Soulèvement de l’Allemagne après la guerre de Russie/01

SOULÈVEMENT


DE L’ALLEMAGNE


APRÈS LA GUERRE DE RUSSIE





YORK ET STEIN. — LE CABINET DE BERLIN ET LE CABINET DE VIENNE.





I.

Lorsque le 5 décembre 1812 l’empereur Napoléon était parti de Smorgoni pour retourner en France, la grande armée, malgré ses pertes, qui étaient immenses, présentait encore dans ses débris une masse imposante. Il avait expressément ordonné au roi de Naples, auquel il avait laissé le commandement, de s’arrêter quelques jours à Wilna, où il avait réuni des approvisionnemens considérables, d’y rallier les hommes isolés et valides, et de leur donner des vêtemens et des armes ; puis le roi devait repasser le Niémen, s’établir sur la ligne de la Prégel, y attendre le 10e corps, lier ses mouvemens à ceux de Régnier, de Poniatowski et de Schwarzenberg, et s’entendre avec eux pour couvrir efficacement la Vieille-Prusse et le grand-duché de Varsovie. Malheureusement les circonstances douloureuses qui pesaient sur l’armée n’avaient point permis que ces sages instructions fussent exécutées, et, à peine de retour à Paris, l’empereur avait reçu les nouvelles les plus affreuses. Tant qu’il était resté à la tête de ses troupes, sa présence, sa résignation, sa fermeté, avaient soutenu tous les courages. Lorsqu’on sut qu’il avait quitté l’armée, il y eut un affaissement universel. Par une fatalité cruelle, les élémens conspirèrent avec son départ pour hâter la dissolution commencée. Le froid s’éleva tout à coup jusqu’à 30 degrés, et la division Loyson, envoyée pour recueillir les débris de l’armée, n’apparut que pour devenir elle-même la proie du fléau ; en quelques jours, elle fut moissonnée presque tout entière. La garde, qui jusque-là était restée un corps organisé, fut emportée à son tour ; tous les liens de la discipline se rompirent ; bientôt ce que l’on appelait encore la grande armée ne fut plus qu’une masse confuse de malades, d’éclopés et de traînards, qui, sur une ligne de plusieurs lieues, se précipitèrent sur Wilna, et de là regagnèrent Kowno et le Niémen.

Le 15 décembre au soir, le roi de Naples et les maréchaux arrivèrent à Virballen, s’y arrêtèrent toute la journée du 16, et firent le dénombrement de leur petite troupe. Il ne leur restait plus que 2,500 hommes, 5 ou 600 chevaux et neuf pièces de canon ; les hommes étaient dans l’état le plus déplorable ; la plupart avaient les phalanges des pieds et des mains gelées ; ils étaient hors d’état de rendre aucun service. On alla coucher le 17 à Gumbinen, et les chefs s’occupèrent aussitôt de rallier les débris de leurs corps. Le nombre des éclopés, des malades, des isolés, qui avaient repassé le Niémen, était incalculable ; c’était en quelque sorte une armée tout entière qui semblait rompue plutôt qu’anéantie, et qu’il s’agissait de retrouver. Combien de toute cette foule en restait-il qui fussent encore en état de servir ? Il était impossible de le dire ; il s’agissait pour le moment de rallier ces hommes, de grouper ceux qui étaient valides encore, de les reformer en bataillons, et, ce qui était plus difficile, de leur rendre l’énergie guerrière et le sentiment de la discipline. L’instinct de leur conservation les avait poussés tous dans les places de la Vieille-Prusse. Les maréchaux et les généraux de division reçurent l’ordre de s’y rendre, d’envoyer partout à la recherche de leurs soldats, et de préparer dans ces places les magasins, approvisionnemens de toute espèce et ambulances nécessaires pour assurer la réorganisation de leurs corps respectifs.


Le désastre était accompli ; la grande armée, cette armée qui avait été la gloire de la France et la terreur du monde, n’existait plus. Un climat meurtrier, bien plus que le fer de l’ennemi, venait de moissonner du même coup toute une génération de guerriers ; c’était un malheur incomparable. La plupart de ces hommes que pleurait la France n’étaient pas seulement des soldats intrépides : vieillis dans les camps, ils avaient acquis en cent combats le sentiment et l’intelligence de la guerre. Tout le génie de Napoléon, tout le patriotisme des citoyens étaient impuissans à réparer de telles pertes. Il n’était pas possible de nous le dissimuler, notre puissance militaire était atteinte et ébranlée dans ses bases. Le prestige de nos armées, jusque-là invincibles, était détruit.

Cependant notre situation, à ne la juger qu’au point de vue exclusivement militaire, était loin d’être désespérée. Le froid n’avait pas plus épargné les Russes que les Français ; l’armée de Kutusof, abîmée, n’était plus elle-même qu’un insignifiant débris, et, pendant quelque temps du moins, la guerre active resterait suspendue. Pour contenir Kutusof, nous avions le 10e corps, qui était de 24,000 hommes, le corps auxiliaire autrichien, qui en comptait 27,000, les Polonais de Poniatowski et les Saxons de Régnier, au nombre de 15,000, les 15,000 hommes du général Heudelet, déjà réunis en partie à Kœnigsberg, enfin une très belle division que le général Grenier amenait d’Italie, et dont l’effectif n’était pas de moins de 21,000 hommes. Toutes ces forces, jointes aux débris de la grande armée, s’élevaient dans leur ensemble à 120,000 hommes environ ; c’était plus qu’il n’en fallait, si elles restaient toutes fidèles, pour couvrir la Prusse et le grand-duché de Varsovie, et laisser à l’empereur Napoléon le temps de créer une nouvelle armée. La question capitale en ce moment n’était point militaire ; elle était toute politique. Il s’agissait de savoir quelle attitude, en présence du grand désastre qui venait de frapper nos armes, allaient prendre nos alliés, la Prusse et l’Autriche. Soudainement émancipées par l’affaiblissement de notre puissance, l’une et l’autre ne seraient-elles pas tentées de rompre des liens qui n’avaient eu d’autre ciment que leurs défaites et nos victoires ? Là étaient le nœud de la situation et nos vrais dangers. Aussi l’attention de l’empereur Napoléon était-elle incessamment fixée sur Vienne et sur Berlin. Il était obligé de reconnaître que ces cours, qu’il avait si profondément humiliées, allaient se trouver par la force des choses les arbitres de l’Europe. Attentif à leurs moindres mouvemens, il s’efforçait de démêler dans les actes de leurs souverains, dans l’attitude et les paroles de leurs ministres, les indices de leurs secrètes pensées et de leur conduite future.

Les premières nouvelles de nos désastres se répandirent dans les états prussiens au commencement de novembre. D’abord elles n’y trouvèrent aucune créance : les populations ne purent croire que cette armée, qu’elles avaient vue naguère passer au milieu d’elles si nombreuse et si magnifique, fût presque entièrement anéantie. Bientôt cependant les habitans des provinces prussiennes du nord virent s’acheminer successivement la longue file de nos blessés et de nos malades ; alors il ne resta plus de doutes à personne, et ce spectacle, déchirant pour des yeux français, fit tressaillir de joie et d’espérance les peuples ulcérés de la Prusse.

Au milieu des manifestations peu déguisées du sentiment public, le roi demeura impassible. Pas un mot, pas un geste, pas un seul mouvement de sa physionomie ne trahirent ses secrètes pensées. Il continua de se montrer calme, confiant dans la fortune de son allié et dévoué à sa politique. Napoléon mit tout aussitôt sa fidélité à l’épreuve. La Prusse avait plusieurs belles divisions disponibles. Napoléon écrivit directement de Wilna (4 novembre) au roi, pour lui demander de remplacer deux régimens de cavalerie du corps d’York, qu’avaient perdu une partie de leur effectif, par deux régimens frais ; il émit en outre le vœu que la force du contingent pût être augmentée de 1,000 cavaliers et de 6,000 hommes d’infanterie. Frédéric-Guillaume accorda les deux régimens de cavalerie, mais refusa les 1,000 cavaliers et les 6,000 hommes d’infanterie. Il allégua l’impossibilité dans laquelle il était de faire de nouveaux sacrifices. « Toutes nos ressources sont épuisées, dit M. de Hardenberg au comte de Saint-Marsan, et nous ne pouvons plus concourir par aucun effort extraordinaire à la cause commune. » Les misères de la Prusse étaient effectivement à leur comble ; elles avaient atteint ce degré suprême qui ne laisse plus intacte ni debout aucune fortune, et où les souffrances privées viennent se confondre avec celles de l’état. La grande armée, dans son passage à travers le Brandebourg et la Vieille-Prusse, avait dévoré les dernières ressources de ces contrées sablonneuses et pauvres. La ruine était partout, dans les châteaux comme dans les chaumières, et le trésor public n’avait plus les moyens de subvenir aux dépenses les plus indispensables. Toutefois cette détresse financière n’était point un obstacle à la réalisation du désir de l’empereur. Les 7,000 hommes demandés étaient armés, équipés et rassemblés, et il ne s’agissait que de les diriger sur le Niémen ; aussi Napoléon insista. Le 14 décembre, il écrivit de Dresde au roi que, dans les circonstances présentes, il importait absolument que le contingent prussien constituât à lui seul un corps d’armée et pût être porté à un effectif de 30,000 hommes. « En demandant à votre majesté d’augmenter ses troupes, disait l’empereur, je vous prouve combien j’ai de confiance dans le système qu’elle a embrassé. » La lettre se terminait par des témoignages expressifs de félicitations pour le courage et la discipline qu’avaient montrés les troupes prussiennes pendant toute la campagne.

Cette lettre, remise au roi le 16 décembre, modifia ses premières décisions. Le lendemain 17, il reçut M. de Saint-Marsan et lui dit que la lettre de l’empereur l’avait extrêmement touché, qu’il était très sensible aux témoignages de confiance pour sa personne et de haute estime pour ses troupes dont elle était remplie, et il promit de faire ce que désirait l’empereur, autant toutefois, ajouta-t-il, que le lui permettrait la situation gênée de ses finances. Il insinua timidement que la France, ayant des garnisons nombreuses dans les places de l’Oder, devrait les en retirer, et que la Prusse se chargerait de les remplacer, ce qu’elle pourrait faire sans de trop grandes dépenses ; mais l’intention était trop claire pour n’être pas devinée, et d’une portée trop dangereuse pour être accueillie : elle ne fut pas même relevée, et nous continuâmes à occuper les forteresses de l’Oder. Du reste, le roi tint parole, et, par ses ordres, 5 ou 6,000 hommes d’infanterie furent réunis à Graudentz, sous les ordres du général Bulow, pour être de là dirigés sur le Niémen et rejoindre le corps du général York.

Le soin de convaincre l’empereur que les sentimens du roi n’étaient point changés fut laissé à M. de Hardenberg, qui s’en acquitta avec une vivacité de langage pleine de sympathie. « L’alliance française, disait-il, n’était pas seulement une garantie de sécurité et d’existence pour la monarchie ; elle seule pouvait l’aider à recouvrer dans les affaires du monde une position que ses malheurs et ses fautes lui avaient fait perdre. Qu’il nous soit permis d’espérer qu’à la paix générale l’empereur Napoléon donnera à la Prusse une grande existence politique. » Un jour, plus chaleureux encore que de coutume, il dit à notre envoyé : « Dans le cas où l’empereur Napoléon reconnaîtrait l’impossibilité de reconstruire en état indépendant l’ancienne Pologne, il pourrait peut-être concevoir le dessein de faire le roi de Prusse roi de Pologne. Les côtes et les territoires de la Prusse et de la Pologne présenteraient ainsi une masse compacte qui deviendrait une barrière formidable contre les envahissemens de la puissance russe. »

Ainsi, du côté de la Prusse, Napoléon avait lieu d’être satisfait, et il devait être complètement rassuré ; la parole de Frédéric-Guillaume lui répondait de la fidélité de ce prince à l’alliance qui l’unissait à notre politique.

La nouvelle de nos désastres produisit sur les peuples de l’Autriche la même impression que sur ceux de la Prusse. Pour les uns comme pour les autres, l’empereur Napoléon n’était pas un allié, mais un maître ; tous se réjouirent de ses malheurs, parce qu’ils y virent le prélude du prochain affranchissement de l’Allemagne. Le premier mouvement de l’opinion à Vienne fut de briser une alliance abhorrée. Les plus hauts personnages de la cour représentèrent à l’empereur François que l’occasion était belle pour recouvrer les provinces perdues dans les dernières guerres, que les Russes s’avançaient non en ennemis, mais en libérateurs, que la France, lasse elle-même de sacrifier ses trésors et son sang aux fantaisies d’un conquérant ambitieux, ne demandait qu’à rentrer sous les lois de ses maîtres légitimes, qu’il fallait donc, sans perdre un moment, mettre les troupes sur le pied de guerre, appeler aux armes tous les peuples allemands et marcher sur le Rhin.

Lord Walpole parut bientôt à Vienne, se concerta avec les chefs du parti russe, et fit savoir à l’empereur que, s’il consentait à séparer sa cause de celle de la France, l’Angleterre lui garantirait la restitution des provinces illyriennes, de la Vénétie, de la Lombardie et du Tyrol. L’impératrice fut des plus ardentes à pousser l’empereur dans ces voies extrêmes. C’était une princesse d’un esprit exalté, mais peu judicieux, et qui avait la vanité de jouer à Vienne le rôle que la belle reine Louise de Prusse avait rempli autrefois à Berlin. Elle avait les passions politiques de cette princesse, sans avoir la grâce ni les charmes qui nous l’avaient rendue autrefois si dangereuse. Le mariage de l’archiduchesse Marie-Louise avec l’empereur des Français avait développé dans son cœur des sentimens d’envie qu’elle s’efforçait vainement de masquer sous les apparences d’une tendre pitié pour le sort de la jeune impératrice, et son salon était devenu le rendez-vous de tout ce que la cour, l’armée et la haute noblesse comptaient d’adversaires passionnés de la France. Elle ne pouvait pardonner à M. de Metternich d’avoir fait le mariage et l’alliance, et elle s’en vengeait par des sarcasmes. Heureusement elle n’exerçait aucun crédit sur l’esprit de l’empereur François, qu’elle troublait et fatiguait, et qui sut résister à ses téméraires conseils aussi bien qu’aux séductions de lord Walpole. Ce souverain et M. de Metternich connaissaient les ressources infinies de la France, le génie de son chef, et ils ne croyaient pas qu’il fût aussi facile de les abattre que se plaisaient à le dire les courtisans. Sans doute la France avait perdu une armée admirable, mais ce n’était point le fer de ses ennemis qui l’avait détruite ; c’étaient les rigueurs d’un climat terrible, et le fléau n’avait épargné personne. Des deux côtés il y avait égalité de misères et de ruines, une même fermeté d’âme en présence d’aussi grands maux, une même activité pour les réparer. Avant peu de mois, de nouvelles armées allaient se retrouver en présence et se disputer encore une fois la suprématie du continent. Les malheurs de la France avaient pris d’ailleurs l’Autriche au dépourvu. Comme elle n’avait point fait entrer une telle catastrophe dans ses prévisions, elle ne s’était point mise en mesure d’en tirer parti, et, dans l’hypothèse d’une rupture avec nous, il lui fallait plusieurs mois pour s’y préparer. Elle avait donc toute sorte de raisons pour nous ménager en ce moment. Toutefois elle avait un intérêt trop évident à notre affaiblissement pour n’avoir pas ressenti du désastre qui venait de nous frapper une secrète joie. Avant l’expédition de Russie, la main de Napoléon pesait sur l’Autriche comme sur toute l’Allemagne. Aujourd’hui le cabinet de Vienne entrevoyait le moment où, avec le sentiment de sa liberté, il retrouverait le pouvoir d’en user. Il est vraisemblable que, sur deux points au moins, sa résolution était arrêtée irrévocablement. Le premier était de se soustraire insensiblement aux obligations de l’alliance contractée en 1812 et de proposer aux puissances belligérantes son intervention officieuse et amicale pour les rapprocher et les pacifier, sauf plus tard, lorsqu’elle aurait porté ses armées à l’effectif de guerre, à intervenir hautement comme médiatrice armée. Le second point était de profiter de l’occasion pour se faire restituer d’une manière ou d’une autre, par la France, les province perdues en 1809.

L’empereur Napoléon nourrissait de tout autres pensées. Il désirait élargir le cadre de l’alliance contractée avec l’Autriche en 1812, substituer à l’alliance restreinte une entente intime et cordiale, et la consacrer en obtenant qu’elle coopérât aux efforts de la campagne prochaine, non plus seulement avec 30,000 hommes prêtés et se battant à regret ou ne se battant pas du tout, mais avec 60,000 résolus et dévoués. Il ne pouvait se dissimuler qu’il n’obtiendrait une coopération aussi précieuse qu’au prix de grands sacrifices : il était tout disposé à les faire ; mais la prudence comme la dignité lui commandaient d’attendre, pour préciser la nature et l’étendue de ces sacrifices, que la cour de Vienne lui eût fait connaître si elle était décidée à resserrer les nœuds de son alliance avec lui. Procéder autrement, c’eût été lui livrer prématurément un secret dont elle n’eût pas manqué d’abuser plus tard pour nous rançonner davantage. Avec un cabinet aussi froid et aussi calculé que celui de Vienne, il fallait une réserve extrême et ne nous découvrir qu’au dernier moment.

À son passage à Dresde, le 15 novembre. Napoléon avait adressé à l’empereur d’Autriche une lettre autographe pour lui annoncer son retour en France, et lui demander que le contingent autrichien pût être porté de 30,000 à 60,000 hommes. Il l’avait prié également de lui envoyer un négociateur en l’absence du prince de Schwarzenberg, retenu à l’armée. De retour à Paris, il renouvela ses instances sous les formes les plus pressantes[1]. L’Autriche refusa de nous suivre dans la voie où nous nous efforcions de l’attirer ; elle répondit en nous offrant son intervention officieuse pour nous réconcilier avec nos ennemis. Jamais la parole de M. de Metternich n’avait été plus douce, plus pénétrante. Il protesta du désintéressement de sa cour. « Son unique préoccupation, dit-il au comte Otto, notre ambassadeur, était d’utiliser au profit de la paix sa fidélité à la politique française. La France devait être impatiente d’arriver à la paix, et l’Autriche était la seule puissance qui fût en mesure de lui en assurer le bienfait. L’empereur Napoléon pouvait-il espérer de trouver un défenseur plus dévoué, plus chaleureux de ses intérêts que l’empereur François ? Si la Russie et l’Angleterre étaient assez aveugles pour repousser ses propositions, alors l’Autriche n’hésiterait pas, et elle embrasserait hautement la cause de la France. »

Le 3 janvier 1813, M. de Metternich fut plus pressant encore. « Parlez-nous franchement, dit-il ; faites-nous connaître ce que vous voulez faire, et mettez-nous en mesure d’agir avec vous comme un bon allié, et envers les autres comme une puissance indépendante. Croyez que nous sommes pénétrés du sens de l’alliance et que nous pouvons vous rendre des services essentiels. » Puis il témoigne les plus vives alarmes des projets conçus par la Russie sur le grand-duché de Varsovie. Il confie à M. Otto que le tsar médite de réunir sous son sceptre toutes les parties de l’ancienne Pologne et d’en faire un royaume distinct dont il serait le roi. Désespérant en effet de relever leur patrie, la plupart des grandes familles polonaises, les Ojinski, les Sapieha, les Lubomirski, poussaient de toutes leurs forces au succès de ce hardi dessein. « Les Polonais, disait M. de Metternich, se laissent prendre à cette amorce ; ils sourient à la perspective du rétablissement de leur ancienne patrie sous les lois de l’empereur Alexandre. La Galicie n’a rien à redouter des Polonais seuls, ni même des Polonais soutenus par les Français ; mais il n’en serait pas de même s’ils l’étaient par la Russie. »

Le ministre autrichien ne parlait du chef illustre de la France qu’avec respect et attendrissement ; il s’alarmait des périls qui menaçaient incessamment une vie si précieuse. « S’il entrait dans les convenances de la France, disait-il, de rester pendant un an sur la Vistule, jamais les Russes ne pourraient franchir cette barrière ; mais c’est l’Allemagne, c’est la Prusse, c’est l’Autriche surtout qui souffrent cruellement d’un tel état de choses. Je ne doute pas que vous ne recommenciez la campagne prochaine d’une manière brillante ; mais en définitive à quel résultat vous mènera-t-elle ? Le peuple russe deviendra plus fanatique encore, plus remuant et plus opiniâtre ; il apprendra de vous à faire la guerre, et il profitera de vos leçons pour tomber tôt ou tard sur l’Europe et l’asservir. » Afin de nous amener à ce qu’il désirait, M. de Metternich n’employait pas seulement des paroles caressantes ; parfois il lui échappait des mots qui étaient presque des menaces. Il se complaisait à énumérer les forces militaires de l’Autriche ; il montrait tous les peuples germaniques soumis encore à l’autorité de la maison de Hapsbourg. « Le jour, disait-il, où l’Autriche serait forcée de lever son drapeau contre la France, cinquante millions d’hommes se rangeraient de son côté. »

