Texte établi par Édition Bernard Valiquette,  (p. 65-83).

DE LA GÉOLOGIE AU CLAIR DE LUNE


La journée avait été chaude, accablante. Les membres de l’équipe de géologues envoyée par le gouvernement de Québec pour étudier la bande huronnienne reconnue du lac Chibougamo avaient peiné tout le jour sur un plateau de roches éruptives, détachant avec difficulté, sous des couches de terre, de mousse et de calcaire, des fragments de roche diabase, shistes verts et serpentine, minéraux industriels, qui laissaient déjà entrevoir pour les prospecteurs d’initiative, des fortunes à réaliser, en particulier sur cette bande zébrée de boursoufflures pierreuses qu’on eût dit brassé par le soc désespéré d’un géant et qui ne constituait qu’une section minime d’une formation qui pouvait se continuer vers le sud-ouest jusqu’aux lacs Abbitibi et Témiscamingue, puis à Sudbury et au lac Supérieur…

Le soleil de juillet cuisait la terre, chauffait à blanc les rochers et accablait les hommes.

Pendant ce temps, les aides avaient dressé la tente sur une élévation au pied de laquelle serpentait une rivièrette et dont une partie était couverte d’épinettes noires. De cette colline, le soir, le paysage ambiant était ravissant. L’air y circulait librement faisant sourdement bruire les aiguillettes des résineux touffus qui se pressaient les uns sur les autres, s’embrassant en de longues étreintes. En bas apparaissait le ruban noir de la rivière que faisait, ici et là, scintiller le soleil couchant. À l’occident, le ciel flamboyait de tout un incendie de couleurs.

Après le souper, les géologues, — ils étaient cinq — heureux du repos de la fin du jour, s’étaient assis, de ci de là, devant la tente, rêvant en fumant leur pipe, respirant avec délice l’air revigorant qui balayait légèrement la colline, les innondant comme d’une eau fraîche. Devant eux, un peu en contrebas, s’étendait, aux derniers rayons du soleil, un tranquille paysage de forêt aux teintes variées mais où dominait le vert sombre des résineux, de vallonnements souples, de plateaux bosselés, dominé au fond par une rangée de montagnes altières où l’on imaginait des panoramas gigantesques, comme d’un autre monde…

Car on était bien alors dans un autre monde ; sauvage, immésurable, à cent cinquante milles des premiers lieux habités… La douceur de rêver au sein de cette sauvagerie, de cette solitude lointaine !…

Mais le plaisir aussi, en cette heure douce du soir tombant, après les fatigues du jour, de causer des choses qui nous sont chères, pour lesquelles on a voué sa vie et qui remplissent tout le jour et l’esprit et le corps :

« Voici », dit tout à coup le chef de l’équipe, James MacKenzie, « Voici un pays fort dur mais franchement prometteur de richesses en grande partie insoupçonnées. Il y aura ici, mes vieux, des fortunes à réaliser… »

— Si on en juge, en effet, par les fragments de roche que nous avons recueillis depuis que nous travaillons ici, fit remarquer Robert Carrier, il y aura bientôt une ruée sur les bords des lacs Chibougamo, Doré et Mistassini. Ces rocs, vrai, sont pleins de minerai qui me semble, à moi, de la même formation que celui des régions de Porcupine et de Kirke-Lake…

— D’ailleurs, dit Peter Low, l’archiviste du groupe, en se levant pesamment d’une roche ou il était assis, nous ne sommes pas ici les premiers qui ont remarqué la richesse de cette formation où nous travaillons… Messieurs, ajouta-t-il avec solennité, dès 1870, on a découvert ici tout un district minier. Nous sommes, même les plus vieux d’entre nous, trop jeunes pour avoir vu ça… Cette année-là, 1870, on a découvert dans la vallée du Chibougamo des trésors minéralogiques qui furent toute une révélation dans le monde industriel. Plus tard, en 1904 et en 1905, et de cela, moi, pour ma part, je me souviens, on a localisé, pas bien loin d’ici, un très important gisement de quartz aurifère, de cuivre, d’amiante et de fer.

— Bah !… du fer, on en a trouvé partout dans la province, interrompit Jos. Dufour.

