Six lectures sur l’annexion du Canada aux États-Unis/Sixième Lecture

SIXIÈME LECTURE.



Messieurs de l’Institut,

Mesdames et Messieurs.


Il est encore une objection très spécieuse, faite journellement par les amateurs du système colonial, à laquelle je n’ai pas touché.

« Avec l’annexion, disent-ils, vous n’aurez plus le revenu des douanes ; comment donc paierez-vous l’intérêt de la dette publique, les versements acompte du capital, et les autres dépenses du gouvernement ? Vous voyez bien qu’avec votre projet, le pays marche droit aux taxes directes. »

Je vais donc, Messieurs, essayer de vous démontrer que même avec l’annexion, nous pourrons facilement pourvoir à tous nos besoins généraux, sans être obligés de recourir aux taxes sur la propriété foncière.

Je crois même pouvoir démontrer que c’est précisément sous le régime colonial que nous courons le risque d’être taxés directement ; et que l’annexion est certainement le meilleur, peut-être le seul moyen d’éviter ce surcroît de charges.

Il nous faudra sans doute payer quelque chose pour le soutien de l’éducation et pour les besoins municipaux ; mais cela se paie dès aujourd’hui, nous ne pouvons pas plus l’éviter maintenant qu’après l’annexion ; notre position ne sera donc pas pire qu’elle n’est aujourd’hui. Les charges municipales seront peut-être un peu plus fortes après l’annexion qu’aujourd’hui, mais il nous faudra toujours les augmenter, le régime colonial dût-il encore subsister dix ans ! Des cotisations municipales ne seront donc pas le résultat de l’annexion, mais celui de nos besoins, de l’insuffisance de nos travaux d’assèchement ; surtout du mauvais état de nos routes qui est une des principales causes du peu de valeur de la propriété.

D’ailleurs l’augmentation de la richesse générale ainsi que la diminution dans les dépenses et conséquemment dans les charges publiques suppléeront de reste à une légère augmentation des charges municipales.

Enfin cette augmentation ne peut avoir lieu, dans tous les cas, que si le peuple y consent, ainsi il ne court aucun risque.

Quand à nos dépenses de gouvernement, je demanderai aux partisans du gouvernement responsable pourquoi on est obligé de prélever annuellement sur le pays une somme de près de £600,000 ?

Parce que d’énormes capitaux ont été employés en améliorations qui ne produisent pas le quart des intérêts que nous payons.[1]


Pourquoi aussi nos travaux publics rapportent ils si peu ? Parce que le commerce américain n’a pas encore pu suivre la voie du St. Laurent, et que notre propre commerce est si peu considérable, malgré cette prétendue prospérité qu’on fait sonner si haut, qu’elle réussit à peine à produire quelques milliers de louis en sus des dépenses de service et d’entretien des canaux. Ce surplus que nous recevons est du au transit américain sur le canal de Welland.

Si ce canal n’était ouvert qu’à nos vaisseaux seuls, les canaux ne produiraient pas ce surplus.

Notre dette publique n’est donc onéreuse que parce qu’il nous faut en payer l’intérêt au moyen de taxes générales.

Eh bien, je mets en fait que l’annexion donnera une telle extension au commerce de transit qui se fait aujourd’hui sur nos canaux, qu’ils produiront de suite un revenu suffisant pour balancer les intérêts que nous payons sur la dette publique.

Les journaux ministériels ne peuvent pas me faire une mauvaise chicane sur cet avancé, car pourquoi le ministère offre-t-il la libre navigation du St. Laurent, sinon pour augmenter le revenu de nos canaux, seul moyen de décharger le budget de la dette publique ? De plus, comment a-t-on pu réussir à contracter en Angleterre le dernier emprunt de £500,000, sinon en démontrant qu’une fois le St. Laurent ouvert au commerce Américain, les canaux produiraient de suite un revenu suffisant pour faire face aux intérêts de la dette publique et aux remboursements sur le capital ?

Ainsi, nul doute là-dessus, l’annexion étant nécessairement suivie de l’abolition de toute restriction sur la navigation du St. Laurent, nos canaux cesseront d’être à peu près improductifs, et le budget sera déchargé du fardeau de la detre.

Une fois cet item couvert, il ne sera pas difficile de pourvoir au reste.

Les dépenses totales du gouvernement de la province se sont montées en

1848 
à $1,900,000
1849 
1,800,000
1850 
3,080,000


Les dépenses propres du gouvernement à part celles relatives à la dette publique sont

Canada. État de N.Y.
1848 $1,156,000 ...... $ 800,000
1849 $1,080,000 ...... $ 880,000
1850 $1,340,000 ...... $ 840,000


$3,576,000 $2,520,000
Moyenne en 3 ans $1,192,000 $840,000


Ainsi, quoique la population de l’état de New-York soit double de celle, du Canada, l’administration y est moins coûteuse de $350,000 annuellement.

On a voulu expliquer et justifier cette différence[2] en disant que le gouvernement du Canada avait à remplir des devoirs plus multipliés que ceux des différents états Américains.

« Les gouvernements des états particuliers, dit-on, ne sont pas, comme notre gouvernement provincial, chargés de l’administration des douanes ; c’est le gouvernement fédéral qui en a le fardeau. Notre administration doit donc être plus dispendieuse. »

Il est vrai, Messieurs, que nos officiers publics sont chargés de l’administration des douanes, dont ceux des états Américains sont exempts ; mais d’un autre côté, les officiers publics de la plupart des états Américains sont chargés de l’administration du système de taxes directes perçues par le gouvernement local. Or ce système exige un personnel plus considérable, impose des devoirs plus multipliés qu’un système de douanes.

Prenons pour exemple l’état de New-York. N’est-il pas évident que la perception de taxes directes sur sa population, qui excède 3,000,000 d’âmes, force les employés publics d’entrer dans beaucoup plus de détails, et leur impose des devoirs bien plus multipliés, que la perception des droits d’entrée dans un pays de 1,600,000 âmes ?

Il n’est donc pas exact de dire que l’administration de l’état de New-York soit moins difficile, moins onéreuse aux officiers publics que celle du Canada.

D’ailleurs, c’est en comparant les deux administrations dans les détails que l’on peut voir facilement de quel côté est l’avantage.


En 1849 les dépenses de notre gouvernement civil se sont montées à 
$136,000
Celles du gouvernement civil de l’état de New-York à 
40,000

Différence 
$ 96,000
Or l’état de New-York est deux fois plus peuplé et quatre fois plus riche que les deux Canadas.
L’administration de la justice nous a coûté 
$250,000
Elle a coûté à l’état de New-York 
160,000

Différence 
$ 90,000


Et pourtant, dans l’état de New-York, les émeutiers de 1849 ont été punis : ici les émeutiers de la même année, les incendiaires du palais de la législature ont tous échappé à l’action de la loi, et un des plus grands crimes dont l’histoire fasse mention est resté impuni.


L’administration de la justice nous a coûté en 1850 
$346,000
Pour l’état de New-York, c’est à peu près le même montant qu’en 1849.
Notre législature a absorbé en 1849 
$240,000
Celle de l’état de New-York 
$160,000

Différence 
$ 80,000


Et néanmoins la Chambre des représentants et le sénat de l’état de New-York sont beaucoup plus nombreux que la Chambre d’Assemblée et le conseil législatif du Canada. Là les membres des deux chambres sont payés, ici les membres du conseil législatif ne le sont pas.


Le pénitentiaire de Kingston a coûté 
$ 56,000
Ceux d’Auburn et de Singsing (les deux) 
84,000


Et pourtant les deux derniers sont beaucoup plus étendus chacun et contiennent beaucoup plus de détenus que celui de Kingston.

Pour l’éducation, le gouvernement du Canada a dépensé 
$160,000
Celui de l’état de New-York 
425,000


C’est $105,000 de plus que la proportion exigée par la différence dans la population.


Les hôpitaux ont reçu en Canada 
$ 50,000
Dans l’état de New-York 
130,000


Vous voyez qu’ici encore l’avantage reste à l’état de New-York. Il en serait ainsi de presque tous les autres états, si j’étendais la comparaison à tous.

Vous le voyez, Messieurs, ces institutions républicaines que l’on redoutait si fort en Canada, en 1774 et en 1812 ont été tellement plus efficaces pour le bien moral en général que les nôtres, que l’éducation est beaucoup plus encouragée, beaucoup plus universelle dans les États-Unis qu’ici ; et que les pauvres y sont plus et mieux secourus, c’est-à-dire, secourus avec plus d’intelligence, de vraie charité et d’effet qu’il ne le sont ici.

Ces institutions républicaines, qui étaient pour nous, en 1812 le synonyme d’anarchie, ont non seulement élevé les États-Unis à un degré de prospérité inouï dans l’histoire, mais ont réalisé, dans la pratique gouvernementale et administrative, un ordre, une méthode, une économie inconnus sous notre régime colonial ; ont produit mille améliorations utiles, mille réformes heureuses que nous ne pouvons pas obtenir même quand nos amis sont au pouvoir.

Aux États-Unis on est parcimonieux envers les riches et généreux envers les pauvres : en Canada on est parcimonieux envers les pauvres et prodigue envers les riches ! Voilà une des différences les plus essentielles qui existent entre les deux pays.

Maintenant y a-t-il erreur à prétendre que pour gouverner les 1,600,000 habitants des Canadas, il n’est pas nécessaire de dépenser plus qu’on ne le fait dans l’état de New-York pour en gouverner 3,100,000 ? Les ennemis du gouvernement à bon marché me querelleront-ils quand j’accorde beaucoup plus que ce qui est raisonnablement nécessaire ?


Je dis donc que les dépenses du gouvernement civil pourraient être de 
$ 40,000 au lieu de $132,000
Celles de l’administration de la justice de 
160,000 au lieu de 346,000
Celles de la législature 
150,000 au lieu de 250,000
Celles pour l’éducation 
200,000
Celles pour les hôpitaux 
70,000
Les phares 
5,000
Les pensions 
20,000
Les allocations aux sauvages 
20,000
Les sociétés d’agriculture 
70,000
La milice 
6,000
L’explor. géolog. et la bibliot. 
15,000
Dépenses diverses 
44,000

Total.
$800,000


Messieurs, si cette échelle était adoptée, les dépenses d’administration dans le pays, seraient encore plus fortes du double, eu égard à la population, que celle de l’état de New-York. Relativement à la valeur actuelle de la propriété, elles seraient plus fortes du quadruple, et même du décuple, que celles de plusieurs états de la confédération américaine. Elle est donc trop élevée. Je vais néanmoins la prendre pour base de mes calculs, afin qu’on ne puisse pas me contester mes conclusions.

Il nous faudra donc, après l’annexion, trouver un revenu de $800,000 pour faire face à nos dépenses d’administration locale. Or cela me parait très facile, sans recourir aux taxes sur la propriété


L’accise ne produit, aujourd’hui que $100,000. On peut, sans la rendre trop onéreuse lui faire produire 
$500,000
L’impôt sur les banques devrait produire 
100,000
Les amendes et confiscations 
8,000
L’intérêt sur les dépôts 
16,000
Une taxe sur les chemins de fer 
6,000
Les phares 
10,000
Le revenu casuel 
40,000
Le revenu territorial 
120,000

Total. $800,000


Voilà, Messieurs, la somme requise pour nos dépenses gouvernementales ; et il n’y a certainement rien d’impraticable, rien de difficile même, dans la réalisation de ce plan.

On peut donc, après l’annexion, défrayer toutes les dépenses publiques sans taxer d’un sou la propriété foncière.

Il n’est donc pas vrai que la taxation de la propriété foncière, pour le soutien du gouvernement local, soit un résultat nécessaire de l’annexion.

D’ailleurs, Messieurs, dans plusieurs états de l’union, il n’existe pas de taxes directes sur la propriété foncière, pour le soutien du gouvernement local. Dans plusieurs autres, elles sont excessivement légères ; et dans presque tous elles ne couvrent guère qu’un quart des dépenses publiques ; elles ne sont donc pas si onéreuses qu’on le prétend ici.

Et puis, nos travaux publics finiront par donner un surplus ; et avec l’annexion, ce résultat ne sera pas éloigné, car dans les dix années prochaines, il est plus que probable que le commerce de l’ouest va graduellement augmenter jusqu’à une valeur de $300,000,000 ; le notre doublera probablement ; nos canaux défraieront donc alors à peu près toutes nos dépenses gouvernementales.

Enfin, Messieurs ; dans l’état actuel de nos finances et avec la triste perspective que nous offrent nos travaux publics, tant que nous resterons colons, bien loin que l’annexion expose le pays à tomber sous un régime de taxes directes, elle est au contraire notre plus sûre sauvegarde contre de telles taxes.

Nos terres publiques forment une immense étendue de territoire.

Eh bien, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, rien ne nous empêchera, quand il sera sérieusement question d’annexer les Canadas aux États-Unis, de céder nos terres publiques au gouvernement fédéral à la condition qu’il se charge de notre dette publique.

Une fois cet arrangement conclu, nos travaux publics, que l’annexion rendra beaucoup plus productifs qu’ils ne le sont aujourd’hui, fourniront un revenu bien supérieur à nos dépenses.

L’ANNEXION EST DONC, POUR NOUS, UN MOYEN INFAILLIBLE D’ÉVITER LES TAXES DIRECTES ; et je dirai plus, elle est peut être le seul moyen qui nous reste de les éviter.

Un des résultats les plus heureux et les plus certains de l’annexion sera la disparition complète et définitive de ces déplorables haines nationales, de ces profondes jalousies de race qui ont toujours existé dans le pays. Ces haines, ces jalousies ont été produites par le favoritisme métropolitain. Le gouvernement d’Angleterre ayant toujours favorisé ses nationaux aux dépens des véritables enfants du sol ; le bureau colonial ayant toujours donné une importance indue à cette partie de la population, que l’on croyait plus particulièrement fidèle parce qu’elle était Anglaise, et lui ayant donné le monopole presqu’absolu des emplois lucratifs, il s’était formé dans le pays, avant 1837, deux grands partis :

1°. Le parti Anglais ou tory, insignifiant quant au chiffre, mais soutenu par de puissantes influences dans la métropole ; qui n’a toujours mesuré sa loyauté que sur les faveurs qu’on lui accordait ; qui ne voulait aucunes réformes parce que lui seul en aurait souffert ; qui ne reculait devant aucun moyen pour conserver la prépondérance que les sympathies métropolitaines lui avaient donnée, et dont toute la politique se bornait à haïr et à s’efforcer d’écraser les Canadiens-Français.