Afin de remplacer provisoirement le prince de Schwarzenberg, l’empereur François envoya à Paris le comte de Bubna ; mais il lui donna pour instructions de ne prendre aucun engagement, de se borner à prêcher la paix et de tâcher de démêler à quelles conditions l’empereur Napoléon serait disposé à la conclure. Ce n’était point la médiation, c’était la coopération militaire de l’Autriche, sa coopération active et loyale, que Napoléon désirait obtenir. Le refus de cette puissance lui causa un très vif dépit, mais il sut le dissimuler. Elle se montrait du reste si confiante dans notre force, si alarmée des desseins de la Russie, si désintéressée elle-même, il y avait tant de danger à lui montrer de la défiance, et, pour peu qu’elle voulût bien y mettre de la bonne foi, elle pouvait, à la faveur de son intervention officieuse, nous rendre de si grands services, qu’il n’hésita pas à accueillir ses offres. Le duc de Bassano écrivit le 7 janvier au comte Otto : « Préalablement il doit être bien entendu que, dans le cas où les dispositions de l’empereur Alexandre rendraient cette démarche inutile, l’Autriche prend dès aujourd’hui l’engagement d’agir avec vigueur et de porter la force du corps auxiliaire de 30,000 à 60,000 hommes. Sa majesté fournirait les sommes nécessaires pour la couvrir de l’augmentation de dépenses qui en résulterait pour elle. » Le duc de Bassano pose ensuite deux hypothèses. La première est celle où la Russie aurait contracté avec le cabinet anglais des engagemens qui ne lui permettraient pas de traiter de la paix séparément. « Dans ce cas, dit-il, voici nos conditions. Il y a un point duquel la France ne se départira pas et qui doit être tenu pour invariable, c’est qu’aucun des territoires réunis par des sénatus-consultes ne saurait être séparé de l’empire. Une telle séparation serait considérée comme une dissolution de l’empire même : il faudrait, pour l’obtenir, que 500,000 hommes environnassent la capitale et fussent campés sur les hauteurs de Montmartre. Hambourg, Munster, Oldenbourg, Rome, sont unis à l’empire par des liens constitutionnels, ils y sont unis à jamais ; mais les provinces illyriennes, la Dalmatie, Corfou, non plus qu’une partie de l’Espagne, ne sont point réunis constitutionnellement à l’empire. Sa majesté pourrait donc considérer les provinces illyriennes comme des objets de compensation pour des restitutions que ferait le gouvernement anglais. »

Ainsi la restitution des provinces illyriennes était promise à l’Autriche comme le prix de ses loyaux efforts pour rétablir la paix générale. Restait la seconde hypothèse, celle où la Russie, ayant conservé sa liberté d’action, se prêterait à la négociation d’une paix séparée. Le ministre français déclare que, comme cette puissance a eu des succès dus, non à elle, mais à la rigueur du climat, l’empereur, ne consultant que son amour pour la paix, consentira à affranchir la Russie des obligations du traité de Tilsitt, et lui laissera l’intégrité de ses possessions polonaises ; « mais, ajoute le duc de Bassano, si ces conditions ne lui suffisaient pas, si elle voulait faire des conquêtes, s’agrandir aux dépens, soit de l’Autriche, soit de la Prusse, soit du duché de Varsovie ou de la Turquie, l’Autriche serait la première intéressée à ce que cela n’arrivât pas. La France ne le saurait souffrir. La paix serait impossible. » Du reste, l’empereur n’entendait aucunement figurer dans la négociation qui allait s’ouvrir ; c’était la cour de Vienne qui en avait pris l’initiative : c’était à elle de la diriger et de la conduire à bien.

M. de Metternich parut très satisfait des conditions préliminaires proposées par la France ; il n’hésita pas à les qualifier de très généreuses. Il annonça que le comte de Lebzeltern et le baron de Wessenberg allaient se rendre prochainement, le premier à Wilna, le second à Londres, afin d’offrir à l’empereur Alexandre et au gouvernement anglais l’intervention officieuse de l’Autriche. M. de Wessenberg signifierait au cabinet britannique que, s’il refusait de prendre part aux négociations, les intérêts anglais seraient considérés comme séparés de ceux du continent, et que l’Autriche ne songerait plus qu’à négocier une paix continentale.

Dans le moment où ces communications d’un caractère si pacifique s’échangeaient à Vienne, un envoyé russe, M. de Stackelberg, s’y présentait au nom de l’empereur Alexandre, et il avait déjà eu plusieurs entretiens avec M. de Metternich. Selon ce ministre, l’envoyé russe aurait, dans la première conférence, tenu un langage si fier, il aurait fait une peinture tellement exagérée des succès militaires du tsar, annoncé d’un air si superbe la résolution de son maître de travailler à délivrer l’Allemagne de l’oppression commune, que M. de Metternich avait été obligé de l’arrêter en lui déclarant qu’il s’abusait beaucoup s’il prêtait au cabinet impérial d’autres vues que celle de rétablir la paix, que l’empereur son maître était invariablement décidé à rester l’allié de la France, et que le recouvrement de ses anciennes provinces serait à ses yeux trop chèrement acheté au prix d’une seule campagne. « Nous ne nous plaignons pas, aurait déclaré M. de Metternich, et nous ne reconnaissons à aucun cabinet le droit de ressentir nos malheurs plus que nous-mêmes. » Il aurait ajouté que la France avait fait des propositions qui avaient reçu l’approbation de sa cour. Cette déclaration aurait vivement impressionné M. de Stackelberg, qui se serait empressé de répondre que l’intention de la Russie était bien de négocier, mais que vraisemblablement elle n’arrêterait aucune détermination avant de s’être entendue avec son alliée la Grande-Bretagne. « La démarche que vient de faire la Russie est un grand pas, dit M. de Metternich au comte Otto ; comptez sur nous : nous ne lâcherons rien, absolument rien, car nous y sommes pour le moins aussi intéressés que vous. »

Ce langage ouvert et sympathique avait complètement fasciné M. Otto. Déjà, avant ces dernières ouvertures, le 28 décembre, il écrivait : « Au milieu de l’effervescence générale des esprits contre la France, l’empereur est inébranlable. Il répugne à sa loyauté et à son cœur paternel de prêter l’oreille aux suggestions de nos ennemis. Il est mal entouré ; on aiguillonne son orgueil de prince autrichien. Au fond, l’empereur ne cherche que le repos ; il est disposé à tout faire pour l’obtenir. Après les intérêts de ses propres états, il n’a rien tant à cœur que de voir se consolider le gouvernement français et sa nouvelle dynastie. Il craint que des distractions constantes et des guerres toujours incessantes ne laissent pas à l’empereur le temps d’achever son ouvrage. Il craint pour sa fille, pour son petit-fils, qu’il affectionne beaucoup ; ses inquiétudes ont altéré sa santé. » Le 21 janvier, notre ambassadeur écrivait encore : « J’ai trouvé parfaitement franche et conséquente la politique du cabinet de Vienne, Il a proposé son entremise au moment où il a appris que sa majesté quittait Moscou. Les grands désastres survenus depuis n’ont point changé ses dispositions. Il nous a tenu constamment le même langage. » l’empereur d’Autriche se trouvant un jour chez la comtesse Duboucquoi, cette dame parla de la possibilité de recouvrer les provinces perdues. L’empereur l’interrompit par ces mots : « Mon règne a été très agité, mes peuples sont fatigués de même que moi ; je ne cherche que le repos et les moyens de consolider la monarchie. Je désire avant tout que mes peuples soient heureux, et que je puisse mourir en paix. »

Il est incontestable que tout dans l’attitude de l’Autriche, ses actes, son langage et jusqu’à la physionomie de son principal ministre, attestait l’intention de rester en paix avec la France. Elle brûlait certainement de recouvrer les provinces perdues en 1809, en attendant qu’elle pût recouvrer celles perdues en 1806 ; mais son désir très sincère était d’arriver à ce grand but par la pacification générale ou continentale, lorsque la défection du général York changea toute la face des choses, déchaîna à Vienne comme partout les haines de nos ennemis, et poussa violemment cette cour hors des voies où elle eût désiré s’engager.

La défection du général York n’a été ni soudaine, ni imprévue. Elle a été, au contraire, le résultat de tout un ensemble de circonstances qu’il est indispensable de connaître, si l’on veut en apprécier sainement le véritable caractère.

York appartenait à cette noblesse de province pauvre, mais fière et vouée par tradition à la profession des armes. L’éducation n’avait fait que développer chez lui l’aptitude naturelle. C’était un militaire d’une grande distinction. Après la bataille d’Iéna, il commandait l’arrière-garde de l’armée royale qui se replia sur Lübeck, et, dans cette périlleuse retraite, il déploya un sang-froid et une fermeté qui le signalèrent à l’estime du roi. Après la paix, Frédéric-Guillaume le nomma général-major, et le chargea de réorganiser les débris de ses corps rassemblés autour de Memel. À l’occasion de ces nouvelles fonctions, il l’appela souvent près de sa personne, et peu après l’admit fort avant dans sa confiance et dans celle de la reine. York, touché de leur bonté et de leur infortune, sentit redoubler dans son cœur l’attachement qu’il leur portait. Jusqu’en 1812, il ne cessa d’exercer des commandemens militaires d’une grande importance sur les frontières du nord, et, dans cette période d’angoisses qui précéda la grande expédition, il fut initié aux secrets les plus intimes de la politique du roi, investi des pouvoirs les plus étendus, autorisé en certains cas, dont il restait seul juge, à prendre des résolutions qui tranchaient la question de la paix et de la guerre avec la France.

Lorsque le roi eut signé le traité du 24 février 1812, il informa le général York que son corps allait devenir une division auxiliaire du 10e corps de la grande armée, commandé par le duc de Tarente, et qu’il était placé sous les ordres immédiats du général de Grawert, vieux militaire plein de courage et d’honneur qui avait subi le prestige du génie de Napoléon, et qui avait dû à ses opinions, dont il ne faisait point mystère, d’être désigné par le cabinet français au choix du gouvernement prussien. Le général York n’allait plus avoir qu’un rang subalterne au milieu de ces troupes qu’il avait exercées et disciplinées depuis plusieurs années avec une sorte d’amour, dans l’intention certainement d’en faire les instrumens futurs de la délivrance de son pays. Le roi, en lui commandant la soumission, lui avait fait comprendre qu’il attendait de lui cette nouvelle preuve de dévouement. York se résigna, mais il ne resta pas longtemps au second rang dans ce corps d’armée qui était le sien en quelque sorte. Le général de Grawert fut atteint d’une maladie si grave, qu’il fut obligé, le 28 juillet, de remettre provisoirement son commandement entre les mains du général York, et le roi s’empressa de sanctionner un changement qui était selon ses vœux. York ne possédait pas seulement sa confiance ; il avait l’habitude des situations violentes qui exigent de l’initiative, assez de pénétration pour deviner ce qui ne pouvait s’écrire, assez de hardiesse pour oser ce qui ne pouvait se commander, et toutefois beaucoup de prudence, de circonspection, et un dévouement à toute épreuve. Il n’était pas jusqu’aux aspérités de son caractère, à son humeur hautaine, à la sécheresse de ses manières, qui dans les circonstances actuelles ne dussent concourir au succès de la mission dont il était chargé.

Après un combat livré le 19 juillet, sur les rives de l’Aa, et dans lequel les Prussiens avaient montré un élan remarquable, le duc de Tarente avait autorisé le général de Grawert à discuter et à régler avec le général Essen, gouverneur de Riga, les conditions d’un échange de prisonniers. York, sans y attacher aucune arrière-pensée, crut pouvoir continuer ces négociations, et il eut, à cet effet, une entrevue avec le général Essen, qui profita de l’occasion pour lui faire de secrètes ouvertures de la nature la plus compromettante. C’est à cette même époque qu’un Français, qui avait suivi la fortune de Moreau, et qui venait de prendre du service en Russie, le colonel Rapatel, évoquait l’amitié qui unissait autrefois Macdonald et le général exilé, et tentait d’ébranler la fidélité du premier.

Le général York avait repoussé avec indignation les offres d’Essen, rompu toutes négociations avec lui, et en avait aussitôt informé le roi. Ce souverain était en ce moment aux eaux de Tœplitz. Il répondit, le 12 septembre, au général qu’il partageait sa manière de voir quant à la nature compromettante des ouvertures qui lui avaient été faites, mais que néanmoins il lui paraissait désirable qu’il renouât la négociation commencée. Le chancelier d’état baron de Hardenberg écrivit le lendemain 15 au général : « L’exécution de l’ordre du roi exige la plus grande prudence. Pour éviter toute fausse interprétation, votre excellence trouvera sans doute dans son expérience éprouvée les meilleurs moyens à choisir. »

Ces lettres, où les secrètes et timides tendances du roi se trahissaient à peine sous les voiles d’une phraséologie énigmatique, eussent été pour tout autre inexplicables : mais habitué à lire dans les replis de l’âme troublée et irrésolue de son souverain, York y démêla les nouveaux indices de cette mobilité qui poussait incessamment ce prince à ménager tous les intérêts, à caresser toutes les chances, à épier, sauf à n’avoir point le courage d’en profiter, toutes les occasions de sortir de la douloureuse situation où l’avaient placé ses fautes et ses malheurs. Il devina qu’on attendait de son dévouement d’autres preuves que de seconder vigoureusement les entreprises du duc de Tarente, et que sa mission commençait à devenir plus politique que militaire.

La garnison de Riga ayant reçu de puissans renforts, le général Essen entreprit, du 27 septembre au 1er octobre, une série d’opérations qui furent toutes malheureuses, et dans lesquelles il perdit environ 10,000 hommes, dont 6,000 tués et blessés et 4,000 prisonniers. Les Prussiens, conduits par York en personne, montrèrent dans ces diverses affaires autant d’intrépidité que d’intelligence. Macdonald, empressé à saisir toutes les occasions de gagner la confiance du général York, rendit un éclatant hommage à sa belle conduite et à celle de ses troupes ; mais York, indifférent à ces flatteuses avances, n’y répondait qu’avec une politesse froide et dédaigneuse. En vain Macdonald s’efforçait-il de l’attirer dans son cercle intime ; le taciturne général s’en tenait obstinément écarté et ne semblait occupé qu’à empêcher tout contact étranger d’altérer dans son unité nationale le corps placé sous ses ordres.

Cependant l’hiver approchait. L’on reçut à Riga, au commencement de novembre, les premières nouvelles de notre retraite de Moscou. Le 4, le gouverneur de Riga en donna secrètement connaissance au général York et les fit répandre dans le camp prussien ; il écrivit au général : « Arrêtez Macdonald, donnez à vos compatriotes l’exemple d’une résolution courageuse. Vous avez tout à gagner, rien à perdre ; montrez cette lettre au roi. » York transmit immédiatement ces faits à Potsdam par l’intermédiaire d’un jeune officier que sa naissance rattachait à la famille royale, le comte de Brandebourg.

Le gouvernement russe était mécontent des échecs militaires qu’avait essuyés le général Essen, plus mécontent encore du peu de tact qu’il avait montré dans la négociation secrète avec York : il le remplaça par un Italien doué d’une certaine dextérité et surtout de beaucoup de faconde, le marquis de Paulucci. La mission confiée au nouveau général, comme à Essen, était de combattre le duc de Tarente à la fois par les armes et par les manœuvres déloyales de l’embauchage et de la défection. Le 14 novembre, quatre jours après son arrivée à Riga, Paulucci écrivit à York pour l’exciter à jouer le rôle de La Romana : « Les bulletins ci-joints, lui disait-il, vous montreront la situation désespérée dans laquelle se trouve l’ennemi implacable de votre pays, le second Attila qui a renouvelé de nos jours toutes les horreurs du temps des Huns et des Vandales. Les circonstances mettent la Prusse en état de devenir le juge suprême du sort de l’Europe, et elles vous appellent vous-même à être le libérateur de votre patrie. »

L’honneur militaire commandait au général York de laisser sans réponse un pareil message ; il répondit cependant : « Je prie votre excellence d’être bien convaincue que je ne connais et ne connaîtrai jamais d’autre intérêt que celui de mon roi et de ma patrie ; mais permettez-moi de vous faire remarquer qu’un homme mûri par l’expérience ne voudra jamais compromettre ces intérêts sacrés par une action émancipée ou prématurée. L’exemple de La Romana ne m’est point applicable. »

Le général comte de Wittgenstein vint joindre ses efforts à ceux de Paulucci. Il écrivit à York : « Je vous offre la coopération de mon corps d’armée pour aider à l’anéantissement de ces forces oppressives qui ont réduit la Prusse à prendre part aux entreprises insensées de Napoléon. J’ai avec moi 50,000 hommes de braves troupes qui la plupart ont déjà combattu pour la cause de la Prusse sur les champs de bataille de Pulstuck, d’Eylau, d’Eilsberg et de Friedland. »

En même temps que les généraux russes ourdissaient cette trame, le général Steigel recevait l’ordre de prendre, de concert avec Wittgenstein et Paulucci, une offensive hardie, de se jeter sur les cantonnemens disséminés du 10e corps et de le refouler sur Tilsitt. Cette attitude menaçante de l’ennemi et la nouvelle de l’arrivée de la grande armée sur Smolensk déterminèrent Macdonald à se concentrer autour de Stalgen. En conséquence, il rappela la division Grandjean, qu’il avait dirigée vers Plosk afin de dégager Gouvion Saint-Cyr, et attendit de pied ferme dans ses cantonnemens les des Russes. De son côté, le marquis de Paulucci rassembla ses forces et sortit de Riga. N’éprouvant qu’une faible résistance, il devint plus entreprenant. L’intention du maréchal Macdonald était de l’attirer loin de la place, de l’engager insensiblement, puis de fondre sur lui, de le couper de Riga et de l’écraser. L’ennemi tomba dans le piège, perdit six de ses bataillons, tandis que de notre côté les pertes furent insignifiantes. Dans cette série de combats qui ne durèrent pas moins de six jours et par un froid très rigoureux, toutes les troupes qui faisaient partie du contingent rivalisèrent de valeur et d’intelligence. Ce fut la dernière fois que Prussiens et Français mêlèrent sur le même champ de bataille leur sang et leurs trophées.

Enflammée par les récits de nos désastres et les excitations des généraux russes, la haine profonde que nous portait York commençait à se manifester en toutes occasions. Irascible et insoumis, il contrariait tous les plans de Macdonald. Sur les champs de bataille, il n’était plus le même homme : on eût dit qu’il s’appliquait à refroidir l’ardeur de ses troupes en refusant la victoire lorsqu’elle s’offrait à lui. Sa correspondance avec le maréchal ne tarissait point en récriminations. Un jour il se plaignait des positions périlleuses assignées à ses troupes ; un autre, qu’elles manquaient de tout, que ses chevaux mouraient de faim, et il demandait, dans une forme impérieuse, de nouveaux cantonnemens. Pendant longtemps, le duc de Tarente avait supporté avec une patience inaltérable les torts de son subordonné, aimant mieux les imputer à son humeur acrimonieuse qu’à un plan de conduite prémédité ; mais enfin, poussé à bout, il écrivit, le 29 novembre, au général York : « Toute votre conduite est une suite d’infractions à l’obéissance que vous me devez comme à votre commandant en chef. Jusqu’ici, j’ai opposé la douceur et la condescendance à la haine peu dissimulée que vous portez à tout ce qui est Français. » Puis il lui prouva, par les rapports des intendans généraux de Courlande, que sa sollicitude n’avait jamais failli un seul jour, et il ajouta : « Je suis trop sincère pour vous cacher que j’instruirai l’empereur de vos dispositions, afin qu’il puisse s’en entendre avec le roi votre maître. Avant de finir, je veux vous dire, en me servant des propres termes de votre excellence, que si vos chevaux crèvent, ce ne sera pas de faim, mais d’embonpoint[2]. »

Le 30 novembre, les Russes firent une nouvelle sortie et attaquèrent nos cantonnemens. Cette fois encore ils furent repoussés, et ils eussent été complètement défaits, si, à dix heures du matin, au plus fort de l’action et à la grande surprise de l’armée, le général York n’eût fait tout à coup cesser le combat et la poursuite. À cette nouvelle, Macdonald éclate indigné, et le 2 décembre il écrit de Stalgen au major-général : « Le général York n’a pas su, ou plutôt n’a pas voulu profiter des avantages que la fortune lui a offerts le 30 novembre ; il a suspendu le combat et la poursuite, fait écharper le lendemain quatre de ses bataillons, et les jours suivans laissé insulter ses avant-postes. »

Ce même jour, 30 novembre, York chargea un de ses aides de camp, le capitaine Schack, de porter à Potsdam les lettres de Paulucci et de Wittgenstein, ses propres réponses, et le récit de ses derniers démêlés avec le duc de Tarente. Il voyait s’approcher, avec une émotion qu’il ne pouvait plus contenir, le moment où son pays pourrait reprendre dans les affaires du monde la haute situation que lui avaient fait perdre ses malheurs : mais il fallait, sans plus tarder, saisir l’occasion. Le 5 décembre, le général écrivit au roi qu’en faisant la paix avec l’empereur Alexandre aux dépens de la Prusse, comme il l’avait faite à Tilsitt, Napoléon écarterait les dangers que venaient d’attirer sur son trône les désastres de la grande armée ; qu’il ne manquerait pas de saisir cette chance de salut, si on lui en laissait le temps ; qu’il s’agissait de prévenir à tout prix une telle calamité, et qu’on le pouvait de deux manières, soit en s’arrangeant directement avec la France et en lui arrachant d’autres conditions que celles de l’alliance de 1812, soit en traitant avec les Russes et en anéantissant les derniers débris de l’armée française. Il ajoutait, dans des termes respectueux, mais fermes, que l’honneur comme le salut de la maison de Hohenzollern commandaient une résolution prompte et hardie. Il terminait en suppliant son souverain, dans le cas où sa conduite lui semblerait en quelque point répréhensible, de vouloir bien accepter sa démission et lui désigner un successeur. Celui de ses aides de camp qui était le plus avant dans sa confiance, le major Seidlitz de Müllen, fut chargé de porter à Potsdam cet important message.

