Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium/Oxford : Les collèges


VIII

OXFORD


Ce fut dans l’hiver, et à l’époque la plus hivernale de 1803 que je fis mon entrée à Oxford avec l’intention de mettre à profit ses vastes ressources pour l’éducation, ou plutôt, les vastes ressources qu’on y trouve pour l’étude.

On raconte une histoire plaisante au sujet d’un candidat aux ordres ecclésiastiques, à qui le chapelain de l’Évêque demandait s’il avait été à Oxford, expression courante dont le sens était « — Avez-vous reçu une éducation académique ! » — Non, répondit-il, mais j’ai été deux fois à Abingdon. Abingdon n’était qu’à la distance de sept milles.

Je pourrais parler de la même façon d’une première visite que j’avais faite à Oxford, où je n’avais fait que passer en compagnie de Lord W. quand nous étions encore des enfants. Cette fois-ci, au contraire, je me dirigeais vers ses vénérables tours, en qualité d’étudiant, pour m’y établir d’une manière durable. J’étais intéressé personnellement à connaître l’organisation de l’Université, et j’avais un obscur pressentiment que dans cette ville, où tout au moins pendant la période où je faisais officiellement partie de son corps académique, les parties les plus lointaines de ma vie future se dérouleraient devant moi.

En ce temps-là tous les cœurs étaient occupés des intérêts publics du pays. Le chagrin de l’époque allait arriver à l’époque où il devait être moissonné pour la seconde fois. Napoléon avait commencé, au printemps de cette année-là, sa guerre de Vandale, ou plutôt de Hun avec l’Angleterre ; il y avait environ huit mois, et il fallait tout le profond intérêt que cela inspirait aux cœurs les plus froids, pour que je consentisse à y prendre quelque part, alors que toute mon attention était accaparée par le fait solennel de mon début dans la vie. Ce langage peut paraître exagéré de la part de quelqu’un qui avait erré, en vagabond sans asile pendant bien des mois dans le pays de Galles, et traîné une vie solitaire dans les rues de Londres. Mais, qu’on s’en souvienne, dans ces deux circonstances, j’étais un vagabond inconnu, désavoué, et faute d’argent, je ne pouvais pas courir grand risque, excepté de me rompre le cou. Les dangers, les souffrances, les plaisirs, les obligations du monde existent à peine, dans le sens propre du mot, pour celui qui n’a pas d’argent. La parfaite impuissance est souvent une source de sécurité : ce qui trahit et enchaîne les hommes, c’est un pouvoir partial, qui se tourne contre son maître. Là, à Oxford, je pouvais être appelé à commencer une installation proportionnée à la magnificence anglaise ; là je pouvais avoir ma part de bien des devoirs, de bien des responsabilités. Là je deviendrais, par suite, l’objet de l’attention d’une société nombreuse. Maintenant que je devenais séparément, individuellement responsable de ma conduite, que je cessais d’être absorbé dans l’unité générale d’une famille, je me sentais pour la première fois, sous le poids des anxiétés qui assaillent un homme, un membre de l’univers.

Oxford, antique mère ! dont la vieillesse chenue est surchargée d’antiques honneurs, toi que le temps a rendue si respectable, et dont le temps a fait peut-être aussi une puissance chancelante, je ne te dois rien ! Je n’ai pas emprunté un shilling à tes immenses richesses, quoique je vécusse parmi des foules qui te devaient leur pain quotidien. Mais je ne t’en dois pas moins justice, car c’est là une dette universelle. Et en ce moment où j’entends d’injustes et malveillants accusateurs te sommer de comparaître, gens qui ont des âmes d’inquisiteurs et des projets de voleurs, j’éprouve à ton égard quelque chose qui ressemble au respect et au devoir filial, Néanmoins, je n’entends point parler en avocat, mais on consciencieux témoin dans toute la simplicité de la vérité, sans être sous aucune influence personnelle d’espoir ou de crainte, sans attendre ni honoraires, ni faveurs.

On m’a assuré de divers côtés, que le grand public ne sait absolument rien de la manière dont on vit dans nos Universités anglaises, et qu’une partie considérable de ce public, induit en erreur par l’organisation tout à fait différente des Universités d’Écosse, d’Irlande, et en général du continent, aussi bien que par la vie de collège dans ces institutions, est dans un état pire que celui de l’ignorance (je veux dire dans un état peu favorable pour savoir la vérité), que cet état est dû, en fait, à des préjugés, à des erreurs matérielles absolues, qui le portent à tirer avec la plus grande malveillance les conclusions de faits isolés qui sont constamment mis sous ses yeux par des gens pleins de mauvais desseins. Aussi je crois que ce sera lui rendre un signalé service, en ce moment surtout où la constitution même des deux Universités anglaises est soumise à un examen peu favorable du Parlement, alors qu’on peut s’attendre, d’année en année, à voir nommer quelque commission de corsaires, et qu’il existe une éventualité que je ne pourrais exprimer d’un mot (car je professe du respect pour la doctrine de l’euphémisme), mais que je pourrais qualifier de tentative à la Cromwell, et bien pire encore, je veux dire une tentative dirigée uniquement contre les personnes, dans le but de vanner la corporation actuelle, pour en chasser tout ce qui est mal vu du gouvernement. J’appellerais cela une commission telle qu’Henri VIII en nommait pour les confiscations, et ayant pour but de modifier intégralement l’institution.

