Texte établi par Édition Bernard Valiquette,  (p. 205-223).

AMOUR ET CHALCO-PYRITE


Croirait-on qu’il y a de l’amour… nous ne dirons pas au fond des puits de la Noranda, mais à l’origine de cette mine merveilleusement riche et qui fait l’orgueil de la province de Québec ?

Rouyn, Noranda et toute l’activité minière ambiante seraient nées, ce qui en d’autres cas serait tout naturel, de l’amour d’un homme et d’une femme. Quel épisode de roman ! Et voilà, certes, qui nous éloigne singulièrement du matérialisme moderne et est propre à nous empêcher de crier à l’effondrement de la société… C’est que sans nous en apercevoir nous nageons continuellement dans le merveilleux. Vivant dans l’excès de tout, dans un embrouillamini de problèmes, de doctrines et de subdivisions à perte de vue, nous ne comprenons pas que jamais le merveilleux n’a été aussi dense, aussi touffu qu’aujourd’hui. Pourtant, on n’entend que plaintes sur la platitude de notre temps dans le plan poétique pur. On s’imagine notre siècle sans décor aucun. Le merveilleux moderne n’est cependant pas embué des brumes du Moyen-Âge. Il se tient dans les faits ; dans les découvertes et dans les attentes. Il est dans les événements et dans leurs résultats. Il est dans tout ce qui se passe de nos jours. C’est la voix du Pape de Rome ou du Roi d’Angleterre entendue à la minute même où ils parlent pour les nordiques américains au fond de leurs tentes dressées aux contreforts des pôles ; c’est l’avion surgi sur nous du fond de la « mer ténébreuse », venant de la lointaine Europe ; c’est, pour le cas qui nous occupe, l’histoire de ce vieux prospecteur du nord-ouest québécois qui, voulant conquérir, le cœur d’une femme qui l’aime mais qui ne veut pas l’épouser tant que son marteau-piqueur ne frappera pas une mine qui les rendra riches, atteint, un jour, dans un ahan énergique, l’effleurement d’une mine qui, en quelques mois, fera surgir de la solitude deux villes et enrichira le trésor mondial de plusieurs douzaines de millions…

Et tel est le merveilleux de la découverte de la mine de Noranda.

Edmund Horne prospectait depuis de longues années dans le Nord Ontario. Jusque-là, bien peu de coups de pic heureux ! Mais il ne se décourageait pas. À la suite d’harassantes randonnées dans le « Wild » ontarien, parfois il s’en allait se reposer un brin dans sa ville, New-Liskeard, Puis il repartait. Mais il ne cessait toujours pas d’être pauvre !…

À New-Liskeard, encore qu’il fut à la veille de doubler le cap de la cinquantaine, il entretenait encore un pur amour de jeunesse. Elle l’aimait ; il l’aimait. Il voulut l’épouser. Elle refusa une fois, deux fois. Il insista. Un jour, elle lui dit :

« Je vous épouserai quand vous aurez découvert une mine dont on parlera et qui nous fera riches… »

Un an plus tard, le pic d’Edmund Horne frappait le rocher de Noranda. Le mariage eut lieu une couple d’années plus tard. Les nouveaux époux décidèrent d’aller faire leur voyage de noces à « leur mine » dont, entre temps, un puissant syndicat avait commencé l’exploitation. Ils s’y rendirent par les rivières Ottawa et Kinojévis et descendirent de leur canot au « Landing » de Rouyn, de boueuse mémoire. Un endroit sinistre dans le temps, sorte de marécage pas le moins du monde engageant pour les voyageurs, M.  et Mme Horne y furent reçus par MM. Augustin Chénier[1] et Maurice Dallaire qui tenaient là une boutique où ils vendaient aux prospecteurs des environs les premières nécessités de leur vie errante. Ils invitèrent le couple dans leur camp de bois rond. On leur servit de la soupe aux pois, des fèves au lard, des grillades et de la mélasse des Barbades. Il y eut des repas de noces plus plantureux, mais il n’en fut peut-être pas de plus heureux que celui auquel furent conviés, au « Landing de Rouyn » Edmund Horne, futur millionnaire, et Madame Horne…