— Oui, de la pyrite, même depuis Jacques Cartier, peut-on dire, rétorqua Peter Low. Soumis à l’analyse, le quartz aurifère d’ici a donné un résultat qu’un expert savant du temps, John D. Hardman, a déclaré tout simplement merveilleux.

— A-t-on fait du lavage ? demanda Carrier.

— Oui, trente-six bien comptés, au plat, et l’or libre fut estimé à trois dollars la tonne. Et vous savez mes amis, qu’une teneur de cette valeur en or libre dans un dépôt de grandes dimensions donne l’espoir de résultats très satisfaisants.

— Ça peu promettre, en effet, fit l’un des hommes.

— Voici, continua l’archiviste en dépliant un papier qu’il venait de tirer de son « pack sack », voici quelques notes de l’ingénieur Hardman qui, en 1905, a parcouru tout ce territoire et qui a étudié surtout une veine de quartz découverte à l’Île-au-Portage. La valeur moyenne de l’or libre des échantillons analysés de cette veine a atteint $2.50 par tonne ; et même en séparant les échantillons de la grosse veine de ceux qui venaient de filons secondaires, la valeur de cet or libre était de $3.14 par tonne, teneur qui n’était pas sans surprendre l’ingénieur. Mais, continua Peter Low, Hardman constatait l’extrême variété du minerai découvert dans cette partie du Nord-Québec. Ainsi, la plus petite teneur en or qu’il a constatée fut de quarante sous par tonne de quartz tandis que la plus haute était de $11.48. Les plus riches échantillons venaient de l’excavation centrale de la veine où l’on a constaté de $8.00 à $8.64 la tonne. Bref, la valeur approximative totale de ce quartz en or a été déterminée par Hardman, après des essais sur nombre d’échantillons, comme variant de $8.00 à $10.00 par tonne.

— Mais avant Hardman, demanda Robert Carrier, avait-on découvert ici quelque chose d’intéressant ?

— Bien avant Hardman, l’explorateur James Richardson, en 1870, et mon homonyme, A.-P. Low, en 1885, avaient reconnu la similitude des roches de cette région avec celle de Sudbury et démontré que les granits qui se trouvent ici n’étaient pas de formation laurentienne, mais postérieure à la formation huronnienne, et que l’or devait s’y trouver.

Continuant de feuilleter ses notes, l’archiviste fit remarquer que cette veine de quartz aurifère du Chibougamo est située sur la côte sud-est de l’Île-du-Portage. Elle est près du sommet de la colline, à une élévation de cent-trente pieds au-dessus des eaux du lac Chibougamo et à quelques centaines de verges du rivage. L’or s’y trouve libre ou encore mêlé à des sulphures de fer et de cuivre…

Le soleil avait maintenant disparu derrière la montagne lointaine ; et la lune, en son plein, montait, répandant sur la forêt les lueurs blafardes de sa lumière laiteuse, faisant étinceler de frissons d’écaille d’argent la rivière qui coulait silencieusement en bas de la colline. Les géologues continuaient d’écouter, en rêvant, les propos de Peter Low. La fumée des pipes montait en liberté dans l’air calme. La colline était maintenant assoupie sous sa couverture de bois. Çà et là, se dressait, blancheur torturée par la nuit, le tronc d’un bouleau. La nuit doucement s’était couchée par terre et dormait comme un enfant. Sa respiration était si douce qu’on entendait à peine la brise. Dans le ciel d’un bleu ardoisé, des étoiles tremblaient, semblaient comme tourner au bout d’un fil. Le calme enveloppant de cette sérénité invitait aux expansions ou à la rêverie. Les hommes maintenant rêvaient.

