Situation faite aux instituteurs adjoints, anciens élèves-maîtres des écoles normales

Situation faite aux instituteurs adjoints, anciens élèves-maîtres des écoles normales
Revue pédagogique, second semestre 18806 (p. 290-294).

SITUATION FAITE AUX INSTITUTEURS-ADJOINTS
anciens élèves-maîtres des écoles normales


Monsieur le Directeur,

La Revue pédagogique est à bon droit considérée comme une tribune libre, où tous les partisans de l’enseignement primaire peuvent publier les idées qu’ils croient justes ou favorables au développement de l’instruction populaire. Je viens aujourd’hui vous demander d’intervenir en faveur des agents les plus modestes et les plus déshérités de nos écoles publiques : j’ai nommé les instituteurs-adjoints, qui, en beaucoup d’endroits, sont aussi peu favorisés qu’en 1850. Que dis-je ? à cette époque éloignée, les sous-maîtres, comme on les appelait alors, prenaient leur mal en patience, parce qu’ils étaient soutenus par l’espoir d’en être délivrés, après une courte épreuve de moins d’une année,

Aujourd’hui les élèves-maîtres des écoles normales subissent un stage de quatre ans et demi et jusqu’à six années avant de devenir instituteurs titulaires ; et il en est trop qui pendant ce temps sont réduits à recourir à leurs familles, ordinairement peu aisées, pour suffire à leurs besoins et se vêtir modestement.

À qui faut-il s’en prendre si les débuts de l’enseignement sont assez pénibles pour éloigner des écoles des jeunes gens instruits, qui s’effrayent à bon droit des épreuves longues et dures qu’il leur faut supporter ? Aux instituteurs des grandes écoles, aux inspecteurs d’académie et aux inspecteurs primaires.

Sous la législation de 1850, les adjoints des écoles publiques n’avaient aucun traitement assuré. Les municipalités leur votaient de 200 à 400 francs, selon les ressources et la générosité des communes ; l’instituteur titulaire leur laissait presque toujours la totalité d’un traitement trop minime, et il accordait gratuitement la nourriture aux collaborateurs qui contribuaient à la prospérité et au revenu des écoles. J’ai débuté, en 1859, avec un traitement annuel de 250 francs et la nourriture gratuite. Beaucoup de mes élèves d’aujourd’hui, pourvus, comme je l’étais, du brevet complet, ont une situation inférieure, bien que la loi de 4875 leur accorde un traitement de 800 francs, lorsque j’avais seulement en perspective d’arriver instituteur suppléant de 2 classe, au traitement de 400 francs pendant deux ans.

La loi du 10 avril 14867 à assuré un traitement de 400 fr. aux instituteurs-adjoints de 2e classe, avec la possibilité de monter à 500 francs après trois années de services, L’intention, du législateur fut méconnue, en ce sens que les prétentions des instituteurs titulaires s’élevèrent en raison de l’augmentation pour le prix de la nourriture des adjoints. Il en a été de même dans beaucoup d’endroits lorsque le traitement des adjoints a été porté de 500 à 600 francs ; puis au taux unique minimum de 700 francs avec un supplément de 100 francs pour ceux qui sont pourvus du brevet complet. Les augmentations successives ont presque exclusivement profité aux instituteurs titulaires, qui élèvent leurs prétentions pour le prix de la nourriture de leurs collaborateurs à mesure que le traitement de ces derniers augmente. Il est d’ailleurs trop de mode de désigner les adjoints de valeur pour les postes importants, où ils sont le plus utiles, sans se préoccuper de la situation qui leur est faite, et de les livrer, en quelque sorte, à la merci des instituteurs, qui peuvent toujours les soumettre en leur faisant voir la perspective d’aller prendre au dehors de l’école une pension d’hôtel, dont le prix serait peu en rapport avec leurs modestes ressources.