2°. Le parti libéral, formé des neuf dixièmes de la population du pays ; qui comptait dans son sein tous ces déserteurs qui portent aujourd’hui la livrée ministérielle et sont descendus jusqu’à la loyauté la plus effrénée ; qui était le parti du progrès et des réformes, l’admirateur des institutions démocratiques, et qui ne réclamait rien autre chose que l’égalité aux yeux de la constitution et de la loi ; qui ne demandait en un mot qu’un peu de place au soleil de son pays.

En 1840, le parti tory, qui avait été l’instigateur des atrocités de 1838 et qui avait, pour ainsi dire, forcé le gouvernement d’être plus sanguinaire encore qu’il ne l’aurait été, si on l’avait laissé à lui-même, était à peu près tout puissant. Il témoigna d’abord quelques défiances à lord Sydenham ; mais aussitôt qu’il eût découvert de quelle espèce était la justice égale inventée par cet habile fourbe, il se livra à lui corps et âme et applaudit à l’idée de l’Union, mesure qui nullifiait les Canadiens-Français et qui lui procurait de puissants alliés dans le family compact du Haut-Canada.

Les libéraux hypocrites de cette époque, — qui ont levé le masque aujourd’hui, mais alors ils n’étaient pas connus, — ne voulurent point seconder l’opposition qui s’était manifestée à Québec contre le projet d’Union ; et tout en faisant semblant de blâmer la mesure, ils la favorisèrent tacitement en décourageant ici ceux qui auraient voulu agir ; et en faisant ce que l’on appelle « jeter de l’eau froide sur tout. »

L’opposition à l’Union n’ayant été que partielle dans le Bas-Canada, l’attentat fut consommé, le Bas-Canada volé au profit du Haut, ou plutôt des agioteurs Anglais, le gouvernement responsable fut octroyé en échange de la violation flagrante des droits du Bas-Canada ; beaucoup d’entre nous se laissèrent prendre à ce piège grossier, et consentirent à faire fonctionner un système absurde au plus haut degré, puisque malgré l’Union, les deux Canadas étaient encore aussi séparés qu’auparavant quand à l’administration et à la législation et offraient le spectacle anomal et ridicule de deux provinces unies de droit mais séparées de fait.

Les tories eurent d’abord le pouvoir et ne firent rien. Les libéraux leur succédèrent et montrèrent bien le désir de faire quelque chose jusqu’à leur résignation inutile, intempestive e irréfléchie en 1843. Ils ont d’ailleurs montré ce qu’ils étaient réellement en faisant de la translation du siège du gouvernement une question de cabinet à l’exclusion de L’AMNISTIE qui fut traitée par eux libéraux comme une question tout-à-fait secondaire, et qui ne méritait pas les honneurs des grandes déterminations.

Un ministère de coalition fut alors formé et fit proclamer l’amnistie ; mais il était trop faible en chambre pour faire marcher les affaires, et d’ailleurs les chefs des libéraux étaient bien décidés à repousser systématiquement tout ce qui serait proposé par ce ministère, que cela fut bon, ou que cela fut mauvais ; car ils éprouvaient un immense dépit d’avoir vu leur tactique échouer complètement, et de n’avoir pas été de suite rappelés au poste qu’ils avaient gauchement abandonné.

En 1848, les libéraux furent rappelés au pouvoir.

Vous savez, Messieurs, quelles furent nos espérances ou plutôt nos illusions à l’avènement du ministère actuel : et quelle surprise, quel désappointement, quelle désillusion ont été les nôtres quand nous l’avons vu devenir, dans la pratique, beaucoup plus TORY que le ministère auquel il appliquait cette épithète.

Eh bien, dans le cours de ces changements, de ces vicissitudes des partis, avez-vous jamais remarqué la moindre diminution dans la haine du parti ultra tory pour tout ce qui découlait d’un principe de libéralité et de justice ? Ce parti n’est-il pas aujourd’hui ce qu’il était en 1838 ? N’a-t-il pas encore aujourd’hui le désir de dominer seul, de diriger tout ?

N’a-t-il pas été, en 1849, aussi furieux et mille fois plus vandale encore qu’en 1837 et 1838 ?

Messieurs, si ce parti ne comptait pas entièrement sur le favoritisme métropolitain ; s’il ne se sentait pas assuré de l’impunité, pensez-vous qu’il eût osé se porter aux atrocités aux scènes de cannibales dont nous avons été témoins en 1849 ? Croyez-vous qu’en présence de milices Canadiennes, il eût impunément dévasté, saccagé, pendant trois mois, les propriétés publiques et privées dans Montréal ?

Une simple querelle d’élection, le 21 Mars 1832, faisait fusiller trois Canadiens qui n’y avaient pris aucune part ; et sur trois cents incendiaires et assommeurs qui se promenaient si souvent, dans Montréal, en Avril, Mai et Juin 1849, en présence des troupes Anglaises, sous les armes, pas un n’a été seulement inquiété !  !

N’était-ce pas, en 1849, une conviction universelle, instinctive et raisonnée tout-à-la-fois, chez les Canadiens de toutes les opinions, connexionistes ou annexionistes, que si des Canadiens avaient commis la dixième partie des brigandages et des violences auxquels s’est portée l’écume de la population Anglaise, la répression la plus énergique, la plus brutale même, eût été exercée ? Je n’entends pas dire qu’on eût eu tort, mais voici la conclusion à laquelle je veux arriver.

Tant qu’il existera des troupes Anglaises en Canada, il existera corrélativement un parti qui sera toujours au-dessus des lois, parce qu’il n’y aura aucun moyen de répression, parce que les troupes Anglaises fraterniseront toujours avec des émeutiers de leur origine !

Tant qu’il existera des troupes anglaises en Canada, s’il survient, pour quelque cause que ce soit, un conflit entre des Canadiens-Français et des Canadiens-Anglais, — même si ceux-ci sont les agresseurs, — les balles seront toujours pour nous ! Cela a été de tout temps ! Il n’y a pas un ministériel qui ne partage cette conviction ! Seulement ils ne l’expriment pas aujourd’hui, parce que leurs amis sont au pouvoir ; mais ils l’exprimaient avant, et ils l’exprimeront encore quand ils n’y seront plus !

Messieurs, pourquoi le parti ultra-tory, qui a toujours poussé des cris de rage à chacune des conquêtes que nous avons faites sur le mauvais vouloir du bureau colonial, a-t-il tout récemment poussé des cris de peur à la nouvelle que l’Angleterre pensait sérieusement à retirer ses troupes du pays ?

Qu’a dit ce parti ? « On nous laisse sans protection !  ! »

Messieurs, ce parti sait parfaitement qu’il ne sera pas sans protection après le départ des troupes Anglaises !

Il sait parfaitement que quoiqu’il ait toujours eu soif de notre sang, nous n’avons jamais eu soif du sien !

Il sait parfaitement que la population Canadienne vaut mieux que lui, n’exercera pas de représailles et n’aura jamais le désir de le maltraiter.

Mais ce qu’il sait aussi c’est qu’après le départ des troupes anglaises, les émeutes de rues ne seront plus, pour lui, un moyen infaillible de surexciter les sympathies métropolitaine ! Ce qu’il sait aussi c’est qu’il ne pourra plus violer les lois, violer la liberté individuelle, violer la propriété, à l’ombre des bayonnettes anglaises ! CE QU’IL CRAINT DE PERDRE, CE N’EST PAS LA PROTECTION DE LA LOI ; C’EST LA PROTECTION CONTRE LA LOI !

Ce n’est pas nos violences qu’il redoute ; c’est l’impuissance ou il sera de nous en faire qu’il regrette !

Tant que le Canada sera une colonie Anglaise, ce parti comptera toujours sur l’impunité parce que les événements de 1849 lui ont donné raison de croire qu’elle lui était à jamais acquise !

Une fois l’annexion accomplie, il comprendra de suite que ne pouvant plus compter sur le favoritisme, il devra cesser de faire bande à part dans le pays : il comprendra de suite que les institutions sérieusement démocratiques mettront chacun à sa place : que l’influence personnelle sera la part du talent et de l’honnêteté, la prépondérance politique le résultat des chiffres et non celui des affections ou des préjugés.

Avec l’annexion ce parti deviendra de bonne foi progressif parce que son intérêt l’y forcera : sous le régime colonial il sera toujours dominé par l’égoïsme et l’ambition parce que les intérêts des oligarchies sont toujours les mêmes à toutes les époques et sous tous les systèmes.

Aujourd’hui il est faible numériquement, mais sa force morale est immense parce que les troupes lui servent de corps de réserve ; et avec cela il ne redoute aucune éventualité : après l’annexion, laissé à ses propres forces ; n’ayant plus d’autre sauvegarde que celle de sa faiblesse numérique qui fera qu’il ne vaudra pas même la peine d’attirer l’attention, il deviendra aussi souple, aussi rampant qu’il a été tyran, haineux et brutal.

Mais soyons en bien convaincus, Messieurs, il n’y a que l’annexion qui puisse amener ce résultat.

D’autres combinaisons pourront bien assoupir le mal momentanément, mais le guérir radicalement, jamais.

Un autre résultat de l’annexion, sera la destruction finale des préjugés monarchiques, des préventions contre la démocratie qui, encore aujourd’hui, sont fortement enracinés dans le pays. Ces préjugés, nous les suçons avec le lait, en quelque sorte, on en farcit l’imagination des jeunes gens, dans les collèges, et aux yeux de bien des gens encore, être républicain, c’est être sans religion, sans principes, sans notions d’honneur et de moralité.

Les ambitieux qui, dans ce pays veulent le pouvoir pour lui-même et en vue de leur importance personnelle ou de leurs intérêts pécuniaires, ont inventé un admirable moyen pour fomenter ces préjugés et pour se maintenir le plus longtemps possible aux postes dont ils convoitent les émoluments, c’est de faire allusion à tout propos aux crimes de la révolution de 89 qu’ils présentent comme la suite ordinaire, presqu’infallible, de tout changement politique.

Comme ils ne peuvent en appeler, à cause de la fausseté de leur position personnelle, aux sentiments généreux, aux nobles instincts des masses, ils en appellent à la peur, à la crainte de l’inconnu, et réussissent toujours à effrayer cette classe d’hommes, nombreuse en tout pays, qui n’a pas de credo politique, et dont toutes les opinions sont, en quelque sorte négatives ; cette classe d’hommes qui sont ennemis de toute opinion prononcée, de toute tentative directe, de tout système décisif ; [3] cette classe d’hommes enfin sur laquelle l’expression d’un doute glissée à propos, l’indication d’un danger imaginaire a beaucoup plus d’effet que le raisonnement le plus logique, la proposition la plus raisonnable, la démonstration la plus évidente.

Il n’est pas si rare qu’on le pense, Messieurs, de trouver des gens qui agissent souvent au moral, invariablement en politique comme un homme qui n’oserait pas sortir d’un étang de peur de la pluie.

Une fois l’annexion obtenue, une fois, conséquemment, les principes démocratiques rigoureusement appliqués, et par cela même les droits individuels scrupuleusement respectés et garantis, on cessera de se créer des fantômes, et d’ailleurs, il ne sera plus possible, ou au moins il ne sera plus dans l’intérêt de personne d’en inventer.

Une fois le régime colonial détruit, personne n’aura d’intérêt à parler en libéral, mais à agir en tory. Tous ces hommes qui, autrefois, demandaient des réformes qu’ils repoussent aujourd’hui ; tous ces hommes qui étaient républicains, il y a trois ans, et qui aujourd’hui votent contre toute mesure qui a une tendance républicaine, n’auront plus d’intérêt à soutenir que les institutions Américaines ne valent pas notre gouvernement responsable ; loin de là, ils seront obligés d’être franchement ce qu’ils faisaient profession d’être il y a trois ans.

Ces hommes se sont séparés du peuple parce qu’en Canada il existe quelque chose au-dessus du peuple ; quand le peuple lui-même sera la puissance, ils sauront bien se contenter d’être peuple.

— Mais, objectent les rédacteurs ministériels, le pays n’est pas prêt à jouir de l’indépendance ; il lui faut pour cela plus d’éducation politique qu’il n’en possède.

— Messieurs, j’aimerais autant dire qu’un homme qui a faim n’est pas prêt à manger.

Quoi, nous ne sommes pas prêts à jouir de l’indépendance ! Mais ceux qui nous disent cela sont précisément les mêmes hommes qui affirment, depuis trois ans, qu’avec le gouvernement responsable, nous jouissons de la plénitude de l’indépendance ! ! que nous sommes plus libres que les Américains ! ! Si cela est, en quoi donc pouvons-nous redouter la liberté Américaine ? Ce sont les ministériels eux-mêmes qui se chargent de prouver au pays que nous avons raison ! !

Et puis ces gens prétendent que notre éducation politique est insuffisante ! Eh bien, j’admets qu’elle pourrait être meilleure : mais quels ont donc été les professeurs ? Précisément ceux qui la trouvent mauvaise ! !…

Ces messieurs se chargent encore de nous apprendre que leurs leçons passées ne sont nullement une garantie de sagesse et de bon-sens pour l’avenir. Ils avouent naïvement qu’après avoir été dirigé par eux pendant douze ans, le pays n’est pas aussi avancé qu’il devrait l’être !

Voilà les hommes qui nous disent : « laissez nous vous former aux institutions républicaines ! !  »

Messieurs, qu’est-ce que l’on appelle « l’éducation politique, » chez le peuple ? C’est la connaissance qu’il a de ses droits, des devoirs de ceux auxquels il confie le pouvoir ; et aussi l’intelligence du fonctionnement des institutions du pays.

Cette connaissance de leurs droits, cette intelligence du fonctionnement des institutions dont ils jouissent, les peuples l’acquièrent-ils par l’étude des théories, ou par la pratique journalière ? Évidemment, par la pratique.

C’est par la répétition fréquente des mêmes actes d’organisation politique, c’est par l’exercice habituel du droit d’élection que le peuple se forme à la pratique des institutions démocratiques ; qu’il acquiert la compréhension de ses droits, et de ses devoirs.

Mais pour que ces résultats soient sérieux, réels, il faut que dans les institutions dont il jouit la pratique soit conforme aux théories. Du moment qu’il y a contradiction entre l’idée et son application, entre le fait et le droit, il tombe dans le vague, ses idées se faussent, ses notions de droits et de devoirs n’ont plus d’appui, de règle certaine ; alors survient la démoralisation intellectuelle.