Que sera, dans quelques années, ce pays de roches et de brousse ?… Des villes ? Des villages ? Aujourd’hui, tout ce territoire est vide. Ici et là, quelques campements de chasseurs et de prospecteurs entre les arbres et l’eau… Un commencement d’exploitation minière, par la « Consolidated Chibougamou Gold Field », non loin de la rivière Poisson-Blanc, au Lac-aux-Dorés ; et, à huit milles de là, la « Mine Abaski » qui commence à se développer avec profit. Mais partout, en général, des forêts encore vierges, des montagnes inexplorées ; ou bien des brousses sans fin, des étendues de rochers. Peut-être que demain, rêvent comme à l’unisson ces hommes, une ville naîtra ici, tout de suite dans le curieux état de « devenir » ; d’abord, à simple titre de campement minier, puis qui surgira prestigieusement sous la poussée d’un « boom », qui attirerait très vite l’attention mondiale ; et, crac ! un nouvel Eldorado ! Mine d’or à plein rendement ; carrière d’amiante d’une richesse inouïe ! Un âge héroïque et pittoresque qui commence !… Le plein jaillissement d’un merveilleux avenir !… L’élan vital d’une magnifique jeunesse, vite canalisée en un cours régulier !… Une ville qu’il faudra aménager et qui s’établira à la place d’un coin de la forêt dont, longtemps, on verra les restes sous figures de racines à demi pourries ou calcinées, au beau milieu des maisons. Tout a été si vite qu’on n’aura pas eu le temps d’enlever les « ferdoches »… Mais tout aura été immédiatement prévu pour une grande ville ; des rues et des avenues bien tracées, se coupant à angle droit et se numérotant selon l’usage américain : 1ère, 2e  rue ; 1ère, 2e , 3e , avenue. Pas de pavage encore ! Quand il pleuvra, ce sera un bourbier épouvantable et l’on sera heureux de marcher sur des bouts de trottoir élevé sur pilotis… Les maisons, toutes en bois, seront d’une architecture rudimentaire et feront, d’abord, penser aux baraques de foire… La plupart seront des hôtels, des tavernes, des cinémas dont la musique marchera en plein jour. Il y aura aussi de jolis magasins où la division du travail… signe d’une civilisation avancée, n’existera pas d’abord. On achètera des cartes postales chez l’épicier qui vendra aussi du papier à lettres tandis que le pharmacien vendra des jambons… Une future ville champignon, quoi !…

À l’endroit où ils rêvent, peut-être qu’un jour s’élèvera une église, un grand hôtel, un théâtre !… Et tout ce territoire, quoi, on l’a jusqu’aujourd’hui à peine gratté. On n’a prospecté, en somme, que quelques points… Peut-être qu’un jour, ici, les prospecteurs viendront de tous les coins du monde ; leurs états civils seront incertains. Les plus faibles tomberont au seuil de la grande aventure. Peut-être qu’ici se lèveront les jours fabuleux du grand « rush » alaskien, celui de la Californie, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Sibérie, du Transvaal, de l’Inde, des Philippines… et que le nord du Québec fournira, un jour, quelques parcelles des quelques 1,500 milliards du métal précieux qui ont été extraits de la terre et des eaux depuis cinquante siècles… Le monde a soif d’or. Les mines s’épuisent ; d’autres surgissent. Des fortunes s’amassent, s’écroulent… mais, l’univers a besoin d’or. Ne suffit-il pas d’un coup de pioche heureux pour ouvrir un inépuisable placer ?… un « Witwatersrand » transvalien. Un coup de pioche, pas même ; un simple coup de pied ! À l’époque de la ruée en Alaska, un Suédois, croyant s’être fait rouler dans l’achat d’un claim réputé sans valeur, alors qu’il pataugeait dans les vignes du Seigneur, se rendit faire une première visite sur ce claim où, de colère, il frappa du pied une pierre. Stupéfaction !… il mit à jour une pépite de la grosseur d’un œuf ; et il tira de ce claim des centaines de mille dollars en quelques semaines…

Jos. Dufour, secouant de coups brusques les cendres de sa pipe sur un bout de roche, demande au chef de l’équipe :

« Mais dans vos notes, chef, il n’y a pas que du quartz aurifère, je suppose ? »

— Ah ! fichtre, non, mon vieux ! de l’amiante, du fer, du cuivre, du nickel, tout ce que tu voudras.

— En effet, interrompit Carrier, je sais qu’on a trouvé de l’amiante en particulier à l’Île d’Asbestos, dans le voisinage de la Rivière Rapide. Je crois qu’il se rencontre aussi de la serpentine contenant de l’amiante, sur les rives nord de la Baie-des-Îles.

— Et cette amiante, continua Peter Low, qu’on a jusqu’ici recueillie dans cette contrée, d’après les experts, vaut celle des Cantons de l’Est quant à la finesse et la longueur des fibres. Mes amis, je suis convaincu, pour ma part, que l’industrie de l’amiante ici prendrait une grande importance si la région où nous nous trouvons était reliée aux grandes villes par une voie ferrée.

