Solidarité/Préface de l’auteur

Armand Colin (p. 5-7).
Solidarité

Le mot de solidarité n’est entré que depuis peu d’années dans le vocabulaire politique. Au milieu du siècle, Bastiat et Proudhon ont bien aperçu et signalé les phénomènes de solidarité « qui se croisent » dans toutes les associations humaines. Mais aucune théorie d’ensemble ne s’est dégagée de ces observations[1] ; le mot, en tout cas, ne fit pas fortune, et Littré, en 1877, ne donne encore de ce terme, en dehors des acceptions juridique et physiologique, qu’une définition « de langage courant », c’est-à-dire sans précision et sans portée : « c’est, dit-il seulement, la responsabilité mutuelle qui s’établit entre deux ou plusieurs personnes ».

Aujourd’hui, le mot de solidarité paraît, à chaque instant, dans les discours et dans les écrits politiques. On a semblé d’abord le prendre comme une simple variante du troisième terme de la devise républicaine : fraternité. Il s’y substitue de plus en plus ; et le sens que les écrivains, les orateurs, l’opinion publique à son tour, y attachent, semble, de jour en jour, plus plein, plus profond et plus étendu.

N’y a-t-il qu’un mot nouveau et comme un caprice du langage ? Ou ce mot n’exprime-t-il pas vraiment une idée nouvelle, et n’est-il pas l’indice d’une évolution de la pensée générale ?

  1. Il faut citer toutefois le livre de P. Leroux de L’Humanité, 1839. Mais ce livre, célèbre en son temps, ne semble pas avoir eu d’action sur les générations suivantes. Le Comité organisé par le parti démocratique pour les élections de 1849 s’appelait la Solidarité républicaine, et avait Jean Macé pour secrétaire.