Voilà, Messieurs, ce qui est arrivé en Canada.

On a dit au peuple qu’on lui avait octroyé des institutions libérales… il l’a cru sans peine parce qu’il avait confiance dans les hommes qui lui-disaient cela. Malheureusement, il n’était pas assez-éclairé pour s’apercevoir de suite que tout en lui reconnaissant quelques droits, on lui ravissait ses droits essentiels ! On lui octroyait bien ce qu’on est convenu d’appeler le gouvernement responsable ; mais comme on ne le consultait pas, c’était bien plutôt une imposition qu’une concession : de plus on lui imposait forcément l’Union, la dette du Haut-Canada, l’inégalité dans la représentation, etc. etc. Le droit était reconnu dans les écrits, mais sa violation était consignée dans les faits ! !

Et pourtant ses amis d’alors ont trouvé que cela était bien ! !

On a dit au peuple que le gouverneur aurait des conseillers appelés ministres qui seraient responsables de leurs actes à ses mandataires ; mais on lui a laissé ignorer que ces conseillers du gouverneur jouiraient d’un patronage tel que leurs moyens de corruption seraient presqu’illimités ; et que conséquemment leur responsabilité ne serait qu’un leurre, une déception : Et le peuple commence à voir qu’on l’a trompé !

On lui a dit que rien ne pourrait se faire sans le consentement de ses mandataires ; mais on lui a laissé ignorer aussi longtemps qu’on l’a pu, que ses mandataires n’avaient pas le droit d’initiative dans un certain nombre de cas, et ne pouvaient conséquemment pas proposer beaucoup de mesures importantes.

Or la privation, ou même la restriction du droit d’initiative modifie essentiellement la nature, détruit entièrement la base de la représentation. La privation de ce droit, même si elle n’est que partielle, a, en quelque sorte, l’effet de réduire les mandataires du peuple au simple rôle de conseillers des ministres ! ! et le peuple commence à savoir qu’aux États-Unis ces restrictions sont inconnues !

On a dit au peuple que tous les pouvoirs émaneraient de lui ; et il a cru cela malgré le fait que le gouverneur ne fût pas éligible et eût seul le droit de nommer une des chambres qui concourent à la formation de la loi, ce qui lui fournit un moyen facile d’entraver, quand cela lui plait, la marche de la branche populaire !

Les pouvoirs émanent si peu du peuple qu’il n’a pas même le droit d’élire les officiers publics avec lesquels il est en rapport journalier. C’est le gouverneur qui nomme ses magistrats, ses commissaires, ses officiers de milice, tous les chefs de bureaux, tous ceux qui occupent des emplois lucratifs ! Et le peuple sait maintenant, qu’aux États-Unis, tous les fonctionnaires publics presque sans exception, sont choisis par voie d’élection.

On a dit au peuple que l’Angleterre ne voulait plus s’immiscer dans la législation locale ; et néanmoins, une des clauses de l’acte d’Union donne au secrétaire des colonies le pouvoir de refuser la sanction royale même aux lois qui ont été sanctionnées dans la province par le gouverneur ! Cette clause n’a jamais été rescindée. Tout dernièrement encore, lord Grey, dans une dépêche où il fait des admissions plus explicites que celles que l’on avait faites précédemment, met des bornes au pouvoir de la législature ! D’ailleurs la sanction royale a été refusée déjà à des mesures passées par les deux chambres à l’unanimité ; témoin la loi d’émigration que l’on avait pourtant basée sur les instructions mêmes du bureau colonial : ou bien elle a été suspendue pendant dix-huit mois, deux ans, comme dans le cas de la banque des marchands qui aurait été établie à Montréal sans ce retard.

Et le peuple sait maintenant qu’aux États-Unis l’autorité exécutive ne peut pas empêcher la loi d’exister.[4]

On a dit au peuple que la responsabilité gouvernementale était plus réelle en Canada qu’aux États-Unis, et néanmoins nous avons vu qu’aux États-Unis le gouverneur d’un état était, comme le Président, directement responsable aux chambres de tous ses actes, comme autorité exécutive, et ne possédait qu’un veto suspensif ; pendant qu’en Canada le gouverneur jouit d’un droit de veto absolu et n’est responsable de ses actes qu’au bureau colonial qui, en droit, est bien responsable au parlement impérial, mais qui l’est très peu en fait, dans l’opinion de tous les hommes libéraux de l’Angleterre.

À proprement parler, il n’existe donc pas, en Canada, de responsabilité gouvernementale, dans le vrai sens de ce mot.

Il est donc vrai de dire qu’en Canada le droit et le fait sont habituellement en conflit. Le gouvernement responsable n’est donc pas, dans la pratique, ce qu’il fait profession d’être. Il n’est donc pas possible que son action ait été salutaire au point de vue moral, car au lieu de donner au peuple des idées exactes sur ses droits, sur la pratique gouvernementale, il n’a pas eu d’autre effet que de fausser, chez le peuple du pays, la notion du droit et conséquemment la notion du devoir.

Ainsi le peuple croit fermement que l’Angleterre a le droit de nous imposer ses gouverneurs : pour lui, le fait actuel, maintenu par la force physique, représente le droit. Il ne sait pas qu’en lui imposant ses volontés, l’Angleterre viole, à son égard, le droit naturel ! Il était du devoir de ses mandataires de ne pas le laisser dans l’ignorance sur un point aussi vital ! Eh bien, depuis que le gouvernement responsable existe, au lieu de lui inculquer la notion de sa souveraineté native, inaliénable, on lui a fait regarder comme des faveurs les concessions de l’Angleterre : on lui a dit qu’il devait témoigner de la reconnaissance à ceux qui lui accordaient le dixième de ce qu’il avait droit d’obtenir ! !

Messieurs, en fait de droits politiques, ce qu’un peuple n’a pas actuellement, on le lui doit ; ce qu’il obtient lui appartenait d’avance et il ne doit nullement de la gratitude à ceux qui lui rendent son bien après des années de résistance intéressée ! ! Ceux qui, sachant cela, ne l’en avertissent pas sont nécessairement des hommes politiques corrompus.

Or ce n’est pas sous un système qui a sa base dans la violation des droits généraux du pays que le peuple peut acquérir des notions exactes sur les véritables institutions représentatives qui sont l’opposé de ce système.

Ce n’est pas dans la négation pratique de la démocratie qu’un peuple peut puiser des notions démocratiques !

Prétendre former le peuple du pays aux institutions républicaines au moyen du système actuel, c’est essayer de préparer un élève à la prêtrise en lui faisant étudier Voltaire ! !

Si encore le système seul était défectueux : si les hommes qui l’ont fait fonctionner avaient été des démocrates sincères, éclairés ; s’ils avaient vraiment montré l’intention de parer à ses inconvénients et de mettre le peuple en garde contre ses dangers, il n’eût peut-être pas été impossible de tirer quelque bien même d’une source infectée !

Mais, voyons, qu’ont fait, depuis dix ans, ces ministres qui ont la prétention de nous former aux institutions démocratiques ? Quelles ont été leurs tendances, leur tactique ? Quels ont été leurs actes ?

Nous les avons vus, quand ils étaient dans l’opposition, blâmer avec une énergie voisine de la violence, le ministère Draper, parce qu’il avait placé son chef sur le banc des juges. C’était, disaient-ils, se moquer de l’opinion publique ; violer l’esprit du gouvernement responsable.

Trois mois plus tard, ils sont appelés au pouvoir ; eh bien, ils font beaucoup plus que le ministère Draper n’avait osé faire et au lieu de ne nommer juge qu’un seul d’entre eux, ils en nomment trois dans l’espace d’une année !  !

Vous voyez que la menace de rétaliation qu’ils ont dernièrement faite aux États-Unis avait des précédents ! C’était avec eux une vieille pratique !

Nous les avons vus violer impudemment l’esprit du gouvernement responsable, — c’est-à-dire de cette institution là même qu’ils prônaient dans tous leurs discours et dans tous leurs journaux, et qu’ils donnaient comme leur seule règle de conduite — en s’adjoignant des collègues sans se soucier le moins du monde de les faire approuver par un collège électoral ! !

Nous les avons vus augmenter, par tous les moyens en leur pouvoir, les prérogatives de la couronne, et restreindre systématiquement les droits, et privilèges de la législature ! !

Nous les avons vus s’opposer à ce que le principe électif fut appliqué à l’une des chambres législatives, et donner cette incroyable raison, que cette réforme n’était pas nécessaire sous le gouvernement responsable ! !

Nous les ayons vus s’opposer à ce que les officiers-rapporteurs fussent élus par le peuple, parcequ’il n’était pas assez éclairé pour faire de bons choix ! ! ![5]

— Nous les avons vus restreindre le droit d’éligibilité en maintenant la qualification électorale !

— Nous les avons vus conserver religieusement les bourgs pourris du Haut-Canada ! ! !

Nous les ayons vus proposer un système, de représentation qui, par le fait même qu’il établissait l’égalité dans les chiffres, consacrait l’inégalité dans les droits ! !

Nous les ayons vus refuser l’initiative aux membres de l’assemblée ! !

Nous les avons vus combattre violemment la proposition de priver les membres de la législature de la faculté d’être nommés aux emplois lucratifs avant l’expiration de leur mandat ! !

Le fait le plus saillant de la politique de ces ministres qui ont la prétention de nous former à la pratique des institutions démocratiques, est donc la réaction formelle, préméditée, contre les principes démocratiques !

Ces hommes qui se mettent sur les rangs comme professeurs de libéralisme, sont donc, à l’heure qu’il est, de serviles professeurs d’absolutisme ! !

Tout en se prétendant libéraux, ils ont donc prouvé, par leurs actes, qu’en politique, ils étaient réellement DES TORIES !

« Grattez le Russe, disait Napoléon, et vous aurez le Tartare : » Eh bien, grattez un peu toutes nos épidermes ministérielles, et je vous le jure, Messieurs, vous allez découvrir le plus pur torysme ! !

Il y a donc quatre-vingt dix-neuf chances sur cent, que des libéraux de cette trempe, au lieu de favoriser le progrès des idées libérales, feront tout en leur pouvoir pour l’entraver.

Messieurs, ce n’est ni sous un pareil système, ni sous de tels hommes, que le pays acquerra l’éducation politique qui lui manque encore !

Ce n’est pas chez les hommes qui ont substitué l’esprit négatif à l’esprit de progrès, l’intrigue à la droiture, la tactique au courage, la cupidité au devoir, l’intérêt à la conscience, que nous trouverons cet esprit d’indépendance, ce respect de soi-même, ce sincère amour du pays, qui caractérise les hommes vraiment honnêtes, vraiment patriotes !  !

Pour ces gens, gouverner n’était rien autre chose que conserver le pouvoir à tout prix !  !

Le pays ne flétrira jamais assez cette « politique sans principe et sans drapeau, toute de petits moyens, d’expédients, d’apparences ; qui, tâtonnant toujours, n’atteint aucun résultat satisfaisant ni honorable ; qui fomente l’incertitude dans les esprits, qui exploite la faiblesse des caractères, qui aggrave ce défaut de consistance, d’énergie, de persévérance qui nullifie, démoralise les individus, et déshonore le pouvoir ! » (Guizot.)

Est-il possible de croire que trente membres libéraux du Bas-Canada sur l’indépendance et les lumières desquels nous comptions il y a trois ans, aient tous vu, dans les mesures ministérielles, des tendances démocratiques ?

Est-il possible de croire que l’extension indéfinie du patronage, la restriction des droits et privilèges de la Chambre, le maintien de la qualification électorale, le refus de l’application du principe électif au conseil législatif, le refus de l’initiative aux membres de l’Assemblée, l’opposition décidée à la réduction des salaires, aient paru à chacun de ces trente mandataires autant de témoignages de libéralisme donnés par les hommes au pouvoir ?

Je vous le demande, Messieurs, cela est-il croyable ?

Non sans doute ; et il est évident que ces trente hommes qui sont presque tous éclairés, et qui, jusqu’à 1848, ont toujours demandé la contre partie des mesures qu’ils ont votées depuis, ont du faire violence à leurs convictions intimes, ont du rester sourds aux appels de leur conscience, pour se mettre aussi formellement en contradiction avec eux-mêmes, pour renier ainsi leur passé !

Nous ne voulons pas d’une éducation politique venant d’une telle source !

Ces trente hommes qui paraissent tenir si fort à prolonger, à perpétuer peut-être la domination étrangère sur leur pays, l’histoire leur réserve une mention flétrissante.

Elle leur assignera une place d’opprobre ! Elle les mettra à côté, et probablement au-dessous des membres de ce parlement Irlandais qui a consenti à l’Union législative de l’Irlande et de l’Angleterre ! Car les membres Irlandais avaient au moins pour prétextes le voisinage immédiat, les relations de commerce, d’anciennes habitudes, la constitution de la propriété, l’impossibilité de secouer le joug ou de changer de maître, l’influence peut-être salutaire d’un rapprochement ; l’espoir de faire entendre leur voix, de retracer les malheurs de leur patrie dans l’enceinte du grand conseil national de leurs oppresseurs ! Il y avait même, dans cette perspective, quelque chose de flatteur pour leur amour propre qui pouvait leur faire illusion jusqu’à leur faire espérer quelque bien de leur complaisance.

Mais en Canada, aucunes de ces raisons n’existent ; la métropole est à une distance immense ; ses institutions sont inapplicables ici ; le fait seul de sa domination est un obstacle au progrès industriel ; les institutions républicaines sont évidemment les seules possibles en Amérique ! Quoi donc a pu déterminer ces hommes qui avaient mission de défendre également nos droits naturels et nos droits politiques à ne tenir aucun compte de cette mission et à répudier leur mandat ?

Messieurs, c’est la vanité, c’es l’ambition, c’est l’égoïsme !

Quelques-uns ont cédé à des influences individuelles, à de séduisantes obsessions ; quelques autres se sont laissés prendre aux commérages de coterie : le plus grand nombre a cédé à la corruption administrative qui se pratique dans ce pays, sur une plus grande échelle et avec plus d’impudeur que dans aucun autre pays.

On lit, dans une antique légende provençale, qu’il existait, dans le diocèse d’Uzès, une source que l’on faisait tarir en y jetant quelque chose de sale ; l’expérience des trois dernières années nous a assez fait voir que, sous le gouvernement responsable, les consciences ne sont plus aussi susceptibles ! !