— Mais il y aura tout de même bientôt, coupa Jos. Dufour, un beau chemin de terre, bon même pour les automobiles…

— Et ce sera la fortune du pays, conclut le chef. Je ne voudrais pas avoir l’air de vous faire un cours de géologie, mais je veux seulement vous rappeler qu’on ne trouve pas ici seulement de l’or et de l’amiante. Vous l’avez constaté comme moi, au cours de nos travaux, on trouve aussi du cuivre. Vous vous souvenez de la Montagne de la Peinture, ces pyrites de cuivre mélangées aux pyrites de fer qu’on a remarquées en petites veines entre les shistes verts et les langues de gabbro qui pénètrent le shiste ?

— Et du nickel, je pense ? questionna un des hommes de l’équipe.

— En 1906, répondit Peter Low, M. W. A. Blake, ingénieur en mines, a fait la découverte, ici, d’un important filon de nickel qui s’étendait sur une assez grande largeur. Ce métal, soumis à une analyse chimique, a donné un rendement de dix-sept pour cent de nickel pur, ce qui lui assurait la supériorité sur le nickel tant vanté de Sudbury…

L’ombre s’étendait de plus en plus sur le paysage ambiant. La lune, grande, ronde, « comme une roue de charrette », dit-on à la campagne, était déjà haute. L’air était d’une douceur de rêve. Dans quelques mares proches, on entendait le croassement des grenouilles. Est-ce loin ? Est-ce proche ? On ne sait. Dans la rivière, en bas, le saut brusque d’une truite hors de l’eau…

« Bref, conclut Peter Low, après avoir suivi, un instant, les jeux de la fumée de sa pipe dans la clarté lunaire épandue sur la colline, si l’on en juge par les découvertes de ceux qui nous ont précédés, il paraît certain que toute la région fourmille de minéraux industriels fort précieux. D’après Peter MacKenzie, la superficie de toute l’exploitation minière de ce pays est de pas moins de quarante milles de long par vingt de large.

— Et ce n’est, en somme, qu’un tout petit coin de notre province. Disons que c’est le cas de cet énorme massif dépassant deux millions de milles carrés en étendue, que les géologues européens appellent le « Bouclier Canadien » qui comprend nos Laurentides et qui révèle le fait géologique le plus important de toute l’Améri­que, puisqu’il fut le centre des développements du continent nord-américain, le « protaxis », di­sent les géologues canadiens, enfin, le point de départ de presque toutes les assises minéralogi­ques canadiennes.

— Tiens, voilà notre savant qui se réveille, fit en riant remarquer Jos. Dufour.

L’homme qui venait de parler sur un ton fort grave, tirant à chaque mot, de sa courte pi­pe de bruyère, une bouffée de fumée, paraissait friser la soixantaine. Le « père Lasnier », com­me on l’appelait le plus souvent, semblait être, en effet, comme le papa de l’équipe. Il n’en était pas le moins vigoureux ni le moins endurant. On l’appelait aussi le « savant », ou le sage. Si­lencieux, ne parlant jamais plus qu’il ne fallait, il paraissait constamment plongé dans de pro­fondes rêveries. Ou bien, aux heures du repos, il se plongeait dans des livres dont son « pack sack » était bourré : bouquins d’histoire, de sciences naturelles, de biographies de savants, d’aventures, de récits de voyage. Une heureuse mémoire le servait en toute occasion pour don­ner à ses compagnons un renseignement sur l’histoire, la géographie, même de précieuses particularités sur la plupart des sciences natu­relles. Il n’était jamais à court. Au reste, l’expérience de sa longue carrière passée à courir forêts, montagnes et plaines, fleuves, lacs et rivières, au sein d’équipes de géologues ou de forestiers, lui servait autant que ses lectures.

Ce soir-là, il fut d’abord, selon son habitude, silencieux. Assis sur un bout de grume, les coudes appuyés aux genoux, suçant de ses lèvres épaisses le bouquin d’ambre de son brûle-gueule, il semblait écouter autant son rêve que les propos de ses compagnons. Et tout à coup il parla.

Ce fut comme une détente chez les hommes, du coup regaillardis, juste au moment où la lune, déjà haute dans le ciel, on songeait à gagner la tente pour la nuit. La terre à cet instant rayonnait sous un féérique clair de lune…

« Mais qu’est-ce que vous entendez plus précisément, père Lasnier, par ce « Bouclier Canadien » ? demanda Jos. Dufour.