Il fut vite reconnu que de tous les dépôts minéralogiques qu’ont cherché, depuis le commencement du siècle les chasseurs de mines à travers le monde entier, ceux du district de Rouyn étaient parmi les plus riches. Ce fut en 1923 que cette prodigieuse réserve aurifère et cuprifère attira l’attention du monde. Et déjà, avant la fin de 1925, on avait estimé la production de cette réserve à plus de $40,000,000 pour les premiers cents pieds en profondeur dans les trois premières mines exploitées dans ce district : Noranda, Waite-Montgomery et Amulet. Et, autour de ces trois mines ; noyau formidable d’une colossale exploitation à venir, d’autres propriétés se développaient, laissant entrevoir d’engageantes espérances, comme la « Dupont Mines », la « Quebec Gold Belt Ltd », la « Huronian Belt », le groupe McKay et maints autres syndicats miniers. Bientôt, la possibilité déjà assurée d’une production de $40,000,000 pour les premiers cents pieds de profondeur fut portée à $50,000,000, puis à $60,000,000. On en vint même à parler sans exagération de $100,000,000. Et on basait ces estimés sur des faits solides.

Les riches dépôts argentifères de Cobalt avaient attiré, en 1904, des légions de prospecteurs venus de toutes les parties du monde ; et, dans la suite, un total de $100,000,000 en dividendes était tombé dans le gousset des actionnaires des diverses compagnies de Cobalt. Ce filet du Pactole n’était pas de nature à décourager les prospecteurs de cette partie du pays. Ils pensèrent même à le diriger plus au nord. En 1909, on découvrit Porcupine où l’on enregistra une production d’or de $160,000,000 jusqu’à la fin de 1925. En 1910, autre découverte : Kirkland Lake avec ses $20,000,000 d’or en 1925 ; $100,000,000 dans la suite.

Mais, encore une fois, cette veine aurifère ne devait pas s’arrêter à la frontière. Qu’attendait-on pour traverser en territoire québécois ? Simplement des modifications à la loi des mines de la province de Québec. Alors, notre Législation minière, en effet, n’était pas tout à fait de nature à faciliter une ruée de prospecteurs. Toujours est-il qu’au moment où l’or sortait à flot des puits du nord de l’Ontario, gisaient dans les entrailles du district d’Opasatika des masses du précieux métal et de cuivre. Et ces richesses n’attendaient que les mineurs pour luire au grand soleil du Bon Dieu…

Ils vinrent, les prospecteurs, les mineurs, sur le sol québécois. Ils vinrent un peu tard, il est vrai, mais ils se trouvèrent, un jour, à leur poste.

Il y eut, on l’a vu, de bonne heure, Auguste Renault, Alphonse Olier, les frères Benard, Hertel Authier et beaucoup d’autres. Puis, vint aussi Edmund Horne, dont le marteau-piqueur, un jour de l’été de 1922, sonna, pour ainsi dire, à la suite d’un coup heureux sur un bout de rocher de la future mine Noranda, l’Alleluia de la naissance à une vie merveilleusement active, du nord-ouest de Québec et plus particulièrement du district de Rouyn.

On ne peut pas dire toutefois que la découverte d’Edmund Horne provoqua, à la minute même, le coup de foudre qui retentit, à la fin du siècle dernier, au Klondyke, en Californie et en Afrique-Sud. La découverte attira toutefois dès l’instant, l’attention du gouvernement du Dominion qui chargea le Dr  H.-C. Cooke d’aller faire un examen attentif de ce district. Le rapport du Dr Cooke fut des plus favorables. Encouragé par les conclusions, un autre prospecteur, Tommy Powell, en 1923, se mit, lui aussi, à jouer du pic dans les environs de Rouyn et fut assez heureux de découvrir une veine d’or dont l’analyse fut concluante. Et cette fois, la ruée commença pour de bon vers le canton Rouyn. À partir de cette année-là, les prospecteurs affluèrent de partout.