Dans ces conditions, je crois qu’un véritable tableau d’Oxford dans son état actuel, tableau qui serait également applicable à Cambridge, devra être également bien accueilli des partisans et des adversaires. Et au lieu de tracer ce tableau d’une façon didactique, ou selon une classification logique des divers sujets qu’il embrasse, j’emploierai le procédé historique, c’est-à-dire que je suivrai l’ordre dans lequel les faits les plus importants de la cause se sont présentés devant moi, dans les hasards de mon enquête personnelle. Nul ne se trouvait mieux placé que moi pour être bien informé, car tandis que la plupart des jeunes gens viennent à l’Université avec des intentions parfaitement arrêtées quant au choix de tel ou tel collège, et n’ont par conséquent aucun motif pour s’enquérir ou s’informer, j’y arrivai au contraire tout seul, en pleine indépendance, dans l’indécision la plus complète. Il m’était entièrement libre de déterminer le moindre détail de ma situation, de mes relations futures, de choisir le collège auquel je m’adjoindrais, et dans lequel des deux ordres j’entrerais, tous deux m’étant également ouverts. D’ailleurs, mon arrivée même, en cette année-là, fut le résultat d’une conversation fortuite.

Dans la dernière partie de l’année 1803, j’habitais avec ma mère le prieuré de Saint-Y —, une belle demeure qu’elle avait en partie fait construire sur ses propres plans, et qui se composait de constructions neuves, mais surtout d’un très ancien monastère gothique qu’elle avait fait restaurer. Mon oncle, militaire de profession, qui était venu visiter l’Angleterre, après avoir passé vingt-cinq ans dans l’Inde, fit tout à coup la remarque qu’à ma place il se sentirait honteux d’être encore pendu aux jupons maternels. N’avais-je pas dix-huit ans ? Je répondis qu’il avait raison, mais que je ne pouvais rien y faire. Mes tuteurs avaient le droit absolu de régler mes dépenses jusqu’à ce que j’eusse atteint l’âge de vingt-un ans, et j’étais absolument certain qu’ils ne feraient rien pour encourager mon projet d’aller à Oxford, car ils avaient été en violente discussion avec moi à ce sujet. Mon oncle, personnage d’une activité infatigable, parla aussitôt à ma mère, à ce que je présume, car moins d’une heure après, je fus mandé devant elle. Entre autres questions, elle me fit celle-ci, qui avait un rapport important avec ce que je devais connaître d’Oxford, et avec la description que je veux en faire. Elle me dit en matière de préambule :

— Vos tuteurs continuent à me verser votre annuité de 100 livres pour vos frais d’éducation. À cette somme il m’est impossible d’ajouter quoi que ce soit, car vos sœurs m’occasionnent déjà un lourd sacrifice sur mes revenus personnels. Bref vous ne pouvez y compter. Mais naturellement, vous serez libre de passer ici, quoi qu’il arrive, toutes vos vacances d’Oxford, et de plus tout le temps où les règles de votre collège n’exigeront pas votre présence. Cela bien compris, vous convient-il d’accepter l’existence d’Oxford, avec une allocation aussi faible que 100 livres par an ?

Ma réponse fut un assentiment joyeux et empressé. Car j’étais certain, et je le dis à ma mère, que quand même cela pouvait paraître, quand même cela serait réellement d’une insuffisance ridicule pour un genre de dépenses ordinaire, et bien au-dessous des besoins que comportait la situation, néanmoins, il devait être possible à Oxford, comme dans toute autre ville, à un jeune homme de caractère ferme, de vivre avec cent livres par an, et même de vivre d’une manière décente Dès lors j’entrevoyais ce qui devait en être, et l’expérience me prouva que j’avais eu raison.

Si l’on savait qu’un jeune homme s’occupe de choses banales, qu’il ne donne à l’étude que de courts instants, et qu’il a un goût des plus prononcés pour les livres, naturellement ses compagnons de collège, s’il s’en trouvait parmi eux qui fussent des flâneurs, ne manqueraient pas de lui demander de quel droit il courtise la solitude. Ils exigeraient qu’il leur montre la preuve officielle de son exemption des usages communs, et n’en obtenant aucune, ils seraient forcés de conclure qu’il est pauvre. Et sans doute quand il se trouve que c’est là le seul signe caractéristique d’un homme, et que ce trait n’est contrebalancé par rien qui fasse supposer des qualités personnelles dignes de respect, ils seront amenés à faire à cet homme une situation humiliante et pénible, mais j’affirme qu’il en sera ainsi n’importe où, et autant qu’à Oxford. La simple absence de ressources, par elle-même, quand les circonstances la font violemment ressortir, ne peut être, pour qui que ce soit, autre chose qu’une source d’humiliation. Or, dans toute cité, un homme qui a cent livres de revenu ne saurait être contraint de s’isoler d’une manière aussi haineuse ; il trouverait mille autres personnes pour le soutenir. Mais à Oxford, il est une sorte de monstre, isolé parmi les seuls de sa classe qui puissent lui être comparés. Donc la pression qui pousse Oxford au mépris est plus forte qu’ailleurs. Par conséquent il faudrait une allocation plus forte, si ce mépris était plus accentué ; c’est ce que je nie. Mais sans doute, dans tous les climats, sous tous les méridiens, il est très humiliant de n’être distingué que par les choses qui vous manquent. De nos jours, — de tout temps, — être faible, c’est en quelque sorte être misérable, et la simple pauvreté, sans autre qualification ou épithète, est uniquement le défaut de ressources. Mais d’autre part, à Oxford, du moins, comme en tout autre endroit que j’aie jamais connu, les talents, et de sévères habitudes d’étude sont de suffisantes excuses. Et j’atteste preuve la plus indéniable, — c’est-à-dire mon expérience de la vie de collège, alors que je venais de renoncer à des habitudes de dissipation tapageuse, — je puis affirmer qu’un homme qui donne ses habitudes studieuses bien connues, comme l’excuse de sa vie renfermée, comme motif de ne point prendre part aux amusements ordinaires, aux parties de boisson, ne s’expose ni à être molesté ni à être méprisé.