De son côté, Paulucci pressait de ses plus vives instances le général York de séparer son drapeau de celui de Macdonald. Il lui envoya le récit du désastreux passage de la Bérésina, et le supplia de lui accorder au moins une entrevue. York lui répondit le 8 décembre : « Une démarche imprudente de ma part pourrait forcer le roi à s’éloigner de ses états et tout perdre. Une entrevue avec votre excellence me semble, quoique je la désire, impossible ; je suis trop surveillé. » À Potsdam, l’on était livré à toutes les angoisses de l’irrésolution et de la peur. Ne sachant que répondre aux instances du général York, n’osant point l’exciter à la défection, ne voulant pas non plus le décourager, bien moins encore le rappeler, dominé par la crainte d’exposer ses états, sa royale maison, sa personne peut-être, aux ressentimens légitimes d’un allié trahi, le roi retenait tous les officiers qui lui avaient été successivement expédiés. Aussi le major Seidlitz de Müllen avait-il emporté de Mittau des instructions qui lui enjoignaient d’insister absolument auprès du roi pour qu’il le renvoyât avec une solution et des ordres. Après beaucoup d’irrésolutions, il fut enfin décidé que cet officier repartirait le 21 décembre. Le matin de ce jour, le major vint prendre congé du roi, et le supplia de vouloir bien lui dire comment devait agir son général. À cette prière, le roi tressaillit : « l’empereur Napoléon, dit-il, est un grand génie, il sait toujours trouver des moyens de salut. » Alors le major Seidlitz crut devoir poser la question en ces termes précis : « Dans le cas où la ruine des troupes françaises serait aussi complète qu’on doit maintenant le supposer, le roi veut-il que nous restions strictement fidèles à l’alliance ? » Pour toute réponse, le roi dit ces simples mots : Selon les circonstances ; puis il leva immédiatement l’audience et congédia le major.

Cependant les événemens se précipitaient. Le 9 décembre, le prince Berthier écrivit de Wilna, par ordre du roi de Naples, au duc de Tarente, que l’empereur avait quitté l’armée, que tous les corps se retiraient sur le Niémen, et il l’invita à diriger celui qu’il commandait sur Tilsitt. Cette lettre, au lieu d’être expédiée par triplicata et à toute vitesse, fut confiée à un étranger, à un Prussien, le major Schrinck, qui employa neuf jours à faire un trajet qu’il aurait pu faire en trois, et qui ne la remit au maréchal que dans la journée du 18. Une seconde lettre, beaucoup plus explicite que la première et datée du 14, informa le duc de Tarente de la véritable situation des choses. Elle lui apprit la détresse de l’armée, l’impossibilité qu’elle tînt pied nulle part, son mouvement de retraite sur les places de la Vistule, et l’intention toutefois du roi de Naples d’attendre à Gumbinen l’arrivée du 10e corps. Il était prescrit à Macdonaid, conformément aux instructions laissées par l’empereur, de se diriger sur Wehlhau et de prendre position sur la ligne de la Pregel. Ces nouvelles navrèrent de tristesse le duc de Tarente. Déjà les sinistres rumeurs qui circulaient dans le camp ne l’y avaient que trop préparé. Il déplora amèrement le retard qu’on avait mis à lui envoyer des ordres. Il écrivit le 20 au major-général : « Je suis accablé de douleur en pensant que le 10e corps, averti à temps, aurait pu servir de noyau à la grande armée et la flanquer avant l’évacuation de Kowno. » Il ne cacha pas au prince que les dispositions dont était animé le contingent prussien lui causaient de vives inquiétudes, et il le supplia de ne pas l’abandonner dans cette situation critique. Sa lettre se terminait par ces mâles paroles : « Pour sauver le 10e corps, je ferai tout ce que l’honneur commande, tout ce que le devoir prescrit : je ferai plus que l’impossible. » Murat envoya au-devant de lui, pour le recueillir et le soutenir, le maréchal Ney avec douze bataillons de la division du général Heudelet.

Quelque diligence qu’il y apportât, il fut impossible au maréchal Macdonald de lever ses camps avant le 20 décembre ; il divisa son corps en deux colonnes : la première, forte de 11,000 hommes, composée des divisions Bachelu, Grandjean et Masseubach, dont il prit lui-même la direction ; l’autre, plus faible, destinée à former l’arrière-garde sous les ordres du général York ; puis, ouvrant la marche, il se porta vivement sur Tilsitt. Malheureusement les Russes l’avaient partout prévenu. Wittgenstein avait inondé le pays de partisans et fait occuper par de fortes colonnes d’infanterie et plusieurs batteries d’artillerie les défilés par lesquels il devait passer. De leur côté, les Cosaques de Benkendorf, de Tettenborn et du jeune Kutusof, au nombre de 2,000, avaient fait irruption dans Tilsitt et en avaient chassé les 300 hommes qui en formaient la garnison sous les ordres du commandant Terrier, en sorte que Macdonald se trouva un instant coupé des places de la Vistule, des débris de la grande armée et du général York. Au moment où il débouchait sur Pictupohnen, il trouva devant lui une masse de cavalerie et d’infanterie russe ; une autre colonne, conduite par le général Diebitch, opérait sur son flanc droit. Macdonald, admirablement secondé par les hussards noirs et les dragons de Massenbach, fondit sur les Russes, leur tua et blessa 1,500 hommes, leur en prit 600, et poursuivit sa marche. Ses dangers cependant renaissaient à chaque pas. Enfin, après huit jours de marches pénibles par un froid de 25 degrés, grâce à l’admirable discipline qu’il sut maintenir dans son corps, à l’habileté avec laquelle il sut déjouer les projets de l’ennemi, en tournant les obstacles et en changeant de route, il parvint à gagner Tilsitt, qu’à son approche les Cosaques de Tettenborn et du général Kutusof s’étaient hâtés d’évacuer. Il y arriva le 28, en informa aussitôt le major-général, et lui annonça que la seconde colonne le rejoindrait certainement le soir même, ou au plus tard le lendemain. Le 29, le général Bachelu s’avança sur Regnist, où s’étaient retirés les escadrons du jeune Kutusof et de Benkendorf, et les força de s’éloigner. Toute cette journée se passa sans qu’on eût aucune nouvelle des généraux York et Kleist. Macdonald ne dissimulait point son anxiété, que semblaient alors partager le général Massenbach et son état-major. Même silence dans la journée du 30 ; mais le soir de ce jour on remarqua un changement soudain dans la physionomie des officiers prussiens. De soucieuse et agitée qu’elle était la veille, elle était redevenue calme, elle trahissait même une joie contenue, et l’on sut que le matin un message secret leur était parvenu. Enfin la fatale nouvelle arriva.

À peine le général York avait-il ébranlé ses troupes, qui se composaient de 7,500 hommes d’infanterie, de 300 hussards et de 31 pièces de canon, que les généraux Lewis et Diebitch se lancèrent à sa poursuite, le débordèrent et interceptèrent ses communications avec le duc de Tarente. Le 25 décembre, au moment où les Prussiens allaient déboucher de Taurogen, le général Diebitch envoya un parlementaire à York pour solliciter de lui une entrevue. La situation des Prussiens était critique ; ils traînaient après eux une quantité de fourgons et d’ambulances et un matériel d’artillerie considérable qui embarrassaient leur marche ; mais les Russes n’étaient en mesure de leur opposer que de faibles détachemens. La plus forte de leurs colonnes avait été à peu près détruite par Macdonald à Pictupohnen, et York avait plusieurs marches d’avance sur Wittgenstein. Pour des gens de cœur décidés à s’ouvrir la route l’épée à la main, il y avait certitude de rejoindre Macdonald. York néanmoins accepta l’entrevue et dès-lors se livra moralement. Diebitch s’attacha à le convaincre que s’il persistait à se retirer sur Tilsitt, il perdrait infailliblement ses convois et son artillerie. L’entretien se termina sans qu’il eût été pris aucun arrangement.

Le 27, York écrivit à son souverain : « Depuis deux jours, je suis coupé du maréchal Macdonald ; je ne crois pas que je réussisse à me réunir de nouveau à lui, et je serai forcé, dans le cas où je serais enveloppé par un corps russe, de songer à sauver, avant tout, l’armée du roi. Je suis du reste sans instructions : ni le comte de Brandebourg, ni le capitaine Schack, ni le major Seidlitz ne sont encore revenus de Potsdam. Je suis donc, avec la meilleure volonté du monde, exposé à me tromper. Si je fais mal, je mettrai sans murmurer ma vieille tête grise aux pieds de votre majesté : la crainte de lui déplaire me préoccupe. »

L’on touchait au moment décisif, et c’était pour ce moment que l’astucieux Paulucci avait tenu en réserve un dernier et suprême moyen. Le 26 décembre, le comte de Dohna se présente de sa part devant le général York, et lui remet une lettre de l’empereur Alexandre, datée du 6 décembre et adressée au gouverneur de Riga. L’empereur l’autorisait à déclarer au général York qu’il était prêt à conclure avec la Prusse un traité par lequel il s’engagerait à ne mettre bas les armes qu’après avoir obtenu pour la Prusse une extension de territoire assez considérable pour lui rendre, parmi les grandes puissances européennes, la position qu’elle avait avant la guerre de 1806. À la lettre de l’empereur Alexandre en était jointe une autre du marquis de Paulucci, dans laquelle ce général recourait tour à tour aux plus pressantes sollicitations, à la flatterie, à l’imposture même, présentant l’armée russe comme étant dans la position la plus florissante, et enfin à la menace, si le général prussien refusait de signer la convention. La passion qui remplissait depuis longtemps le cœur d’York ne le portait que trop à en finir et à se démasquer. La lettre de l’empereur Alexandre le décida, et le 28 dans la soirée il remit au comte de Clausewitz, officier prussien qui était passé au service des Russes et « je lui avait envoyé le général Diebitch, la déclaration suivante : « Je resterai aujourd’hui 29 à Taurogen, et demain 30 je pousserai mes colonnes, sans être inquiété, dans la direction de Tilsitt. Alors, si d’une part je trouve la route de Tilsitt occupée, si de l’autre un corps ennemi me ferme le chemin de Neustadt, si enfin je ne puis reculer, je conclurai la convention suivante :

« Le corps placé sous mon commandement conservera les positions de Tilsitt et de Memel, et tout le pays situé entre ces deux points. Sur ce terrain neutre, le corps restera inactif jusqu’à ce qu’il ait reçu du roi mon maître une nouvelle destination. Dans le cas où le roi ne m’approuverait pas, je resterai libre de me diriger vers le point que m’indiquera sa majesté. »

Le 29, Seidlitz arriva de Berlin, et ce même jour le général reçut par le capitaine de dragons Wentsdorf un message verbal du maréchal Macdonald qui l’informait de la défaite des Russes à Pictupohnen et lui prescrivait de hâter la marche de sa colonne. À la lecture de cette lettre, York crut qu’il était le jouet des impostures de Paulucci et de Diebitch, il dit à Clausewitz : « Je ne veux plus avoir rien à démêler avec vous ; je ne conserve plus aucun doute : vos troupes ne paraissent pas ; vous êtes trop faibles ; je vais marcher en avant et m’abstenir désormais de négociations qui pourraient me coûter la tête. » Pour toute réponse, Clausewitz lui remit une dépêche adressée par le général d’Auvray, aide-de-camp du comte de Wittgenstein, au général Diebitch, qui lui faisait connaître les positions que les divisions russes devaient occuper dans la journée du 31. York lut cette lettre attentivement, puis, tendant la main à Clausewitz, il lui dit : « Je suis tout à vous. Rapportez au général Diebitch que je me trouverai demain matin aux avant-postes russes. » Il renvoya immédiatement Wentsdorf non à Macdonald, mais à Massenbach pour l’instruire de tout ; puis il réunit autour de lui ses généraux et officiers et leur dit : « L’armée française a été anéantie, foudroyée par les décrets de la Providence. Le moment est venu de recouvrer notre indépendance en nous alliant aux Russes. Quiconque voudra, comme moi, risquer sa vie pour sa liberté et sa patrie n’a qu’à suivre mon exemple. Quelle que soit l’issue de l’entreprise que je tente aujourd’hui, je garderai, en tout cas, mon estime à ceux qui, ne partageant pas ma manière de voir, ne voudront pas s’associer à mes résolutions. Si je réussis, le roi notre maître daignera peut-être me pardonner ; si j’échoue, ma tête est perdue. » Pas une voix ne s’éleva pour protester contre la résolution du général.

Le 31 décembre, la convention fut conclue et signée à Taurogen dans les termes précis qu’avait rédigés le général York. À la lecture de l’ordre du jour qui leur annonçait la conclusion de la convention. les troupes témoignèrent une joie délirante, prélude des sentimens qui bientôt allaient faire explosion dans la nation prussienne tout entière. York informa immédiatement de sa conduite le roi et Macdonald. Il écrivit au roi : « ….. Si je me suis trompé, je mourrai fusillé, avec calme et sérénité, ayant la conscience d’être toujours resté fidèle sujet et bon Prussien. Le moment est arrivé, pour votre majesté, de se soustraire aux désastreuses exigences d’un allié dont les vues sur la Prusse, si la fortune lui était restée fidèle, sont encore enveloppées d’un voile impénétrable. Ce sont ces considérations qui m’ont décidé. Puissent-elles aider, avec la volonté de Dieu, au salut de ma patrie ! »

La défection du général York fut suivie immédiatement de celle de Massenbach. Il avait sous son commandement direct deux batteries d’artillerie, six bataillons d’infanterie et dix beaux escadrons de cavalerie. Ayant été averti de se tenir prêt à combattre, il leur avait fait prendre les armes, et toutes ces troupes semblaient attendre sur la rive gauche du Niémen l’ordre de marcher, lorsqu’à un signal donné elles se dirigèrent au pas de course vers le nord, passèrent le fleuve sur la glace, et livrèrent perfidement Macdonald, qui n’avait plus ni cavalerie, ni canon, ni subsistances, aux coups des escadrons de Tettenborn, de Benkendorf et de Kutusof. « Le général York, écrivait Macdonald au major-général le 1er janvier 1813, a justifié pleinement les présomptions que j’avais contre lui ; j’avais lu dans son âme qu’il était notre ennemi le plus implacable, mais jamais je ne l’aurais cru capable d’une trahison aussi noire ! Du moins je me flattais que le corps prussien ne la partageait pas. J’ai eu constamment pour ces troupes les procédés les plus délicats, et j’avais une confiance entière dans leurs sentimens d’honneur. »

Les sympathies personnelles de Frédéric-Guillaume, non moins que les passions de son peuple, le poussaient irrésistiblement vers nos ennemis. La trame ourdie avec les généraux russes préparait la rupture des liens qui l’unissaient à la France. D’un mot, il aurait pu tout arrêter ; ce mot, il ne l’avait pas dit, et, par son silence, il s’était rendu solidaire de la défection du général York. Toutefois il ne pouvait se dissimuler que cet acte, consommé dans la vue de hâter sa délivrance, pouvait également le perdre. À la nouvelle que le général York avait traité avec les Russes, l’empereur Napoléon ne se persuaderait-il pas qu’il n’avait agi que par l’ordre exprès de son souverain ? La vengeance ne suivrait-elle pas immédiatement la trahison ? Les Français étaient maîtres de Berlin et des places fortes. Ils tenaient tout le pays, la personne du roi était en quelque sorte entre leurs mains. Qui pouvait prévoir à quelles extrémités la colère, une politique inexorable, la nécessité de s’assurer un otage ne les pousseraient pas ? D’ailleurs la défection d’York saisissait le roi dans le moment où précisément l’empereur Napoléon s’efforçait de resserrer ses liens avec lui, et il n’avait encore, par aucune mesure, préparé la transition de l’alliance française à l’alliance russe. Enfin il avait une conscience timorée, et il était incapable de cette duplicité froide et soutenue qu’eût exigée, dans les circonstances terribles où il était placé, le rôle d’allié parjure. Lorsqu’il apprit que le coup était fait, qu’York avait traité avec les Russes, il s’écria : « Il y a de quoi être frappé d’apoplexie. Que faut-il faire ? Arrêter York, et, si on ne peut l’arrêter, le faire juger par contumace ! Mon contingent appartient à l’empereur ; c’est par conséquent au général en chef de l’armée française à décider de son sort. »

D’abord les actes répondent aux paroles. Un aide de camp du roi, le colonel Natzmer, ira porter à Murat et à York le désaveu formel de la convention de Taurogen. Le commandement du contingent est donné au général Kleist. Ce général fera arrêter York, le dirigera sur Berlin, et se mettra, lui et son corps, à la disposition du généralissime français. Le roi ne sait qu’imaginer pour convaincre Napoléon qu’il n’a point trempé dans la trahison de son lieutenant. Le prince de Hatzfeld est envoyé à Paris ; il annoncera à l’empereur que si le corps d’York est perdu pour l’alliance, 20,000 autres soldats vont être mis à notre disposition. Frédéric-Guillaume donne lui-même ses instructions au prince. « Assurez bien l’empereur, lui dit-il, que rien n’est capable d’ébranler ma fidélité. Mes sujets sont indisposés contre les Français : ces sentimens ne s’expliquent que trop par la nature des choses ; mais, à moins qu’ils n’y soient poussés par des exigences intolérables, ils ne remueront pas….. Je suis l’allié naturel de la France ; si je changeais de système, je serais toujours sacrifié par les Russes et ensuite de nouveau par la France, qui me traiterait en ennemi, et avec raison….. Dites à l’empereur que des sacrifices pécuniaires, je ne puis plus en faire, mais que, s’il me donne de l’argent, je puis encore lever et armer pour son service de 50 à 60,000 hommes. »

À tous ces témoignages, ce malheureux prince en ajoute un dernier ; ainsi que le descendant des Hapsbourg, le chef des Hohenzollern sollicite l’honneur d’unir son sang à celui du vainqueur d’Iéna. « S’il est nécessaire, dit le roi, de consacrer mon alliance politique avec la France par un mariage entre le prince royal et une princesse de la famille impériale, et si le résultat d’une telle union doit être de placer ma monarchie dans une situation plus élevée et plus solide que celle où elle est actuellement, je n’hésiterai pas. »

Aucune des mesures de rigueur ordonnées contre le général York ne fut suivie d’effet. Lorsque le colonel Natzmer se présenta aux avant-postes russes pour demander passage et aller remplir sa mission auprès du général, il fut conduit devant le comte de Wittgenstein, qui lui déclara qu’il ne lui appartenait pas de préjuger les dispositions de l’empereur Alexandre, que quant à lui personnellement, il ne pouvait ni autoriser le corps commandé par le général York à se remettre à la disposition du généralissime français, ni laisser le colonel se rendre auprès du général York.

La nouvelle de l’événement de Taurogen arriva aux Tuileries dans la nuit du 9 au 10 janvier ; elle y causa plus que de l’indignation. L’empereur ne s’abusa ni sur le caractère ni sur la portée de ce terrible événement ; il comprit que la trahison d’York n’était pas l’acte isolé d’un général mécontent ni d’un fanatique, mais le premier symptôme d’un ébranlement général, un appel fait à tous les cœurs ulcérés des Prussiens, un signal de soulèvement de tous les peuples germaniques contre son alliance et sa politique. Sans s’arrêter plus qu’il ne convenait aux protestations d’un souverain qui cédait toujours sous la pression des circonstances, il s’appliqua avec plus d’ardeur et d’activité que jamais à organiser les élémens d’une nouvelle armée, et, proportionnant la grandeur de ses mesures à la grandeur du péril, il résolut de demander à la France toute la plénitude de son concours, tous les sacrifices qu’après vingt ans d’épreuves il lui était possible de faire.


II.

Dans l’état de détresse où l’avait placé la destruction de son armée, l’œuvre la plus difficile que pût entreprendre Napoléon était d’en créer une nouvelle assez nombreuse et assez fortement organisée pour faire face à tous les dangers de la situation. Il s’agissait de refaire à neuf tous les services. Il fallait reporter à leur effectif de guerre cinq cents bataillons d’infanterie et deux cent cinquante-cinq escadrons, qui avaient tout perdu, hommes, armes, chevaux et matériel ; réorganiser l’artillerie, les charrois, les ambulances et les approvisionnemens ; équiper, armer et instruire ces milliers de jeunes soldats qui, de tous les points de l’empire, allaient être appelés sous les drapeaux. Il fallait demander ce suprême effort à une nation épuisée par vingt années de guerre, et, pour l’accomplir. Napoléon n’avait que trois mois. Soutenu par le sentiment des périls qui menaçaient son pays et par ce grand cœur qui animait toutes ses actions, il s’y appliqua, aussitôt après son retour de Russie, avec une ardeur passionnée, et jamais peut-être son génie administratif ne déploya une activité plus féconde et plus puissante.

