La Baie (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 170-172).

LA BAIE


Dans une baie, au bord des dunes,
Qui s’étendent, de lieue en lieue,
Voici jouant avec la lune,
La fée aux deux mains bleues.

Comme d’un panier d’or,
La lune tombe au fond de l’eau
Et s’éparpille
En ronds qui brillent ;
La lune et tout le grand ciel d’or
Tombent et roulent vers leur mort,
Au fond de l’eau profonde et bleue
Dont est reine, la fée
Aux deux mains bleues.


Or idéal et si lointain
Que les regards sont incertains
Dès qu’ils le comptent ;
Et néanmoins la fée
Le mêle à l’or de ses cheveux
Et sur ses seins, le dompte.

Elle se pâme en ses reflets
Brusques et violets,
Le jette au sable et à la vase,
Sans se douter, un seul moment,
Que dans les loins du firmament
Cet or aimante et fait brûler l’extase.

Elle le fausse et le salit
L’attire à elle au fond du lit
D’algues et de goémons flasques,
Où rit, d’entre des fleurs couleur céruse
Et des balancements d’ombres et de méduses,
Son masque.

Et l’or divin est employé
Sans peur qu’il soit l’éclair qui tout à coup fulgure,
Pour le plaisir et la luxure ;
Et l’or divin, c’est l’or noyé.


Dans une baie au fond des dunes
Qui s’étendent de lieue en lieue,
Voici la fée aux deux mains bleues
Drainant le ciel en ses cheveux.