Pour mon compte, bien que je n’aie ni fait ni accepté d’invitations pendant les deux premières années de ma résidence, je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion de provoquer un sourire dédaigneux, ou plutôt une allusion quelconque à des habitudes qui pouvaient être un indice de pauvreté. Et peut-être même alors, n’étais-je point en droit de m’offenser, car en cette circonstance je n’avais pas agi avec prudence, et l’allusion, quoiqu’elle fût personnelle, et que, par conséquent, elle témoignât d’un manque d’éducation, était au fond inspirée par un sentiment bienveillant. Voici de quoi il s’agit. Je négligeais habituellement ma tenue en ceci, que je portais mes habits jusqu’à ce qu’ils fussent absolument râpés. D’un côté, je croyais que ma robe en dissimulerait l’état, et d’autre part, je mettais toujours une extrême insouciance et un mauvais vouloir à donner au tailleur le peu d’argent que je réservais au libraire. À la fin un personnage officiel, qui jouissait de quoique activité dans le collège, m’envoya par un ami un avis à ce sujet. Cet avis était ainsi conçu : « Quelques qualités qu’un homme possède, quels que soient ses talents, il ne lui est pas possible de conserver une situation respectée devant le public, parmi tant de gens et de domestiques, astreints à ne juger que sur les apparences, sans se montrer soigneux de l’élégance et de la tenue. »

Je ne pouvais pas m’offenser d’un blâme aussi courtoisement formulé, et alors je résolus de faire quelques frais pour embellir ma personne. Mais il arrivait toujours qu’un livre, ou une série de livres, — passion aussi vaste, aussi inexorable que la tombe — se mettait entre moi et mes intentions, si bien qu’un jour, arrangeant à la hâte ma toilette avant le dîner, je découvris tout à coup que je n’avais pas de gilet (pas de veste, comme on disait alors par mode, ou en employant un mot provincial) qui ne fût déchiré ou détérioré de quelque autre façon. Donc boutonnant mon habit jusqu’au menton, et serrant ma robe de mon mieux autour de moi, je me rendis sans trop d’embarras dans le hall (on nommait aussi à Oxford la salle à manger commune). Je fus néanmoins découvert, car un grave personnage, prenant un air superlativement grave, que le hasard avait placé ce jour-là à côté de moi, mais que je ne connaissais pas personnellement, s’adressa à un ami qui lui faisait face, et lui demanda s’il avait lu la dernière Gazette, ajoutant qu’il y trouverait un ordre du conseil interdisant à l’avenir de porter des gilets. Son ami répondit avec la même gravité qu’il était enchanté d’apprendre que Sa Majesté avait promulgué une défense des plus raisonnables, et qu’il espérait bien qu’elle serait suivie d’une interdiction de porter des pantalons, attendu qu’il était encore plus désagréable d’en acheter. Ils échangèrent ces propos sans qu’un muscle de leur physionomie remuât ; puis ils causèrent d’autres choses, et je conclus qu’après tout, ils avaient découvert ma tactique, et avaient voulu me donner un avertissement de la seule manière qui fût à leur portée. En tout cas, ce fut la seule personnalité, la seule allusion équivoque qui soit jamais arrivée à mes oreilles pendant les années où j’affirmai mon droit d’être aussi pauvre qu’il me convenait de l’être. Et certainement mes critiques avaient raison que leur intention fût bonne ou maligne, car un peu de soin accordé aux vêtements suffira toujours, même dans la pauvreté la plus complète, pour tenir lieu d’une dépense supplémentaire, dans la mesure nécessitée par la propreté et les convenances, sinon même par l’élégance. Ils avaient raison, et moi j’avais tort sur un détail qu’on ne saurait trop négliger impunément.

Mais je reviens au début de mon histoire et à mon esquisse de la vie qu’on mène à Oxford.

À une heure avancée d’une nuit d’hiver, dans la dernière quinzaine de décembre 1803, pendant qu’une tempête de neige des plus terribles, s’annonçait déjà, un paresseux omnibus, parti de Birmingham, à l’allure de quatre milles et demi à l’heure, m’amena par le long faubourg du nord d’Oxford, à une piteuse hôtellerie de diligences, située sur le marché aux grains. Il ne pouvait être question d’arrangements d’affaires à cette heure. Mais le lendemain je réunis toutes les personnes que je connaissais, ou que je croyais connaître à l’Université, et quand elles furent rassemblées en conseil, je leur posai une première question : quel collège devais-je choisir, d’après les données qu’elles possédaient ? Cette question aboutit à préciser le premier trait caractéristique d’Oxford, celui qui la distingue de la plupart des autres Universités. J’avais devant moi, à ce moment, plusieurs journaux qui rapportaient en grand détail l’installation officielle du duc de Wellington comme Chancelier. Le compte-rendu parti d’Oxford même ayant mentionné incidemment le collège d’où le cortège officiel était parti, avait dit sans doute que les portes de l’Université, les halls de l’Université allaient bientôt s’ouvrir à deux battants. Mais la plupart des directeurs de journaux provinciaux, ne comprenant pas qu’il s’agissait des portes, des halls d’un certain collège qui portait spécialement le nom d’University College et qui est tout simplement l’un des vingt-cinq établissements de ce genre à l’Oxford, avaient cru faire une rectification en parlant des portes de l’Université. C’est là l’erreur que commettent d’abord tous les étrangers. Et ce trait spécial d’Oxford est celui qui a arraché tant de cris d’étonnement aux étrangers. Aussi Juste-Lipse proclama avec enthousiasme, dès qu’il eut vu pour la première fois ce vaste établissement d’Oxford, qu’un seul des collèges de cette Université était bien supérieur en puissance et en richesse à aucune des Universités du continent, qu’il était un hommage et un honneur rendu aux lettres avec plus d’éclat, grâce au luxe dont il entourait les ministres et le service de l’éducation.