Ces conséquences déplorables étaient les résultats nécessaires du système illogique, absurde, que l’on a imposé au pays ! Nos mandataires ont été tellement dominés par ce système que non seulement ils ont pu défendre nos droits, mais qu’il ne leur a pas même été possible de se mettre à couvert du déshonneur, que l’histoire leur jettera à pleines mains ; car elle aussi a ses gémonies ! !

Ils ont voulu sauver un malade en lui administrant le poison à fortes doses ! L’effet du poison est évident, constaté ; et l’on nous dit : « Continuez, cela vous guérira !  ! »

Le remède a tué la tête, et l’on nous dit : « Redoublez, cela sauvera le corps ! ! »

Le gouvernement responsable que l’on nous a infligé est la négation de la démocratie ; et des charlatans l’affichent avec un écriteau portant ces mots : « Recette infaillible pour faire des démocrates !  ! »

Messieurs, il y a pourtant un moyen bien plus facile, bien plus direct, bien plus certain de former un peuple aux institutions républicaines ; c’est de les lui donner !

Toutes les fictions constitutionnelles imaginables ne peuvent jamais tenir lieu de la vérité, du droit, du bon sens !

En Angleterre où il fallait faire concorder deux principes, opposés : où l’on voulait mettre sur un pied d’égalité, l’individu et la communauté, la partie et le tout ; où l’on voulait faire resplendir également l’ombre et la réalité ; où l’on voulait enfin concilier ce qui, de tout temps, a été inconciliable, le oui et le non, le vrai et le faux, la souveraineté d’un homme avec la souveraineté d’un peuple : il fallait bien avoir recours à des fictions, car on ne pouvait pas faire accepter des anomalies grossières sans violer la logique dans les institutions.

Résumez cet ensemble d’idées traditionnelles, de concessions, d’empiétations, de coutumes, de précédents qui sont le fonds et la forme de la constitution Anglaise, eh bien, qu’y trouvez vous ? Un rendez-vous de contresens ; une enrégimentation de principes contradictoires ; un combat perpétuel du droit contre le fait.

Cela fonctionne pourtant ! Oui, parce que dans la pratique on ne tient aucun compte de la théorie ; parce que, comme je l’ai déjà dit, celle-ci détruit invariablement celle-là.

Si l’on voulait appliquer rigoureusement et sans modifications appliquer les théories constitutionnelles anglaises au fait journalier, à l’administration pratique, la société politique croulerait de suite ; elle ne subsisterait pas deux heures.

Mais en Canada, Messieurs, pourquoi s’obstiner à continuer toutes ces fictions, à pratiquer tous ces détours ?

Pourquoi faire une si prodigieuse dépense d’esprit pour n’aboutir qu’à des absurdités ? Pourquoi tenir si fortement à des institutions dont les rouages sont si compliqués, dont le fonctionnement est si peu compréhensible pour la masse de la population ; à des institutions qui ont été faites pour un autre temps, destinées à une société constituée sur des bases essentiellement différentes ?

Messieurs, c’est un fait qui n’a pas besoin de preuves, que l’Angleterre, malgré la puissance de son aristocratie, marche vers la république : eh bien, en Canada, où la république seule est possible, où elle n’a ni intérêts à combattre, ni bouleversements à opérer, il existe des hommes qui lui tournent le dos pour rétrograder en plein régime constitutionnel, qui est synonyme de monarchie tempérée ; et qui affirment qu’un excellent moyen pour aller en avant, c’est de marcher à reculons ! ! !

Enfin, Messieurs, j’en viens à une dernière objection, la moins raisonnable de toutes peut-être, ce qui ne l’empêche pas de faire de l’effet sur bien des esprits.

« Eh bien, » nous disent ces gens, quand traqués d’objections en objections, ils finissent par avouer qu’en effet il y a bien quelques raisons plausibles en faveur de l’annexion, « eh bien, tout cela serait-il vrai, il reste encore une raison péremptoire contre l’annexion ; c’est la perte certaine, la destruction inévitable de la nationalité canadienne ; et puis qui sait si la religion se maintiendra ; qui sait si elle ne sera pas persécutée ? »

Cette objection encore est inspirée par la peur de l’inconnu, l’ignorance du passé et du présent ; elle prouve de l’irréflexion sinon de la mauvaise foi.

Messieurs, qu’on suive l’histoire de la politique Anglaise en Canada, depuis cinquante ans ! l’intention de nullifier, de faire disparaître les Canadiens-Français, ne perce-t-elle pas a chaque acte administratif ; à chacune des modifications qui ont été faites à nos différents systèmes politiques par le gouvernement métropolitain ? Ne perce-t-elle pas dans chaque dépêche, dans chaque rapport fait aux autorités impériales ? Avant 1837, le bureau colonial n’a-t-il pas censuré les deux seuls gouverneurs qui eussent témoigné de la sympathie, montré le désir sincère de rendre justice aux habitants du pays ?

En 1842, Sir Charles Bagot n’a-t-il pas été brutalement réprimandé par lord Stanley, parce qu’il avait agi en honnête homme ? On prétend même que c’est à cela en grande partie qu’il faut attribuer sa mort !

N’a-t-on pas, dès 1822, essayé de nous imposer l’Union, afin de nous affaiblir ? Et cela à la suite presqu’immédiate d’une guerre étrangère où nous avions eu le malheur de faire triompher et conséquemment de river sur nous le despotisme de l’Angleterre ?

Voyez cette phrase du rapport de lord Durham :

« Jamais la population Anglaise du Canada ne tolérera l’autorité d’une chambre d’assemblée dans laquelle les Français (nous n’étions pas même des Canadiens) auront la majorité, OU MÊME QUELQUE CHOSE D’APPROCHANT. »

« Le caractère national qu’il est nécessaire de donner au Bas-Canada est celui de la grande race qui doit dominer tout le continent de l’Amérique Septentrionale. »

Messieurs, cela est-il assez clair ? Notez bien que c’était un écrit avant l’Union. Or avant l’Union la population du Bas-Canada se composait de cinq cent mille Canadiens-Français et d’environ cent quarante mille Canadiens d’autres origines. La phrase de Lord Durham voulait donc dire :

« Malgré la disproportion des chiffres, il faudra donner plus de représentants aux 150,000 Bretons qu’aux 500,000 Français ; sans cela les Bretons ne seront jamais tranquilles. »

Trouvez-vous qu’il y ait là beaucoup de sympathie, de respect pour la nationalité canadienne ? Serait-ce là dessus qu’on s’appuie pour prétendre qu’elle ne court aucun risque de la part de l’Angleterre ?

Conseiller de donner au Bas-Canada le caractère Anglais, est-ce dire : « respectez la nationalité, la langue, les institutions Canadiennes ? »

Voilà les conseils donnés par le Haut Commissaire envoyé par le gouvernement Anglais pour juger de l’état politique du Canada : voyons comment on les a appréciés en Angleterre.

En 1839 et 40 des débats ont eu lieu, dans le parlement Anglais, relativement aux affaires du Canada. Le rapport de lord Durham était la source à laquelle les ministres et les membres du parlement avaient puisé leurs informations. Ce rapport était un tissu de contradictions, et à côté de l’aveu formel que le pays avait toujours été mal gouverné, que la partie française de la population avait toujours été maltraitée, se trouvait le conseil non moins formel de la nullifier au moyen de lois exceptionnelles.

Eh bien, quelle était la tendance générale des débats de 1839 et 40 dans le parlement impérial ; quel était leur esprit ? y a-t-il eu dans la majorité du parlement et chez les ministres, seulement l’apparence du bon vouloir envers nous ? Avons-nous trouvé beaucoup de défenseurs dans les communes ? Trois ou quatre hommes ont élevé la voix en faveur du pays, et leur voix a été dominée, étouffée sous l’esprit d’hostilité envers la race française. Le ministre des colonies de cette époque, le premier ministre actuel, lord John Russell, soutenant le projet d’imposer l’Union au Bas-Canada sans son consentement, a dit en toutes lettres : « Après tout, un peu plutôt ou un peu plus tard, les Canadiens-Français doivent disparaître : » Et la conclusion était : « en leur imposant l’Union, nous ne faisons donc que hâter un peu un événement certain. »

Est-ce encore là ce que les partisans de la domination anglaise regardent comme une garantie que notre nationalité sera toujours respectée ?

L’Angleterre a-t-elle tenu compte de la nationalité Canadienne en décrétant, dans l’acte d’Union, que les procédés de la législature se feraient exclusivement en Anglais ; que 600,000 Bas-Canadiens seraient représentés par le même nombre de membres que 400,000 Haut-Canadiens ?

Pourquoi donc, après les troubles de 1837, a-t-on rendu au Haut-Canada sa législature, et pourquoi ne l’a-t-on pas rendu au Bas ? Pourquoi nous a-t-on imposé le conseil spécial, à la formation duquel le peuple du pays n’a aucunement contribué ?

Sont-ce là les faits qui rassurent, sur l’avenir de la nationalité Canadienne, les partisans du régime colonial ?

Qu’on nous montre donc un seul acte de justice réelle, sans arrière pensée, sans restriction, sans réticences, de la part de l’Angleterre ! Cela est impossible, car l’octroi même de cette impudente duperie appelée gouvernement responsable, marche de pair avec l’imposition d’une dette qui n’était pas la nôtre.

Il y a donc pour le passé, certitude, preuve irréfragable que l’Angleterre a toujours été hostile à la population Canadienne ! Pour l’avenir quelles sont nos garanties, si nous restons colonie Anglaise ? Dans nos dominateurs, nous voyons nos ennemis ; dans nos juges en dernier ressort, nous voyons les organisateurs du système actuel, qui de l’aveu même de tous les journaux ministériels actuels, avait-été conçu dans le but de nous écraser !

— « On n’y a pas réussi, » chantent-ils en chœur au moindre signe…

— Eh bien, cela serait-il vrai, vous admettez toujours que l’intention était telle ! serait-il résulté du bien du gouvernement responsable, — ce que je nie absolument, il est donc certain que l’Angleterre ne nous l’a donné qu’avec l’intention qu’il nous fût fatal !

Cette nationalité Canadienne à laquelle vous vous cramponnez hypocritement, après l’avoir lâchement reniée, n’a donc aucune garantie de sécurité avec l’Angleterre !

D’ailleurs, quelle réponse avez-vous invariablement faite à ceux qui ont proposé de demander le rappel de l’Union ? Que l’Angleterre n’y consentirait pas !  ! Elle veut donc maintenir à tout prix une combinaison qu’elle a inventée, dites-vous, pour noyer la population Canadienne française ! De votre propre aveu, l’Angleterre nous est donc hostile ! De votre propre aveu, notre nationalité court donc avec l’Angleterre les plus grands risques ! ! Et personne ne peut nier qu’avec les institutions qu’elle nous a données, nous ne soyons à sa merci.

Avec les États-Unis, au contraire, nous avons, dans les institutions mêmes, toutes les garanties nécessaires. Personne n’aura le droit ni le pouvoir de s’immiscer dans nos affaires locales ; nous serons les maîtres absolus de notre organisation intérieure : nous ferons notre constitution, nous réglerons notre administration locale sans l’intervention d’aucun pouvoir politique extérieur, serait-ce même le gouvernement fédéral. Les lois exceptionnelles sont chose impossible avec les institutions Américaines ; sous le régime colonial, elles sont le fonds du système ! !

Le seul pouvoir au monde dont nous serons justiciables, sera la cour suprême des États-Unis ; tribunal sans égal dans le monde par l’importance de ses attributions, et dans lequel nous sommes assurés de trouver toutes les lumières, toute l’indépendance du pouvoir, toute l’impartialité que l’on peut désirer chez ses juges.

Ce n’est ni le parlement impérial, ni le conseil privé qui nous offrent les mêmes garanties !

On nous parle de fédération des colonies. Eh bien je suppose que ce projet reçoive son exécution ; il n’y a pas de doute que les deux Canadas resteront unis ! Cela me parait inévitable !

On ne nous donnera la fédération qu’à cette condition.

Seraient-ils séparés, il est évident qu’on ne constituera pas une cour suprême avec des attributions analogues à celles de la cour suprême des États-Unis ; car l’Angleterre retenant la suprématie, elle ne nous octroiera pas d’institutions sérieusement démocratiques ; elle modèlera toujours notre organisation sur son gouvernement constitutionnel ! Cela étant, qu’il survienne un conflit entre le Bas-Canada et une autre province, par qui sommes-nous jugés ? Par notre ennemie, l’Angleterre, dont les sympathies seront d’avance acquises à toute partie adverse au Bas-Canada.

Avec les États-Unis, nous n’aurons pas à lutter contre les sympathies de race, les distinctions d’origine, car ce n’est pas au pouvoir politique que nous aurons affaire dans le cas de conflit d’un état avec un autre, ce sera au pouvoir judiciaire, dont l’organisation est irréprochable.

Et puis voyez donc les Français de la Louisiane, qui en 1803 ne formaient pas 40,000 âmes ; ont-ils perdu leur langue, leur caractère national ? Ne sont-ils pas restés plus français que nous de toutes manières ; par les souvenirs nationaux, les relations plus intimes avec la France, la littérature, une meilleure conservation de la langue et de la prononciation française ; et même par la facilité et l’élégance de l’élocution ?

Ne sont-ils pas aujourd’hui plus avancés que nous sous tous les rapports ?

Le Code Louisianaîs est un progrès même sur le Code Napoléon ! Nous, grâce au régime colonial, nous ne sommes pas sortis de la coutume de Paris ! !

Va-t-on dire que les préjugés de race existent en Louisiane ? Mais le lieutenant gouverneur de l’état est français ! Un des sénateurs de l’état est français ! Deux sur quatre des membres de l’état à la chambre des représentants fédérale sont français !

L’Orateur de la chambre des représentants de la Louisiane le Secrétaire d’état, le Secrétaire privé du gouverneur, l’auditeur des comptes, l’arpenteur général, plusieurs jugea, beaucoup d’autres officiers publics sont français !

Et remarquez, Messieurs, que la population française de la Louisiane est aujourd’hui en grande minorité !

Pour nous, Canadiens-Français, nous formons l’immense majorité de la population du Bas-Canada ; nous sommes cinq contre un, et nous n’avons pas un employé sur quatre dans les fonctions publiques et dans les bureaux du gouvernement ! !