Pour opérer la réorganisation de ses bataillons d’infanterie et les porter à l’effectif de 400,000 hommes, il prit d’abord les conscrits levés depuis plusieurs mois et déjà instruits de 1813, ainsi que les quatre-vingt-huit cohortes de la garde civique, créées par le sénatus-consulte du 12 mars 1812. Il avait destiné celles-ci à la garde exclusive des places fortes et des frontières de l’empire ; mais, en présence des dangers du pays, il n’hésita pas à les approprier aux exigences du service actif. Puis, il appela sous les drapeaux tous les jeunes gens des classes de 1810, 1811, 1812 et 1813 qui n’étaient point tombés au sort, leva par anticipation la conscription de 1814, réintégra dans les cadres de l’armée de terre les bataillons qu’il avait attachés à chacune de nos divisions navales, troupes excellentes, composées tout entières de vieux soldats, avec lesquels il reconstitua ses régimens de la vieille garde ; il rappela d’Espagne tous ses bataillons d’élite.

Mais ce n’était pas assez d’avoir des hommes ; il fallait en faire des soldats, les instruire, les discipliner, leur inculquer le goût et l’habitude des armes, et de tous ces élémens, si jeunes encore, composer un tout complet et solide qui pût se mouvoir avec autant de souplesse que de précision et de vigueur. Pour opérer cette transformation, et l’opérer avec la célérité que commandaient les circonstances, il fallait des cadres nombreux. Là résidait la grande difficulté de l’œuvre entreprise par l’empereur. Les cadres faisaient partout défaut. Napoléon ne cessait d’écrire au major-général : « Hommes, chevaux, voitures, artillerie, rien ne manque ici ; des généraux, des officiers, des cadres, voilà ce qui nous manque ; envoyez-nous des cadres. » Malheureusement les pertes de la grande armée avaient été si considérables, qu’à peine lui restait-il assez de cadres pour instruire et former une trentaine de bataillons. Il fallut bien, au risque d’affaiblir sensiblement nos armées d’Espagne, leur demander les ressources que nous refusait l’armée de Russie. En conséquence, l’empereur en tira un grand nombre de cadres et une multitude infinie d’officiers de tous grades ; il amalgama ces vieux élémens avec les nouveaux, et réussit à donner, sinon à tous ses régimens, du moins à sa jeune et vieille garde et à quelques-uns de ses corps d’armée, de l’ensemble et de la solidité.

La réorganisation de la cavalerie rencontrait des obstacles plus grands encore ; pour mettre en ligne la formidable cavalerie qui avait fait l’expédition de Russie, il avait fallu épuiser la majeure partie des ressources que possédaient la France et l’Allemagne. Cependant nous étions en présence des nécessités les plus impérieuses : il nous fallait absolument, et dans un délai très court, de 70 à 80,000 chevaux : 58,000 pour la remonte de nos escadrons, 22,000 pour nos batteries et nos équipages. L’empereur estimait[3] que la France possédait encore assez de chevaux pour lui en fournir cette année environ 50,000 ; il espérait trouver les 30,000 autres en Allemagne. Marchés à conditions onéreuses, réquisitions forcées opérées dans tous les départemens, dons volontaires offerts par les corps de l’état, par les particuliers, par les cantons (trois cavaliers tout montés pour chaque canton), tous ces moyens furent mis simultanément en œuvre.

En Allemagne, le général Bourcier passa des marchés pour 10,000 chevaux de trait, 5,200 de grosse cavalerie, 2,400 de dragons et 14,000 de cavalerie légère, en tout pour 31,000 chevaux, qui devaient nous être livrés du 1er février au 15 juin 1813. On prit à la gendarmerie tous ses meilleurs officiers, sous-officiers, et on en composa des cadres pour les jeunes escadrons. Napoléon ne laissa en Espagne qu’autant de cadres qu’il s’y trouvait de fois 125 hommes montés, et il rappela tous les autres. Il fit également revenir une multitude de cadres de ses escadrons de dragons et de chasseurs, en outre des escadrons entiers et tout montés, tant de cavalerie que d’artillerie à cheval et des équipages ; il prit tous les gardes forestiers à cheval, les postillons, les fils de maîtres de poste, et les enrôla dans ses nouveaux escadrons. Enfin il institua les quatre régimens de gardes d’honneur, brillant corps d’élite auquel furent attribués certains avantages, et dans lequel entrèrent des jeunes gens riches qui durent s’équiper à leurs frais.

En calculant toutes ces ressources, Napoléon s’était flatté qu’il pourrait ouvrir la campagne prochaine avec 255 escadrons, présentant un effectif d’environ 59,000 cavaliers montés, dont 20,600 de grosse cavalerie, et 38,400 de cavalerie légère ; mais le département de la guerre s’était bercé d’illusions : il avait accepté comme des réalités acquises des offres et des espérances qui ne purent s’accomplir. En Allemagne, ce furent les Russes et les Prussiens qui se chargèrent de déchirer les contrats passés par le général Bourcier et qui s’approprièrent les chevaux qui nous étaient destinés. En France, les autorités, les cantons, les particuliers, les éleveurs surtout, les uns pour étaler leur zèle, les autres par entraînement, beaucoup par cupidité, avaient promis plus qu’ils ne pouvaient tenir, en sorte qu’au moment où s’ouvrit la première campagne de Saxe, à peine nous fut-il possible de mettre en ligne 10,000 chevaux de qualité plus que médiocre. Ce ne fut que beaucoup plus tard, dans le courant de l’été, que les éleveurs, les cantons et les départemens purent remplir les obligations qu’ils avaient contractées, ou que la loi leur avait imposées.

L’artillerie, le génie et les équipages du train furent reconstitués avec le même soin et la même activité que le furent l’infanterie et la cavalerie. L’artillerie de la grande armée fut réorganisée à l’aide des compagnies d’artillerie des cohortes, et elle le fut à raison de 400 bouches à feu. Bientôt la France ne fut plus qu’un vaste camp. Ici l’on fondait des canons, là on forgeait des armes de toutes espèces ; on confectionnait des cartouches et des équipemens ; l’on construisait des chariots, des ambulances. L’empereur était l’âme de cette immense réorganisation ; il présidait à tout, ne dédaignait point d’entrer dans les détails les plus minutieux et déployait, pour la formation de ses bataillons d’équipage, pour le confectionnement des habillemens des troupes, la même précision, la même vigilance que pour la réorganisation de ses régimens d’infanterie et de cavalerie. C’est en lisant les ordres admirables qu’il passait ses jours et ses nuits à dicter, qui embrassaient tant de choses et des choses si diverses, que l’on comprend les hautes raisons qui, à Smorgoni, l’obligèrent à se séparer de son armée. Lui seul était capable, par sa présence, par son énergie, de communiquer à tous cette activité féconde, ce zèle ardent, opiniâtre, sans lesquels il eût été impossible de créer en trois mois une nouvelle armée de 400,000 hommes. Aucun ministre n’eût su accomplir une telle œuvre. Le retour de l’empereur en France était pour le pays une condition absolue de salut, et s’il ne fût pas revenu, il n’y a aucun doute qu’au printemps l’Europe nous eût trouvés à peu près désarmés.

Tous nos alliés de la confédération du Rhin furent invités de la manière la plus pressante à reporter à leur effectif de guerre leurs contingens. Nous demandâmes au roi de Westphalie 12,000 hommes, à la Bavière 15 bataillons d’infanterie de 1,000 hommes chacun, plus 18 escadrons de cavalerie formant 3,600 chevaux, et 40 pièces de canon. Les rois de Saxe et de Wurtemberg, les grands-ducs de Bade, de Hesse-Darmstadt et de Nassau durent concourir à nos efforts dans la même proportion.

En organisant dans l’espace de trois mois une armée de 400,000 hommes, Napoléon avait accompli une tâche prodigieuse, et cependant, malgré ce suprême effort, il n’était parvenu qu’à faire une œuvre très incomplète. À ces forces nouvelles qu’il venait de créer comme par enchantement, il manquait les conditions essentielles qui constituent une armée vraiment solide et résistante. Elles étaient composées de soldats trop jeunes. Les conscrits, arrachés à leurs familles avant d’avoir achevé leur croissance, allaient affronter d’incalculables périls sans y avoir été préparés par ces épreuves successives, indispensables pour tremper le cœur et le corps d’un soldat ; on ne leur avait pas laissé le temps de s’accoutumer à l’absence du foyer domestique, au joug de la discipline, aux intempéries, aux longues marches. À peine rendus dans leurs dépôts respectifs, on les avait acheminés sur l’Elbe ; un grand nombre ne savaient pas même se servir de leurs armes ; n’ayant aucune expérience de la vie des camps, ils n’avaient pu contracter ni le goût de la guerre, ni cette intrépidité froide, contenue, intelligente, qui sait également enlever la victoire ou résister à l’action dissolvante d’un revers. Ces précieuses qualités ne s’improvisent pas, et il faut des années pour faire un bon soldat.

Pendant que ce suprême effort s’accomplissait en France, les conséquences de la défection du général York se développaient rapidement. La position du duc de Tarente était devenue extrêmement critique ; les Prussiens l’avaient abandonné au milieu d’un mouvement de retraite opérée dans les conditions les plus périlleuses. Il ne lui restait plus que 5,000 hommes de la division Grandjean ; il n’avait plus un seul escadron, plus de vivres, plus de munitions, tandis que les Russes avaient une cavalerie nombreuse et ne manquaient de rien. Néanmoins il put s’échapper de Tilsitt avec sa petite colonne, gagna rapidement Lapiau et Taplaken, où Ney s’était porté avec la division Heudelet pour le recueillir, et atteignit Kœnigsberg, serré de fort près par les bandes de Lestoc, de Pavis, de Diebitch et du jeune Kutusof. Wittgenstein avec son corps s’avançait également, mais distancé de plusieurs marches. Les Russes se portaient sur Elbing dans l’espoir de déborder Macdonald, d’empêcher sa jonction avec le roi de Naples et de l’enfermer dans les murs de Kœnigsberg. Leurs dispositions ne permirent pas au maréchal de s’arrêter dans cette place. Il l’évacua au plus vite avec les divisions Grandjean, Heudelet et Marchand, se dirigea d’abord sur Braumberg, puis sur Fraumbourg, et, apprenant que les Russes poursuivaient leur marche, dut accélérer son mouvement rétrograde.

Tandis que Wittgenstein poussait devant lui sur la Basse-Vistule les troupes de Macdonald, le vieux Kutusof, avec le gros de l’armée russe, se portait sur Schwarzenberg, dont le corps d’armée occupait le grand-duché de Varsovie, et qui s’en montrait très alarmé. Dans cet état de choses. Murat résolut de faire un suprême effort pour arrêter Wittgenstein. Il fit savoir à Macdonald qu’il était décidé à ne plus évacuer de terrain sans combattre, qu’il se rendait à Elbing, et qu’au premier avis il le rejoindrait pour livrer bataille. C’était la une résolution téméraire ; on s’était abusé sur le nombre des soldats valides qui, après le désastre de la Bérésina, avaient jeté leurs armes et étaient venus se réfugier dans les places de la Vistule. On avait espéré en recueillir de 20 à 25,000. Les états de situation dressés par les chefs de corps donnaient des résultats lamentables ; ils constataient que la plupart des soldats et des officiers avaient leurs extrémités gelées, et ne sortiraient des ambulances que morts ou mutilés. Le nombre de ceux qui survécurent sains de corps et d’esprit à ce grand désastre fut imperceptible. Des corps d’armée tout entiers se trouvèrent réduits chacun à un bataillon de 5 à 600 hommes. Murât n’avait donc d’autres forces pour le moment disponibles que la division Grandjean, celle du général Marchand, les dix-huit bataillons du général Heudelet, un certain nombre de bataillons de marche arrivés récemment de France, les escadrons du duc d’Istrie, du général Cavaignac et du colonel Farine, en tout environ 21,000 hommes d’infanterie, 1,500 chevaux et 55 pièces de canon,

La division Heudelet, ainsi que la brigade Cavaignac, supérieurement armées et équipées, avaient la plus belle apparence ; mais elles n’étaient composées que de très jeunes conscrits. Les soldats de Marchand, débris de la division Loison, échappés comme par miracle aux calamités de la retraite, revenaient avec des cœurs pervertis par l’excès des souffrances. Indisciplinés, pillards, tenant les propos les plus dissolvans, ils avaient abjuré toute vertu militaire, et étaient devenus la honte de l’armée, le fléau des campagnes qu’ils traversaient[4]. À leur approche, les paysans désertaient leurs chaumières, fuyaient avec leurs chevaux et leurs bestiaux dans les bois, et nous laissaient en proie aux plus cruelles privations. La seule partie saine, résistante, disciplinée, de l’armée, était la division du général Grandjean ; mais, obligée depuis un mois à faire des marches forcées par un froid de 25 degrés, à combattre tous les jours, elle avait perdu plus du tiers de son effectif. Ses habillemens et sa chaussure étaient en lambeaux, et ses armes ne fonctionnaient plus. Wittgenstein n’avait guère, pour le moment, plus d’infanterie que Macdonald ; seulement il avait une cavalerie beaucoup plus nombreuse et plus de canons. Chaque jour il recevait des renforts ; ses troupes étaient endurcies par l’âpreté de leur climat, soutenues par le succès, encouragées par les sympathies des habitans, qu’elles savaient se concilier en observant une discipline sévère, en se montrant partout polies et pleines d’égards, et en payant tout comptant. Aussi vivaient-elles dans l’abondance.

Macdonald n’admettait pas que, dans un tel état de choses, il fût possible de livrer bataille. Il écrivait le 9 au major-général qu’on n’arriverait à d’autre résultat que de retarder de quelques heures la marche de l’ennemi et qu’on perdrait inutilement des braves. Il jugeait que l’armée ne pouvait plus tenir la campagne, et il demandait qu’on lui assurât des lieux de refuge dans les places fortes. « Là seulement, écrivait-il, il sera possible de donner du repos aux troupes, de les réparer et de les ramener au sentiment de l’ordre et de la discipline. » Le 10 janvier, il écrivait encore de Fraumbourg : « Nous sommes sans vivres, sans fourrage et sans moyens d’en envoyer chercher. Les chevaux, soit de la cavalerie, soit de l’artillerie, sont exténués de fatigue et de faim ; il faut s’attendre qu’au moindre échec nous perdrons artillerie et bagages. »

Ces lettres étaient navrantes ; elles étaient l’œuvre d’un esprit attristé et trop fortement saisi par le spectacle des souffrances qu’il avait sous les yeux pour apprécier sainement la situation générale. C’était au roi de Naples à dominer les impressions isolées des chefs de corps et à subordonner leurs avis aux vues de l’ensemble. Il y avait en ce moment un intérêt supérieur qui devait dominer tous les autres : c’était de conserver le plus longtemps possible la ligne de la Vistule. De tous côtés, on nous signalait la haine du peuple prussien contre notre drapeau, les mauvaises dispositions des autorités et les symptômes précurseurs d’un soulèvement général. Dans une situation aussi critique, quel intérêt n’y avait-il pas à nous maintenir en forces sur la Vistule en appuyant Schwarzenberg, ne fût-ce qu’afin de lui enlever tout prétexte pour évacuer le grand-duché ? Macdonald poussait Murat dans une voie détestable, lorsque, peignant à cet esprit mobile et faible les douleurs de l’armée, il l’excitait à enfermer toutes les troupes dans les places fortes. La raison commandait au contraire de n’y laisser que les bataillons démoralisés ou trop fatigués, et de conserver pour tenir la campagne tout ce qui était sain, jeune et vigoureux. Au lieu d’envisager de sang-froid sa situation, périlleuse sans doute, non pourtant désespérée, le roi de Naples passa tout à coup de l’extrême audace à l’extrême découragement : il jeta pêle-mêle dans les murs de Dantzig toutes les troupes de Macdonald, les bataillons d’élite de Grandjean et les jeunes soldats de Heudelet, aussi bien que les bandes indisciplinées de Marchand. Il annihila ainsi les seules forces capables de tenir la campagne, et, abandonnant à l’ennemi tout le pays jusqu’à la Basse-Vistule, il transporta son quartier-général à Posen, ordonna au vice-roi, aux ducs d’Istrie, de Trévise et de Bell une de venir l’y rejoindre avec tout leur monde, aux princes de la Moskowa et d’Eckmühl de se rendre à Custrin. Prendre de telles mesures en face d’un ennemi très entreprenant, bien que très fatigué, et d’un auxiliaire douteux peut-être, mais en tout cas timoré, c’était tout compromettre à la fois et notre situation militaire et nos alliances. Cet homme, d’un héroïsme antique, toujours prêt à braver la mort pour mériter la gloire, irrésistible lorsqu’à la tête de ses escadrons il enfonçait les carrés ennemis, était étranger aux détails d’une grande administration militaire. Ce fut une faute de lui avoir laissé un fardeau qu’il ne pouvait porter. Humilié de voir ses ordres enfreints un jour par Macdonald, un autre par Davoust ou par Schwarzenberg, manquant de l’autorité nécessaire pour dominer toutes ces volontés divergentes et jugeant la situation perdue, cédant peut-être aussi à une préoccupation secrète, celle de sauver sa couronne dans ce naufrage général. Murat, arrivé à Posen, signifia le 15 au prince Berthier, sous prétexte de maladie, sa résolution de déposer le commandement et de le remettre entre les mains du prince vice-roi. Le major-général, en l’entendant, fut consterné. Il lui représenta l’effet désastreux que sa détermination allait produire sur l’armée, la juste douleur qu’en ressentirait l’empereur, et le conjura de revenir sur sa funeste détermination. Le roi répondit que sa décision était prise et qu’il allait partir. « Mais, sire, répondit Berthier, le prince vice-roi n’est pas encore ici, et l’armée ne peut rester un seul moment sans chef[5]. »

Le prince arriva le soir même, et il y eut entre lui et le roi de Naples une scène extrêmement vive. Eugène parla avec l’éloquence d’une âme indignée. Il dit au roi qu’abandonner l’armée dans l’état de détresse où elle était, en face d’un ennemi audacieux, sous les yeux de l’Allemagne frémissante et déjà presque hostile, c’était trahir les intérêts de l’empereur, leur bienfaiteur à tous ; que, quant à lui, il refusait le commandement, parce qu’il ne se croyait pas plus le droit de l’accepter des mains du roi qu’il ne reconnaissait au roi celui de le lui offrir. Murat fut inflexible, ses voitures étaient prêtes ; dès-lors, il ne resta plus aux maréchaux qu’à vaincre les scrupules du vice-roi et à le presser, sous leur responsabilité, de prendre le commandement. Il s’y résigna enfin, mais il entendit ne l’accepter que des mains des maréchaux.

Cet acte d’abandon de la part d’un homme qu’il aimait et qui méritait d’être aimé pour sa bonté naturelle et sa bouillante valeur, auquel il avait donné la main de sa sœur Caroline et un trône, remplit d’amertume le cœur de Napoléon. Quel exemple pour tous ses lieutenans, pour cette foule de princes dont la fidélité chancelait déjà ! Plus calme dans sa douleur qu’on n’aurait pu l’attendre d’une âme aussi véhémente, il se contenta d’écrire au roi de Naples : « J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort ; si vous faisiez ce calcul, il serait faux. Vous m’avez fait tout le mal que vous pouviez me faire depuis mon départ de Wilna. Lorsque vous n’êtes pas devant l’ennemi, vous êtes j)lus faible qu’une femme. Le titre de roi vous a tourné la tête. »

L’empereur confirma l’élévation du prince Eugène au poste de commandant de l’armée. Le premier acte du nouveau généralissime fut de se mettre en mesure d’appuyer Schwarzenberg, Régnier et les places de la Vistule. Il venait de recevoir des renforts. Il réunit en une seule masse tout ce qu’il avait d’hommes disponibles, environ 12 ou 15,000 hommes, dont 1,500 de cavalerie ; il y joignit 25 pièces de canon, et les employa à couvrir ses communications avec Varsovie. Cependant d’épaisses colonnes russes débouchaient de tous côtés, et ce n’était pas avec une si petite armée qu’il pouvait espérer de les ontenir.