Qu’est-ce qu’une Université partout ailleurs ? Ce mot signifie simplement, tout au plus, en ce qui concerne les édifices académiques, qu’il existe là un lieu de rendez-vous, en quelque sorte une Bourse, ou plutôt, si l’on préfère une sorte de palestre où s’assemblent les différents groupes qui s’occupent de s’adonner aux études libérales. C’est leur lieu de réunion, l’endroit où elles défilent et manœuvrent. C’est vers ce point que convergent professeurs et étudiants, avec la certitude de se rencontrer. C’est là en somme que se trouvent les salles de cours pour toutes les Facultés. Cela est parfait. Nous voyons là une organisation commode, je veux dire une organisation commode pour une des parties intéressées, pour les professeurs. Elle leur évite les ennuis, les désagréments qui résulteraient pour eux de la nécessité de réunir les étudiants dans leur appartement privé. Mais pour les étudiants, l’avantage est absolument nul. Dans tout cela, on ne voit certainement rien qui soit utile à la cause du bon enseignement, rien qui mérite la protection de l’État, ni l’aide des contribuables. En outre, il est vrai qu’il existe une bibliothèque académique, et que parfois elle est bonne. C’est là que commence à s’entrevoir l’utilité réelle qu’il y a à placer ces établissements parmi les institutions nationales, parce que leur existence durable comme monuments, et indépendante du flux et du reflux des caprices individuels, des accidents de la vie, parce que leur situation officielle, comme symboles de la grandeur nationale, les désigne à la bienfaisance testamentaire des citoyens patriotes. Ces établissements sont aussi un objet préféré à un autre point de vue : l’instinct de conservation des collectionneurs. Plusieurs collections considérables ont été léguées — au British Museum par exemple — non point surtout en tant qu’institution nationale, non point tant sous l’inspiration de sentiments patriotiques, mais plutôt parce qu’étant une institution nationale, elle était par là même durable, et qu’ainsi le résultat des pénibles travaux que comporte une collection, était assuré contre la dispersion. En dehors de toutes ces considérations, je désirerais ardemment, pour ma part, voir consacrer le surplus du budget national à la consécration de la science, en quelque sorte, par l’érection de temples en son honneur, alors même qu’ils ne répondraient à aucun but défini d’utilité. Je voudrais voir au culte religieux s’ajouter celui qu’on rendrait extérieurement à la science, culte qui l’embellirait, qui la recommanderait à la sympathie publique, qui la sanctifierait par l’art de la sculpture votive, qui donnerait à cette sympathie des objets réels, auxquels chaque siècle apporterait son tribut. Magnificabo apostolatum tuum, est une expression qui convient aux missionnaires et aux ministres de la science tout autant qu’aux ambassadeurs de la religion. Il est convenable que de somptueux monuments d’architecture, qu’une voix résonnant sans cesse aux oreilles des hommes, rendent hommage à une telle puissance, en imposent le respect aux sentiments mêmes qui lui sont les plus étrangers, et à accepter son influence en une soumission mystérieuse. Ainsi donc gardez-vous bien de me compter au nombre de ceux qui évaluent de telles choses d’après une échelle d’utilité directe, immédiate, cette arithmetica officina[1] m’est en abomination depuis que je suis au monde. Mais j’affirme toujours que, dans notre analyse d’une université ordinaire, d’un « collège » pour employer une expression provinciale, nous ne sommes point encore arrivés à un élément utile au point de vue de la science ou de l’éducation, au point de mériter une aide nationale de quelque importance. Jusqu’à présent on a rendu un hommage public à la bonne cause, c’est très bien, mais on n’a rien fait dans le but spécial de favoriser cette cause, on n’a donné aucune impulsion à la marche en ayant, rien fait qui puisse paraître en proportion avec le nom et les prétentions d’une Université. Jusqu’à présent, on ne voit rien qui dépasse ce que peut faire une petite ville commerçante. Quant à la bibliothèque en particulier, on peut dire tout d’abord qu’il suffirait, pour la constituer dans ses parties essentielles, de présenter, pendant un seul jour, une liste de souscription aux négociants de Liverpool ou de Glasgow, et ensuite que les étudiants obtiennent bien rarement l’autorisation d’en faire librement usage.

Quelles sont les autres fonctions d’une Université ? Celles que j’ai mentionnées d’abord, et qui consistent à établir un lieu de rendez-vous pour le grand corps des professeurs et des étudiants, et un endroit où sont réunis les différents établissements contenant les instruments et les matériaux nécessaires pour de minutieuses recherches, par exemple et tout d’abord des livres, des manuscrits, en second lieu des cartes, des plans, des globes, en troisième lieu les appareils coûteux qu’exigent des études comme l’astronomie sidérale, la chimie électrique, la physiologie, etc. Tout cela ne peut être considéré tout au plus que comme un avantage accidentel, secondaire, quand on se place au point de vue des fondateurs. Il y a deux objets bien plus élevés, bien autrement impératifs dans la conception et l’organisation d’institutions de ce genre, d’objets qui se haussent tout d’abord à un rang assez distingué pour occuper les méditations d’un législateur et mériter la protection de l’État.

