Soir d’automne (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 173-175).

SOIR D’AUTOMNE


Des nuages, couleur de marbre,
Volent, à travers le ciel fou ;
« Eh la lune, garde à vous ! »
L’espace meugle et se déchire.
Sous l’écorce, par leurs fentes,
On écoute pleurer et rire
Les arbres.

« Eh la lune, garde à vous ! »
Votre face de cristal blanc
Va choir morte, parmi l’étang,
Cassée aux angles des vaguettes,
Les troncs plient comme des baguettes,
L’ouragan pille aux cabanes cognées
Le chaume immense, par poignées.


C’est les noces du vent et de l’automne.
« Eh la lune, garde à vous ! »
Le vent est ce cavalier lourd
Qui s’est soûlé, ce soir, et fait l’amour
À tous les coins des carrefours
Avec la rouge et violente automne.

« Eh la lune, garde à vous ! »
Votre allure de sainte Vierge
Et vos étoiles et vos cierges
N’ont rien à faire en cette heure de fête,
Où l’automne et le vent perdent la tête,
Où l’on entend leurs cris et leurs spasmes de bruit.
Immensément la nuit,
Et les forêts ployer et s’agiter soudain
Comme des dos, à coups de reins.

Par les fourrés, les chiens maraudent,
Une odeur lourde et chaude
Grise la plaine et redresse debout
Le rut universel qui monte et s’enfle et bout
Dans les fureurs de la nature en rage ;
Avec l’automne ivre et sauvage


De l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord,
Le vent houleux s’accouple à mort.
« Eh la lune garde à vous ! »
Les chiens hurlent comme des loups !