entrez dans la carrière où mes cheveux ont de bonne heure blanchi; mais portez-y, jeunes gens, de sérieuses pensées, car là plus qu’ailleurs, je vous en préviens, vous aurez à pratiquer la religion du sacrifice.

Malgré les douloureux souvenirs que m’a laissés cette campagne dans la Mer du Sud, je ne la considère pas moins comme une des plus intéressantes que j’aie faites. L’émancipation des états américains et l’abolition de la traite ont marqué une étape nouvelle dans l’histoire de l’humanité; elles ont clos à jamais l’ère des exploitations coloniales et leur ont substitué le bienfait des échanges volontaires, l’Angleterre, — plus d’un économiste en a fait la remarque, — n’a point eu à regretter l’affranchissement des États-Unis. Le commerce, dans cet événement, a gagné tout ce que semblait perdre la politique. Si l’on en excepte l’Inde, où les conditions trop âpres de la conquête tendront nécessairement à se modifier, on peut dire que les colonies anglaises n’ont plus à revendiquer qu’une bien faible part dans la prospérité du royaume-uni. Le commerce international est la mine féconde, l’intarissable trésor où, depuis près de soixante ans, nos voisins vont incessamment puiser leurs richesses. Ainsi que nous commencions à le reconnaître dès 1820, c’est l’art de fabriquer, d’acheter et de vendre qui a donné naissance à cette puissance colossale, dont le développement ne cache point d’autre mystère que celui du travail opiniâtre uni à la sagacité commerciale et à la longue habitude des grandes transactions.

Si le temps des colonies est passé, la prépondérance qu’ont su prendre les négocians anglais sur la plupart des marchés étrangers où nous les rencontrons peut bien être pour nous un sujet d’émulation; elle ne saurait être un motif de découragement ou d’envie. Il n’est point aujourd’hui de terrain où la France ne puisse accepter hardiment la rivalité de l’Angleterre. Nous l’avons vue porter dans les arts de la paix la rapidité de conception, l’ardeur d’exécution, la furie en un mot, qui la rendent si redoutable sur les champs de bataille. Dans quel autre pays l’industrie a-t-elle pris, depuis 1815, un si soudain et si miraculeux essor? A quelle autre contrée chaque année de paix a-t-elle aussi merveilleusement profité ? Bien que les expéditions lointaines aient eu de tout temps le fâcheux privilège d’effrayer notre audace, nous n’en avons pas moins su prendre de bonne heure notre place sur les marchés nouveaux que l’indépendance proclamée par les colonies de l’Amérique du Sud ouvrait, en 1820, aux entreprises de l’Europe. Même au-delà du cap Horn, nous avons donc, depuis près d’un demi-siècle, de sérieux intérêts à surveiller, nous y avons surtout de précieux germes à fomenter et à faire éclore.

Je ne veux pas me défendre d’une prédilection secrète pour des relations que j’ai, dans une certaine mesure, contribué à fonder ; je ne m’exagère point assurément la portée de mon intervention en cette circonstance; mais je puis me rendre la justice que j’ai été un des premiers à pressentir et à signaler les conséquences économiques des événemens qui s’étaient accomplis pour ainsi dire sous mes yeux. Le rapport qu’au retour de cette campagne j’adressai au baron Portai fut de la part du cabinet français l’objet d’un examen aussi bienveillant qu’attentif. Le développement de nos intérêts commerciaux était alors la grande question du jour. C’était, on doit s’en souvenir, l’objet avoué de notre ambition, le thème favori des méditations des ministres, et, qu’on me passe l’expression, le hobby-horse de l’époque. Lorsqu’on songe à la situation que nous avaient faite vingt-deux années consécutives de guerre, il y aurait de l’ingratitude à méconnaître la tendance bienfaisante de ces préoccupations pacifiques. Jusqu’à son dernier jour, la restauration, accablée sous le poids des gloires et des malheurs d’un autre règne, a vainement cherché à réconcilier la France avec le passé et à se réconcilier elle-même avec l’avenir; il faut rendre du moins hommage à ses efforts. Non contente de ranimer notre industrie mourante, de rouvrir à notre navigation marchande tous les ports dont une influence hostile l’avait exclue, elle ne se lassait point, avec un budget bien réduit, d’aller chercher, jusqu’au-delà des caps que notre pavillon ne savait plus doubler, des débouchés nouveaux pour les richesses naturelles de notre sol, des marchés inexploités pour les produits de nos manufactures. Elle espérait nous désabuser ainsi des grandeurs de la guerre et nous apprendre à aimer les douceurs de la paix ; mais la paix doit être autre chose que le loisir et le bien-être matériel des peuples. Sans quelque œuvre émouvante à laquelle une grande nation trouve à s’attacher, on peut être certain que l’oisiveté sera pour elle une mauvaise et dangereuse conseillère.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.
  2. C’est ainsi que, pendant mon séjour à Rio-Janeiro, deux harpes d’une valeur identique, l’une française, l’autre anglaise, acquittèrent, la première 450 francs de droits, la seconde 9 francs.