Ces deux objets se résument en ceci :

Premièrement, la collation des grades, c’est-à-dire la délivrance d’attestations formelles, de garanties sur la compétence à donner un avis, une instruction, une aide, dans les trois grandes sciences libérales, qui s’appliquent à la vie humaine.

2° L’emploi de fonds destinés à entretenir des chaires déterminées de manière qu’il y ait une série ininterrompue de gens autorisés, voués à l’enseignement public, des branches les plus élevées de la science, que leurs générations se succèdent de siècle en siècle.

Ce second résultat étant réalisé, on est assuré que les grandes sources originales des connaissances libérales et des sciences plus austères ne se tariront jamais.

Le premier résultat aboutit à ce que cette source intarissable soit toujours employée à produire et à éprouver les travaux nouveaux, à les entretenir sans cesse, pour les déverser dans le service du public, de telle sorte que la grande source nationale soit non pas une citerne stagnante, mais un réservoir d’où parte (pour employer une métaphore romaine) une incessante dérivation nourrissant un réseau d’irrigation nationale.

Ce sont là les deux grandes fonctions, les objets de toute corporation collégiale : l’une doit être de satisfaire les exigences légitimes de chaque génération distincte, dans les droits distincts qu’elle possède sur l’héritage de connaissances légué par ses prédécesseurs, et de convertir un simple usufruit accidentel, en une possession léguée par testament, de transformer un simple et passager άγωνίσμα[2], en un χτήμα είς ύεί[3], l’autre est d’assurer à cette dotation éternelle, une distribution aussi large que possible.

La première fonction est relative à la dimension en longueur dans la succession infinie des siècles, à travers lesquels elle propage ses bienfaits ; l’autre est relative à la dimension en largeur, en ce qu’elle étend sur la surface la plus étendue possible d’une seule génération la répartition de ces bienfaits publics.

Ce sont là de grandes fonctions, de vastes objets, mais ni l’un ni l’autre n’exigent des édifices de pierre ou de marbre, ni l’un ni l’autre ne présupposent l’existence d’aucune construction humaine. La corporation en forme de collège, l’église militante de la science, dans la lutte éternelle avec les ténèbres et l’erreur, est à ce point de vue semblable à l’église du Christ. En d’autres termes, elle est toujours, elle est, par essence, invisible à l’œil de la chair. Les colonnes de celle église sont les champions humains. Ses armes sont les grandes vérités forgées de façon à suivre les formes mobiles de l’erreur. Ses arsenaux sont des amas accumulés et rangés dans les mémoires humaines, sa cohésion est faite de zèle humain, de discipline, de docilité enfantine, et tous ses triomphes, toutes ses pompes et ses gloires doivent être éternellement sous la dépendance du talent, de l’énergie dans la volonté, de l’harmonieuse coopération qu’apportent ses différents corps d’armée. Jusque-là selon moi, il n’y a rien qui nécessite l’intervention de l’architecte.

Appliquons tout cela à Oxford, Les quatre objets que se proposent ordinairement les fondateurs d’Universités, sont : 1° de trouver une réunion de places couvertes, de lieux d’assemblée ; 2° de trouver les instruments indispensables ou accessoires pour l’étude ; 3° d’assurer la succession des professeurs pour donner un enseignement ; 4° d’assurer l’application de leurs divers talents au profit du public. Sur ces quatre objets, les deux plus essentiels, n’ont pas besoin d’édifices ; quant aux deux autres, qui n’ont qu’une importance accessoire et relative à la commodité, ils ne demandent qu’une construction fort peu étendue. À quoi donc servent, à quoi sont bons les immenses édifices d’Oxford, ses palais, ses tours ? Ou tout cela est absolument superflu, n’est qu’une affaire d’ostentation, une preuve de richesse somptueuse, ou bien cela tend à un cinquième objet auquel les autres Universités n’ont pas seulement songé, et qui maintenant est passé pour elles à l’état de chimère absolument irréalisable. Autrefois nous entendions sans cesse attaquer la discipline d’Oxford, comme étant dirigée en vue des objets vraiment intellectuels d’une éducation moderne. Ces attaques faibles et documentées d’une façon rudimentaire, mensongères sur les points qu’elles assaillaient, puériles sur les objets qu’elles recommandaient implicitement, ces attaques se sont tues. Mais tout récemment, l’artillerie a été pointée contre la discipline d’Oxford au point de vue moral, en tant qu’appliquée à gouverner et contenir des jeunes gens, et même en tant qu’ayant un but de contrôle quelconque.