Alors, on avait plus confiance aux claims Powell qu’aux terrains de chalcopyrite d’Edmund Horne. Toutefois, MM. W.-H. Chadbourne et Samuel Thomson, de New-York, prirent une option sur les deux groupes et il arriva que les claims Powell ne justifièrent pas, dans le camp des capitalistes, l’enthousiasme manifesté dès leur enregistrement. L’attention se tourna alors vers les claims Horne dont on commença pour de bon, à la fin de 1923, l’exploitation. Il y eut, pendant l’été de cette année-là, quelques tâtonnements, même des velléités de découragement, certaines tendances à la dépression, mais l’année ne se termina pas sans qu’enfin on fut convaincu que le Pactole allait se diriger sans détours de ce côté. Du jour au lendemain, en certains quartiers on fit d’extravagants rêves de fortune. Des collines de Rouyn, on entrevit couler des ruisseaux jaunes et, s’entrecroisant en tous sens, des filons où dominait la bienheureuse « couleur » …

Et puis, s’organisa la « Noranda Co. Mines » par l’entremise de Chadbourne et Thomson qui s’engagèrent à payer les 9/10 des claims Horne une somme de $3,000 chaque six mois jusqu’à ce que le solde d’un montant de $320,000 fut payé en 1928. Il serait trop long et sans beaucoup d’intérêt, en dehors des capitalistes du temps, de détailler les diverses phases de la formation de cette puissante compagnie jusqu’à nos jours : capital de 5,000 parts de $100.00, d’abord ; puis capitalisation de la Compagnie à 10,000 parts ; plus tard, 20,000. En 1925, nouvelle capitalisation à 2,000,000 de parts et l’actif de la compagnie évalué à $20,000,000. Toujours est-il que si Edmund Horne, en 1922, était satisfait de vendre $320,000 les neuf-dixièmes de ses claims après une option de longue durée, il ne voulut pas se décider, en 1925, à vendre pour un million le dixième qu’il détenait encore de ses claims.

Telle était la valeur, à bien dire, inestimable de cette formidable « poche » de cuivre et d’or avoisinant le lac Tremoy et dont l’exploitation allait donner naissance aux villes de Rouyn et de Noranda[2].

Et l’entreprise de Noranda ne cessa plus de grandir. La compagnie s’adjoignit successivement dans la suite, les riches claims de la Waite-Montgomery, puis ceux de l’Amulet et plusieurs autres propriétés nouvelles adjacentes, toutes situées dans le district d’Opasatika. Tom Montgomery fit enregistrer ses claims de cuivre, de zinc et d’or en 1925. Il y eut bataille parmi les acheteurs autour de la mine Montgomery. Une première offre d’un million fut faite pour 85% de la propriété avec versement de $100,000 à la signature de l’option. L’offre fut refusée. Au lieu de cela, on vit Tom Montgomery et ses supporteurs, Isaac Waite et M. Ackerman, de Toronto, former un syndicat dont Noah Timmins, président de la « Hollinger Consolidated Gold Mines of Porcupine » eut personnellement le contrôle. Les gisements de la Waite-Montgomery révélaient un pourcentage de dix-sept pour cent de cuivre, d’or et de zinc. Puis, vint s’adjoindre à la Noranda, du côté de la « Waite-Montgomery », la mine Duprat dont la découverte attira sensiblement l’attention des capitalistes. S’ajouta également aux « Champs de Rouyn », la propriété Amulet dont le terrain avait été jalonné dans l’automne de 1922 et vendu au major R.-E. Popham, de Montréal, pour le prix de $3,600 alors que quelques années plus tard il pouvait être évalué à deux millions et demi, car de sensationnelles découvertes d’or et de cuivre y furent faites à la fin de 1924, en attendant qu’en 1925 d’autres découvertes, de plus en plus importantes, plaçaient cette mine au second rang de toutes celles du district de Rouyn, la première après la Noranda. En effet, il fut reconnu que le minerai de l’Amulet a contenu la plus forte teneur connue alors en cuivre, en or et en zinc[3].

