Hetzel (p. 397-398).


CHAPITRE XIX

CONCLUSION


Ma tâche est achevée. J’ai payé toutes mes dettes.

Dette envers le public : j’avais annoncé Soixante ans de souvenirs ; mon ouvrage part de 1813 et va jusqu’en 1876.

Dette envers mes amis : je les ai fait revivre le plus fidèlement que j’ai pu, en peignant ce qu’ils furent et en racontant ce qu’ils firent.

Dette envers mon père : dès ma jeunesse je promis à sa mémoire et je me promis à moi-même de faire tous mes efforts, pour porter de mon mieux le nom qu’il m’a laissé. Il était membre de l’Académie, je le suis. Il était professeur au Collège de France, je l’ai été. Il a eu des succès éclatants au Théâtre-Français, j’y ai été applaudi. Enfin, le 15 janvier 1876, j’ai rendu à Lamartine un hommage public, qui ne parut pas indigne de lui ; je ne puis, ce me semble, choisir une meilleure date pour clore mes souvenirs.

Mes dix dernières années, et même les années qui précèdent, ne contiennent-elles donc aucun fait et aucun nom qui méritent d’être conservés ? J’espère que si. Écrirai-je ces souvenirs ? Certes, puisque j’ai déjà commencé. Les publierai-je ? Oh ! cela c’est différent ! Je n’en sais rien. D’abord, ces derniers récits auront peut-être un caractère plus intime qui me déconseillera de les publier. Puis, le Temps m’en laissera-t-il le temps ?

A l’époque de la vie où je suis arrivé, on a beau se sentir encore capable de travail, on sait bien qu’une minute suffit pour vous faire tomber la plume de la main. Quand ce moment viendra, j’espère avoir encore le cœur assez reconnaissant pour remercier la Providence du passé, pour jouir même du présent, et pour me conformer à ce distique, fait par moi, à mon usage :

 
                Veux-tu savoir vieillir ? Compte dans la vieillesse,
                Non ce qu’elle te prend, mais ce qu’elle te laisse.