Si l’Union et le régime actuel subsistent, il y a certitude que dans dix ans la population française sera en minorité, car on a déjà réussi, au moyen de supercheries de tout genre à faire croire que les populations du Haut et du Bas-Canada sont arrivées à un chiffre égal.

Avec l’annexion l’Union étant nécessairement dissoute, la population Canadienne-Française se trouve tout-à-coup dans une majorité telle qu’il sera à peu près impossible, même avec une immigration américaine de la dépasser en nombre d’ici à un demi siècle et plus. Ici l’exemple de la Louisiane où la population Française est aujourd’hui en minorité, ne prouve rien, car elle était si peu nombreuse en 1803 qu’il n’a fallu une immigration de moins de deux mille âmes par année en moyenne, pour la mettre en minorité ; pendant qu’aujourd’hui, pour nous mettre en minorité dans le Bas-Canada, une fois l’Union dissoute, il faudrait une immigration de vingt cinq mille âmes par année, pendant près de quarante ans ; voilà ce qui, à mon avis, est impossible, car l’émigration irlandaise dans le Bas-Canada, n’est déjà pas considérable et diminuera des trois quarts, quand nous ne serons plus une colonie Anglaise.

Maintenant, serait-il vrai que nous dussions être en minorité sous peu d’années, même avec l’annexion, nous devrions encore la préférer, parce que sous la constitution fédérale et au moyen d’une organisation strictement démocratique, nous aurons des garanties et des moyens de défense que nous n’aurons jamais si nous restons colons anglais.

Quand au danger que le catholicisme pourra courir sous les institutions américaines, c’est encore là une de ces ridicules appréhensions qui découlent de l’irréflexion ou des préjugés. Ces dangers n’existent que dans l’imagination des égoïstes et des ambitieux qui se font prophètes de malheur, parce que le système actuel leur profite ! !

Ce n’est pas tant pour le catholicisme que l’on craint que pour sa propre position personnelle.

D’ailleurs, ceux qui éprouvent ces craintes sont ou des catholiques zélés et sincères, ou des indifférents, ou des hypocrites. Aux premiers l’on peut dire : « Voyons, montrez donc un peu plus de foi ! » Et à ceux-ci je dirais ; « Quand à vous, qu’est-ce que cela vous fait, au fond ? »

Les dangers extérieurs que le catholicisme peut courir aujourd’hui sont de deux sortes ; dangers résultant de l’hostilité du gouvernement, dangers résultant de l’hostilité des autres communions chrétiennes.

Je suis loin de croire que le gouvernement métropolitain puisse jamais penser à commettre des actes d’agression directe contre le catholicisme, dans le pays.

La liberté absolue de conscience est un droit tellement consacré et reconnu aujourd’hui dans tous les pays du monde civilisé, à l’exception de l’Italie, qu’il ne peut venir à l’esprit de personne de la violer ouvertement.

Néanmoins, l’ordre religieux a, dans presque tous les pays certains points de contact avec l’ordre social ou politique ; et quoique la liberté de conscience soit pleinement reconnue, en Angleterre, comme un droit imprescriptible, vous avez vu quelles colères, quelle explosion d’indignation un acte de juridiction purement spirituelle y a récemment soulevées.

On y a vu avec ombrage, avec défiance, la création de quelques sièges épiscopaux. Des assemblées nombreuses et multipliées dans toutes les parties de l’Angleterre, tout en reconnaissant aux catholiques le droit de suivre les rites du catholicisme, leur ont contesté celui de l’organiser hiérarchiquement sur le même pied que dans les autres pays. La population anglaise n’objecte rien au fond, c’est à la forme qu’elle en veut ! Le mode lui importe beaucoup plus que le fait ! Elle permet bien aux catholiques d’être catholiques, mais à la condition qu’ils ne froisseront jamais les goûts ou les préjugés des autres dénominations religieuses !

Les catholiques peuvent bien avoir des évêques ; mais à la condition qu’ils ne seront pas titulaires d’une ville dans laquelle existe déjà un siège épiscopal de l’église établie par la loi. Si un évêque catholique ose prendre un tel titre on déclare la société en danger, et l’évêque perturbateur du repos public !

Est-ce là, Messieurs, ce que l’on appelle de la tolérance ?

Eh bien, des protestations d’assemblées publiques ne formant pas la loi du pays, les catholiques d’Angleterre maintiennent leur nouvelle hiérarchie, parce que les lois ne la condamnent pas, parce que le cri de l’intolérance n’impose des obligations à personne, parce qu’ils se considèrent pour ainsi dire, à l’abri des attaques en se plaçant sous l’égide de leur droit naturel ; enfin parce qu’ils espèrent voir une effervescence aussi déraisonnable se calmer peu-à-peu : mais par malheur, sous notre heureuse constitution, on n’est pas quitte à aussi bon marché. Voilà que le premier ministre s’en mêle, propose une loi d’intolérance, et cette loi, après quelques difficultés, passe à une forte majorité !  ! Devant le parlement Anglais, les droits, la justice, le bon sens sont moins que rien et l’expédience est tout.

Tout cela ne prouve pas, je le sais bien, que le catholicisme, en Canada, soit exposé à des attaques directes de la part du gouvernement métropolitain ; mais cela prouve encore beaucoup moins que la nation et le gouvernement Anglais soient remplis de sympathies pour le catholicisme. Le gouvernement n’attaquera pas, je l’admets ; mais supposons, — ce qui n’est pas impossible, après tout — que l’on nous suscite, quelque jour, une mauvaise chicane, dans le genre de celle que l’on a faite à la nouvelle hiérarchie catholique anglaise, chicane ridicule, que l’on peut très proprement qualifier de querelle d’Allemands ; quels seront nos juges, tant que nous serons colons anglais ? Précisément ceux qui, en plein xixme siècle, ont fait de l’intolérance en parole et en action ; ceux qui ont abusé de leur pouvoir jusqu’à violer la plus sainte de toutes les libertés !

De ce qu’il est très improbable que le gouvernement anglais ne commettra pas, contre le catholicisme, des actes d’agression directe, il ne suit pas que les individus, ou les diverses communions protestantes n’en commettront jamais. Si le cas arrive où est notre sauvegarde ?

La constitution ? Il n’en existe pas pour le Parlement anglais !  ! Son pouvoir n’a aucunes bornes ! Il est impossible de lui définir une limite ! Le Parlement anglais jouit d’un pouvoir despotique ! Rien ne le lie ! Rien ne l’arrête ! Qu’il soit expédient de commettre la plus atroce immoralité politique, il la commettra sans hésiter, car il n’est lié ni par une constitution écrite, ni par les droits d’autrui ; la coutume est qu’il soit tout puissant !  ! Maintenant peut-on croire que, dans le cas de dissensions religieuses en Canada, l’Angleterre sera beaucoup plus tolérante, beaucoup plus juste envers nous Canadiens-Français qu’elle ne l’a été vis-à-vis d’une portion d’elle-même, les citoyens catholiques anglais ?

Peut-on croire qu’elle sera beaucoup plus indulgente envers des étrangers qu’envers son propre sang ? Cela serait déraisonnable ! !

Avec l’annexion toutes ces possibilités d’aujourd’hui s’évanouissent ! Tous ces dangers tombent dans le domaine de l’impossible.

Sous les institutions américaines, aucune autorité civile ou politique ne peut s’immiscer dans les affaires religieuses ! La constitution fédérale est expresse sur ce point : et le Congrès est soumis à la constitution.

De la part des individus ou des sectes, les agressions sont bien absolument possibles, mais comme celles-ci ne peuvent jamais compter sur l’aide du gouvernement, même si elles avaient ses sympathies, les dangers sont beaucoup moindres. D’ailleurs les préjugés contre le catholicisme sont loin d’être aussi forts dans les États-Unis qu’en Angleterre ; car ils ne prennent pas aussi immédiatement leur source dans les anciennes guerres de religion. Les souvenirs de localités, et conséquemment les récriminations et les haines qu’ils suscitent et entretiennent y sont à peu près disparus. De bons rapports constants entre les catholiques et les protestants, la conviction intime que tous ont les mêmes droits, la certitude absolue que les lois donneront égale protection aux uns et aux autres ont fait disparaître tout désir, comme toute possibilité de collision.

Dans toutes les parties des États-Unis ; des souscriptions généreuses, considérables ont été faites, parmi les protestants des diverses communions, pour contribuer à l’érection d’églises catholiques. Cela s’est vu dans toutes les villes un peu étendues où la population catholique était pauvre ; et nommément à Burlington, à Albany, à Troy, à Rochester, à Buffalo. C’est à Rochester, je crois, qu’une somme de $5,000 a été souscrite par un seul protestant pour la construction de l’église catholique. Ceux qui ont suivi le Freemen’s journal de New-York y ont vu le récit de beaucoup d’actes semblables de libéralité et de tolérance religieuse !

Sans doute, ces dons généreux n’étaient pas un hommage aux doctrines ; mais ils étaient faits dans le but de fournir aux catholiques qui en étaient privés les secours religieux, parce qu’on les regardait comme un des plus puissants moyens de moralisation que l’on put employer. Qu’elle qu’en soit la raison, le fait est infiniment rassurant.

L’incendie du couvent de Charleston, il y a quelques années, ne prouve rien, car les émeutes se font toujours à propos des prétextes les plus futiles, et celle-là, particulièrement, n’était pas l’effet direct de l’intolérance.

À Rome même, des émeutes ont eu lieu souvent, des violences graves ont été commises par la populace contre les cardinaux, les couvents et les moines ! Ce n’était pourtant pas la haine contre le catholicisme qui inspirait les émeutiers. Que conclure de cela ? Que dans toutes les grandes villes, les émeutes sont assez souvent incontrôlables pendant quelques heures, et qu’il n’est pas toujours facile de les prévoir ou de les réprimer. Mais quand une fois l’émeute repoussée, la loi reprend son empire, et que les coupables sont punis, et que ceux qui ont souffert sont indemnisés avec justice, il n’est plus honnête de répéter la même accusation contre les individus, ou les institutions d’un pays. Ainsi, à Charleston, les émeutiers ont été punis ; les sœurs ont été amplement indemnisées, pourquoi donc citer opiniâtrement ce fait à la charge des États-Unis ?

Cela ne prouve rien autre chose qu’un manque absolu de bonne foi chez ceux qui s’en servent uniquement pour exciter les préjugés !

Ici encore je vais citer en ma faveur une opinion non suspecte, celle du révérend M. Chiniquy, qui écrivait il y a deux ans, à son retour des États-Unis : « qu’il était absolument faux que l’exercice du culte catholique y fut gêné en aucune manière, y fut même vu d’un mauvais œil ; et qu’il n’y courait aucun danger quelconque d’agression sérieuse. »

Enfin Messieurs, après l’annexion nous aurons non seulement les plus amples moyens de défense par la constitution, les lois et la nature des institutions ; mais nous aurons dans nos propres mains tous les moyens de défense possibles, même ceux de résistance physique, et nous en aurons seuls le contrôle hors le cas de guerre étrangère.

Un article de la constitution de l’état de New-York contient la clause suivante, — et il en est de même dans tous les états de l’Union.

« LA MILICE DE L’ÉTAT DEVRA TOUJOURS ÊTRE ARMÉE, DISCIPLINÉE, ET PRÊTE AU SERVICE  ! ! »

Messieurs, avec une semblable disposition qu’aurons-nous à craindre ? Nous avons aujourd’hui une milice, mais à quoi sert-elle ? La discipline-t-on ? Lui permettrait-on de s’armer ? Non, Messieurs, on ne verrait pas plutôt un régiment de milice canadienne complètement équipé, qu’on en prendrait de l’alarme !

Le gouvernement sait encore mieux que nous, que si, en 1837 chaque habitant du pays eût eu son fusil, nous saurions aujourd’hui, par expérience, que les institutions américaines valent mille fois mieux que le régime colonial !

Quand nous aurons pour nous la constitution et la loi, tous les moyens de défense possibles, légaux, physique et moraux, il y aura alors certitude que nos droits seront toujours respectés, car personne n’aura le pouvoir et par conséquent le désir de les violer ; aujourd’hui nous n’avons aucune de ces garanties.

Maintenant, Messieurs, ne trouvez-vous pas que parmi toutes les singularités que nous avons vu pulluler depuis trois ans, celle du changement de rôle, de position relative qui s’est opérée dans les partis, mérite quelqu’attention ?

N’est-ce pas un fait très remarquable que l’attitude actuelle de la population canadienne, — ou au moins de ceux qui la représentent dans la législature provinciale, — sur la question de l’émancipation du pays ?

Car enfin que voyons-nous aujourd’hui ? D’un côté presque tous ceux de NOS CHEFS qui en 1837 regardaient l’émancipation comme un moyen infaillible de prospérité et de progrès devenus rétrogrades et se cramponnant à la domination anglaise comme un affamé à un buffet bien garni ; de l’autre, la partie la plus saine de la population anglaise qui, en 1837, nous combattait de tout son pouvoir et voulait à tout prix maintenir la connexion avec l’Angleterre, entrant délibérément dans la voie que nous lui avons tracée et demandant l’annexion aux États-Unis.

Nous nous laissons déborder de toutes parts par nos anciens adversaires !

Nous faisons du progrès à la mode des gouvernements italiens !

Ce sont ceux que l’Angleterre à toujours gâtés, pour ainsi-dire, qui comprennent que le temps de la séparation est arrivé ; ce sont ceux qu’elle a de tout temps maltraités et insultés qui lui prodiguent de sales protestations de loyauté !

N’est-ce pas là la preuve la plus évidente que le gouvernement responsable nous a dégradés, au point de vue du sentiment national ?

Si nous avions eu au pouvoir, il y a deux ans, des hommes un peu plus forts, ou plutôt un peu moins nuls, ils auraient pu faire à la population Canadienne la plus magnifique position. Sans prendre la direction immédiate du mouvement annexionniste, ils se fussent empressés d’en profiter pour faire sentir à l’Angleterre que les préjugés locaux étaient disparus, que l’opinion avait marché !

Un semblable mouvement venant de la population Canadienne seule n’eût pas manqué d’irriter profondément le peuple Anglais ; venant des deux populations simultanément, il était la preuve la plus décisive que l’esprit de désaffection n’en était pas la seule cause.