Au moment où le roi de Naples et les maréchaux avaient repassé le Niémen, Kutusof et Wittgenstein ne traînaient plus après eux que des débris, ce qui nous avait fait croire qu’avant plusieurs mois les Russes seraient hors d’état de rien entreprendre. C’était là une grande erreur. L’empereur Alexandre, non moins prévoyant et actif que son adversaire, n’avait pas attendu la fin de la campagne pour se créer de formidables réserves. Il s’était adressé à toutes les passions généreuses de ses peuples. Souverain et pontife tout ensemble, parlant au nom des intérêts les plus chers, l’indépendance nationale et la religion, il avait ému et entraîné toutes les âmes. Il n’y avait pas une province, si reculée qu’elle fût, pas une peuplade, pas une tribu, dans le sein desquelles la voix des prêtres, appelant les sujets de l’empereur à la guerre sainte, ne se fût fait entendre, pas une qui n’eût répondu à cet appel patriotique. Pendant toute l’année 1812, d’immenses levées d’hommes et de chevaux n’avaient pas cessé d’être opérées dans tout l’empire. Aussitôt enrôlés, les nouveaux soldats avaient été habillés, armés, instruits, organisés, et, sans tenir compte de l’inclémence de la saison, subordonnant toutes considérations, même celle de l’humanité, à un intérêt supérieur, celui d’anéantir les derniers débris de l’armée envahissante, on les avait successivement acheminés sur les frontières occidentales. Ces corps, dans leur long trajet par un froid de 25 degrés, avaient perdu une partie considérable de leur effectif. Néanmoins ils formaient dans leur ensemble une masse imposante. Ils s’avançaient par échelons très espacés, et ils étaient composés de troupes régulières et irrégulières. Ces dernières constituaient à elles seules une cavalerie pour ainsi dire innombrable ; on y voyait mêlés les contingens[6] des peuplades et tribus d’Europe et d’Asie, des Cosaques de toute race, des Bashkirs, des Tartares sédentaires et nomades. Ces hommes étaient montés sur des chevaux de petite taille, mais infatigables ; ils portaient le costume national et venaient combattre l’Europe civilisée avec leurs armes héréditaires ; ils accouraient à la voix de leur empereur, enflammés, comme autrefois leurs aïeux, par l’amour du butin et du soleil.

Dans les derniers jours de janvier 1813, tous les corps russes s’ébranlèrent à la fois et se portèrent, leur aile droite commandée par Wittgenstein, sur Newstettin, leur centre composé des troupes de Wintzingerode de Landskoï, de Doctorof et de Miloradovitch, présentant un effectif d’environ 40,000 hommes, sur Plock, Bromberg et Thorn, et leur aile gauche d’environ 20,000 hommes, conduite par les généraux Sacken et Essen, sur la Haute-Vistule, dans la direction de Pulstuck et d’Ostrolenka. Une de leurs colonnes eut l’ordre de descendre le Bog, de manière à se trouver en mesure, dans le cas où les Autrichiens manœuvreraient pour se rapprocher du vice-roi, d’intercepter ses communications avec la Galicie. Enfin l’empereur Alexandre était à quelques marches en arrière avec le corps de Tormasov et ses gardes, réunissant ensemble 25,000 hommes. Ainsi l’effectif total des forces russes qui, à la fin de janvier, débouchèrent sur la Vistule était d’environ 120,000 hommes, y compris la cavalerie irrégulière. Le prince de Schwarzenberg écrivait le 21 janvier au vice-roi : « Les corps de Wintzingerode de Landskoï et de Miloradovitch manœuvrent dans mon flanc gauche ; Sacken et Essen paraissent suivre ce mouvement. Déjà notre avant-garde à Ostrolenka est enveloppée par une nuée de Cosaques qui marque la direction des troupes ennemies. Si cette manœuvre prend un caractère décisif, je me verrai forcé d’abandonner mes cantonnemens pour m’installer sur la rive gauche entre Modlin et Varsovie. Mes troupes, après une telle campagne, sont bien fatiguées. » Ce même jour 21, le prince informe le vice-roi qu’il vient d’envoyer le colonel comte de Latour à Ostrolenka avec toute latitude pour parlementer, « ne fût-ce, écrit-il, que pour gagner du temps et pouvoir opérer mon mouvement derrière la Vistule en ordre et sans trop fatiguer les troupes. » L’on ne tarda pas à savoir que l’avant-garde du corps de Miloradovitch, arrivée à Lomza, s’était complaisamment arrêtée, et que le commandant, le général Vasilikof, était entré en pourparlers avec le colonel de Latour. Tout aussitôt après cet échange de communications, le prince de Schwarzenberg et le général Régnier levèrent leurs cantonnemens et concentrèrent leurs troupes entre Modlin et Varsovie. Les Russes, de leur côté, passèrent le fleuve, qui était gelé, entre Varsovie et Thorn, s’étendirent sur le flanc gauche du corps autrichien et l’enveloppèrent insensiblement. Davoust eut à peine le temps de s’échapper de Thorn et de gagner Custrin. Schwarzenberg disposait de 27,000 hommes ; Régnier et Poniatowski en avaient 13,000 ; le vice-roi, à qui le maréchal Augereau venait d’envoyer 4,000 hommes, 18,000 : c’était en tout 60,000 hommes. Essen, Miloradovitch et Doctorof n’en avaient pas autant réunis en masse. Le vice-roi fit valoir cette considération auprès de Schwarzenberg et mit en œuvre tous les moyens imaginables de persuasion pour le décider à combattre. Il lui annonça l’arrivée prochaine du corps du général Grenier, qui était de 21,000 hommes, et il lui promit qu’aussitôt que paraîtrait la tête de cette colonne, il la dirigerait sur la gauche du corps auxiliaire. La lettre qui contenait ces informations fut confiée au commandant de Labédoyère, jeune officier audacieux, brillant et rempli de dextérité. Le commandant remit d’abord la lettre au prince de Schwarzenberg, puis il se fit présenter au corps des officiers autrichiens, passa deux jours avec eux, leur communiqua sa gaieté et son entrain, joua gros jeu, perdit noblement, et, au milieu de l’abandon des causeries familières, sut démêler les intentions des chefs. De retour à Posen, il raconta au vice-roi tout ce qu’il avait vu, entendu, deviné. « Le prince de Schwarzenberg, lui dit-il, ne songe qu’à se retirer le plus vite possible sur la Galicie ; il ne brûlera pas une amorce : il est de connivence avec les Russes. » En effet, malgré les vives instances du prince Eugène, le commandant du corps auxiliaire évacua, dans la journée du 5 février, Varsovie, que les Russes occupèrent immédiatement.

De son côté, le général Bulow, qui formait notre aile gauche à Graudentz avec 10,000 Prussiens, avait dû, pour n’être point débordé par les Russes, quitter cette position avancée et se retirer avec son corps sur Newstettin, de manière à rester en ligne avec le vice-roi. C’en était fait de la ligne de la Vistule ; elle fut occupée tout entière par les Russes.

La perte de Varsovie et du grand-duché nous enlevait le concours d’une population guerrière et dévouée, et mettait à la disposition de nos ennemis d’immenses ressources en hommes, en chevaux, en fourrages et en subsistances ; elle entraînait d’autres conséquences plus graves encore. L’empereur Alexandre poursuivait un but plus grand que celui de nous déposséder de la ligne de la Vistule ; il voulait se porter directement sur la frontière de la Silésie, montrer ses soldats aux Prussiens, qui les attendaient comme des libérateurs, provoquer un soulèvement en masse, et de gré ou de force entraîner le roi. Il était pour nous de la plus haute importance de déjouer ce hardi dessein, et nous ne le pouvions qu’en conservant et en défendant opiniâtrement la ligne de l’Oder ; mais pour nous trouver partout en forces sur cette ligne, il nous fallait absolument la coopération du corps auxiliaire, des Polonais de Poniatowski et des Saxons de Régnier. Il s’agissait d’obtenir que ces trois corps d’armée, qui présentaient une masse de 40,000 hommes, consentissent à lier leurs mouvemens avec les nôtres, et effectuassent leur retraite, non sur Cracovie, qui les mènerait en Galicie, mais sur Kalish, où leur gauche viendrait appuyer la droite du vice-roi.

Ecartant les sinistres présages apportés par le jeune commandant de Labédoyère, le vice-roi écrivit, le 31 janvier et le 3 février[7], au prince de Schwarzenberg deux lettres très pressantes, dans lesquelles il le supplia de concerter ses mouvemens avec les siens et de se replier sur Kalish et Posen. Il lui assura que, dans dix jours, il aurait 40,000 baïonnettes, et qu’ils seraient ainsi en mesure l’un et l’autre d’en opposer 80,000 aux Russes, qui certainement n’en auraient pas autant sur le même point. La ligne de la Vistule étant perdue, l’on aurait du moins celle de l’Oder, qui s’appuyait sur de nombreuses et solides forteresses. La chaîne qui liait ensemble tous les corps de la grande armée ne serait point rompue et couvrirait efficacement Dresde, Breslau et Berlin. Mais le prince de Schwarzenberg avait reçu de sa cour des instructions diamétralement contraires à celles que lui adressait le vice-roi. Il fit l’opposé de ce que nous lui demandions. Au lieu de se retirer, comme le commandait la raison stratégique, sur Kalisch et Posen, il prit sa direction vers Cracovie, découvrit ainsi le flanc gauche du vice-roi et lui rendit impossible la conservation de la ligne de l’Oder. Pour se justifier, il allégua[8] l’extrême fatigue de ses troupes, la nécessité de les faire reposer, une lettre de son souverain qu’il communiqua au général Régnier, et qui lui enjoignait de mettre son corps d’armée en état d’entreprendre avec succès la campagne prochaine, de conclure même, s’il le voulait, quelque arrangement pour assurer la tranquillité de ses cantonnemens. Dans un langage doux et captieux, le prince ajoutait : « Tout ce que tenteraient les armées alliées pour arrêter un ennemi supérieur en nombre et lui disputer des pays ouverts les épuiserait inutilement ; il valait mieux qu’elles s’appliquassent à se réorganiser. Le printemps revenu, elles regagneraient facilement tout le pays où les armées russes seraient venues se répandre et se consumer loin de leurs réserves et de leurs ressources[9]. » L’on sut plus tard que dans les derniers jours de janvier il y eut entre le prince de Schwarzenberg et M. d’Anstett une entrevue mystérieuse, dans laquelle furent arrêtées et signées les conditions d’un armistice secret. Il fut convenu que le corps auxiliaire se retirerait dans la direction de Cracovie, et que, lorsqu’on voudrait recommencer les hostilités, on se préviendrait de part et d’autre plusieurs jours d’avance. À dater de ce moment, les mouvemens des corps d’armée russes et autrichiens ne furent plus que les résultats d’un jeu combiné, d’après lequel les uns s’avancèrent et les autres reculèrent avec méthode et une parfaite entente. C’est ainsi que les Autrichiens se retirèrent successivement de Lomza sur Ostrolenka, Pulstuck, Sieroch, Varsovie, et enfin sur Cracovie. La comédie fut complète, et l’acteur principal, le prince de Schwarzenberg, joua son rôle avec un art consommé.

La retraite excentrique du corps auxiliaire sur Cracovie était un événement désastreux, aggravé encore par la situation nouvelle de la Prusse. Partout dans ce royaume éclataient les signes d’un soulèvement prochain et général contre nos armes et notre domination. Déjà toute la Prusse orientale était en feu, et les autorités comme le peuple y avaient arboré hautement les couleurs ennemies. De toutes les provinces prussiennes, c’était celle qui avait le plus cruellement souffert. À toutes les amertumes de l’orgueil national outragé étaient venues se joindre pour elle des charges inconnues aux autres parties de la monarchie. Depuis 1807, elle n’avait pas cessé de servir de champ de bataille, de passage ou de séjour, à de nombreuses armées qui l’avaient épuisée. La grande armée, en la traversant, avait achevé de la ruiner ; elle lui avait pris tous ses blés, tous ses fourrages et tous ses chevaux. La misère y était si profonde, que la population y avait rapidement diminué d’un cinquième. Aussi la haine de notre puissance y avait-elle atteint un degré d’intensité extrême. Aussitôt que nous eûmes quitté le pays, la population tout entière se leva et demanda à marcher contre nous. Le général York était à Tilsitt ; il y était triste, découragé, fort inquiet de la désapprobation publique dont l’avait frappé le roi et du sort qui lui était réservé. Les autorités de Kœnigsberg députèrent vers lui pour le presser de venir prendre le commandement militaire de la province et régulariser le soulèvement de la population. York hésitait à accepter une telle mission ; il ne fallut rien moins que les vives instances des présidens de Kœnigsberg et de Gumbinen, Auerswald et Schœn, pour le décider. Il quitta donc Tilsitt et se rendit à Kœnigsberg, qui le reçut avec enthousiasme ; mais il n’était pas au bout de ses tribulations.

Dans le moment même où les autorités de la Prusse orientale lui remettaient la plénitude des pouvoirs militaires, l’empereur Alexandre, par une décision du 18 janvier, nommait le baron de Stein son commissaire dans cette même province, et l’investissait des attributions les plus étendues. Stein était cet ancien ministre que la politique de Napoléon avait, en 1808, violemment écarté des conseils du roi et frappé d’exil, qui s’était retiré d’abord à Prague, plus tard en Russie, où il n’avait pas tardé à prendre sur l’esprit de l’empereur Alexandre un grand ascendant. Il rentrait aujourd’hui en Prusse avec la double autorité des services rendus autrefois à son pays et d’un commissaire du tsar. Ce fut pour ce souverain un bonheur singulier d’être secondé, dans l’exécution de ses vastes desseins, par les talens et les passions d’un tel homme. Stein réunissait les aptitudes les plus diverses : une science profonde de l’administration financière et l’intelligence philosophique des grandes réformes commandées par les progrès du siècle, la fierté d’un descendant de ces anciens barons du Rhin, feudataires des empereurs d’Allemagne, et un art incomparable pour manier et entraîner les masses ; homme du reste trempé pour la lutte, plus fait pour vivre au milieu des orages d’un pays libre que sous la pression et la règle d’un gouvernement absolu. Impétueux et plein de ressources, il avait l’initiative, la fécondité et l’audace d’un esprit militant ; il en avait aussi la véhémence, et son énergie dégénérait trop souvent en dureté.

Depuis les malheurs qui avaient accablé la Prusse, son esprit ardent et inventif n’avait cessé de combiner les moyens de la retirer de l’abîme où l’avaient précipitée ses fautes. L’emploi des procédés réguliers lui paraissant insuffisant, il avait jugé que c’était dans le sentiment moral des masses graduellement excité qu’il fallait chercher le levier destiné à relever la puissance prussienne. Dans son exil, il fut constamment l’âme de cette opposition contenue, mystérieuse, mais ardente et générale, qui, à dater de 1808, se forma dans ce pays contre notre domination. Jamais il ne déploya plus d’activité et de ressources que dans les années qu’il passa à Prague et à Saint-Pétersbourg, et, proscrit, il nous a peut-être fait plus de mal que s’il eût continué de siéger dans les conseils du roi. Les lettres qu’il adressait à ses amis, les frères du roi, le prince Antoine Radzivill, Scharnhorst, Blücher, Gneisenau, Pfuhl, Munster, étaient de véritables programmes de soulèvement. « Organisons militairement et sans retard toute la nation, écrivait-il ; soutenons l’esprit public en l’élevant, tant au nom des principes moraux et religieux que par des combinaisons politiques qui développent dans toute leur activité les forces nationales. » Puis il proposait pour modèle les Vendéens, la convention, si grande dans sa résistance contre l’Europe, les montagnards du Tyrol et les bandes fanatisées des guerrillas.

Frédéric-Guillaume connaissait les menées ténébreuses de son ancien ministre. Il lui eût été facile de les lui interdire ; il ne le voulut pas, parce qu’il entrait dans ses calculs de ménager, pour le temps des grandes épreuves, ce puissant moteur de la passion nationale.

Dans les premiers temps de son séjour à Saint-Pétersbourg, Stein avait su démêler les vues ambitieuses que nourrissait le gouvernement russe sur le grand-duché de Varsovie. Il en avait été vivement alarmé, et il n’avait pas hésité à signaler le danger à tous ses amis. Le 7 novembre 1812, il écrivait au comte de Munster, qui se trouvait alors à Londres : « Empêchons à tout prix la formation d’un royaume de Pologne, en tout cas inutile, et peut-être menaçant pour l’Allemagne. Que l’Angleterre et l’Autriche se réunissent pour s’opposer à ces désirs sauvages ! » Lorsque le baron de Stein écrivait ces mots si judicieux, l’homme d’état maîtrisait encore chez lui la véhémence du chef de parti et les ressentimens de l’exilé. Bientôt malheureusement cette sagesse l’abandonna : dominé par la crainte que le tsar ne fît sa paix directement avec Napoléon aux dépens de la Prusse, préoccupé avant tout de lier étroitement les intérêts russes aux intérêts allemands, il se donna sans réserve à l’empereur Alexandre, et en acceptant les pouvoirs de commissaire impérial dans la Prusse orientale, il tomba à la condition d’un fonctionnaire russe. Emporté par l’ardeur de la lutte, il crut que tout serait sauvé, si les Français étaient chassés de l’Allemagne. Il ne vit pas qu’arracher la Prusse aux étreintes de Napoléon pour la jeter aux pieds du tsar, ce n’était point détruire le mal, mais simplement le déplacer, et qu’une médiation officieuse et pacifique, exercée simultanément par l’Autriche et par la Prusse, eût mieux valu pour l’Allemagne que l’intervention violente et armée de la Russie.

Stein et York, serviteurs dévoués de la même cause, mais la servant d’une manière très différente, présentaient le plus étrange contraste. Stein ne voyait de salut pour son pays que dans la régénération sociale et dans l’excitation patriotique des classes moyennes et inférieures ; York au contraire, esprit méthodique et contenu par le respect de la règle et de la discipline, considérait comme un danger l’appel aux passions de la multitude ; il ne plaçait la force de son pays et du trône que dans le dévouement de l’armée et le perfectionnement des institutions militaires. Stein n’avait pas cru faillir à ses devoirs en mettant sa personne, son génie, ses passions, au service du tsar. York, même en séparant, sans y avoir été autorisé, son drapeau de celui de l’allié de son souverain, n’avait pas cessé de rester le sujet le plus respectueux et le plus soumis. Il n’admettait pas que personne, le baron de Stein moins qu’aucun autre, se crût le droit de faire, dans une province prussienne, au nom d’un souverain étranger, ce souverain fût-il le tsar, des actes, attributs essentiels de l’autorité royale.

Du contact de ces deux hommes si dissemblables devaient nécessairement surgir les conflits d’autorité les plus violens. Stein, par ses actes d’omnipotence, blessa les susceptibilités les plus légitimes. York lui fit des remontrances et les lui fit avec l’amertume naturelle de son humeur. Le fougueux Stein ne s’en montra que plus impérieux. Il leva, dans les ports de la province, le blocus continental, fit un emprunt de 500,000 thalers, et décréta le cours forcé du papier-monnaie russe. À l’occasion de ces mesures, Stein et York éclatèrent. Un jour Stein s’emporta au point de s’écrier qu’il ne restait plus aux Russes qu’à recourir aux armes. « Eh bien ! soit, lui répliqua York avec une froide énergie, je ne demande pas mieux, j’accepte le défi ; je laisserai sonner la charge, et vous verrez ce que je ferai de vos Russes. » Puis il s’éloigna en proie à la plus douloureuse émotion. Sa situation était affreuse. Compromis par la convention de Taurogen, désavoué par le roi, trahi par les Russes, qui, au mépris du texte et de l’esprit de cette convention, refusaient d’évacuer et de lui rendre Memel, qui était une possession du roi, en lutte ouverte avec le commissaire du tsar, dont les armées couvraient le pays, il n’imaginait plus d’autre voie de salut honorable pour lui que de se jeter dans un navire et de chercher un refuge en Angleterre. Le président Schœn dut intervenir. Il montra au général des lettres de Berlin qui le rassurèrent sur les secrètes intentions du roi ; puis il alla trouver Stein, lui peignit l’effet désastreux causé par le scandale de ses débats avec le général York, et le décida à faire cesser une telle anarchie en s’éloignant de Kœnigsberg.

Les présidens de la province avaient convoqué une diète. Elle se réunit dans cette ville, témoigna le plus profond respect pour la prérogative royale, se déclara résolue à repousser toute influence étrangère, et sanctionna avec acclamation tout ce qu’avait fait le général York ; elle arrêta ensuite un plan de défense générale, leva et équipa aux frais de la province 12,000 hommes d’infanterie et 7,000 de cavalerie.

Ainsi, quelques divergences de vues qui se manifestassent quant au choix des mesures à prendre pour combattre la France, tous, dans cette partie de la monarchie, chefs militaires et civils, comme la population, étaient d’accord sur le but, unanimes pour y sacrifier leur vie et leurs dernières ressources. Dans les provinces situées entre l’Oder et l’Elbe, et qu’occupaient nos troupes, la passion publique était comprimée, mais non moins ardente que dans les provinces du nord. La situation du roi à Potsdam n’était plus tenable. Deux forces se le disputaient matériellement en quelque sorte ; d’une part, les plus ardens parmi ses serviteurs voulaient l’arracher de son palais, gagner la Prusse orientale, et de là le conduire dans le camp de l’empereur Alexandre. De l’autre, M. de Saint-Marsan et le maréchal Augereau, le traité d’alliance à la main, exigeaient l’exécution du pacte juré. Dans un tel état de choses, la crainte, la défiance, le soupçon étaient partout. La cour à Potsdam, la garnison française à Berlin, ne se croyaient plus en sûreté ; dans l’attente de soudaines éventualités, chaque parti cherchait à s’assurer des garanties contre les embûches du parti contraire.