Suivirent d’autres découvertes notamment sur les propriétés de la « Quebec Gold Belt » qui furent aussitôt évaluées à $100,000 et dont le terrain d’environ quatre mille acres était compris dans les cantons Rouyn, Cadillac et Bousquet. Et toutes ces mines, dès leur découverte prirent une importance capitale que leur premier rendement, d’ailleurs, justifiait pleinement. Les représentants de la plus grande organisation minière du monde ne manquèrent pas de s’intéresser à ce nouveau district aurifère et cuprifère. En effet, la « Consolidated Mining & Smelting Co », contrôlée par le Pacifique Canadien, fit l’acquisition d’un groupe de claims avoisinant l’Amulet. Percy Rockefeller entra au conseil d’administration de la « Noranda Mines Co » dont plusieurs autres gros capitalistes des États-Unis devinrent actionnaires. Aujourd’hui (1940) la « Noranda Mines Co Ltd » a pour président M. J. Y. Murdock, C. R., de Toronto.

Bref, partout on avait la conviction que venait d’entrer dans le domaine minier de l’Amérique un des plus vastes et des plus riches territoires du monde. Car les perspectives des richesses à retirer du sous-sol de ce coin québécois ne venaient que de s’ouvrir…

Et pour compléter l’histoire romanesque de cette portion du Bouclier Canadien, il faut rappeler la naissance prodigieuse des deux villes jumelles, Noranda et Rouyn, nées en même temps que la construction du premier « Smelter » de la province de Québec, qui assurait, peut-on dire, la permanence du district de Rouyn. Cette usine de fusion construite en 1925 par la « Horne Copper Corporation », sur la rive ouest du lac Trémoy, canton Rouyn, pouvait fondre, dès ses débuts, mille tonnes de minerai de cuivre en vingt-quatre heures. Ce réducteur produit aujourd’hui huit millions et demi de cuivre et un million et demi d’or par année, soit dix millions. Il fut construit de façon à pouvoir étendre sa puissance de fusion à 4,000 tonnes de minerai par jour. La valeur de cette production s’explique par la valeur du minerai traité ; et ce minerai, dans le cas de celui du cuivre, rend de huit à neuf pour cent, sans parler d’un rendement d’environ $5.00 la tonne en or et de vingt à trente pour cent en concentrés de cuivre. Les chiffres atteignent une haute éloquence quand on apprend que le minerai réduit dans l’État de Montana rend de un et demi à deux pour cent.

Nous voilà déjà loin de l’humble mais si méritoire découverte du lac Fortune faite en 1906 par Auguste Renault ; même de la mine Horne en 1922 et de l’Amulet en 1929.

Et sous le signe du quartz d’Opasatika, les villes de Noranda et de Rouyn, nées en un matin, se sont développées avec une rapidité de commutateur, surgissant de la brousse, à quarante milles du chemin de fer.

Une voie ferrée, autre que le Transcontinental, ne tardera pas d’ailleurs, à relier Rouyn et Noranda à ce dernier. En effet, en 1925, une ligne du Canadien National fut construite de Noranda à Taschereau en Abitibi, soit une longueur de quarante milles.

Pendant ce temps, la veine aurifère définitivement repérée, les prospecteurs se mirent à la suivre en allant vers l’est ; et les découvertes se multipliaient si bien qu’il fut possible, en 1936, d’établir, plus loin, en Abitibi, un autre centre minier. Val d’Or et Bourlamaque naquirent qui rivalisèrent avec Rouyn et Noranda. Coïncidence : mêmes traits caractéristiques. Bourlamaque est à Val d’Or ce que Noranda est à Rouyn…


Sans doute, devant cette agitation, pendant que l’on se préparait à bouleverser le sous-sol d’un coin de la province, Québec s’exaltait, exultait d’enthousiasme ?… On exagérerait en l’affirmant. Québec restait plutôt froid. La « conscience minière » fut longtemps endormie. Mais il fallut bien qu’elle se réveillât. La population québécoise tout d’abord sembla totalement désintéressée de ces richesses du NordOuest. Les autorités provinciales même restaient indifférentes quand toutes les grandes corporations minières canadiennes se faisaient représenter dans ce coin où, dans quelques mois, on avait dépensé de grosses sommes d’argent au développement des premières mines découvertes.

