Sourires pincés/I/III

Alphonse Lemerre (p. 8-10).


III

ALLER ET RETOUR


Messieurs Lepic fils et mademoiselle Lepic viennent en vacances. Au saut de la diligence, et du plus loin qu’il voit ses parents, Poil-de-Carotte se demande :

— « Est-ce le moment de courir au-devant d’eux ? » —

Il hésite :

— « C’est trop tôt, je m’essoufflerais, et puis il ne faut rien exagérer. » —

Il diffère encore :

— « Je courrai à partir d’ici… non, à partir de là. » —

Il se pose des questions :

— « Quand faudra-t-il ôter ma casquette ? Lequel des deux embrasser le premier ? » —

Mais grand frère Félix et sœur Ernestine l’ont devancé et se partagent les caresses familiales. Quand Poil-de-Carotte arrive, il n’en reste presque plus.

— « Comment, dit Mme  Lepic, tu appelles encore monsieur Lepic papa, à ton âge ? dis-lui : « mon père » et donne-lui une poignée de main : c’est plus viril. » —

Ensuite elle le baise, une fois, au front, « pour ne pas faire de jaloux. »

Poil-de-Carotte est tellement content de se voir en vacances, qu’il en pleure. Et c’est souvent ainsi ; souvent il manifeste de travers.

Le jour de la rentrée (la rentrée est fixée au lundi matin, 2 octobre ; on commencera par la messe du Saint-Esprit), du plus loin qu’elle entend les grelots de la diligence, Mme  Lepic tombe sur ses enfants et les étreint d’une seule brassée. Poil-de-Carotte ne se trouve pas dedans. Il espère patiemment son tour, la main déjà tendue vers les courroies de l’impériale, ses adieux tout prêts, à ce point triste qu’il chantonne malgré lui.

— « Au revoir, ma mère » — dit-il d’un air digne.

— « Tiens, dit Mme  Lepic, pour qui te prends-tu, pierrot ? Il t’en coûterait de m’appeler maman, comme tout le monde ? A-t-on jamais vu ? c’est encore blanc de bec et sale de nez et ça veut faire l’original ! » —

Cependant elle le baise une fois (et de deux !) au front, « pour ne pas faire de jaloux. »