— C’est, mon garçon, cet immense plateau qui, sous la forme d’un U à très larges branches d’inégales longueurs, se déploie sur toute la partie nord-est de notre continent. Une de ces branches embrasse toute la péninsule du Labrador jusqu’au Saint-Laurent. Toujours très large, elle contourne la Baie d’Hudson, puis s’étend vers le nord-ouest, s’élargissant sans cesse : elle longe d’un côté la rive occidentale de la baie, et de l’autre, atteint l’embouchure du fleuve MacKenzie dans l’océan glacial arctique…

— La belle chose que de savoir quelque chose ! coupa joyeusement Jos. Dufour qui avait des lettres et qui était, à l’occasion, le boute-en-train du groupe.

Le « père Lasnier », imperturbable, continua :

« C’est le cas du bouclier, dont font partie nos Laurentides mais il en est ainsi de tout le territoire québécois aujourd’hui colonisé, habité, comprenant nos vieilles et nos nouvelles paroisses ; des plaines, des montagnes, et aussi de toute cette gigantesque cassure qui partage notre province en deux bassins géologiques distincts et qui est la bande orographique que l’on appelle ici, Montagnes Notre-Dame, là, Monts Shick-Schocks, ailleurs, en territoires « étatsuniens », dirais-je, Montagnes Vertes et Montagnes Blanches ou « Blue Hills » et enfin, « Cumberland », suite, sous quelque appellation qu’elle se présente, des Appalaches…

— « Intelligente, erudimini !… » fit encore l’irrespectueux Jos. Dufour, ce qui ne découragea nullement le grave et savant père Lasnier.

« Notre ami Dufour faisait remarquer tout à l’heure que de la pyrite de fer, il y en avait dans tout le territoire de la province de Québec. Il a raison. Mais on ne trouve pas que de la pyrite. Partout, si l’on cherche bien, on y trouvera du cuivre, du nickel, du plomb, de l’amiante, de l’or et bien d’autres minéraux. On en trouvera, dis-je. On en a trouvé et même dès les premières années de notre pays. En 1686, n’a-t-on pas découvert, sur les bords du lac Témiscamingue, la première mine de galène exploitée sur le continent ? Que dis-je, mes amis, plus d’un siècle auparavant, les indiens n’avaient-ils pas révélé à Jacques Cartier le cuivre, l’or, même les pierres précieuses — non malheureusement encore découvertes en notre pays — du territoire du Témiscamingue et de l’Abitibi compris dans l’ancien « Royaume de Saguenay » ?

— On a dit, père Lasnier, demanda Jos. Dufour, que cette mine du Témiscamingue était la première mine découverte au pays ?

— On l’a dit mais on se trompe. La première mine canadienne fut découverte et même exploitée exactement vingt-et-un ans avant celle du Chevalier de Troyes. Elle fut localisée à Gaspé. De bonne heure, on avait parlé d’or et de cuivre à l’entrée de la baie de Gaspé. En 1665, l’intendant Talon envoyait François Doublet à la tête de quarante hommes pour exploiter cette région où, avait-il écrit au ministre de France, « les espérances semblent fondées ». Doublet creusa quelques puits dont l’un de trente-deux pieds et expédia à Québec 9,000 livres de minerai dont la valeur malheureusement ne fut pas jugée appréciable. On abandonna le projet…

— Et maintenant, si nous passions au déluge, père Lasnier, interrompit de nouveau Jos. Dufour, riant de toutes ses dents. Pour être sérieux, ajouta-t-il, vous savez qu’on a trouvé du fer à la Baie Saint-Paul, la paroisse de mes vénérés ancêtres ?…

— Oui ; en effet, en 1666, sous l’intendant Talon. M. de la Tesserie lui fit un rapport sur d’importants gisements de fer au fond de la baie du Gouffre. Mais cette mine fut aussitôt abandonnée que découverte. À cette époque, allez donc exploiter une mine en un endroit qui était à peu près inaccessible, même à la fin du siècle dernier !…

— Oui, rétorqua Jos. Dufour, de l’autre côté du pain et en deçà de la viande…

— Dans ses premières lettres à Colbert, l’intendant Talon lui avait parlé des mines que la Compagnie des Indes Occidentales avait fait travailler à Gaspé. Les sieurs Doublet et Vreisnic avaient été envoyés de France aux fins d’exploiter ces mines. Le résultat fut peu brillant. « La mine mina la bourse des mineurs », lit-on dans le journal de Jean Doublet, fils du sieur Doublet qui, âgé de huit ans, avait accompagné son père et rédigea un récit de l’expédition.