Même les rapports du Service provincial des Mines ne mentionnaient pas, ou très peu, en quelques mots seulement, les découvertes de 1906 à 1922. Silence de tombe sur la découverte du lac Fortune, comme sur les autres, dans la suite. Puis on tâtonne, on hésite, on doute même. On parle surtout de l’amiante des Cantons de l’Est. D’or, il n’en est pas question. Il est vrai qu’en 1903, notre province produisait pour $1,000 d’or provenant des alluvions de la Chaudière ; qu’en 1911, la production du métal précieux était portée à $12,627. Ce n’était pas tout à fait le Pérou.

Pendant ce temps, les mines d’or et d’argent de l’Ontario rapportait en l’espace de vingt ans, cent cinquante millions en dividendes, précisément à même cette ceinture minéralisée qui se prolongeait dans notre territoire et qui devait, mais une douzaine d’années plus tard, en 1937, faire produire au sous-sol du nord-ouest québécois, dans vingt-trois de ses mines, une valeur en or de $24,849,758, soit 710,196 onces par rapport à 55 en 1903.

Enfin, en 1923, voici que les autorités provinciales se défigent ; que le peuple du Québec bouge.

Dans son rapport de 1923, le surintendant du Service provincial des Mines, M. Théo.-C. Denis, écrit :

« L’événement le plus marquant de l’industrie minérale québécoise durant l’année 1922-23, est sans contredit l’intérêt que les prospecteurs et le public minier ont porté aux régions limitrophes du Témiscamingue-nord et de l’Abitibi-sud, et qui a provoqué une activité fiévreuse de recherches de gisements aurifères et de jalonnages de claims miniers. Ces recherches ont résulté jusqu’à présent en plusieurs découvertes de gîtes d’or, qui semblent promettre pour l’avenir de la région.

« L’étendue en question embrasse les cantons de Hébécourt, Duparquet, Destor, Montbray, Duprat, Dufresnoy, Cléricy, Dasserat, Boiscantons, durant les douze mois de l’exercice 1922-23, au premier juillet dernier, on avait piqueté 875 claims, couvrant une superficie totale de 175,000 acres. Vu l’importance que prenait le mouvement, le Département de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, ouvrit en mai 1923, un bureau d’enregistrement de claims, à Ville-Marie… L’intérêt que le public minier porte à cette région est bien manifeste du fait que quinze syndicats puissants y ont acquis des claims miniers et poussent activement les travaux de développement. Durant l’hiver dernier, on y transporta par chemins d’hiver, deux sondes à diamant qui n’ont cessé d’opérer depuis plusieurs mois, et ont déjà fait environ 3,000 pieds de forages.

« Ce nouveau district minéralisé est le prolongement dans le Québec de la zone minérale qui débute en Ontario dans le district de Matachewan et que l’on suit sans interruption dans une direction vers l’Est jusqu’au delà de la rivière Bell. Dans l’Ontario, elle donne lieu aux gisements de Matachewan, de Kirkland Lake, de Larder Lake, et dans le Québec aux gisements de Boischatel, de Rouyn, de lac De-Montigny et du lac Simon. Les conditions géologiques sont partout les mêmes ; on y trouve des sédiments de Cobalt et de Témiscamingue et des roches volcaniques schistoïdes du Keewatin, recoupées et envahies des roches porphyritiques. Ces dernières semblent avoir eu une influence marquée sur la minéralisation.

« Les gîtes consistent en veines de quartz et en amas lenticulaires, contenant de l’or. Des échantillons systématiques sur une grande échelle, ont donné des résultats fort encourageants, et la minéralisation est générale, car à peu près toutes les analyses des échantillons faites jusqu’à présent, indiquent la présence de l’or.