Le roi résolut de sortir à tout prix d’une situation qui ne lui permettait ni la dignité dans le malheur, ni la sécurité dans la résignation. En conséquence, le 18 janvier il quitta Potsdam, accompagné de toute sa cour, de M. de Saint-Marsan, du ministre d’Autriche, du chancelier Hardenberg, et transporta sa résidence à Breslau. Là du moins il échapperait à notre surveillance ; il serait plus libre et plus près de l’empereur Alexandre. À sa vue, la population de la Silésie n’attendit point la présence des Russes pour éclater. L’explosion fut soudaine, et le cri aux armes retentit dans toutes les familles. Le roi se vit bientôt entouré par les ennemis les plus dangereux de la France. Entre tous se distinguaient l’ancien ministre de la guerre, le général Scharnhorst, patriote ardent, qui, sous l’apparence d’une disgrâce, n’avait pas cessé de rester le conseiller secret du roi ; Blücher, le personnage le plus considérable de l’armée, qui, dans un corps déjà vieux, avait conservé la plus virile ardeur, opiniâtre, impétueux, que les échecs enflammaient au lieu de l’abattre, qui n’était jamais plus audacieux que le lendemain d’une défaite, mais dont les lumières étaient obscurcies par la haine insensée qui l’animait contre la personne de Napoléon, et, sous ce rapport, vrai type des passions populaires de l’Allemagne à cette époque ; Gneisenau, doué de talens éminens, mais également aveuglé par son animosité contre l’empereur. Ces hommes et bien d’autres encore avaient une grande autorité morale. Ils représentèrent à Frédéric-Guillaume que, sans préjuger le parti qu’il adopterait, il importait absolument que, sans plus tarder, il dominât, en le régularisant, le soulèvement de son peuple. Le roi suivit l’avis de ses généraux ; il envoya partout des ordres secrets pour presser une levée générale. Sous prétexte de remplacer le contingent perdu, il rappela tous les anciens soldats, les amalgama avec les nouveaux, et organisa immédiatement deux corps d’armée, chacun de 20,000 hommes, l’un à Newstettin, sous les ordres du général Bulow, et l’autre en Silésie. Puis il rendit plusieurs édits qui constituaient dans leur ensemble une véritable levée en masse. Le premier, daté du 3 février, invitait tous les jeunes gens non obligés au service militaire à s’organiser en bataillons de chasseurs et à s’équiper à leurs frais. Un second édit, rendu le 9, appelait formellement sous les drapeaux tous les jeunes gens de dix-huit à vingt-quatre ans. Enfin un troisième, publié le 10, s’adressait aux hommes âgés de plus de trente et un ans, et les excitait à s’enrôler par tous les stimulans de l’honneur et du patriotisme.

Telle était, au commencement de février, la situation générale : elle était infiniment critique. La retraite du corps auxiliaire sur Cracovie livrait passage au torrent de l’invasion russe. N’étant plus contenu par aucune digue, il avait pris son cours vers l’Oder. Wintziagerode marchait sur la Silésie par la route de Kalish et de Posen, Wittgenstein sur Newstettin, pour de là inonder les Marches et s’ouvrir une issue sur Berlin et le Bas-Elbe. Dans cet état de choses, il ne nous était plus possible de conserver la position de Posen. Déjà des milliers de Cosaques voltigeaient sur notre flanc droit et l’inquiétaient. Le 10 février, une première colonne ennemie régulière, avec du canon, assaillit les avant-postes du prince Eugène à Rogasse, et bientôt l’alarme fut donnée à tout le camp. Cette attaque, dont le prince s’exagéra l’importance, le décida à lever ses cantonnemens et à aller au-devant de ses renforts ; il quitta Posen le 13, et porta son quartier-général à Meseritz, dans la direction de Francfort-sur-l’Oder. Le 3 février, le vice-roi avait prescrit formellement à Régnier et au prince Poniatowski de se porter à marches forcées sur Kalish, tout en restant, s’il était possible, en communication avec le corps autrichien ; mais les instructions données à Wintzingerode étaient précisément de marcher rapidement sur Kalish, afin d’y prévenir l’arrivée du 7e corps et des Polonais, et de les couper du vice-roi. Régnier avait pris ses mesures pour arriver en temps opportun à Kalish ; il dut ralentir sa marche pour attendre la division polonaise. Il avait beau écrire à Poniatowski que les forces russes s’accroissaient tous les jours, qu’elles ne s’arrêteraient point sur la Vistule, qu’elles feraient certainement une campagne d’hiver : le prince ne l’avait pas cru, et, au lieu de manœuvrer avec précision, de serrer ses cantonnemens et ses étapes, il avait opéré avec une lenteur et un décousu qui mirent en grand péril le 7e corps. Régnier ne put arriver que le 13 à Kalish, et avec une partie seulement de son corps, distancé par une demi-marche de sa cavalerie, de son artillerie à cheval et de plusieurs régimens d’infanterie, qui opéraient en flanqueurs sous les ordres du général saxon Gablew, et par trois marches de la division polonaise. Wintzingerode était déjà rendu sur le terrain. Vers les trois heures de l’après-midi, les Russes firent irruption entre les deux parties disjointes du 7e corps, foudroyèrent les troupes de Régnier, le rejetèrent affaibli de plus de 3,000 hommes sur Kalish et contraignirent le général Gablew à se replier d’abord sur Poniatowski, puis, avec la division polonaise, sur le corps autrichien. Le 7e corps, réduit à 4,000 hommes, 2,000 de la division Durutte et 2,000 Saxons épuisés par des marches forcées, arriva le 18 à Glogau dans un état déplorable.

Au moment de se retirer sur l’Oder, le vice-roi avait ordonné au général Bulow, qui occupait Newstettin avec 20,000 hommes, de venir, sans plus tarder, se réunir à lui. Ce général répondit, le 10 février[10], que ses communications avec l’aimée française étaient en ce moment coupées par les Cosaques de Czernichef et de Tettenborn, que d’ailleurs son corps ne faisait point partie du contingent, et qu’il formait un corps de réserve distinct qui était exclusivement à la disposition de son souverain. La réponse du général Bulow était un refus formel de concours et faisait pressentir une nouvelle et prochaine défection.

Dans le moment où l’Autriche abaissait la barrière qui contenait les Russes sur la Haute-Vistule et leur ouvrait le cœur de l’Allemagne, elle continuait de nous accabler de ses protestations d’amitié. « Votre alliance avec la Russie, disait M. de Metternich le 15 février au comte Otto, était monstrueuse. Elle n’avait qu’un seul point d’appui très précaire, celui de l’exclusion du commerce anglais ; c’était une alliance de guerre commandée par le vainqueur, elle devait se dissoudre. La nôtre, au contraire, est fondée sur les rapports et les intérêts les plus naturels, les plus permanens, les plus essentiellement salutaires ; elle doit être éternelle comme les besoins qui l’ont fait naître. C’est nous qui l’avons recherchée, et nous avons bien réfléchi avant de la conclure ; si nous avions à la refaire, nous ne voudrions pas la stipuler autrement qu’elle ne l’a été ; elle nous mènera à la paix générale et servira plus tard à la consolider. »

Deux jours plus tard, il disait encore : « Pendant que vous acquériez des succès dans le Midi, la Russie faisait des pas de géant dans le Nord, et arrivait à son but par les formes les plus insinuantes. Elle a acquis infiniment plus de territoires que la France, et elle a su si bien déguiser son ambition, que les peuples, loin de la haïr, ont l’air de lui savoir gré de ses empiétemens ; de là notre alliance avec vous. Certes la France nous a fait bien du mal, mais il est de notre intérêt d’oublier le passé ; nous voulons lui être utiles en ce moment, parce que, dans un autre temps, elle pourra nous rendre le même service. Pesez donc ce fait, et considérez comme une vérité incontestable que nous ne cherchons que votre bien, que nous ne redoutons plus la France, mais la Russie, dont vous-mêmes, par vos concessions successives, avez étendu la puissance. »

Cependant, au milieu de ces témoignages si vifs de confiance cordiale, M. de Metternich n’était plus précisément le même homme qu’avant la défection du général York. Il commençait à écarter les voiles dont il avait jusqu’alors enveloppé ses pensées ; son argumentation était plus ferme, sa parole plus incisive, ses conclusions plus tranchées. Il était visible qu’il se sentait enhardi par ce qui se passait dans le nord de l’Allemagne. Pour la première fois, il osait attaquer les bases mêmes sur lesquelles reposait toute notre politique extérieure ; il énonçait des idées aussi neuves que hardies qui semblaient n’être encore que des vœux, mais qui étaient bien près de devenir des exigences. « Il est impossible, disait-il au comte Otto[11], que le grand-duché de Varsovie continue de subsister. Objet des espérances les plus folles et des craintes les plus réelles, c’est un pays qui ne se soutient que par le sentiment qui le porte à s’épuiser pour fomenter l’insurrection parmi les sujets des puissances voisines. » Il ajoutait que la paix avec la Russie serait impossible aussi longtemps que nous persisterions à maintenir l’existence du grand-duché. « Il n’est pas admissible, disait-il, que vous vouliez faire de trop grands sacrifices pour élever une barrière qui n’en sera pas une aussi longtemps que nous ne nous en mêlerons pas. Pourquoi voulez-vous prendre un rôle qui appartient plutôt à la Prusse et à l’Autriche qu’à vous ? Si la Russie devient trop formidable, l’Autriche et la Prusse se trouveront les premières en ligne, et alors vous viendrez à notre secours. »

« De toutes les combinaisons, ajoutait le ministre autrichien, la plus désirable, c’est que le grand-duché de Varsovie soit donné à la Prusse. La Prusse ne peut pas rester dans ses conditions actuelles, et c’est une vaine prétention de votre part d’imaginer que ce royaume et le grand-duché, constitués comme ils le sont, seront des barrières efficaces contre les entreprises de la Russie, tandis que la Prusse, agrandie de tout le territoire du grand-duché, serait assez forte pour opposer, de concert avec l’Autriche, un obstacle infranchissable aux envahissemens du Nord. »

Il n’était que trop vrai, le rétablissement de la Pologne sur ses anciennes bases était une entreprise colossale que toute la puissance de Napoléon n’était plus en état d’accomplir. C’en était fait du grand-duché de Varsovie : il allait disparaître sous les ruines de l’expédition de Russie ; déjà, dans la pensée de Napoléon, le sacrifice était consommé. La question n’était plus que de savoir la destination qui serait donnée à ce territoire. L’important pour l’Allemagne était d’empêcher qu’il ne tombât sous la domination russe. L’appréhension à cet égard était très vive à Vienne. La guerre allait recommencer, plus terrible que jamais ; quelle en serait l’issue ? Que ce fût la France ou la Russie, l’Autriche craignait de trouver dans le vainqueur un maître ; toute sa peur était de n’échapper à l’action de Napoléon que pour tomber sous celle du tsar, ce qui arriverait infailliblement, si la Russie poussait ses limites jusqu’à la Saxe. M. de Metternich était donc sincère lorsqu’il manifestait ses anxiétés. Malheureusement l’Autriche n’avait pas su mettre ses actes d’accord avec ses pensées, ni montrer autant de courage que de bon sens. Elle n’avait qu’une seule manière de prendre sur l’esprit de Napoléon un ascendant réel, c’était de gagner sa confiance en méritant son estime. Quelle autorité n’aurait-elle pas acquise sur cette âme véhémente, mais grande, si, en même temps qu’elle demandait que le territoire du duché de Varsovie fût réuni à la Prusse, elle avait hardiment arrêté les colonnes du tsar sur la Vistule ! Elle voit le danger, elle nous le signale épouvantée : elle a un moyen certain de le tenir à distance, c’est de marcher résolument sur lui et de le combattre ; mais elle n’ose, et, par cette défaillance, elle livre la Prusse, l’Allemagne elle-même à la merci de la puissance russe.

Au moment où cette puissance donnait passage aux Russes, elle entreprenait chez elle des arméniens considérables ; ses arsenaux étaient jour et nuit en travail. Non contente d’appeler sous les armes toutes ses réserves, elle envoyait partout des recruteurs pour stimuler l’ardeur guerrière des jeunes gens, et, comme les engagemens volontaires ne suffisaient pas, elle y suppléait par une véritable presse : on enlevait les hommes la nuit, on les traquait jusque dans leur lit, et on les incorporait de force dans les cadres. Un décret récent de l’empereur François venait de mobiliser 100,000 hommes. Tous les chevaux propres au service de guerre étaient mis en réquisition, et ces grandes dépenses étaient ordonnées au milieu d’une véritable détresse financière. Il n’y avait aucun doute que l’Autriche se préparait à faire une grande guerre ; la question était de savoir contre qui elle armait.

Napoléon avait en haute estime les vertus privées de l’empereur François. Il lui répugnait de penser qu’un père si tendre méditât de tourner ses armes contre l’homme à qui il avait confié le bonheur de sa fille, surtout dans un moment où cet homme lui témoignait une si grande confiance ; mais d’une part la retraite du corps auxiliaire sur Cracovie, de l’autre les vastes arméniens entrepris par l’Autriche, lui donnèrent fort à penser. Pour la première fois, il eut des soupçons. Il ne pouvait lui convenir de laisser plus longtemps à Vienne un agent fasciné qui n’avait point deviné le secret des variations de cette cour ; il rappela donc M. Otto, et nomma à sa place son aide de camp, le général comte de Narbonne. M. de Narbonne avait un esprit fin, plein de ressources, de dextérité et de grâce ; malheureusement, par son éducation et ses antécédens, il était complètement étranger aux délicates affaires de la diplomatie. C’est un préjugé trop répandu que, dans cette épineuse carrière, l’esprit et le tact naturel peuvent remplacer l’expérience. Dans des circonstances aussi graves, sur un terrain aussi difficile que celui de Vienne, c’était certainement une faute d’envoyer un général au lieu d’un diplomate.

Cependant les Russes faisaient chaque jour de nouveaux progrès. Partout les populations les recevaient comme des libérateurs et laissaient éclater les ressentimens longtemps contenus qu’elles nourrissaient contre nous. Partout où ne se trouvaient point nos troupes, les édits des 3, 9 et 11 février, qui appelaient aux armes toute la population, avaient reçu immédiatement leur exécution. Ces édits, accueillis comme un signal de guerre, embrasèrent tous les cœurs et armèrent tous les bras. Bientôt la Prusse n’est plus qu’un vaste camp. Tout ce qui est jeune, tout ce qui est en état de manier un fusil ou un sabre, se précipite sous les drapeaux ; les comptoirs, les administrations, les tribunaux eux-mêmes, tout se vide ; les affaires privées sont suspendues ; il n’y a plus dans toutes les âmes qu’une passion, c’est de s’armer pour combattre la France et affranchir l’Allemagne. Les premières familles donnent l’exemple des sacrifices : de jeunes seigneurs encore adolescens, conduits par leurs précepteurs, abandonnent leurs châteaux, leurs familles, et s’enrôlent comme simples soldats. Les professeurs donnent à leurs élèves l’exemple du patriotisme ; ils se mettent à leur tête, délaissent leurs chaires et volent dans les camps. Le trésor public épuisé ne peut subvenir aux frais d’équipement de tous ces jeunes soldats : le dévouement des citoyens lui vient en aide ; les riches se chargent d’équiper et d’armer ceux qui ne peuvent le faire à leurs frais. Le vice-roi veut comprimer ce grand mouvement, qui de tous côtés se propage et l’enveloppe : vains efforts ! à Berlin, sous les yeux du maréchal Angereau, toute la jeunesse virile se lève. Aucun sacrifice ne coûte à cette capitale ; hommes, chevaux, équipemens, approvisionnemens, argent, elle donne tout ce qu’elle peut donner ; chaque jour, une foule d’habitans partent électrisés au milieu des acclamations et des cris de guerre de la ville entière.

Sachons juger avec la haute impartialité de l’histoire les implacables ennemis de nos pères. C’est un grand spectacle que celui de ce peuple froid, contenu, raisonneur, si fier de la gloire que lui avait donnée Frédéric II, tombé si bas après Iéna, se relevant tout entier aujourd’hui sous l’aiguillon de la vengeance, et prodiguant à son roi son sang et ses dernières ressources. Puisse cet exemple servir de leçon aux nations sceptiques et frivoles, et leur apprendre qu’elles sont solidaires de leur gouvernement, même de ses fautes, lorsque ces fautes n’ont eu d’autre mobile que l’amour et la grandeur du pays, et qu’il y a des outrages qu’elles ne doivent jamais oublier !

C’est par l’action incessante des sociétés secrètes que les chefs du mouvement prussien étaient parvenus à passionner graduellement les masses. Ces sociétés poursuivaient toutes un but commun, l’expulsion des Français de l’Allemagne ; mais la plupart d’entre elles aspiraient à réaliser encore d’autres espérances : elles voulaient compléter l’œuvre civilisatrice commencée en 1808 par le baron de Stein, introduire ces grands principes d’égalité civile et de liberté politique au nom desquels s’était accomplie la révolution française. Toutes ces affiliations, enfantées au milieu des misères de la défaite et de l’occupation étrangère, couvraient de leurs nombreux réseaux la Prusse entière ; leur organisation était aussi souple que vigoureuse. Elles comptaient des adeptes dans toutes les classes et dans toutes les familles ; elles avaient des consolations pour toutes les souffrances, des excitations pour toutes les vengeances, des encouragemens pour toutes les théories. Elles s’adressaient à tous les penchans, aux plus déréglés comme aux plus nobles ; il n’y avait pas une fibre, bonne ou mauvaise, qu’elles n’eussent trouvé le secret de toucher et de faire vibrer. Le mouvement qui soulevait le peuple prussien avait donc un double caractère : il était tout à la fois guerrier et révolutionnaire. C’est par le concours simultané de ces deux forces que les chefs des sociétés secrètes étaient parvenus à passionner toutes les âmes. Ces sociétés ne se bornaient pas à appeler la haine publique sur l’homme qui avait abaissé le front couronné du descendant des Hohenzollern : elles couvraient encore d’anathèmes le destructeur des libertés de son pays.

Voilà ce qui explique la violence et l’unanimité de l’explosion du patriotisme prussien en 1813 et les prodiges qu’il enfanta. Au moment où le général York donna le signal du soulèvement, tous les cœurs et tous les bras étaient prêts. Le gouvernement prussien avait estimé que la levée en masse régularisée par les dernières ordonnances porterait l’armée à 100,000 hommes ; mais ce chiffre fut bientôt dépassé, et le roi eut plus de soldats qu’il n’en pouvait armer et habiller. À la vue des populations se levant et courant aux combats au nom de l’honneur allemand, tous les peuples germaniques tressaillirent d’enthousiasme. Dans les pays compris entre la Vistule et le Rhin, il n’y eut pas une ville, pas un hameau qui ne fussent disposés à prendre les armes pour concourir à la délivrance de la commune patrie. Les gouvernemens fidèles encore à l’alliance de la France furent dénoncés par leurs propres sujets comme traîtres à la cause de l’Allemagne ; le vide se fit tout à coup autour d’eux, et les émissaires du tsar, partout répandus, ne surent que trop bien exploiter cette impopularité du moment. M. de Metternich, qui voyait l’exaltation populaire déchirer une à une toutes les mailles de la trame qu’il avait tissée avec un art si laborieux, manifestait un véritable désespoir. Le 19 février, il disait au comte Otto avec une émotion qui avait toutes les apparences de la sincérité : « La Silésie est en proie à la plus terrible agitation ; il en est de même de la Bohême ; si la Silésie s’insurge contre son souverain, c’en est fait, 100,000 hommes viendront se joindre aux Russes. La Westphalie s’agite ; dans le Tyrol, dans les anciennes provinces prussiennes de Baireuth et d’Anspach, sur la rive droite du Rhin, on signale une sourde fermentation ; partout l’incendie allumé par les Russes étend ses ravages. Je ne m’aveugle point sur les conséquences de ces mouvemens populaires : provoqués au nom de l’honneur et de l’indépendance de l’Allemagne, ils ne tarderont pas à briser tous les liens politiques et sociaux, et j’y vois les tristes présages des plus grands malheurs et de la ruine des trônes. Croyez que dans peu de temps l’insurrection de la Prusse s’étendra jusqu’au Rhin. »

Cependant Wittgenstein s’avançait lentement, mais sûrement, par toutes les routes qui conduisent de la Basse-Vistule sur l’Oder, et se présentait devant Newstettin, où Bulow avait établi son quartier-général. Les habitans de la ville allèrent à la rencontre des Russes, et les fêtèrent comme des amis impatiemment attendus. Quant au général prussien, il ne daigna même pas déguiser sa défection. Ses soldats et ses officiers ne joignirent les Russes que pour fraterniser avec eux, et dans de joyeuses libations célébrèrent leur rapprochement et l’union prochaine de leurs souverains. Les rapports personnels des généraux en chef prirent également, bien qu’avec plus de réserve, le caractère d’une parfaite entente.

