Intermittences (Verlaine)

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 100-101).

INTERMITTENCES


Il est des jours, il est des mois,
Il est jusques à des années
Où, fui des Muses surannées,
Déserté par toutes ses Fois,

Froid aux couronnes comme aux tresses,
Aux palmes ainsi qu’aux lauriers,
Le Poète, dont vous riez,
Connaît aussi les sécheresses.

Tel un chrétien trop scrupuleux
Ne trouve plus dans sa prière
L’oraison douce et familière,
Chaude au cœur aujourd’hui frileux,

À l’âme désormais glacée
Qui frémit de doute en l’horreur
Du seul scrupule d’une erreur
Dont il soupçonne sa pensée…


Mais laissez faire : l’an viendra,
Le mois viendra, le jour propice
Où du morose précipice
L’âme immortelle surgira,

Où le cœur sincère et fidèle
Retrouvera l’arbre et les nids
Des bons pensers par Dieu bénis,
Et s’y rendra d’un grand coup d’aile…

Ainsi le Poète, guéri
De la torpeur qui l’étiole,
Tout à coup s’essore et s’envole
Vers le bosquet toujours chéri,

D’où, voix qu’a refaite un long jeûne,
Dans les crépuscules seuls siens,
Il chante ses chagrins anciens
Et l’espérance à jamais jeune !