L’adhésion de la population anglaise nous donnait, en droit, gain de cause, en Angleterre, dans ce long procès dont les malheurs de 1838 n’avaient fait qu’ajourner la solution. Nous devenions forts non seulement de toutes les raisons actuelles, mais de toutes les raisons d’autrefois, dont la justesse était tacitement reconnue par une partie adverse et toujours passionnée contre nous.

Les événements venaient au devant de nous, en quelque sorte ! Un peu de désintéressement, un peu d’esprit public, un peu de fermeté, un peu de sentiment d’honneur national, un peu de compréhension de la position, des besoins et des destinées du pays, et nous étions maîtres de la situation !  !

Rien de tout cela n’a été compris par ces hommes qui ont l’air de n’être NOS CHEFS qu’à la condition d’être en queue et non d’être en tête !  !

Rien de tout cela n’a été senti par ces momies du passé, ces restes d’une autre époque et d’un autre système, ce vénérable assemblage d’antiquailles à précédents anglais !  !

Ces hommes avaient un grand et noble rôle à jouer !

Il était en leur pouvoir de hâter le jour où l’indépendance luira enfin sur leur pays ; mais ils ont trouvé bien plus beau de se faire les Cebères du régime colonial ; de mordre niaisement tous ceux qui découvraient quelque chose au-delà de leur petit empire intellectuel !  !

Ils appartenaient à cette catégorie d’esprits qui vous croient perdu, si vous dépassez leur frontière.

Messieurs, je ne crois pas que le pays ait été démoralisé par ces hommes et leur système, au point de repousser aujourd’hui en majorité, ce qu’il réclamait à l’unanimité il y a douze ans. Le peuple n’a pas pu changer ainsi du tout au tout ! L’ambition, les prétentions personnelles ne montent pas jusqu’à lui !

La corruption administrative ne saurait l’atteindre.

Il ne peut pas avoir oublié son ancien mot d’ordre : « droits égaux, justice égale. » Les individus peuvent changer, mais les masses n’ont jamais d’intérêt à trouver mauvais aujourd’hui ce qu’elles savaient être utile et juste hier.

D’ailleurs, si on a réussi à faire croire à bien des gens que nous jouissions d’institutions aussi libres que celles des États-Unis, il n’est pas possible de persuader aussi facilement à un pays comparativement pauvre et sans industrie qu’il n’a rien à envier à un pays quatre fois plus riche.

« On persuade bien à un sot qu’il est homme d’esprit, et cela d’autant plus aisément qu’il est plus sot ; mais on ne persuade pas de même à un pauvre qu’il ne manque de rien. » (De Lamennais.)

Or, Messieurs, il est un fait que tout le monde voit, que tout le monde sent, qui domine tous les autres faits ; un fait qui explique le passé et le présent et qui indique très clairement l’avenir du pays, c’est le manque absolu de capitaux, c’est l’état de prostration complète dans lequel se trouve le Canada au point de vue de la prospérité commerciale ou industrielle.

On a beau vouloir se faire illusion ; nos législateurs ont beau se renvoyer, d’un côté à l’autre de la chambre, de plates félicitations sur les ressources actuelles et les progrès prochains du pays, tout cela n’empêche pas qu’aujourd’hui la gêne ne soit universelle ; dans le commerce parce que les banques n’osent pas escompter ; chez les propriétaires parce que la propriété est si dépréciée qu’un capitaliste ne consent à prêter de l’argent que sur des garanties qui décuplent en valeur les sommes prêtées.

Messieurs, il y a probablement aujourd’hui dans les banques de Montréal une somme de £5 ou 600,000 en dépôt ; eh bien quel est le cri général, dans le pays ? Celui-ci : « Il n’y a pas d’argent, il n’est pas possible d’en trouver. » Et cela est vrai, il n’y en a pas dans le marché. Pourquoi cela ? Parce que la confiance est détruite.

Pourquoi la confiance est-elle détruite ?

Parce que les maisons qui, dans Montréal, se louaient £400 il y a quatre ans se louent maintenant pour £100 ou 150 au plus : parce que, dans les campagnes, les propriétés qui se vendent par autorité de justice ne rapportent généralement que le quart ou le tiers de leur valeur réelle, et souvent beaucoup moins : parce qu’une propriété, soit à la campagne, soit à la ville, qui donne £350 de revenu et qui en vaut par conséquent au moins £5,000 en capital trouve très difficilement un acheteur à une mise à prix de £2,500.

Est-ce là ce qu’on appelle de la prospérité ?

Et puis, Messieurs, ne savons-nous pas tous que ceux qui empruntent à 6 pour 100 forment l’exception et que ceux qui empruntent à 12 et 15 pour 100 forment la règle générale ?[6]

Y a-t-il exagération à affirmer que chacun de ceux qui sont dans cette salle connaît très probablement un ou deux propriétaires réputés à l’aise qui cherchent de l’argent et n’en peuvent pas trouver ?

N’est-il pas à la connaissance d’un grand nombre d’entre vous que dans les campagnes, en général, le taux commun de l’intérêt, entre cultivateurs, excède ordinairement 25 pour 100 et que les prêts à 50 pour 100 ne sont pas rares ?

Maintenant passez aux États-Unis ; et vous y venez des capitaux en abondance, les transactions faciles, la propriété ayant une valeur stable et à l’abri des fluctuations qu’elle éprouve ici.

Là les capitalistes, les prêteurs se donnent autant de mal pour placer leur argent qu’ici les emprunteurs pour en trouver ! !

Là l’homme qui a besoin d’argent en trouve, sans difficulté, sur des garanties avec lesquelles il est de toute impossibilité de s’en procurer ici.

Enfin, Messieurs, il est venu en ma connaissance, ces jours derniers, un fait qui est plus concluant que tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire jusqu’à présent, et qui prouve à l’évidence combien sont erronées, combien sont malhonnêtes, les assertions répétées à satiété par les journaux et les partisans du régime colonial ; « que le Canada peut se regarder comme étant sous presque tous les rapports, sur un pied d’égalité parfaite avec les États-Unis. »

Dernièrement un lot de terre d’environ deux cents arpents en superficie s’est vendu dans le voisinage d’Odeltovn. Il était divisé à peu près par moitié par la ligne entre les États-Unis et le Canada.

La partie qui est en Canada, et sur laquelle sont construites une bonne maison de ferme et ses dépendances, s’est vendue QUINZE PIASTRES L’ARPENT, améliorations comprises : la partie qui se trouve dans les États-Unis et sur laquelle aucunes constructions n’existent, s’est vendue TRENTE SIX PIASTRES L’ARPENT ; et néanmoins la valeur intrinsèque du sol était la même dans les deux parties ! !

Est-il besoin d’autre chose pour démontrer et expliquer l’abondance des capitaux dans les États-Unis, et leur rareté ici ?

Eh bien, Messieurs, si tout le monde ne sait pas encore que notre gouvernement responsable n’est qu’une mauvaise parodie, un absurde replâtrage des institutions constitutionnelles de l’Angleterre, tout le monde se ressent de la dépréciation de la propriété et de la rareté des capitaux ; tout le monde souffre ; et comme cet état de malaise général ne peut être amélioré ou détruit sans retour que par L’ANNEXION AUX ÉTATS-UNIS, il n’est pas possible que la voix des intérêts généraux du pays ne fasse pas disparaître d’ici à peu de temps la voix des intérêts individuels ou de coterie qui se liguent contre l’avenir parce que le présent les enrichit.

Les annexionnistes au moins se sont ralliés à une grande question d’intérêt national ; les anti-annexionnistes se groupent autour des prétentions personnelles ; de ce foyer de petite activité, de jalousie, d’intrigues, d’avidité, de concupiscences qui s’appelle le gouvernement responsable !  ! Et tout cela pourtant se résume en quatre mots : « Faiblesse, discrédit, nullité, corruption. »

J’avais espéré, Messieurs, pouvoir renfermer dans le cadre de cette lecture quelques observations un peu approfondies sur le système général d’éducation suivi dans le pays, qui est beaucoup plus qu’on ne le croit généralement, la cause de notre état d’infériorité relative ; mais en travaillant ce sujet, j’ai vu qu’il était beaucoup trop étendu pour être renfermé dans d’aussi étroites limites. Je vais donc me contenter, pour ce soir, de vous exprimer quelques observations générales sur lesquelles je tâcherai de revenir une autre fois.

L’enseignement de nos collèges, — qui peut bien être suffisant pour l’objet spécial que l’on y désire atteindre, — ne touche à presque rien de ce que les enfants auront le plus de besoin de savoir quand ils seront devenus citoyens ; quand ils auront pris, dans la société politique, la place qui leur est destinée.

L’organisation politique est le principe vital des nationalités ; c’est le mode d’existence des peuples ; on n’en dit pas un mot aux élèves !  ! Ils n’ont pas l’idée de la division des pouvoirs, ou des attributions d’un gouverneur, d’un ministère, d’une chambre basse et d’une chambre haute ; mais par exemple on leur fait lire autant que possible les ouvrages où la royauté est prônée comme l’organisation voulue ; par Dieu ; la démocratie comme celle résultant des révolutions ; résultant conséquemment de la violation des lois providentielles ; n’étant conséquemment rien autre chose que l’œuvre des passions des masses, le triste effet des aberrations inspirées aux peuples par le démon de l’orgueil ; d’où il suit nécessairement que loin de procurer aux peuples le bien-être matériel et moral, elle est infailliblement pour eux une source féconde de malheurs et de catastrophes.

Les lois sont la définition des droits individuels, l’expression des devoirs sociaux ; on n’en donne pas aux élèves la plus légère idée.

Les professeurs sont des hommes totalement étrangers à la carrière que les élèves vont parcourir, et qui, souvent ne connaissent la société que par ce qu’ils en apprennent au confessionnal ; moyen qui, à mon avis, leur en donne souvent des notions très fausses.

Étrangers à l’esprit de leur siècle, ou en hostilité directe avec lui, ils appartiennent par leur position, leur genre de vie et leurs études à un autre âge. Tout ce qui est nouveau les effraie ! Tout ce qui ne date pas de deux cents ans leur paraît tendre à détruire la religion ! Ils n’aiment et n’admirent que le passé, et encore le connaissent-ils mal : quand à l’avenir, ils n’y voient que dangers, bouleversements, ravages de l’impiété, combinaisons de l’enfer.

Les règlements de nos collèges sont encore modelés, le plus souvent copiés textuellement sur ceux des petits séminaires français du dix-septième siècle ; époque à laquelle les coutumes, les habitudes sociales, l’association d’idées générales étaient essentiellement différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Le fonds du programme classique est resté le même, il n’y a que les accessoires de changés. En un mot, à voir comment les choses marchent, on serait tenté de croire « que l’enseignement est une pure affaire de routine et non de raison et d’observation. » — (Gasc) « On croit cultiver l’esprit des enfants et exercer leur jugement en chargeant leur mémoire ou plutôt en l’obsédant de mots qu’ils ne comprennent pas, qui n’éveillent pas en eux le désir d’acquérir la connaissance de leur signification : » (Gasc) ou bien encore on surcharge leur intelligence d’idées qui ne s’appliquent à rien de ce qu’ils ont vu dans la famille ou la société, et conséquemment à rien de ce qui peut exciter leur attention ou captiver leurs sympathies.

Au lieu d’aviver chez eux la curiosité, on la tue.

On classe dans leur mémoire toute une nomenclature de mots latins dont ils ignorent le plus souvent le sens exact et qu’il leur est conséquemment impossible d’appliquer juste ; de là des contresens, de là conséquemment des pensums.

Très souvent, dans les explications qu’on leur donne, rien n’est à leur portée, rien n’est tangible à leur intelligence, rien n’est propre à fixer fortement leur attention. Une difficulté métaphysique se résout par une réponse évasive qui, le plus souvent, renferme une autre difficulté métaphysique.

L’étude devrait être pour les enfants un plaisir, — et c’est là le seul moyen de la leur faire aimer ; eh bien, elle n’est ordinairement pour eux qu’un labeur pénible, un ennui, une fatigue morale.

On leur fait étudier à fond les langues mortes, devenues comparativement inutiles ; on leur fait à peine effleurer les langues vivantes, devenues nécessaires ! Celle que l’on étudie le moins, au collège, c’est sa langue naturelle, précisément celle qui devrait faire l’étude de toute la vie ! !

Sous l’empire des institutions démocratiques ou constitutionnelles, l’art de la parole est presque une condition sinè quà non d’influence politique : cet art est complètement négligé.

Sous le prétexte de les préserver du mal, on tient les jeunes gens dans une séquestration morale absolue ; on les laisse dans une ignorance complète de ce qui se passe dans le monde. En principe général, toute idée qui vient de l’extérieur est regardée comme dangereuse ; toute idée qui est en opposition avec celles que le professeur s’est formées est décidément mauvaise.

Vingt-neuf sur trente des élèves d’un collège sont destinés à entrer dans le monde ; eh bien, comment leur représente-t-on ce monde auquel ils sont destinés ? Comme un lieu de perdition où tout est mauvais, où tout est danger !

Dans les leçons, dans les exhortations surtout, on ne le leur présente que sous son plus mauvais côté : ils ont vingt-neuf chances sur trente de s’y perdre.

Aussi, ne redoute-t-on rien autant, dans les collèges, que le moindre contact, de la part des élèves, avec ce qu’on appelle le monde. Les réunions d’amis, les plaisirs paisibles de la société sont le plus souvent regardés par les supérieurs comme des sujets habituels de scandale, des occasions de chute.

On multiplie les prohibitions, les contraintes, et l’on ne fait pas attention que les privations rendent les désirs plus vifs, plus violents, les besoins plus irrésistibles. Mille choses qui sont sans conséquence pour celui qui en a l’habitude, possèdent des attraits infinis pour l’enfant qui n’en jouit jamais. S’il les connaissait mieux, il les désirerait moins, éprouverait moins de ce que l’on peut appeler des tentations mondaines, et se livrerait davantage à l’étude.

L’homme est destiné à jouir de la société de la femme.

Homme fait, elle est sa compagne nécessaire ; jeune homme, sa compagnie la plus agréable quoiqu’on en dise ; enfant, son guide le plus sûr et le plus désintéressé.

Ce n’est que dans la société des femmes que l’on trouve tout-à-la-fois l’élégance dans les manières, la délicatesse dans les procédés, ce qu’on appelle en un mot, le savoir vivre, le bon ton. Ce n’est surtout que dans la société des femmes, — et voilà ce que l’on me parait ignorer totalement dans les collèges, — que l’on acquiert la décence parfaite dans les conversations et les sentiments !