Les Beverley voudraient nous faire supposer non seulement que l’ensemble des étudiants est d’une licence comparable à celle de marins en bordée, qui méconnaît toute discipline, toute contrainte, mais encore que les graves anciens de l’Université, et ceux qui exercent l’autorité officielle de l’endroit, abdiquent passivement jusqu’aux insignes de leur pouvoir, qu’ils ferment les yeux sur l’indiscipline générale, si même ils ne l’encouragent pas absolument par leur exemple, en personne. Or, quand ils formulent de telles récriminations, quel est l’idéal de juste discipline d’après lequel ces écrivains voudraient qu’on jugeât. Est-ce d’après un pur idéal, ou d’après quelque chose de réel et de connu ? Voudraient-ils faire supposer aux Anglais qu’ils comparent ici le véritable Oxford avec quelque Oxford paisible, hypothétique, imaginaire, avec quelque chose d’idéal, dont la possibilité suffirait à soulever de grands débats ? Ou bien prennent-ils l’autre terme de comparaison dans quelque système de discipline connu, réellement adopté, maintenu pendant des générations, par exemple à Leipsick, ou à Edimbourg, à Leyde, ou à Salamanque ? Voilà la question par excellence, celle à laquelle nous demandons une réponse, et s’ils nous on font une, vous allez voir dans quel dilemme ces valets de sac et de corde vont se faire prendre. S’ils ne font que comparer Oxford avec un Oxford idéal, ou meilleur, qui existerait dans un monde idéal et meilleur, tout ce qu’ils auront dit, — déduction faite des mensonges matériels — n’est qu’un vain déploiement de rhétorique, et toute la discussion prend la forme de ces combats entre des ombres, entre charlatans, vendeurs de scolastique, qu’étaient les gladiateurs pour rire, ces umbratiles doctores. Et d’autre part, s’ils prétendent se placer sur un autre terrain, celui d’une institution dont l’organisation soit connue, s’ils prétendent que leurs accusations contre Oxford ont pour base une comparaison latente avec Edimbourg, Glasgow, Iéna, Leipsick, Padoue, etc., alors ils exhibent dans toute sa nudité, non seulement leur mensonge, mais encore leur impudence. Alors, en effet intervient, en une sorte de révélation, comme un Deus ex machina qui vient faire éclater la vérité, cette simple réponse à la question posée plus haut : À quoi servent, à quoi visent les vastes édifices d’Oxford ? Une Université, aucune Université en général, n’a besoin, comme je l’ai montré, d’être un corps visible, un édifice construit par des mains humaines. À quoi donc sert cet Oxford visible ? Quel est ce cinquième objet, ce perfectionnement raffiné des objets ordinaires que se proposent les institutions, et que prétend réaliser ce vaste ensemble des hôtelleries d’Oxford, ces hôtels monastiques dirigés par leurs fondateurs, ou gouvernés par leurs possesseurs actuels ?

Prêtez l’oreille, lecteur, voici la réponse :

Ces vastes édifices sont consacrés à un objet absolument indispensable à tout système d’éducation qui prétend à quelque respect, et qui, néanmoins, est irréalisable, même sur une petite échelle, pour toute autre université européenne. Ils sont destinés au logement particulier et à la vie en commun des étudiants dans l’intérieur limité par les portes et les murs du collège dont la discipline leur est imposée. Partout ailleurs, les jeunes gens vivent il leur plait, et comme il leur plaît, ils sont mêlés aux habitants de la ville. En aucun cas ils ne sont soumis à un contrôle, à une surveillance, et partout où l’université ne forme qu’une faible fraction d’une vaste capitale, comme à Paris, à Edimbourg, à Madrid, à Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, ils sont exposés à la tentation matérielle sous toutes les formes possibles, aux distractions qui assaillent l’âme humaine dans les réunions d’hommes où fermente le vice, où s’étale le luxe. Dans ce cas-là, c’est donc se moquer que de parler de discipline : une chose qui n’existe pas ne saurait avoir d’attributs, et nous n’avons point à demander qu’on nous décrive la discipline dans des situations où l’existence d’une discipline est impossible. J’ai entendu parler d’une légère anomalie qui altérerait d’autant les traits uniformes de ce tableau. J’ai entendu dire qu’à Glasgow il existait une habitude, par suite de laquelle les jeunes Académiciens sont placés dans la famille d’un professeur. Là, comme membres d’une famille particulière, qui est sous les yeux attentifs d’un savant consciencieux, paternel et judicieux, il est hors de doute qu’ils seraient aussi complètement à l’abri du danger, et de la contagion mondaine que les parents peuvent le souhaiter, mais j’affirme qu’ils ne le seraient pas plus qu’à Oxford sous l’influence inévitable de la réclusion monastique que comporte un collège, dont les portes se ferment impitoyablement à celui qui veut sortir après neuf heures, et ne s’ouvrent pas après onze heures sans que le fait soit signalé à un fonctionnaire spécial de l’établissement. Les deux sortes de discipline se valent au point de vue de l’efficacité du contrôle, et, si elles étaient uniformément répandues, Glasgow et Oxford seraient de ce côté-là au même niveau de discipline. Mais il paraît que pour Glasgow il ne s’agissait que d’un cas particulier doublement personnel, d’abord de la part de celui qui voulait bien se charger d’exercer ce contrôle, et ensuite de la part de celui qui consentait à profiter de cet avantage ; tandis qu’à Oxford le système est général, il s’étend à tout le corps des sous-gradués, et que l’organisation de l’existence à Oxford ne l’expose à aucun relâchement, à aucune interruption.