« À cause de la présence d’un épais manteau de couches alluvionnaires et de la difficulté d’accès de la région, la prospection est onéreuse. Il est probable que le développement et la mise en valeur des gîtes seront plutôt lents, et demanderont des mises de fonds considérables, mais il est fort possible qu’il y ait là le fonds d’une industrie aurifère solide et importante.

« Il s’est aussi fait des travaux importants dans la région du lac De-Montigny, où, pour la première fois, on a fait des travaux considérables de sondages au diamant sur les gîtes des claims Stabell, Martin, et Foisy-Kengrow. »

La province de Québec, à son tour, découvrait son nord-ouest. Elle ne devait plus cesser de s’y intéresser.

Les rapports suivants du Service des Mines sont de plus en plus optimistes. En juin 1924, Thon. J.-E. Perrault, alors ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, fait une visite du district d’Opasatika et, à la suite de ce voyage, publie dans le « Canadian Mining Journal » — numéro du 4 juillet 1924 — un article enthousiaste intitulé : « An Official Trip to the Rouyn Gold Fields ». Le ministre visita surtout les propriétés de la Noranda, les claims Chadbourne, la mine du lac Fortune, les claims Arntfield. Il signale en cours de route les principaux travaux déjà accomplis sur ces mines et la nature du minerai qu’on en extrait. Et il conclut :

« Somme toute, je reviens avec une impression très favorable sur l’avenir de ce territoire. Nous avons la certitude de gisements considérables de minerai. Sur les claims Horne qui, sans aucun doute, donneront lieu à une exploitation importante, sans compter quatre ou cinq autres claims qui présentent déjà les allures d’autant de mines ».

Toutefois, l’hon. M. Perrault ajoutait, mettant en garde les capitalistes contre trop d’enthousiasme :

« Seulement, même en ce qui regarde les claims Horne, les difficultés ne sont pas encore toutes levées à raison de la complexité du minerai et de ses caractères réfractaires… C’est pourquoi nous avons déjà fait remarquer que le district aurifère Rouyn-Boischatel n’est pas un territoire pour les exploitants qui ne peuvent disposer de fort moyens d’action, car il faudra y faire beaucoup de dépenses avant que la production et les rentrées ne viennent en compensation… Pour ma part, je suis convaincu que le susdit district jouera un grand rôle dans la future production minérale de la province de Québec mais cela prendra deux ou trois ans, ou peut-être davantage avant que l’on commence à expédier l’or de Rouyn à l’hôtel des monnaies du Canada, en grandes quantités et régulièrement ».

Ces difficultés que signalait l’hon. M. Perrault, le gouvernement s’attela, sans plus tarder, à la tâche de les aplanir dans la mesure de ses moyens. Il fit d’abord construire des routes qui conduisaient aux principales mines ; il amenda la législation minière ; il établit à Amos, à Ville-Marie, à Rouyn des bureaux d’enregistrement de claims ; il fonda des laboratoires où l’on fit l’analyse des minerais soumis par les prospecteurs ; il octroya des services de bateaux sur les lacs et les rivières.

Alors, en 1924, pour aller à Angliers, il y avait le chemin de fer Mattawa-Kipawa qui s’y rendait depuis l’année précédente. Angliers est à quarante milles de la ligne sud du canton Rouyn. D’Angliers, on pouvait se rendre à Rouyn par trois voies : deux routes d’eau et une par avion grâce au service aérien de la « Laurentide », qui, chaque jour, couvrait la distance de quarante milles entre Angliers et Rouyn. L’une des routes d’eau se faisait par les lacs des Quinze et Expense, les rivières Ottawa et Kinojévis, les lacs Routhier et Rouyn. L’autre route fluviale allait d’Angliers droit au nord, longeant le bras ouest du lac des Quinze jusqu’à un rapide situé entre ce lac et le lac Rumigny, passant par la Rivière Solitaire et le lac Opasatika.

