Sites urbains (Verlaine)

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 102-103).

SITES URBAINS


Prisonnier dans Paris pour beaucoup trop de causes,
Par ces temps chauds, je me console avec les choses
Qui sont à ma portée et ne coûtent pas trop,
Par exemple la rue où j’habite… trop haut.
Et son spectacle primitif, en quelque sorte,
Grâce à la bonhomie évidente qu’apporte
La pauvreté des gens à celle des voisins
Dans les rapports quotidiens qui font cousins.

À droite, à gauche, vont s’échevelant des squares
Au vent quand même septembral, et des bagarres
De feuilles en déroute imitent les vols fous
D’oiseaux qui seraient plats et verts aux reflets roux,
S’agitant au-dessus des disputes point graves
D’ouvriers un peu gris, que le vin bleu rend braves
À l’excès, s’il s’agit d’un mot pris de travers.

Moi, je fume ma pipe et compose des vers
Bonhomme, en jouissant de ces sites bonhomme,
Et quand tombe la nuit, je m’endors vite ; et comme

 
Je rêvasse toujours, je rêve à des vers mieux,
Bien mieux que ceux de tout à l’heure, vers, grands Dieux !
Pathétiques, profonds, clairs telle l’eau de roche,
Sans rien en eux qui bronche ou seulement qui cloche :
Des vers à faire un jour mon renom sans pareil
— Et dont je ne sais plus un mot à mon réveil…