Dès lors le lecteur connaît la première, la principale caractéristique d’Oxford, c’est cette particularité-là qui excitait l’enthousiasme, le ravissement de Juste Lipse, qui y voyait la preuve palpable d’une énorme opulence, c’est celle-là que j’utilise pour battre en brèche et faire tomber en pièces les récentes et calomnieuses attaques contre Oxford, parce qu’en cette particularité je vois une démonstration de la valeur de sa discipline. Oxford est vraiment une sévère Alma Mater, qui rassemble dans son bercail toute la partie juvénile de son troupeau, et exerce sur elle une surveillance attentive. À Cambridge, la discipline est plus relâchée sur un point de cette règle, car quand un collège est plein jusqu’au bord, les sous-gradués sont autorisés à se loger dans la ville comme ils l’entendent. Mais à Oxford cet accroissement de péril et de liberté se reporte de préférence sur les plus anciens sous-gradués, qui ont rarement moins de vingt-deux ou vingt-trois ans ; tandis que les logements sont réservés presque entièrement à la partie la plus saine de la société. Et l’étendue de ces logements est prodigieuse. De mon temps même, plus de deux mille personnes étaient domiciliées dans les collèges. Chacune d’elles avait au moins deux pièces ; beaucoup en avaient trois ; les gens de marque, ou ceux qui avaient des habitudes de luxe, avaient souvent toute une enfilade d’appartements. Mais on était en temps de guerre, ce qui, selon les Oxfordiens compétents, avait pour résultat de diminuer hors de toute proportion le nombre des candidats aux études libérales, et la capacité totale de l’Université était bien loin de sa limite. Il y a actuellement, à ce que je crois, sur les registres d’inscriptions d’Oxford, entre cinq à six mille personnes, sur lesquelles plus de quatre mille, me dit-on, résident d’une manière continue. On voit qu’Oxford est parfaitement en état de loger, et de loger magnifiquement, une petite armée d’hommes. Si je me sers de cette expression pour donner une idée de sa grande splendeur, c’est, je le répète, parce qu’elle s’applique à la question de la méthode qu’on y emploie pour maintenir la discipline. Cette partie de son organisation est unique, et comme on le verra, elle lui est absolument propre. Les autres Universités, ne pouvant étaler une pareille opulence, on ne saurait exiger qu’elles adoptent le même système de séparation. Sans doute, je n’irai pas reprocher aux autres Universités d’accepter les inconvénients d’une discipline plus relâchée, alors qu’elles ne possèdent pas les moyens d’isoler leurs jeunes gens de la contagion mondaine. C’est pour elle un malheur, et non point un système d’indifférence criminelle que de se résigner à un relâchement aussi funeste des habitudes académiques. Mais qu’elles ne prétendent point présenter aujourd’hui ce malheur comme une circonstance atténuante, et demain en nier la réalité même. Qu’on ne leur permette pas de jeter la pierre à Oxford à propos de cet élément d’une sage éducation, car chez elles, grâce à ce vice originel de constitution, à ce défaut de tout moyen de tenir enfermé et isolé leur personnel, toute discipline est détruite d’avance, car elle passe au rang des impossibilités : dès lors les murs du collège ne servent à rien de vivant. Ils n’ont d’autre objet qu’une commodité, celle de rassembler les étudiants pendant une heure ou deux que va durer la leçon, cela se nomme ainsi, et la leçon terminée, chaque sous-gradué reprend toute sa liberté, se perd de nouveau parmi les foules humaines, fréquente les lieux qu’il préfère, et s’il le veut termine sa journée au —, ou si l’on préfère, chez lui, dans un chez-soi qui non seulement est hors de toute surveillance, de tout contrôle de ses supérieurs, académiques, mais leur est même inconnu. On verra par la suite de mon exposé jusqu’à quel point cette discipline s’applique efficacement à Oxford. Mais déjà on accordera tout au moins qu’Oxford, possédant seul ce caractère distinctif, des ressources qui lui permettent de loger dans les cloîtres qui lui appartiennent en propre tous ses jeunes disciples, possède par là un avantage auquel il ne pourrait renoncer même de son plein gré, l’avantage de connaître avec certitude quelles sont les habitudes journalière de chacun, et d’exercer sur lui un contrôle absolu ou peu s’en faut.

Cette connaissance et ce contrôle sont facilités et concentrés par la division de l’Université en collèges distincts. C’est là un autre trait du système d’Oxford. Partout ailleurs l’Université se compose d’un seul collège, et ce collège forme à lui seul l’Université. Mais à Oxford l’Université peut être comparée à une armée, et les divers collèges formeraient autant de brigades ou de régiments.

Reprenons donc le fil de mon récit personnel. Le lendemain matin de mon arrivée à Oxford, je réunis un petit conseil d’amis pour délibérer à laquelle des nombreuses sociétés distinctes je m’affilierais, et si je m’y présenterais comme « commoner » ou comme « gentleman commoner. » Sur le premier point, voici dans quelles limites je pouvais choisir : je donne les noms des collèges et leur population telle qu’elle était en 1832, car cette liste-là, tout comme celle de mon temps et que je ne connais pas exactement, donnent une idée de l’importance relative de chaque collège.

MEMBRES.
1. 
University College 
 207
2. 
Balliol 
 257
3. 
Merton 
 124
4. 
Exeter 
 299
5. 
Niel 
 293
6. 
Queen’s 
 351
7. 
New 
 157
8. 
Lincoln 
 141
9. 
All Souls’ 
 98
10. 
Magdalen 
 165
11. 
Brazennose 
 418
12. 
Corpus Christi 
 127
13. 
Christ-Church 
 949
14. 
Trinity 
 259
15. 
S. John’s 
 218
16. 
Jesus 
 167
17. 
Wadham 
 217
18. 
Pembroke 
 189
19. 
Worcester 
 231

Il y a, outre ces collèges, cinq établissements qu’on nomme des Halls en termes techniques. Cette désignation indique que ce sont des corporations dépourvues de dotation, ou ne possédant pas de dotations spéciales pour les fellows, ce sont :

MEMBRES.
1. 
Saint Mary Hall 
 83
2. 
Magdalen Hall 
 178
3. 
New Inn Hall 
 10
4. 
Saint Alban Hall 
 41
5. 
Saint Edmond Hall 
 96

Maintenant qu’on connaît les noms et les proportions générales qui indiquent le degré d’importance de chaque établissement, il se présente une question toute naturelle. Quels sont les motifs essentiels qui décident du choix à faire parmi eux ? Je vais les indiquer.