L’homme dont la jeunesse se sera écoulée au milieu d’une société respectable, quand même il aurait eu des relations habituelles avec des femmes de bon ton, vaudra invariablement mieux que celui qui les aura constamment évitées. Il fera plus facilement et plus tôt son chemin dans le monde, car la société des femmes donne tout-à-la-fois plus d’aisance aux manières, plus de finesse, d’aplomb, de perspicacité et d’étendue à l’esprit.

Je ne prétends nullement qu’il faille lancer les élèves d’un collège dans la fréquentation journalière de la société, car cela serait l’excès opposé à celui que je blâme ; mais je crois qu’on leur ferait plus de bien en leur permettant quelquefois de s’y mêler ; en leur procurant, à titre de récompense, la jouissance de quelques uns de ses plaisirs. Cela serait peut-être un moyen d’émulation beaucoup plus puissant que les petites récompenses de cloître qu’on leur distribue, souvent avec une singulière parcimonie.

L’élève de collège en général voit trop rarement sa famille. Un enfant n’y doit aller qu’une fois par mois, pourvu qu’elle réside dans la paroisse ou est situé le collège. « On lui chicane, en quelque sorte, la maison paternelle. » (Gasc) Au collège, on lui permet de voir, sans difficulté, aux heures de récréation, son père ou sa mère ; mais sa sœur, pas trop souvent, jamais une parente ou une amie de famille, si elle est jeune ; l’amie de famille parce qu’elle n’est pas sa parente ; sa parente parce qu’une certaine familiarité est dangereuse entre jeunes gens ! !

On fait, en un mot, à des enfants qui ne sont pas destinés a la prêtrise, une vie de petit séminaire ; on les façonne à de minutieuses règles, à des exigences multipliées, je dirais presque au joug monastique.

Rien n’est si beau que l’obéissance passive ; voilà la vertu cardinale de l’écolier ! quant à l’obéissance raisonnée, elle est un acheminement à l’orgueil !

Toute prétention au libre-arbitre moral, à l’indépendance de l’esprit ou du caractère s’appelle du Voltairianisme.

L’autorité est tout et ne se trompe jamais ; l’individu n’est rien, et doit avoir une foi aveugle dans l’autorité. Est-elle parfois, et je dirai aussi par exception, immorale, c’est un péché pour l’élève que d’arrêter son esprit sur une faute qu’il a vue commettre à son supérieur.

Un professeur a-t-il été injuste envers un élève et lui a-t-il fait subir une punition imméritée, on réprimande bien quelquefois le professeur, mais toujours en secret ; quant à l’élève, on le punit ordinairement pour s’être indigné d’un traitement injuste ! !

Tout ce système, Messieurs, a pour objet, et en règle générale pour résultat, l’amoindrissement de la personnalité ; la sujétion de l’intelligence, la nullification morale de l’individu. Voilà ce qu’on veut, et dans neuf cas sur dix ce qu’on obtient ! Avec cela on conduit le monde !

Dans le moyen âge, où le clergé, ou plutôt quelques ordres religieux seulement, pouvaient prendre en main la direction de l’éducation, il est tout naturel qu’on ait basé le régime des écoles sur celui des monastères. « L’opinion dominante était que les laïques n’avaient pas besoin d’instruction, et le clergé, dont l’ignorance générale a toujours fait la force, veillait activement à ce que l’instruction fût, pour ainsi dire, concentrée en lui seul, et ne pensait qu’à former des prêtres. » (GASC) Aussi quand forcé par la marche de la civilisation, par les besoins de l’esprit humain et surtout par la nécessité de conserver la direction de l’enseignement, le clergé ouvrit, en dehors des monastères, des écoles destinées aux laïques, eût-il soin de subordonner tout son système à cette idée : « Former des prêtres. »

À une époque où le clergé seul était éclairé, l’éducation cléricale devait paraître évidemment la meilleure qu’on pût donner aux laïques ; et d’ailleurs le pape St. Grégoire avait défendu, « que les mêmes bouches consacrées aux louanges du Seigneur, s’ouvrissent pour celles de Jupiter ; » proscrivant par ces paroles toute étude qui n’était pas exclusivement religieuse ; tout ce qui s’appelle étude profane.

Aujourd’hui, Messieurs, que tout est changé, les lois, les mœurs, les idées fondamentales, les principes sociaux et politiques ; aujourd’hui que le clergé n’est plus en avant des laïques par le degré d’instruction ; aujourd’hui que les idées monastiques ne vivent plus que dans les souvenirs, que la vie monacale du moyen âge est réprouvée par la civilisation, il peut paraître étonnant que le clergé reste opiniâtrement attaché a un système d’enseignement qui a sa base dans un passé qui n’est plus possible et dans un ordre d’idées qui est détruit sans retour ; mais il n’y a rien là, Messieurs, que de naturel pour celui qui a un peu observé et un peu étudié ; car comme le dit avec tant de vérité Benjamin Constant : « S’il est de l’essence de la religion d’être progressive, il est aussi de l’essence du sacerdoce d’être stationnaire et immobile dans l’ordre des idées et des systèmes. »

Et en effet c’est dans l’immobilité générale qu’est son principe de vie, sa plus infaillible garantie d’influence.

Tout mouvement social est en quelque sorte l’abandon du passé et l’acheminement vers l’avenir. Or l’avenir c’est l’inconnu ; et pour le clergé, l’inconnu c’est le danger ; donc tout ce qui mène à cet inconnu doit lui répugner instinctivement.

Messieurs, ce qu’il faut aujourd’hui au pays, c’est un enseignement qui ouvre indistinctement toutes les carrières aux élèves, suivant les goûts, les dispositions, les talents particuliers qu’ils indiquent.

L’éducation rationnelle est l’art de former les hommes pour eux-mêmes, et pour la société à laquelle ils doivent appartenir ; (Gasc) c’est l’art de donner à l’intelligence une certaine direction qui soit en harmonie avec les idées générales ou les besoins actuels d’un pays. Voilà ce que notre éducation ne fait pas ; voilà pourquoi elle est, sinon mauvaise en totalité, au moins très défectueuse.

Quand un jeune homme, après avoir séché pendant dix ans sur l’étude du grec et du latin, se trouve, une fois son cours terminé, lancé sur la scène du monde, il est dans la même position qu’un voyageur qui aborde en un pays étranger dont il ignore la langue. Il se fait souvent à lui-même l’effet du perroquet Vert-Vert tombant, sans transition, d’un couvent de Visitandines au milieu d’un cercle de voyageurs un peu dégourdis.

S’il a un peu d’étendue d’esprit, il s’aperçoit bientôt qu’il a fait fausse route ; que beaucoup de choses qu’il sait, il les sait mal : que ce qu’il lui faut savoir, sous peine de nullité, il l’ignore complètement ; en un mot il n’est pas six mois sans se convaincre qu’il lui faut de toute nécessité refaire son éducation.

Il a étudié pendant dix ans : sur ces dix années il y en a six qu’il peut presque considérer comme perdues, et il faut qu’il étudie pendant dix autres années pour corriger les vices ou les lacunes de sa première éducation ; pour se débarrasser des notions fausses qu’il a reçues, des erreurs qu’il a glanées ça et là.

Alors il commence à voir qu’on ne lui a jamais présenté qu’un côté des questions que son intelligence devait approfondir ; qu’il a observé les faits, les événements généraux de l’histoire d’un point de vue toujours rétréci, souvent, erroné ; enfin il finit par se convaincre qu’il a été pendant dix ans le jouet d’une illusion, parce qu’on appliquait aux objets qu’on présentait à son examen des verres convexes ou concaves, selon qu’il était plus avantageux à une certaine catégorie d’intérêts de les grossir ou de les rapetisser

Si cet homme a de l’énergie, il prendra courageusement son parti, dévorera les livres, se lancera dans de nouvelles routes, et réussira à agrandir son intelligence, à perfectionner son éducation et à rectifier ses notions : s’il n’en a pas, il trouvera la tâche trop forte, s’effraiera de ce qui lui manque, désespérera de l’acquérir, et se bornera à regretter stérilement le temps perdu qui ne peut revenir.

Serait-ce exagérer, Messieurs, si j’affirmais que cette dernière catégorie présente quatre individus pour un de la première ?

— Mais me dira-t-on peut être, pourquoi tous ces reproches à nos collèges ? Où en serions-nous si nous ne les avions pas eus ?

Messieurs, je n’adresse de reproches à personne, je ne fais qu’apprécier la situation, que retracer des faits que nous avons tous observés : je tâche seulement de les expliquer.

J’admets volontiers que le clergé n’a pas pu faire beaucoup plus que ce qu’il a fait. Je sais qu’il ne peut pas se plier à toutes les nécessités sociales de l’époque actuelle ; je sais qu’il n’est pas en son pouvoir de nous donner une éducation qui soit en parfaite harmonie avec les idées modernes et les besoins du pays, (car les idées modernes sont en contradiction avec les siennes ; les idées modernes, c’est la démocratie, dans l’ordre politique ; c’est l’indépendance de la pensée dans l’ordre moral… or l’indépendance de la pensée, le clergé la repousse ; et la démocratie, il l’accepte quand il ne peut pas faire autrement, mais il ne l’aime pas :) je sais enfin qu’il serait injuste de lui reprocher de ne pas entrer de pied ferme dans la voie du progrès : car le progrès, c’est ce qu’il redoute le plus, à moins pourtant qu’il ne le dirige, et l’on sait quelle espèce de direction il lui donne.

Ce n’est donc pas à lui que je reproche l’insuffisance de l’enseignement actuel. Puisque lui seul a créé jusqu’à présent des maisons d’éducation, à lui seul appartenait le droit de les régler ; et nous n’avons pas nous le droit d’exiger qu’il adopte entièrement nos idées. Puisque nous allons chercher l’éducation qu’il donne, nous devons la subir. Nous ne pouvons pas lui demander d’entrer dans notre sphère quand nous allons volontairement le chercher dans la sienne.

Je maintiens donc que nous n’avons nullement le droit de demander au clergé de changer son système d’enseignement car il ne nous l’impose pas ;[7] mais aussi nous avons pleinement celui de lui dire : « Votre système ne nous convient plus ; il entrave notre développement intellectuel et industriel ; il n’est pas adapté à notre situation politique, ni à notre avenir national : au point de vue social, il n’est pas à la hauteur de l’époque. Voila pourquoi, nous allons, par nos propres moyens en créer un autre, séculariser l’enseignement afin de nous affranchir de votre tutelle morale ; doter une ou plusieurs universités avec les biens des jésuites, qui n’ont servi jusqu’à présent qu’à exciter vos convoitises, et dont le gouvernement responsable ne s’est servi que pour faire de l’intrigue. »

Voilà ce que nous avons le droit de dire au clergé ; voilà surtout ce que nous devrions faire sans délai ; voilà enfin ce que quelqu’un a déjà pensé à faire. Malheureusement ce quelqu’un était le chef d’une administration qui, arrivée au pouvoir sous les auspices du libéralisme, a menti à sa mission et renié son mandat, et ce chef d’administration s’est dit : « Nous sommes au pouvoir : il est dans l’intérêt du pays que nous y soyions aussi longtemps que possible : nous pouvons influencer le peuple au moyen du clergé si nous savons flatter celui-ci : le clergé a l’espoir d’accaparer les biens des jésuites, eh bien, influençons le clergé au moyen des biens des jésuites que nous ne lui donnerons pas, mais que nous lui laisserons espérer d’obtenir ; et avec cela nous aurons son appui cordial. »

Voilà, Messieurs, le calcul de l’administration actuelle !

Voilà pourquoi le projet de doter une université avec les biens des jésuites n’a pas été réalisé !  !

Ce projet est la seule idée un peu large en fait d’administration que le chef du cabinet actuel ait conçue, ou mieux, ait témoigné l’intention d’exécuter ; et ce projet a dû faire place à une intrigue de coterie !  !

On s’est dit : « Si nous refusons au clergé les biens des jésuites pour en doter une université dans laquelle l’enseignement ne sera pas sous son contrôle exclusif, le clergé criera, (comme s’il ne devait pas crier chaque fois que le pays fera un pas sans sa permission) et notre influence sera affaiblie d’autant ; eh bien, ajournons ce projet et laissons sa réalisation à nos successeurs ; après nous le déluge. »

Ainsi, Messieurs, les membres de l’administration actuelle, en qui le pays a mis toute sa confiance, ont ajourné, en vue seulement de se maintenir au pouvoir, la fondation d’un établissement dont le pays a le plus grand besoin, qui imprimerait une immense impulsion à son progrès moral, et pour la dotation duquel les moyens étaient tout trouvés : et d’un autre côté ils ont habilement dupé le clergé ; car tout en lui laissant entrevoir la possibilité que les biens des Jésuites lui fussent abandonnés, au moins en partie, ils s’amusaient dans le tête-à-tête, aux dépens de ceux dont ils excitaient les convoitises !

Sous des institutions sérieusement démocratiques, nos hommes publics n’eussent très probablement pas fait passer avant leur devoir et les vrais intérêts du pays, le désir de capter l’appui du clergé, dont ils craignent aujourd’hui de froisser les instincts anti-démocratiques ; car soyez en bien convaincus, Messieurs, une fois les institutions républicaines définitivement établies en Canada, le clergé, même s’il n’est pas républicain par goût, tâchera de le paraître, ou le sera par nécessité ; voilà pourquoi la réalisation d’une pensée démocratique qui le blesserait aujourd’hui, lui sera alors indifférente ; voilà surtout pourquoi, si nous avons alors le malheur de placer au pouvoir des hommes qui n’aient pas le courage de leur opinion, ces hommes ne craindront plus des foudres qui, même sous le régime actuel, ne sont redoutables qu’à ceux qui veulent bien en avoir peur.