Ces routes furent en peu de temps rendues accessibles pendant qu’on construisait les chemins de terre d’aujourd’hui et qui sillonnent en tout sens, ainsi que des veines, le Témiscamingue et l’Abitibi.

Et les travaux miniers se poursuivaient, couvraient le territoire. L’assistant-surintendant du Service provincial des Mines, M. A.-O. Dufresne, à la suite d’une visite qu’il faisait à son tour dans ce district, en 1925, revenait enthousiasmé. Il notait dans son rapport les « travaux sérieux et considérables » faits dans Malartic, dans Fournière où l’on « constate une minéralisation considérable » aux mines Siscoe du lac De-Montigny, à la mine Martin, à la mine Stabell où « des lots sont déjà creusés de puits de 700 à 800 pieds », etc, etc…

L’activité s’étend, la fièvre se propage dans tous les milieux. On fait de la propagande à l’étranger. La publicité bat la grosse caisse. Le flot des prospecteurs continue de déferler sur cette partie de la province. Les bureaux de Ville-Marie, de Rouyn et d’Amos regorgent de demandes. En 1924, on jalonne 1750 claims. On ne peut plus signaler les trop nombreuses transactions entre prospecteurs et capitalistes, les ventes de concessions minières. En avant l’Eldorado québécois !

Comme on est loin des cinquante-cinq onces d’or de 1906 !… Comme on est encore plus loin de la pépite « grosse comme un œuf de pigeon » trouvée, un dimanche de 1846, par Clothilde Gilbert au bord de la petite rivière qui traverse St-François de Beauce dans la seigneurie Rigaud-Vaudreuil ! … Quelle poussée ! Quelles révélations ! Quel chatoyant chapelet de mines et de concessions tout au long des routes du Témiscamingue et de l’Abitibi !…

En 1936, une douzaine seulement de ces mines produisent pour une valeur de $23,334,849 d’or, $234,893 d’argent et $6,287,025 de cuivre. En 1937, le nombre des mines productrices se chiffre à vingt-trois qui donnent $24,849,758 d’or, 907,950 onces d’argent et 95,029,546 livres de cuivre. En 1938, la valeur minière totale du Québec atteint $68,256,308 par rapport à $65,203,976 l’année précédente : augmentation de trois millions[4].

Des 165 principales compagnies minières du Canada, en 1938, trente-et-une ont leur siège d’exploitation dans Québec.

Pour un tel résultat, il a fallu naturellement un capital important. D’après M. Grant Johnston, président de la Bourse de Montréal, dans un article publié dans la « Patrie » du 16 octobre 1938, « suivant les plus récentes estimations, $140,537,708 sont employés dans l’industrie minière du Québec. » Et M. Johnston ajoute que « la valeur nette des ventes provenant des mines de la province de Québec ont ensemble un capital autorisé de 134,050,000 actions dont 112,852,218 ont été émises représentant une valeur marchande d’environ $360,988,159… »

Mais on n’en finirait plus de jongler avec les chiffres dans ce champ immense ouvert à l’engouement spéculatif !

Et dire qu’en 1923, on pouvait écrire :[5]

« On trouve de l’or dans l’Ontario (565 mille onces extraits en 1920), dans la Colombie-Britannique (127,000 onces en 1920) et dans le Yukon (72,000). Le cuivre est surtout produit par la Colombie-Britannique (45,000 livres en 1920) et l’Ontario (32,000 livres). »

Et l’on ajoutait :

« La plus grande partie de la province de Québec est virtuellement inexploitée au point de vue minier ».

C’est maintenant une chose à voir !…

  1. M. Augustin Chenier est, aujourd’hui, régistrateur à Ville-Marie. C’est lui qui nous a raconté ce trait.
  2. Ces chiffres sont extraits de The Romance of Rouyn par Irving J. Isbell.
  3. The Romance of Rouyn, Irving J. Isbell.
  4. Rapports du Service provincial des Mines pour 1937-38.
  5. « Le Canada Économique », par Alain Monray ; publié dans la revue « Le Monde Nouveau », de Paris, numéro spécial au Canada, 15 août 1923.