La défection de Bulow, en livrant la ligne de l’Oder, découvrait Berlin et les Marches. Czerniclief, à la tête de 3,000 Cosaques, s’élança au-delà du fleuve ; ne trouvant partout que sympathie et encouragemens, il courut sur Berlin. À son approche, la ville s’émut d’une joie convulsive : toute la population sortit des maisons dans l’attente et l’espérance d’une collision. La passion se peignait sur tous les visages ; une insurrection était imminente. Augereau n’avait sous la main que quelques milliers d’hommes ; mais sa ferme contenance, la précision et la vigueur de ses mesures, imposèrent à la multitude. Il fit avancer ses canons, marcha sur la bande de Czernichef, la dispersa, et rétablit l’ordre matériel dans les rues. Malheureusement c’était un calme trompeur, le trouble et la passion étaient au fond de toutes les âmes. Le moindre incident pouvait déterminer un soulèvement et compromettre la retraite du vice-roi.

Sur notre droite, le corps autrichien s’enfonçait de plus en plus dans une direction excentrique. Le général Frimont, qui venait de remplacer le prince de Schwarzenberg, rappelé à Vienne, écrivait le 21 février que son flanc gauche était tellement découvert et son flanc droit si menacé par les généraux Moskin, Puskin et Rott, qu’il allait quitter ses cantonnemens derrière la Pilica, se reporter derrière les forêts et les gorges de Kolla, appuyer sa droite aux frontières de la Galicie, et sa gauche au corps de Poniatowski, placé entre Czersechau et Cracovie. Ainsi le vice-roi se trouvait découvert et menacé de tous côtés, — sur son flanc droit, par la retraite du corps auxiliaire, — sur son front, par l’échec que Régnier venait d’essuyer à Kalish, — sur sa gauche, par la défection de Bulow, — sur ses derrières enfin, par les édits du roi qui armaient toute sa population. Il fallait non plus songer à défendre la ligne de l’Oder, mais se porter sur le point décisif, qui était Berlin, et y prévenir à tout prix une insurrection. En conséquence le vice-roi évacua Francfort-sur-l’Oder, rallia successivement toutes les forces éparses entre ce fleuve et l’Elbe, les divisions Grenier et Gérard, réunies en un seul corps, le 11e, sous les ordres du maréchal Gouvion Saint-Cyr, et formant ensemble 36,000 hommes, les débris du 7e corps et un certain nombre de bataillons de marche ; puis il prit possession le 21 de la capitale, et le 23 il transporta son quartier-général à Kœpnick, placé à une petite distance de la ville.

La situation personnelle du roi de Prusse n’était pas moins critique que celle du vice-roi. Quelque empressement que missent ses sujets à répondre à l’appel qu’il leur avait fait, il n’était pas encore en mesure d’entrer en guerre avec la France. Il avait une immense quantité de recrues, mais point d’armée organisée. Il lui fallait absolument deux mois au moins pour se trouver dans des conditions qui lui permissent d’ouvrir la campagne. De leur côté, les Russes étaient trop loin encore pour engager la lutte avec le vice-roi. Ces deux considérations, à défaut d’autres, eussent suffi pour imposer à Frédéric-Guillaume une grande circonspection : il en était d’autres non moins graves qui lui conseillaient d’ajourner sa déclaration.

Avant de se précipiter dans une guerre à outrance qui allait mettre en question l’existence même de sa couronne, le roi de Prusse voulait savoir d’abord s’il pouvait compter sans réserve sur le concours des forces de la Russie, puis comment cette puissance entendait compenser, en faveur de la Prusse, les agrandissemens considérables de territoire qui allaient lui échoir par l’effet de la conquête du grand-duché de Varsovie. Le roi ne pouvait se dissimuler que, si la Russie s’avançait jusqu’à l’Oder ou même jusqu’à la Wartha, elle ne serait plus qu’à quelques marches de sa capitale découverte. Quel serait désormais le sort de ses possessions, qui s’allongeaient démesurément le long de la Rai tique entre la Vistule et le Niémen ? Devenues de véritables enclaves de l’empire moscovite, elles ne seraient plus pour elle une force, moins encore un boulevard, mais une sorte de gage permanent de sa vassalité vis-à-vis de la couronne des tsars.

Le roi était décidé à ne rompre avec Napoléon qu’après s’être assuré, du côté de la Russie, toutes les garanties désirables, après avoir discuté et arrêté avec elle toutes les conditions de sa nouvelle alliance. Les informations qu’il recevait du camp de l’empereur Alexandre étaient de nature à l’affermir dans cette politique prudente et réservée. Les opinions y étaient très divisées. Les uns, qui constituaient une sorte de parti allemand dont le baron de Stein était le chef et l’organe éloquent, s’attachaient principalement à développer cette idée, que la suprématie de Napoléon reposait sur l’organisation qu’il avait donnée à l’Allemagne, que la plupart des gouvernemens germaniques, fatigués du joug, n’attendaient que l’assistance de la Russie pour s’en délivrer, et que leurs peuples étaient plus impatiens encore de se soustraire à la commune oppression. « C’était donc en Allemagne qu’il fallait frapper la puissance de Napoléon et la frapper sans retard. L’Allemagne, morcelée comme elle l’était et divisée d’intérêts, était hors d’état de se délivrer toute seule ; l’occasion pour la Russie n’avait jamais été plus belle : si elle la laissait échapper, peut-être ne la retrouverait-elle plus. Il n’y avait pas à compter sur l’Autriche ; si la sécurité était pour elle à ce prix, elle s’humilierait plus bas que tous les autres. Maître absolu de l’Allemagne, Napoléon serait de nouveau un danger flagrant et incessant pour la puissance russe ; tôt ou tard il finirait par lui arracher les possessions polonaises. En embrassant au contraire généreusement la cause de l’Allemagne, en devenant le libérateur des peuples asservis, le vengeur de tous les ressentimens légitimes, le soutien de tous les intérêts compromis ou menacés, le tsar assurerait non-seulement pour jamais le repos de son empire, mais acquerrait sur les races germaniques et sur leurs gouvernemens un ascendant qui le rendrait l’arbitre de l’Europe. » Ces argumens flattaient trop directement les penchans ambitieux et mystiques de l’empereur Alexandre pour ne l’avoir pas séduit, et il était, autant que pouvait l’être un esprit aussi mobile que le sien, le défenseur ardent des doctrines du parti allemand. Ce système ne rencontrait autour de lui que très peu d’adhérens, et parmi les généraux en renom, un seul, le comte de Wittgenstein, s’en était fait le champion. Tous les autres professaient une opinion ouvertement contraire. Les chefs réputés les plus habiles et les plus sages, Kutusof, Barclay de Tolly, Miloradovitch, montraient la plus vive répugnance à se jeter, pour des intérêts étrangers à leur pays, dans les hasards d’une guerre lointaine et continue avec l’empire français. « La Russie, disaient-ils, combattant chez elle, au milieu de ses foyers, était invincible ; toutes les fois au contraire qu’elle avait envoyé ses armées opérer loin de ses frontières, elle avait défié la fortune et s’était attiré ses rigueurs. Aujourd’hui elle avait une grandeur de situation incomparable : elle n’avait pas seulement vaincu, repoussé l’invasion ; elle avait conquis toute la Pologne. Elle était l’arbitre suprême du grand-duché de Varsovie, la dispensatrice de ses dépouilles. C’était là un résultat immense ; elle l’avait acheté au prix des plus glorieux, mais des plus cruels sacrifices ; il y aurait témérité à le compromettre en se précipitant dans des expéditions aventureuses, en allant chercher son ennemi au milieu de ses ressources, de ses places de guerre, sur des champs de bataille de son choix, et où il avait remporté autrefois ses plus beaux triomphes. Un grand revers, comme celui d’Austerlitz, remettrait tout en question, même les conquêtes aujourd’hui les mieux assurées. La Russie avait donné à tous les peuples l’exemple du courage et de l’abnégation ; c’était à eux de le suivre. Devait-elle donc se sacrifier pour cette Allemagne qui, il y a quelques mois, avait jugé utile à ses intérêts de s’unir à la France pour l’envahir et l’asservir ? »

En présence d’un si complet désaccord entre le tsar et ses généraux sur le but et la conduite de la guerre, il était naturel que Frédéric-Guillaume voulût attendre, avant de prendre un parti, que la situation fût nettement éclaircie. En conséquence il fut décidé qu’un officier qui avait toute la confiance du roi et qui avait aussi celle de l’empereur Alexandre, le colonel Knesebeck, serait envoyé immédiatement auprès de ce souverain et chargé de deux missions : l’une, toute confidentielle, qui avait pour objet d’éclaircir et de régler tous les points relatifs à l’alliance ; l’autre, ostensible et officielle, destinée à justifier aux yeux de Napoléon l’envoi du colonel, et à laquelle pourtant, si les circonstances le commandaient, M. de Knesebeck était autorisé à donner un caractère sérieux. L’empereur Alexandre serait invité à ouvrir des négociations pour arrêter les bases de la pacification générale ou continentale, et conclure immédiatement un armistice.

M. de Hardenberg fit connaître, le 19 février, à M. de Saint-Marsan l’objet officiel de la mission du colonel Knesebeck. « Les troupes françaises, lui dit-il, se retireraient derrière l’Elbe, les troupes russes derrière la Vistule ; tout le pays intermédiaire serait neutralisé, et des négociations pour la paix générale seraient ouvertes. » La France fut invitée à déclarer si elle consentirait à entrer dans un pareil arrangement et à remettre la garde des forteresses de l’Oder, de Pillau et de Dantzig à des troupes mi-partie saxonnes et prussiennes. M. de Hardenberg ajouta que la sûreté et l’honneur du roi exigeaient que l’on sauvât un coin de terre où l’on pût agir en liberté ; il affirma que le système fondé par l’alliance avec la France était encore intact, que sa cour n’avait fait aucune avance à l’empereur Alexandre, et que le désespoir causé par les refus réitérés de l’empereur Napoléon de secourir les misères de la Prusse pourrait seul la déterminer à se jeter dans les bras de la Russie. M. de Hardenberg, en prononçant ces derniers mots, était en proie à la plus vive émotion.

Comme il était facile de le prévoir, l’empereur Alexandre refusa de consentir à ce que le territoire de la Silésie fût neutralisé ; mais il promit de n’occuper cette province que du consentement du roi, puis, afin de dissiper toute incertitude dans l’esprit de ce prince, il lui envoya en toute hâte le baron de Stein et M. d’Anstett.

Le roi avait toujours eu peu de goût pour la personne de son ancien ministre. Son esprit, timide et attaché aux traditions, se sentait troublé à côté du génie ardent et novateur du baron de Stein, et il ne lui avait jamais accordé sa confiance qu’avec de secrètes réserves. Aujourd’hui Stein représentait dans sa personne les deux grandes forces conjurées contre Napoléon, la coalition avouée ou cachée des rois et le soulèvement du peuple prussien. Il était ainsi devenu un personnage redoutable qui s’imposait à tous, aux souverains tremblans sur leurs trônes comme aux masses fanatisées. Le roi le craignait trop pour le revoir avec plaisir ; mais il ne pouvait ni le désavouer, ni l’écarter : il le reçut donc. Stein fut tour à tour pressant, pathétique et véhément. Il traça un tableau saisissant de la situation ; il dit que l’empereur Alexandre était prêt à donner au roi les garanties les plus efficaces, à contracter avec lui les engagemens les plus étendus, mais qu’il attendait du roi en retour une confiance sans bornes, que le temps pressait, qu’il ne fallait pas compliquer la grande affaire de l’alliance par d’autres questions qui pouvaient être ajournées qu’avant de délibérer sur la destination à donner au grand-duché de Varsovie, il fallait avoir le droit d’en disposer, ce qui ne pouvait se faire qu’en terrassant Napoléon. Il rappela les fautes passées qui devaient servir de leçons pour l’avenir, et parla de l’excitation des masses en homme qui l’avait préparée de longue main. Il ajouta que le tsar était décidé, dans le cas où la Prusse refuserait de se détacher de la France, à incorporer à la Russie tout le pays compris entre la Vistule et le Niémen, puis à ravager les territoires situés entre la Vistule et l’Elbe. Il termina en déclarant que si le roi voulait comprimer l’élan généreux des peuples, il aurait la douleur de voir sa volonté méconnue, qu’il ne lui restait donc qu’à se mettre à leur tête et à marcher sur le Rhin.

Ces vives représentations émurent profondément Frédéric-Guillaume. De son côté, M. d’Anstett lui fit les déclarations les plus rassurantes. Il affirma que son souverain n’était entré en Prusse que pour délivrer ce royaume et le rétablir dans des conditions de force identiques à celles où il se trouvait avant la guerre de 1806. Il offrit toutes garanties contre le danger auquel une extension de la puissance russe pourrait exposer les provinces septentrionales du royaume. Malgré ces promesses, le roi semblait hésiter encore : il appela Scharnhorst et lui demanda son avis. Le général joignit ses plus instantes prières à celles du baron de Stein et conjura son souverain de se prononcer sans retard. Frédéric-Guillaume céda enfin et consacra sa défection par un traité d’alliance qui fut conclu, le 28 février, à Kalish, entre la Russie et la Prusse. La Russie prit l’engagement de concourir à la guerre active avec 150,000 hommes et la Prusse avec 80,000 (art. 3). Les deux puissances convinrent d’employer tous leurs efforts pour obtenir l’adhésion de l’Autriche (art. 7), Par les articles secrets, l’empereur de Russie promit de ne poser les armes que lorsque la Prusse aurait été replacée dans les mêmes conditions de force où elle était avant 1806, et garantit formellement au roi la possession de la Vieille-Prusse, à laquelle serait joint un territoire qui, sous tous les rapports, tant militaires que géographiques, relierait cette province à la Silésie. Le 19 mars, il fut arrêté à Breslau, entre les deux souverains, qu’ils déclareraient ne s’être proposé d’autre but que de soustraire l’Allemagne à l’influence et à la domination de la France. Tout prince allemand qui ne répondrait pas à cet appel dans un délai fixé serait menacé de la perte de ses états.

Le roi dissimula pendant trois semaines l’alliance qu’il venait de contracter avec la Russie ; mais le jour même où son plénipotentiaire signait le traité de Kalish, le 28 février, un fait significatif se passait à Berlin. Un piquet de Cosaques entrait à toute bride dans la ville, cernait l’hôtel de M. de Saint-Marsan, et, sous les yeux des autorités, au mépris du droit des gens et de tous les usages pratiqués entre nations policées, enlevait la personne du premier secrétaire de la légation de France, M. Édouard Lefebvre, s’emparait de tous ses papiers et le faisait conduire en Russie, où il fut détenu prisonnier jusqu’à la paix.

La Prusse signifia officiellement sa déclaration de guerre à M. de Saint-Marsan le 17 mars, et le 27 au duc de Bassano.

Dans la nuit du 2 mars, le vice-roi dut évacuer Koepnick, se replier sur Wittenberg et repasser la rive gauche de l’Elbe. De puissans renforts lui arrivaient de tous côtés : c’étaient d’abord les 16 seconds bataillons du 1er corps et les 16 seconds bataillons du 2e corps, qui venaient de se réorganiser à Erfurt, et qui présentaient ensemble un total de 26,000 combattans, puis la division du général Lagrange, destinée à faire partie du 2e corps, et enfin tout le 5e corps, déjà réuni à Magdebourg, sous les ordres du général Lauriston.

York, Stein et Wittgenstein en insurgeant la Vieille-Prusse, les chefs des sociétés secrètes par l’activité de leur propagande, le gouvernement par ses édits de février, avaient mis sous les armes toute la jeunesse virile du royaume. C’était un résultat immense ; mais l’empereur de Russie voulait plus encore : il voulait faire violence à tous les gouvernemens allemands, et, en dépit des obligations qui les liaient vis-à-vis de la France, les entraîner en soulevant leurs peuples. Pour réussir, le tsar et le roi de Prusse ne reculèrent devant aucune extrémité ; avec une témérité sans exemple, ils n’hésitèrent point à faire appel à des passions toujours promptes à s’éveiller dans le cœur des hommes. Abolition des distinctions féodales, égalité civile, liberté politique, ils promirent tout aux peuples allemands. Une force nouvelle, souvent désordonnée et aveugle, toujours terrible dans l’explosion de ses premiers accès, la passion populaire, apparaît alors et altère sensiblement l’action froide et contenue des cabinets. Ici c’est Blücher qui parle aux Saxons un langage inspiré : « Nous portons nos pas dans les lieux que nous montre le doigt de la Providence. Vaillans Saxons, l’heure de la délivrance est venue. Aux armes ! levez l’étendard contre vos oppresseurs, soyez libres ! » — « Dieu est à nos côtés, s’écrie un autre général ; nous affrontons l’enfer et ses alliés ; toute distinction de naissance, de rang, de pays est bannie de nos légions ; nous sommes tous des hommes libres. » Mais ces appels à de nobles passions ne suffisent pas encore aux alliés ; leurs généraux, dans des proclamations qui sont des ordres, affectent la sauvage énergie des Espagnols. « La levée en masse, disent-ils, doit combattre à outrance, harceler l’ennemi, lui couper les vivres ; elle ne doit pas craindre d’anéantir les soldats marchant isolément. Elle s’arme indifféremment de fusils, de faulx, de sabres et de fourches. À l’approche des Français, les habitans doivent évacuer les villages et se retirer dans les bois, emporter les farines, faire couler les tonneaux, brûler les moulins et les bateaux, combler les sources et couper les ponts. Les bals, les fêtes, les mariages même sont interdits dans les villes qui sont occupées par les Français. »

Conçues dans le délire de la haine contre Napoléon, accueillies par tous avec frénésie, ces terribles ordonnances annonçaient que les temps étaient changés, que ce n’étaient plus des armées régulières que nous allions avoir à combattre, mais des peuples tout entiers. La défection et le soulèvement de la Prusse étaient pour nous bien autre chose que la perte d’un corps auxiliaire de 24,000 hommes : c’était le cri de guerre poussé par les Allemands du nord, auquel allaient bientôt répondre les Allemands de l’ouest et du midi. Partout déjà se manifestait une fermentation inexprimable. Comme la mer battue par la tempête, l’Allemagne entière se remuait dans ses profondeurs.

La France présentait un spectacle bien différent. Le fanatisme révolutionnaire, qui autrefois avait levé et armé l,400,000 hommes, était depuis longtemps éteint. En se disciplinant sous la main du chef puissant qui s’était emparé de toutes ses forces vives, la nation avait perdu cet élan impétueux, irrésistible, contre lequel étaient venues se briser les armées et les haines de l’Europe. Éblouie par une gloire incomparable, d’humeur naturellement guerrière et aventureuse, plus ardente que ferme, aussi prompte à se décourager qu’à s’enflammer, elle avait suivi aveuglément son chef dans toutes ses entreprises, même les plus téméraires. À peine si elle s’était rendu compte du but où on la conduisait, et à son insu elle avait obéi plus encore à son imagination qu’à sa raison. Elle était heureuse alors, parce qu’elle se sentait la première puissance du monde. La gloire et l’ambition la consolaient de la perte d’une liberté qui ne lui rappelait encore que des désordres ou des crimes. Enfin l’abus des succès avait appelé sur elle de soudains et cruels revers. Comme elle n’y avait point été préparée, elle en avait été plus accablée. Aux récits lamentables des désastres de la retraite de Russie, elle était sortie comme d’un rêve ; elle avait été navrée de douleur ; elle avait eu là, rassemblées dans un même tableau, toutes les désolations qui peuvent affliger un grand peuple. Quelle famille n’avait pas eu à pleurer un père, un frère, un ami ! La France, qui pendant si longtemps avait disposé des couronnes et des états, se voyait aujourd’hui menacée dans sa sécurité et son indépendance. Elle était toujours valeureuse ; mais son courage commençait à n’être plus que celui de la résignation. Ainsi, tandis que l’Allemagne, pleine de foi, d’espérance et de passion, était prête à se lever tout entière pour s’affranchir de la domination de la France, la France, silencieuse, attristée et refroidie, commençait à douter de son chef, de l’avenir et d’elle-même.


III.

Napoléon n’avait que trop le sentiment des difficultés de sa situation. À la vue du grand mouvement que soulevait contre lui le nord de l’Allemagne, il ressentit un trouble profond. Évidemment il ne s’était pas attendu à un tel déchaînement de passions hostiles. Comment conjurer ces dangers qui se dressaient de toutes parts contre lui ? où trouver une digue assez forte pour contenir ces flots d’ennemis arrachés de leur lit et prêts à déborder sur ses frontières ?