Messieurs, j’ai essayé de vous démontrer :

1°. Que le système politique actuel était radicalement mauvais ; qu’il était condamné par la raison, par le droit naturel, par ses résultats généraux, par les hommes publics honnêtes, — ou au moins non hostiles au Canada, — de la Grande Bretagne :

2°. Que le Canada en était arrivé à force de sagesse pratique et de connaissances administratives à voir son budget chargé d’une dette de plus de $18, 000, 000, somme qui représente presque le sixième de sa richesse générale :[8]


3°. Qu’il en était arrivé, à force d’expédients économiques, à voir la propriété plus obérée, pour ses dépenses publiques, qu’elle ne l’est aux États-Unis, et même en Angleterre pour le même-objet :

4°. Que le régime colonial nous coûtait beaucoup plus que l’indépendance ne nous coûtera :

5°. Que la dépréciation sans exemple de la propriété, l’état de stagnation extraordinaire des affaires commerciales et de l’industrie locale étaient le résultat direct du régime colonial sous lequel le progrès politique et intellectuel de la masse des habitants du pays a été beaucoup plus pénible et plus lent qu’il ne l’eût été avec les institutions Américaines :

6°. Que sans l’annexion ou au moins sans l’octroi par les États-Unis de la réciprocité commerciale, le pays n’avait aucune chance de voir sa position s’améliorer :

7°. Que la loyauté, telle qu’entendue dans le sens politique était une de ces idées de convention, un de ces préjugés des temps d’ignorance, une de ces chimères ridicules inventées par le despotisme, que l’analyse et le raisonnement font évanouir :

8°. Que les institutions que l’Angleterre a imposées à ce pays n’étant qu’un misérable replâtrage de son système aristocratique et constitutionnel, elles n’étaient pas applicables à nos besoins ni à notre position particulière, et cela pour deux raisons principales : 1°. parce que le principe monarchique ou le principe aristocratique n’ont aucune base solide, même aucune racine possible dans notre état de société ; 2°. parce que nos relations journalières avec les États-Unis nous démontrent tous les jours de plus en plus que les institutions républicaines sont les seules qui puissent nous mettre en état de tenir honorablement notre place, sur cette terre d’Amérique, dont le progrès est l’état normal ; et au milieu de populations auxquelles la liberté politique a fait prendre le pas sur nous :

9°. Qu’à proprement parler, il n’existait pas, en Canada, de responsabilité gouvernementale, parce que la responsabilité ministérielle ne remontait qu’à des subalternes : et en effet là où le peuple n’est pas souverain, dans une colonie, en un mot, la responsabilité gouvernementale est un non-sens, la responsabilité ministérielle, une duperie.

10°. Que les institutions américaines étaient, sans aucune comparaison, les plus parfaites qui existent au monde, et les seules applicables à notre position particulière :

11°. Que le résultat de ces institutions avait été, pour les États-Unis, le développement moral et politique le plus complet, le progrès-social, industriel et commercial le plus rapide et le plus extraordinaire qui se soient jamais vus chez aucun peuple :

12°. Que l’annexion produirait au pays des bénéfices immenses sous tous les rapports : qu’elle ferait doubler de suite la valeur de la propriété ; qu’elle amènerait infailliblement l’utilisation des forces motrices de nos rivières ; qu’elle donnerait du prix à nos grains et ouvrirait à nos denrées en général de vastes débouchés :  ;

13°. Qu’elle était le plus sûr et le plus puissant moyen de rendre nos canaux productifs :

14°. Qu’elle nous assurait l’acceptation immédiate de notre dette publique par le gouvernement fédéral et que conséquemment NOUS SERIONS DÉLIVRÉS POUR TOUJOURS DU DANGER D’ÊTRE TAXÉS DIRECTEMENT :

15°. Que les institutions vraiment démocratiques nous offraient des garanties de bonne administration et de prospérité que nous ne pouvons jamais avoir sous le régime colonial :

16°. Que les institutions vraiment démocratiques mettraient fin à ce système de dégradation et d’avilissement qui a pesé sur le pays depuis dix ans : qui a flétri de si belles réputations ; qui a fait succomber tant d’hommes que nous nous honorions de compter parmi nos défenseurs et nos amis ; qui a perdu dans l’estime publique tous ceux qui ont cru pouvoir en tirer quelque chose ; qui, en un mot, a avili tout ce qu’il a touché :

17°. Que non seulement les institutions démocratiques seraient la consécration imprescriptible de nos droits naturels civils et politiques, que rien aujourd’hui ne garantit sûrement, mais qu’elles nous mettraient à même de les préserver directement et par nos propres forces de toute atteinte quelconque ;

18°. QU’ELLES SERAIENT LA PLUS SURE SAUVEGARDE DE NOTRE NATIONALITÉ, COMME LE MEILLEUR REFUGE CONTRE L’INTOLÉRANCE RELIGIEUSE :

19°. Qu’enfin, en nous incorporant avec les États-Unis, elle nous plaçait sur un pied d’égalité parfaite avec les plus puissantes nations du globe, pendant qu’aujourd’hui nous ne sommes rien autre chose que le marchepied de l’Angleterre :

Espérons, Messieurs, que ces considérations auront quelqu’effet sur les gens de bonne foi qui, n’ayant pas à leur portée tous les renseignements nécessaires, ont eu foi en l’intégrité des défenseurs du régime colonial, ont cru sincèrement à l’efficacité, pour le bien, d’un système qui n’était destiné qu’à produire le mal, et qui était trop habilement conçu pour manquer son but ; et qui enfin, à force d’entendre et de lire des diatribes inspirées par la plus évidente mauvaise foi, ont cru au danger de l’application au Canada des institutions républicaines.

Espérons que les gens de bonne foi sentiront que sous la constitution anglaise rien n’est assuré, parce que rien n’est défini ; que les droits des gouvernés et les devoirs des gouvernants, au lieu d’être explicitement fixés et prescrits, étant au contraire abandonnés à l’appréciation capricieuse et intéressée de ceux-ci, nous ne savons, en quelque sorte, ni ce que nous avons à craindre, ni ce que nous avons, par la constitution, le droit d’exiger.

Espérons que les gens de bonne foi sentiront qu’avec l’institution du gouvernement responsable, tel qu’on nous l’a imposée et tel que nos prétendus amis l’ont fait fonctionner, nous n’avons d’autre garantie que le bon vouloir des hommes au pouvoir ; or une telle garantie est plus qu’illusoire ; les huit dernières années l’ont assez prouvé.

En politique toute garantie purement personnelle est une absurdité, ou un danger, ou un mensonge : d’abord parce qu’un homme n’est jamais infaillible ; en second lieu parce que cet homme, dût sa conscience être inébranlable, peut mourir d’un instant à l’autre ; enfin parce que jamais un homme ne peut régler à son gré le présent, ni prévoir l’avenir, et que, comme le disait Mr. De Talleyrand, « il y a quelqu’un qui aura toujours plus d’esprit que tous les rois ou ministres présents, passés ou futurs, et ce quelqu’un, c’est tout le monde. »

Rien ne démontre mieux la totale insuffisance des hommes qui sont aujourd’hui au ministère, que leurs constants efforts pour augmenter leurs pouvoirs et les détails de leurs attributions, en un mot pour centraliser en eux seuls toute l’action du gouvernement, sous le prétexte qu’ils n’en abuseront pas et qu’il en résultera du bien ; car des libéraux vraiment éclairés auraient profité de leur séjour au pouvoir pour lier autant que possible les mains des ministres, pour restreindre autant que possible les prérogatives de la couronne, et pour étendre d’autant les privilèges de la législature. Des hommes vraiment éclairés auraient compris que faire dépendre le sort d’un peuple de l’habileté, de l’existence ou de l’honnêteté d’un individu, était, en politique, un acte d’aberration menttale ; mais ils n’ont pas compris cela, parce qu’à côté de la prétention se trouve d’ordinaire la nullité, qui lui sert d’antidote.

Messieurs, le sujet que j’ai entrepris de traiter aurait exigé des volumes : je n’ai fait, pour ainsi dire, qu’en esquisser les principaux traits. Il reste beaucoup de choses à dire encore, car le cadre restreint dans lequel j’étais obligé de me renfermer, m’a forcé de négliger beaucoup de raisons très concluantes, beaucoup de faits et de détails importants, beaucoup de questions pleines d’intérêt et d’actualité.

Si mon travail peut provoquer un commencement d’études, sur cette importante question, j’aurai atteint mon but, car j’ai la conviction sincère que personne n’étudiera, sans préjugés, le sujet que j’ai traité, sans devenir un zélé partisan de l’annexion.

Il n’est pas possible qu’en Canada, un homme d’un esprit droit, qui n’a ni antécédents à défendre, ni fautes à couvrir, ni ambition sordide à satisfaire, se déclare, de propos délibéré, l’ennemi de la démocratie Américaine ; cela n’est pas dans la nature.

Je n’ai pas le moindre doute que ceux qui croient le système actuel bon, ne le croient tel que parce qu’ils ne connaissent pas assez les institutions Américaines. Qu’ils les étudient, et ils se convaincront de suite de leur immense supériorité. Leurs craintes passées, leurs incertitudes actuelles feront place à des convictions inébranlables.

Entre la liberté et la dépendance ; — entre la grandeur nationale et le joug de l’étranger ; entre le bien-être et le malaise social ; entre le progrès et la décadence ; entre le vrai et le faux ; entre le juste et l’injuste ; entre le bien et le mal, PERSONNE N’HÉSITE QUE CELUI QUI IGNORE.


FIN.
  1. Le canal de Beauharnais a coûté 
    £ 530,000 revenu brut 1850. £ 640 7 0
    Le can. de Cornwall a coûté 
    £ 516,000 revenu brut 1850. £ 101 8 7
    Le can. de Williamsburgh a coûté 
    £ 130,000 revenu brut 1850. £ 121 6 10


    Coût total 
    £1,176,000 revenu total £ 863 2 5


    Le can. de Welland a coûté 
    £1,426,000 revenu net 1850. £ 31,000 2¼ pr. 100
    Celui de Lachine a coûté avec l’élargissement 
    £380,000 revenu net 1850. £ 16,347 4¼ pr. 100


    Total 
    £1,806,000 revenu net 1850. £47,347 2⅝ pr. 100


    Coût total de ces canaux 
    £3,300,000 leur revenu net 1850. £47,000 1½ pr. 100
  2. Lord Elgin, dans une dépêche au secrétaire des Colonies : M. Hincks, dans un discours en Chambre.
  3. Guizot.
  4. Je suis bien aise, dans l’intérêt des opinions que je soutiens, qu’au moment où ces lectures allaient être livrées à l’impression, la nouvelle du refus fait par le gouvernement impérial de sanctionner la loi réglant le cours des monnaies, soit venue donner un démenti de plus aux assurances réitérées des feuilles ministérielles, « que l’Angleterre avait cessé d’intervenir dans la législation locale. »
    Cette loi avait été passée, pendant la session de 1850, presqu’à l’unanimité des deux chambres. Sa misé en opération étant d’une nécessité urgente, le gouverneur la sanctionna, et elle est entrée en force le 1er janvier de cette année.
    Mais comme il existe, dans l’acte d’Union des Canadas, une clause par laquelle on a réservé à l’autorité métropolitaine le droit de refuser sa sanction même aux lois sanctionnées dans la colonie par le gouverneur, et que ce droit subsiste pendant deux années entières, le secrétaire des colonies à refusé de sanctionner la loi en question, et aujourd’hui elle est déclarée nulle et non avenue après être restée en force dans le pays pendant sept mois ; et cela à la face des déclarations écrites et verbales cent fois répétées de nos ministres, et de leurs amis, et de leurs journaux ! Depuis quatre ans, on n’a cessé de nous assurer que le gouvernement métropolitain n’interviendrait plus dans nos affaires locales ; que nous nous gouvernions nous-mêmes ; qu’à part le fait de se déclarer indépendant, le Canada pouvait sûrement compter sur la liberté entière de régler les questions d’administration intérieure.
    Eh bien, le refus de sanctionner la loi réglant le cours des monnaies prouve que le gouvernement métropolitain n’a jamais été sincère dans ses protestations, et que nos ministres ont toujours été ses dupes.
    Sur qui va retomber la responsabilité des pertes et des inconvénients auxquels le rejet de cette loi nous expose ? Sur le ministre des colonies. À qui est-il responsable ? Au gouvernement impérial. La responsabilité gouvernementale n’existe donc pas ici. C’est en Angleterre qu’il faut l’aller chercher. Dans ce cas, quel est le moyen d’obtenir justice ? Voilà ce que les admirateurs du gouvernement responsable devraient nous dire !  !
  5. Il paraît que le peuple n’est éclairé qu’au moment où il fait choix de mandataires qui l’insultent à plaisir quand les élections sont encore éloignées ?
  6. Il va sans dira que cette phrase ne s’applique qu’à ceux qui n’empruntent pas des banques.
  7. Absolument, non ;
    Mais relativement, oui, jusqu’à un certain point ; car le clergé n’aime pas les établissements laïques, sous le prétexte qu’ils ne sont pas assez religieux.
    Il veut exercer son contrôle sur l’enseignement.
    Et il est très possible que quand on voudra former des établissements laïques, le clergé conseille ou défende à la population de les fréquenter.
  8. Par un acte passé et sanctionné à la session qui vient de finir, le gouvernement est autorisé à emprunter, sur le crédit de la province, avec la garantie du gouvernement impérial, une somme de $16,000,000 pour construire une portion du chemin de fer de Halifax à Hamilton.
    La dette totale du Canada est aujourd’hui de 
    $18,750,000
    Nouvelle dette 
    16,000,000

    Total 
    34,750,000


    Cette somme formera 6-19mes, presque le tiers de la valeur totale de la propriété mobilière et immobilière du pays.

    Néanmoins, M. le représentant du comté de Verchères a dit en Chambre et en toutes lettres le 26 août dernier, que même après cet emprunt de $16,000,000 la dette du Canada serait moins forte, relativement, que celle de la Pennsylvanie !  !


    Or la dette totale de la Pennsylvanie est de 
    $40,000,000
    La valeur totale de la propriété 
    600,000,000
    Proportion de la dette avec la richesse publique 
    Pour le Canada ; une dette de $34,750,000 formerait, comme nous venons de le voir près d’un 
    de la richesse publique


    Mais voyons maintenant quelle est, dans chaque pays, la proportion avec la richesse générale, de l’excédant de la dette publique sur la valeur des propriétés productives de l’état.


    Propriété. Valeur des travaux publics de l’état Excédant de la dette Prop. avec a richesse publique.
    Pennsylvanie, $500,000,000 32,000,000 8,000,000
    Canada, 110,000,000 3,000,000 31,000,000


    Et voilà comme on législate, en Canada, avec connaissance de cause !  !

    Une pareille preuve de grossière ignorance donnée par un homme dont le bavardage est quelquefois si insolent, mérite qu’on s’y arrête.