Tout d’abord si l’on ne se préoccupe pas des avantages que présente tel ou tel collège, on peut jusqu’à un certain point choisir entre un petit et un grand, et il suffira de jeter un coup d’œil sur la liste ci-dessus pour fixer son choix. Pour mon compte, toutes choses égales d’ailleurs, j’eusse préféré de beaucoup le collège le plus populeux, comme étant celui où un étudiant isolé, qui a ses raisons pour se tenir à l’écart des habitudes générales de dépense, des visites reçues et rendues, aurait le plus de chance de se soustraire à une attention toujours en éveil, Néanmoins, parmi toutes ces autres choses que je supposais égales, il en était une qui occupait une grande place dans mes préoccupations, et qu’une enquête même superficielle me montra n’être point égale, tant s’en fallait, Tous les collèges ont leur chapelle, mais tous n’ont pas d’orgue, et parmi ceux qui en possèdent un, tous n’en font pas usage aussi fréquemment. Quelques-uns conservent la totalité de l’office de cathédrale, d’autres ne le font pas. Or, Christ-Church remplissait toutes ces conditions, car il se trouve que la chapelle de ce collège est la cathédrale du diocèse. L’office y est, par conséquent, complet et avec toutes ses cérémonies. D’autre part, ce collège est de beaucoup le plus magnifique, par le nombre, le rang et l’influence. C’est dans ce collège que je décidai d’entrer, et je me préparai à faire une visite à son chef, à son head[4].

Le chef ou le head, — comme on appelle génériquement le chef d’un collège à Oxford, les chefs de chaque collège portant spécifiquement d’autres noms très divers, tels que ceux de principal, de prévôt, de maître, de recteur, de gardien, etc., — ce chef est un personnage plus considérable que ne le supposent les profanes. Sa situation donne l’idée d’un rang qui n’est pas inférieur à celui d’un évêque, et, en effet, à cette époque, le chef de Brazennose, qui était en même temps évêque de Bangor, n’était pas regardé par ses collègues comme étant d’un rang supérieur au leur. Telle étant la situation des chefs, a fortiori, celle du chef de Christ-Church était des plus respectables, et je le savais. Il est toujours, par le fait même de son emploi, doyen du diocèse, et sa qualité de chef de collège fait que, seul parmi les doyens dont j’ai entendu parler, il est toujours regardé comme un personnage supérieur à l’évêque de son propre diocèse. Mais il se trouvait qu’à cette époque le doyen avait des titres plus grands encore à la considération. Le docteur Cyrille Jackson avait été le précepteur du Prince de Galles (Georges IV). Il avait maintes fois refusé l’épiscopat, et cela suffisait peut-être pour le mettre au-dessus de celui qui en avait accepté un. On supposait aussi qu’il avait fait nommer un évêque ; ce qui du moins est certain, c’est que dans la suite il fit nommer évêque son frère. Toutes choses pesées, le docteur Cyrille Jackson paraissait un personnage d’une telle importance, que je sentis alors combien j’étais redevable à ma longue familiarité avec la haute société, de l’audace avec laquelle je me hasardais à affronter un lion de cette taille.

Ceux qui connaissent Oxford connaissent aussi les sentiments particuliers qui s’étaient groupés autour du nom et des prétentions de Christ-Church, penchants à se regarder comme supérieurs, à donner le ton, bien visibles chez ceux qui faisaient partie de ce collège, penchants qui excitaient assez fortement la bravade et la jalousie des autres collèges. Aussi est-il bien rare, quand vous vous trouvez dans un magasin ou dans un autre lieu public, en même temps qu’un membre de Christ-Church, de ne pas l’entendre, s’il est jeune et léger, parler avec fracas de son Doyen, pour faire entendre par là d’une façon détournée, qu’il appartient lui-même à ce magnifique Collège, parce que c’est le seul collège dont le chef soit invariablement un Doyen. Le Doyen, comme on le suppose, a sa part de cette supériorité de sa Maison. Sa situation le met en rapports officiels avec tous les ordres de l’aristocratie britannique, souvent avec des personnages royaux. Quant aux jeunes membres de l’aristocratie, ses fonctions établissent entre eux celui des relations d’un homme pourvu d’autorité, d’un tuteur, quoiqu’il les exerce par l’intermédiaire d’un personnel inférieur et qu’il n’intervienne que rarement en personne. Le lecteur doit savoir qu’à de rares exceptions tous les princes, tous les nobles de la Grande-Bretagne, qui préfèrent profiter d’une éducation académique, choisissent Christ-Church à Oxford ou Trinity College à Cambridge. Il n’y a que cette alternative. Naturellement tous mes jeunes amis sursautèrent quand je leur fis part de ma décision d’aller trouver un aussi grand personnage. Ils s’imaginèrent qu’il valait mieux lui écrire une lettre. Pour moi, qui n’étais nullement convaincu qu’un homme n’est jamais un héros pour son valet de chambre, je me disais que bien peu d’hommes sont des héros à leurs propres yeux. Le nuage de pompe extérieure qui les entoure et les cache à la vue des attoniti[5] ne peut pas exister pour eux-mêmes. Il ne leur est point permis, comme à Kehama, de franchir d’emblée les portes de Padalon, et d’y contempler directement leur propre grandeur. Ils ont toujours, plus ou moins la conscience qu’ils jouent un rôle. Donc je n’éprouvais aucunement le tremblement qu’on devait attendre d’un novice, quand je fus introduit en sa présence.



  1. Arithmétique de cuisinière.
  2. Récompense honorifique.
  3. Possession éternelle.
  4. Tête.
  5. Ceux qui regardent bouche bée — ou qui ont l’air hébété comme si la foudre venait de tomber près d’eux. — (Note du traducteur.)