Pendant mes dix années d’inspection, je me suis montré soucieux de la dignité du corps enseignant, et j’ai souvent impitoyablement provoqué des mesures de rigueur contre les débutants qui paraissaient devoir faire plus tard de médiocres instituteurs. Mais je me suis vivement préoccupé du sort des adjoints, en faveur lesquels j’ai énergiquement agi. Je voudrais que l’Administration centrale, dont les intentions sont si généreuses pour les débutants, généralisât des mesures propres à protéger et à bien traiter les anciens élèves-maîtres des écoles normales, dont elle a fait à grands frais l’éducation professionnelle. Il me semblerait juste de diviser pour les débuts les nouveaux adjoints en trois catégories, sauf à tenir compte plus tard de leurs services.

1° Anciens élèves-maîtres des écoles normales ;

2° Brevetés ordinaires ;

3° Non brevetés.

Il est, en effet, injuste de voir des jeunes gens qui n’ont pas réussi aux concours d’admission aux écoles normales, mis absolument sur le même pied que ceux qui y ont fait pendant trois ans de bonnes études.

Pour bien des motifs, il est désirable que les instituteurs-adjoints vivent chez les titulaires, qu’ils y trouvent une existence agréable, une vie de famille, les éloignant du cabaret ; mais il doit être bien établi qu’en contribuant à la prospérité de l’école, ils ont le droit de participer aux avantages qui tiennent à l’existence d’un pensionnat, d’un cours d’adultes, d’études surveillées ou de tout autre travail accessoire. L’instituteur-adjoint reçoit un traitement exclusivement attaché au service ordinaire de l’école. Tout ce qu’il fait en dehors de ses heures de classe et des retenues qui s’y rattachent, lui donne droit à une rétribution : voilà ce qu’il faut bien établir. Pendant mes dix années d’inspectorat primaire, je me suis fait un devoir de soutenir les droits des adjoints et de leur assurer une existence heureuse. Je savais exactement ce qui était demandé à chacun en dehors de ses obligations professionnelles, et quels avantages leur étaient accordés pour les services accessoires. J’obtenais toujours dans mon dernier poste, où j’ai passé six années, bonne justice de mon honorable inspecteur d’académie ; et, tout en laissant une bonne situation aux instituteurs titulaires, je les avais amenés, en retour d’un concours largement accordé, à assurer aux adjoints sortis de l’École normale un traitement minimum libre de 00 francs, en dehors de la nourriture et du logement. Les maîtres qui ne pouvaient ou ne voulaient pas suivre mes conseils, avaient pour collaborateurs les sujets faibles et indolents que l’administration est forcée d’utiliser, faute de meilleurs.

Ce qui se fait sur beaucoup de points pourrait se généraliser, si administration daignait donner des instructions à MM. les inspecteurs d’académie, et exiger des tableaux présentant la situation réelle des adjoints comme charges et avantages, en divisant les débutants en trois catégories, comme je l’ai fait ci-dessus.

On n’aurait plus alors des situations déplorables, où deux adjoints ont pour logement un dortoir habité par 12 ou 15 pensionnaires dont ils se partagent la surveillance l’année entière, outre leur travail de classe, en abandonnant, à 14 francs près, leur traitement mensuel pour prix de leur nourriture ou de leur blanchissage. Ces conditions peuvent à la rigueur être acceptées par des aspirants au brevet qui n’ont pas le droit de se montrer exigeants ; mais elles ne sont pas acceptables pour les anciens élèves-maîtres pourvus du brevet facultatif, qui doivent rester quatre ou cinq ans adjoints.

Je conclus donc qu’en bonne justice distributive, les instituteurs-adjoints doivent participer aux avantages que la loi de 1875 leur a assurés, et que les administrations départementales doivent être partout obligées de les protéger contre l’égoïsme de certains instituteurs titulaires. Il n’est pas juste que ces derniers profitent seuls des avantages assurés à tous par le législateur ; que des adjoints dévoués et instruits ne puissent suffire à leurs besoins, lorsqu’ils contribuent à la prospérité d’écoles qui procurent souvent, tout compris, des traitements de plus de 2, 000 francs aux instituteurs titulaires.

Berson,
Directeur de l’École normale
de la Loire-Inférieure.