Le prince de Schwarzenberg était venu reprendre possession de son poste d’ambassadeur à Paris. Le langage qu’il tenait était, comme celui de M. de Metternich, doux, empressé et amical. Il prêchait la modération et la paix ; il proposait la médiation de sa cour, sans oser la qualifier encore de médiation armée. En même temps il pressait le duc de Bassano de lui faire connaître les conditions précises sur lesquelles Napoléon entendait traiter ; il demandait si l’intention de l’empereur serait de restituer les villes anséatiques, de rétablir l’indépendance de la Hollande, de renoncer à la création du grand-duché de Varsovie ? l’empereur était peu disposé à traiter en ce moment. Son orgueil répugnait à négocier sous le coup des désastres qui avaient terni l’éclat de ses armes. Il fallait que d’abord il reparût puissant sur les champs de bataille, et effaçât par de nouvelles victoires l’impression produite par de récens revers. Puis il se défiait des intentions de l’Autriche ; dans son langage, cette puissance restait toujours une alliée dévouée, quand déjà depuis longtemps elle ne l’était plus dans ses actes. La retraite du corps auxiliaire sur Cracovie et les armemens considérables qu’elle entreprenait chez elle avaient éveillé à Paris de légitimes soupçons, et Napoléon ne croyait pas devoir livrer à une puissance qui présentait dans sa conduite tant de contradictions le secret des sacrifices qu’il ferait plus tard pour obtenir la paix. D’ailleurs ces sacrifices dépendraient des circonstances et du caractère qu’aurait la pacification. Serait-elle générale ? serait-elle simplement continentale ? C’étaient là des hypothèses qui comportaient des solutions très différentes. Les sacrifices que l’empereur serait disposé à faire à la paix générale, il ne les ferait certainement pas à une simple paix continentale. En tout cas, le moment des explications décisives n’était point venu : il s’agissait aujourd’hui, non de négocier, mais de combattre. S’il était vrai que l’Autriche fût aussi sincèrement dévouée à nos intérêts qu’elle persistait à nous le dire, l’occasion allait se présenter pour elle de nous le témoigner. La campagne ne pouvait tarder à s’ouvrir ; qu’elle resserrât les nœuds qui l’unissaient à nous, que l’Autriche consentît à nous garantir la coopération loyale et énergique de ses armées, et Napoléon lui assurerait de son côté les plus grands avantages. Déjà une première fois, après son retour de Smorgoni, il l’avait vivement sollicitée de s’unir étroitement à sa cause. Cette tentative n’avait point réussi. Pouvait-il espérer que de nouvelles ouvertures seraient mieux accueillies aujourd’hui ? Dût une seconde démarche être également infructueuse, il résolut de la tenter.

Le 27 mars, son ministre des affaires étrangères écrit sous sa dictée au comte de Narbonne les instructions suivantes. — Il reconnaît que l’état des choses est changé par la défection de la Prusse. Il déplore que la Russie, au lieu de recourir à cette puissance comme à un intermédiaire pour négocier la paix, ait mieux aimé s’en servir comme d’un moyen de guerre. « Il l’a poussée, dit-il, à la défection pour faire avec elle une campagne, réaliser, en cas de succès, ses vues sur la Pologne, et en cas de revers sacrifier la Prusse, comme elle l’a fait à Tilsitt. Si elle triomphe, elle prendra toute la rive gauche de la Vistule et donnera à la Prusse un équivalent en Allemagne. Puisque l’Autriche. veut la paix, il faut qu’elle agisse vivement, qu’elle s’adresse à la Russie et lui demande d’ouvrir immédiatement des négociations. L’empereur Alexandre y consentira. On conviendrait d’un armistice pendant lequel on négocierait. Les plénipotentaires se réuniraient entre Breslau et Dresde. Si les Anglais voulaient en envoyer un, il serait reçu. L’armistice une fois admis, le langage et les forces de l’Autriche amèneraient promptement la conclusion de la paix. L’empereur Alexandre et Frédéric-Guillaume étant à Breslau, l’empereur François pourrait être à Prague et l’empereur Napoléon à Dresde. La négociation serait courte. Si l’empereur Alexandre refuse de négocier, voilà ce que nous proposons : l’Autriche ne peut, dans ce cas, manquer de prévoir la perte de la Prusse. La population de la monarchie prussienne est de 5 millions d’âmes. On en formerait trois lots. Un million serait laissé à la Prusse sur la rive droite de la Vistule ; deux millions seraient réunis à l’Autriche, et les deux autres millions à la Saxe et à la Westphalie. La plus belle part serait celle qui reviendrait à l’Autriche. La Silésie, qui se lie à la Bohème, et qui forme la meilleure et la plus belle partie des possessions de la Prusse, a une bien autre valeur que n’en ont les territoires qui seraient cédés aux alliés de sa majesté.

« Les jours sont comptés : dans les premiers jours de mai, l’empereur Napoléon sera sur l’Elbe, l’Autriche en mesure d’agir vigoureusement, et nous battrons de concert les Russes et les Prussiens. L’armée de Bohème et de Cracovie, présentant un effectif de 60,000 hommes, serait prête à agir ; le total des forces autrichiennes qui entreraient en campagne devrait s’élever à 100,000 hommes, 30 à 40,000 hommes formeraient l’armée de Silésie ; 30 à 35,000, celle du prince de Schwarzenberg. Le reste serait à la disposition de la France dans la Bukovine et dans la Galicie. L’empereur Napoléon manœuvrerait de manière à couper la Silésie de toutes communications avec la Russie et à faciliter à l’armée autrichienne la conquête de cette province. »

Là ne se bornèrent point les offres de la France, et on laissa espérer au prince de Schwarzenberg que, si l’Autriche consentait à resserrer ses nœuds avec nous, on lui restituerait les provinces illyriennes. M. de Narbonne communiqua le 10 avril à M. de Metternich la substance de nos dernières propositions. Treize jours s’étaient écoulés depuis celui où elles avaient été expédiées. Dans cet intervalle, la situation s’était bien aggravée. Un événement considérable s’était accompli : la Prusse avait officiellement déclaré la guerre à la France, et cette nouvelle avait jeté la capitale et les populations allemandes de l’Autriche dans un véritable délire. L’impatience de nous combattre et d’anéantir notre suprématie avait envahi toutes les classes, et Vienne présentait le même spectacle que Berlin en 1806, avant la bataille d’Iéna. Des écrits pleins de fiel circulaient dans toutes les familles et les poussaient à la guerre sainte. La haute noblesse et l’armée, honteuses de leur inaction, enviaient aux Prussiens l’honneur de délivrer l’Allemagne. Elles disaient que l’Autriche ne pouvait laisser le premier rôle à sa rivale, et qu’à moins de renoncer pour jamais à sa suprématie séculaire, elle devait sans retard et d’une main ferme prendre la haute direction des intérêts allemands. L’alliance de famille n’arrêtait point la véhémence des discours. M. de Narbonne écrivait le 1er avril : « Les journaux et écrits périodiques qui appellent les peuples aux armes et leur promettent une constitution portent le désespoir dans le cœur de M. de Metternich. Il n’hésite pas à comparer à des comités de salut public les conseils de l’empereur de Russie et du roi de Prusse. Partout ici, dans les cafés, sur les murs, dans les cris du peuple, éclate l’horreur du nom français. Tous les malheurs qui affligent ce pays, la cherté des vivres, la disette de l’argent, c’est à la France qu’on les attribue. La haine des salons contre nous tient du délire. » Il était visible qu’à mesure que s’élevait la passion publique, le gouvernement mollissait ; il ployait sous la tempête déchaînée. L’impulsion était si violente, les esprits tellement emportés, que si quelque grand événement ne venait changer le cours des idées, M. de Metternich serait inévitablement forcé, ou de se prononcer contre la France, ou de se retirer.

L’accueil fait à nos dernières propositions se ressentit d’un tel état de choses. Moins que jamais l’Autriche était disposée à former avec nous une alliance intime. Elle n’avait qu’une ambition, c’était de profiter des avantages de la situation pour imposer aux puissances belligérantes sa médiation, non plus simplement amicale, officieuse et toute pacifique, mais armée. M. de Metternich, naguère si expansif, affecta, pendant la lecture que lui fit M. de Narbonne de la dépêche du 27 mars, une contenance pleine de froideur, et se borna à demander si la France ne renoncerait pas aux territoires dont elle s’était emparée dans les dernières années, notamment aux villes anséatiques et à la Hollande. « Il est impossible, dit-il encore, que les provinces illyriennes ne nous reviennent pas. L’empereur Napoléon a pris à peu près l’engagement de nous les restituer. »

M. de Metternich fit attendre sa réponse pendant cinq jours ; elle était compassée, pleine de réticences et de subtilités, doucereuse dans la forme, très dure au fond, presque comminatoire. M. de Metternich, qui était tourmenté du désir de rompre l’alliance de 1812, déclara que, pour atteindre le grand but de la paix, il n’existait qu’une forme diplomatique, celle de la médiation armée. « L’empereur mon auguste maître, dit-il, se prête en conséquence à prendre cette attitude. » M. de Metternich, qui connaissait le prix du temps et les dispositions peu pacifiques de l’Angleterre, représenta qu’avant d’ouvrir les négociations, il était convenable d’attendre la réponse de cette puissance aux ouvertures qui lui avaient été faites.

Napoléon avait demandé à l’Autriche de concourir aux efforts de la campagne prochaine dans la proportion de 100,000 hommes. M. de Metternich répond et prononce le mot fatal : « Le rôle de l’Autriche ne peut plus être celui d’un simple auxiliaire, et, dans le cas où la médiation n’aurait point le succès qu’elle espère, il ne lui resterait d’autre alternative que de se retirer derrière ses frontières ou de s’engager dans la guerre comme partie principale. Les stipulations de secours limités de notre traité d’alliance ne sont plus applicables aux circonstances actuelles. »

La campagne allait s’ouvrir. La France et la Russie avaient un égal intérêt à ne point forcer l’Autriche à se prononcer plus tôt qu’elle ne le voulait ; mais il était impossible qu’elles ne l’obligeassent pas à s’expliquer sur la destination du corps auxiliaire. En effet, comme si la France et la Russie s’étaient donné le mot, le 11 avril le général russe Sacken dénonçait l’armistice conclu à la fin de janvier, et ce même jour le duc de Bassano écrivait au comte de Narbonne : « L’empereur a communiqué au prince de Schwarzenberg son plan d’opérations. Sa majesté sera probablement le 20 à Mayence. Elle enverra immédiatement au général Frimont l’ordre de dénoncer l’armistice. Prévenez M. de Metternich, afin que le général Frimont n’ait pas le plus léger prétexte pour refuser d’agir. » Le prince de Schwarzenberg avait formellement déclaré que, sans aucun doute, le général Frimont obéirait aux injonctions de l’empereur.

Le 18, aussitôt après avoir reçu les ordres de sa cour, le comte de Narbonne se rendit chez M. de Metternich, et il lui dit : « L’empereur s’explique nettement au sujet du corps auxiliaire. Il considère ce corps comme faisant partie de son armée ; il lui assigne son poste et vous annonce d’avance les mouvemens qu’il va lui prescrire. »

À ces mots, M. de Metternich ne peut maîtriser son trouble. Sa figure pâlit et rougit tour à tour ; sa voix elle-même est altérée. Il objecte que le corps auxiliaire est bien faible, qu’il est le seul boulevard qui couvre la Galicie, et que l’exposer dans une lutte inégale, ce serait compromettre le cœur de l’empire. « Mais, répond M. de Narbonne, considérez que le contingent est un corps de la grande armée qui lie ses opérations à celles des autres. Les mesures que l’Autriche croira devoir prendre pour faire respecter la Galicie ne sauraient influer sur la destination du contingent, dont elle ne doit pas disposer. Encore une fois, faites que ce corps demeure dans sa position actuelle. S’il se retire, c’est vous qui serez responsable des complications qui en résulteront. » Pensif, silencieux, M. de Metternich semblait abîmé dans ses réflexions. M. de Narbonne reprit avec l’accent de la persuasion : « Quel avantage trouvez-vous à gagner du temps, et qu’attendez-vous pour vous décider ? Les événemens de la guerre vous ôteront nécessairement une partie de cette prépondérance que nul ne vous conteste aujourd’hui. » M. de Metternich rompit enfin le silence : « Nous ne voulons que la paix, dit-il ; mais sur quelle base l’établir ? Savez-vous vous-même ce que veut la France ? l’empereur ne prétend céder sur rien. Les villes anséatiques par exemple, il s’obstine à les détenir. »

Le ministre promit d’adresser le soir même la réponse de l’empereur son maître. Tout ce jour et le lendemain s’écoulèrent sans que la réponse promise fût envoyée. Le 20, l’ambassadeur de France se transporta de nouveau chez M. de Metternich, qu’il trouva malade et agité. Le ministre lui dit avec un embarras inexprimable que l’empereur d’Autriche venait d’apprendre que le général Frimont était en pleine retraite. À cet aveu, M. de Narbonne témoigne plus que de la surprise. M. de Metternich cherche à justifier la résolution de sa cour. « Le corps du général Sacken, dit-il, comptait plus de 30,000 hommes ; conséquemment le corps auxiliaire n’avait pu faire autrement que de se replier sur la Galicie. » M. de Narbonne répliqua que les corps combinés du général Frimont et du prince Poniatowski étaient, de l’aveu même du ministre, plus nombreux que ceux de l’ennemi, a Ainsi, s’écria-t-il avec l’accent d’une âme indignée, vous prétendez que le contingent ne doit pas se battre, malgré le traité qui l’y oblige, malgré les assurances que vous-même vous m’avez données ! »

Confus, interdit, M. de Metternich ne trouvait plus d’argumens pour se justifier. « Ne serait-il pas absurde, disait-il, que les Autrichiens se battissent pour les Polonais ? Jamais on ne déterminera les troupes du général Frimont à se battre pour leur conserver Cracovie. » Alors M. de Narbonne reprit avec une dignité solennelle : « Considérez bien de quelle immense responsabilité vous vous chargez. Si votre parti est pris contre la France, je n’ai plus rien à dire ; mais si vous balancez encore, quelle conclusion pensez-vous que nous puissions tirer de la retraite du général Frimont ? » M. de Metternich, poussé à bout, répliqua que l’empereur des Français, en exigeant la coopération du corps auxiliaire, n’avait voulu qu’une chose, c’était de mettre l’Autriche à l’épreuve. « Et quand cela serait, dit vivement M. de Narbonne, vous conviendrez qu’il aurait eu quelque raison, puisque la première démarche que vous faites est de violer le traité qui subsiste encore. Je ne puis différer de m’expliquer avec vous : l’empereur mon maître a désiré et désire encore la bonne intelligence entre la France et l’Autriche. Il a désiré voir les forces de cette dernière puissance consacrées à la pacification générale. Dans cette pensée, il a fermé les yeux sur plusieurs démarches, et particulièrement sur l’armistice conclu en janvier, sans son aveu, par un corps d’armée soumis à ses ordres. En vain m’objecterez-vous l’utilité prétendue de cet armistice. Le mal que le corps auxiliaire aurait pu faire aux Russes était incalculable. Son commandant n’avait pas le droit de conclure un tel armistice. La France ne s’est pas plainte pourtant : elle n’a point provoqué de nouvelles résolutions de votre part ; elle vous a laissé le temps de les peser et s’en est tenue religieusement au traité de Paris. »

Après ce second entretien, M. de Narbonne, aussi ému qu’attristé, rentra chez lui, rédigea une note qui constatait la violation du traité de Paris, et l’envoya à M. de Metternich. Le 23, il demanda et obtint la faveur d’être reçu par l’empereur d’Autriche. Ce souverain ouvrit l’entretien en annonçant que le général Frimont avait déjà reçu l’ordre de se retirer, que la cause déterminante de ce mouvement était qu’en conservant ses positions avancées, il s’exposerait inutilement. L’empereur ajouta : « Je ne veux pas que mes troupes soient morcelées. Les Polonais feront ce qu’ils voudront, mais je conseille à votre maître de ne point se fier à eux. » M. de Narbonne allégua les stipulations précises du traité de Paris. L’empereur reprit : a Mais c’est votre maître qui l’a annulé en me pressant de proposer la médiation armée. » Alors M. de Narbonne conjura son auguste interlocuteur de vouloir bien confondre les deux rôles, celui d’allié et celui de médiateur. « C’est ma conviction, reprit ce prince, que je ne puis pas être à la fois en guerre et médiateur. Cette confusion de rôles détruirait toute la confiance que je puis inspirer, — Mais enfin, dit M. de Narbonne, votre majesté veut donc considérer comme non avenu le traité de Paris ? — C’est votre maître qui le veut, puisqu’il exige que je réunisse toutes mes forces et que je rassemble 200,000 hommes. » M. de Narbonne objecta que son souverain n’en avait demandé que la moitié. « Enfin, dit l’empereur avec une sorte d’impatience, c’est ma conviction ; je veux que toutes mes troupes soient réunies pour agir d’accord avec les vôtres. — Elles seront donc destinées toutes à agir pour nous ? demanda M. de Narbonne. — Oui, dit l’empereur, dans le cas où, comme je l’espère, votre maître accédera à des propositions raisonnables. — Mais, reprit l’ambassadeur, qui jugera le véritable caractère de ces propositions ? Et dans le cas contraire aux prévisions de votre majesté qu’adviendrait-il ? » La question était pressante, trop pressante certainement. L’empereur François garda un instant le silence ; puis, comme un homme qui répond à ses pensées intérieures, il dit : « Il faudrait être fou pour vouloir aller par-delà le Rhin et ne pas laisser un peu de puissance de ce côté-ci, absurde de vouloir rien tenter du côté de l’Italie. Je dois compte à mes sujets de tout le sang que je leur fais verser. » S’adressant plus directement à la personne de notre ambassadeur, il ajouta : « Prenez garde, monsieur le comte ; j’ai des raisons de croire que l’on ne sera pas content à Paris que vous ayez donné votre dernière note, à laquelle je ferai réponse aujourd’hui. »

L’entretien durait déjà depuis longtemps ; avant de se retirer, M. de Narbonne supplia encore l’empereur de ne pas séparer sa cause de celle de son gendre. L’empereur d’Autriche lui répondit avec fermeté : « Non, je ne changerai rien à ma résolution ; en la prenant, j’ai obéi à mes convictions ; c’est ma conscience qui le veut et qui me le commande. Si j’agissais autrement, je serais responsable devant Dieu. » Ces mots furent les derniers de ce grave entretien.

Le 1er mai, M. de Metternich envoya la réponse de son souverain. « L’empereur d’Autriche, disait M. de Metternich, s’est placé vis-à-vis de l’Europe dans l’attitude la plus belle qui puisse être réservée au souverain d’un grand état, celle de médiateur. Dès que sa majesté veut la chose, elle doit en vouloir les moyens. Ces moyens existent dans les formes de la plus complète impartialité et dans le déploiement de grandes forces. Nous avons adopté les premières ; les secondes sont toutes prêtes. L’empereur veut la paix et ne veut que la paix. Ce n’est pas avec de faibles moyens que l’empereur François soutiendra ses paroles de paix et qu’il sera prêt à combattre les ennemis des intérêts de la France, qu’il ne séparera jamais de ceux de son propre empire. »

C’en était fait, le voile était déchiré, la situation mise à nu. L’Autriche rompait l’alliance signée le 14 mars 1812, et elle choisissait pour la rompre le moment où la France, assaillie par des ennemis redoutables, lui demandait, avec autant de loyauté que de confiance, de négocier la paix, si la paix était possible, et, si elle ne l’était pas, d’unir ses efforts aux siens pour la conquérir. Ce n’est pas sans ressentir un grand trouble que l’empereur d’Autriche et M. de Metternich avaient pris une résolution aussi hardie. Elle venait trop tôt pour le succès de leurs combinaisons. Forcés dans leurs derniers retranchemens par les sollicitations de M. de Narbonne, ils n’avaient pu échapper au danger d’une explication. Le coup était porté maintenant ; ils craignaient qu’à cette nouvelle Napoléon ne fît explosion. Les événemens pouvaient tourner au profit de sa gloire et à la confusion de tous ses ennemis. Aussi, dans le moment même où M. de Metternich brise les liens formés en 1812, il s’applique avec tout l’art dont il est capable à nous persuader que sa cour n’a pas changé de système. Le 1er mai, il écrit confidentiellement à M. de Narbonne : « J’espère que l’empereur Napoléon voue quelque confiance à l’homme qui, en grande partie, a fondé les rapports qui existent entre l’Autriche et la France. Serait-il dans la nature des choses que cet homme pût contribuer au renversement d’une œuvre de plusieurs années dans ce moment où un résultat entièrement favorable à l’empereur votre maître ne lui présente aucun doute ? »

M. de Narbonne avait un esprit trop délié pour se laisser abuser par ces doucereuses paroles. Ses convictions étaient formées. D’une main trop brusque, il venait d’arracher le voile dont M. de Metternich enveloppait sa pensée. Il le tenait pour un ministre cauteleux, plus faible encore que perfide, entraîné malgré lui, mais à coup sûr déjà en voie de défection, et qui ne voulait intervenir en médiateur armé que pour nous dicter des lois. Il ne laissa pas un instant à ce ministre la satisfaction de croire qu’il l’avait trompé. Il lui déclara qu’acceptant toutes les conséquences de la nouvelle position que venait de prendre l’Autriche, l’empereur Napoléon allait lever immédiatement deux cent mille hommes.


ARMAND LEFEBVRE.

  1. Dépêches des 8, 12 et 16 décembre 1812 au comte Otto.
  2. Dépôt des archives des affaires étrangères.
  3. Lettre de l’empereur à M. de Cessac. (Dépôt de la guerre.)
  4. Dépêche du duc de Tarente, 8 janvier. (Dépôt de la guerre.)
  5. Lettre du major-général à l’empereur, 16 janvier. (Dépôt de la guerre.)
  6. Dépêche du général Régnier. (Dépôt de la guerre.)
  7. Dépôt de la guerre.
  8. Dépêche de Régnier au major-général, 6 février. (Dépôt de la guerre.)
  9. Lettre du prince de Schwarzenberg au vice-roi. (Dépôt de la guerre.)
  10. Dépôt de la guerre.
  11. Dépôt du ministère des affaires étrangères.