— Mais, ma Baie Saint-Paul ?…

— Talon continua de faire des recherches afin de découvrir les ressources minières du pays. M. de la Tesserie avait cru trouver du cuivre et de l’argent dans les gisements de la Baie Saint-Paul. On découvrit l’erreur… Revenant du pays des Outaouais, le Père Allouez apporta à Talon des morceaux de cuivre trouvés sur les bords du lac Huron… Les mines de charbon du Cap Breton furent découvertes et Talon avait envoyé en France des échantillons de ce minérai qui fut trouvé excellent… Vous voyez, ajouta le père Lasnier, que de bonne heure dans la colonie laurentienne, grâce au père de la Nouvelle-France, on découvrait dans le sous-sol québécois, des richesses qu’on ne put malheureusement exploiter à cause de la pénurie des moyens.

— À propos de charbon ou de houille, M. Lasnier, fit remarquer Peter Low, vous n’ignorez pas, sans doute, que Talon a annoncé à Colbert la découverte d’une mine de charbon, au pied de la Côte de la Montagne à Québec ?

— Oui ; en effet, Talon écrivait à Colbert : « Ce charbon chauffe bien la forge. Si la mine se vérifie bonne, j’en pourrai faire tirer du fond pour lester et charger les vaisseaux qui retournent ici en France fort souvent sans aucune charge ; en ce cas, la marine recevra de lui un secours considérable, on pourra même se passer du charbon d’Angleterre. »

La mine de charbon de la Côte de la Montagne provoqua comme un concours d’érudition entre le « père » Lasnier et l’archiviste qui, comme avait fait le « savant », puisant dans son « pack sack » et déployant un papier, renchérit :

« L’année suivante », dit-il, « Talon écrivit à Colbert : « La mine de charbon dont j’ai fait la première ouverture, prenant son origine dans la cave d’un habitant et se conduisant sous le Château Saint-Louis, ne peut à mon sentiment s’exploiter qu’avec risque d’endommager le dict Château qui est sur l’écorre de la roche qui couvre la mine. J’essaierai toutefois de la trouver en baissant parceque nonobstant qu’il y en ait une très bonne au Cap Breton, les vaisseaux qui arrivent à Québec, s’y chargeraient avec plus de facilité qu’ils ne feraient ailleurs ».

— Talon avait la tête dure, fit remarquer Jos. Dufour. Tout de même une mine de charbon en-dessous du Château Frontenac d’aujourd’hui, c’est un peu raide !…

— C’est écrit dans les archives, répondit avec son calme habituel le père Lasnier. Voyez les archives fédérales du Canada, correspondances générales, volume 11, Ferland, page 59… C’est précis, hein, mon garçon et c’est le cas de dire : « Intelligite… erudimini »… Il y a plus…

— Quoi encore ? questionna Jos. Dufour…

— Il y a plus… Mais il est tard et nous sommes fatigués, hein, les vieux ? Si nous allions nous coucher !

— On a tout de même oublié la mine de fer du pays de mes aïeux, dit en se levant avec les autres, le bavard Jos. Dufour.

— Pas plus que celle de Saint-Urbain, mon vieux Dufour… tu vois ce calepin que j’ai dans ma main ? Eh ! bien, demain, à ta première heure de loisir, je te permettrai d’en lire quelques notes, et tu t’instruiras sur les richesses de ton pays ; bonsoir, les amis…

Et le père Lasnier, suivi de tous ses compagnons de l’équipe, entra sous la tente. Une brise légère s’était levée comme pour secouer la nuit. Elle se jouait sur les flots laiteux de la rivière, y traçant par places mille petites rides qui semblaient courir les unes après les autres.

À ce moment, le gros disque de la lune, couleur de citron, emplissait l’espace d’une clarté luisante qui frangeait d’opales les crêtes boisées, vernissait la colline et faisait paraître plus noire la vallée où murmurait la rivière.