Simples essais d’histoire littéraire/01



SIMPLES ESSAIS
D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

I.

LES FEMMES POÈTES.


C’est un chapitre d’histoire littéraire que nous voudrions écrire, et pourtant les questions littéraires sont bien loin d’être les seules qui se soient présentées à notre esprit dans les études que nous venons d’achever. Quel que soit le travail qu’on fasse sur son intelligence, il est impossible de juger une œuvre d’art sans être influencé par ce qu’on sait ou ce qu’on devine de l’artiste. Qui peut voir la Vierge à la Chaise, cette magnifique création où la poésie des sens se confond avec celle de l’ame, sans songer aux amours de Raphaël ? Qui peut lire l’immortel passage de Don Quichotte sur la pauvreté de l’hidalgo, sans songer à la noble existence du héros mutilé de Lépante ? Fermez un instant le doux livre de vers où vous venez de relire pour la centième fois le Diable de Papefiguière ou les Oies du père Philippe, vous représentez-vous notre poète champenois sans voir sourire, à côté de lui, une Philis la bouche vermeille les dents blanches, le jupon court, le corsage saillant et le bouquet de giroflées planté au milieu du sein ? Il n’est pas une stance du Divan qui ne nous montre Goethe étendu, comme un monarque indolent et superbe de l’Asie, sur quelque couche verdoyante où la nature lui prodigue ses enchantemens. Il n’est pas un vers de Byron qui ne rappelle le mors blanc d’écume et la crinière flottante de son coursier. Eh bien quand on a sous les yeux des odes, des élégies ou des poèmes écrits par des femmes, il ne vient aucune pensée, il ne se présente aucun tableau qui ne blesse le cœur ou ne répugne à l’imagination.

Comment, en effet, concilier l’idée que nous avons de l’existence du poète avec celle qu’on doit se faire de la vie des femmes, d’après les données de la nature et les notions du sens commun ? Nous ne croyons plus aux amazones. Malgré les lignes éloquentes que leur a consacrées Plutarque, leur souvenir à moitié perdu dans les nuages de la fable n’éveille que le sourire de l’ironie. Et cependant, je le déclare, une femme qui porte le casque en tête et l’épée au côté, qui éperonne un cheval, assène des coups, fait des blessures et rêve la parure d’une cicatrice à son front, une femme qui entreprend une lutte violente contre tous les instincts de son corps, me paraît un être moins chimérique et moins monstrueux qu’une femme qui interroge toutes les profondeurs de l’ame, sonde la douleur, pénètre les tristesses, descend aux sources des vices, se résout enfin à connaître tous les mystères, tantôt cruels pour l’esprit, tantôt offensans pour la pudeur, que le poète est obligé de soulever. Mais j’admets qu’une femme naisse avec le singulier courage dont l’intelligence a besoin pour suivre une vocation poétique ; ce courage lui suffira-t-il ? Pourra-t-elle se livrer à ses impulsions dans les conditions au milieu desquelles elle est placée ? Je ne le crois pas. Si Descartes pensait que le philosophe, dont l’empire régit des êtres abstraits au milieu de régions invisibles, doit rechercher les spectacles de la terre et le mouvement des choses humaines, de quelle impérieuse nécessité doivent être, pour le poète qui s’étudie à reproduire les doubles merveilles de deux mondes, les excursions à travers les villes et les déserts, l’examen attentif des travaux de l’homme, et la contemplation enthousiaste des œuvres de Dieu !

Che seggendo in piuma
In fama non sivien ne sotto coltre

disait le Michel-Ange de la poésie, l’intrépide gibelin de Florence. Celui qui prend la gloire pour fiancée ne la conduit pas sous son toit au milieu de sa famille ; il n’en fait pas la compagne d’une vie qui continue à s’écouler sous l’ombrage du verger paternel ou dans le coin du foyer. Au lieu de la faire entrer dans sa maison, il quitte sa maison pour elle. Dans son aveugle et sublime amour, il lui fait le sacrifice des pieux attachemens, des anciennes amitiés et des ardentes tendresses. Les poètes ne ressemblent pas seulement aux conquérans par l’insatiable ardeur de leurs désirs, mais encore par l’effrayante puissance dont ils ont besoin pour subir l’isolement d’une errante destinée. Parmi ceux qui ont élevé à la gloire de l’intelligence les monumens les plus durables, combien peu en pourrait-on citer, qui, chefs honorés d’une race, soient descendus dans un caveau destiné à recevoir, après eux, une longue suite d’enfans ! Rois d’un empire qui ne se transmet pas, ils meurent sans laisser d’héritiers. Une existence passée tout entière dans cette solitude où la royauté du génie vous relègue comme les autres royautés, une existence sans les plaisirs réglés, le bonheur intime, les affections fidèles et familières, peut-elle convenir à une femme ? Personne n’oserait le dire. La femme, en dehors de la famille est un être en dehors du monde pour lequel il a été créé. Cela est si vrai, que je défie le plus grand peintre de faire, avec une Corinne ou une Sapho, sur les rives de la Méditerranée, un tableau qui remue autant l’ame que l’image de la plus humble et de la plus obscure des mères auprès du berceau de son enfant.

Il y a bien encore cependant, outre l’idée du berceau et du foyer, enfin de la vie chaste et cachée, tout un autre ordre de pensées qu’éveillent aussi les femmes. À côté de celles qui accomplissent l’austère destinée que leur a faite la loi chrétienne, il y a celles qui n’ont pas cessé de suivre la loi antique, qui vivent pour recevoir et donner du bonheur, on comprend de quel bonheur je parle : c’est de celui qui fait songer à Lesbie. Il est pour celles-là des trésors d’indulgence, même dans le cœur de Dieu, voyez Madeleine ; en tout cas, il est certain qu’elles ne sont pas en révolte contre la nature. On sait pourquoi elles ont des yeux où semble rire une promesse, des chevelures qui n’ont qu’à se dénouer pour répandre des trésors, et des bouches qui s’ouvrent avec cet air d’attente qu’exprime le calice des fleurs. Un homme qui, par le merveilleux éclat de son style a mis son nom au nombre de ceux qu’on est obligé de citer, malgré les souvenirs scabreux qu’il réveille, Béranger, dans une des plus profanes et des plus poétiques de ses chansons, conduit au même séjour de béatitude infinie celle qui a donné le plaisir et celle qui a versé la paix, celle qui a consolé la douleur par des baisers, celle qui l’a calmée par des prières ; l’insouciante et généreuse fille qui a prodigué ses attraits dans une pensée d’amour, la vierge sacrée qui a enseveli les siens dans une pensée de charité. Si charmant, si ingénieux que soit ce parallèle de poète, il m’a toujours paru blessant et impie dans le sens éternel du mot. Le regard où se réfléchit le ciel comparé à celui où s’allume le désir, la main lascive qui se laisse conduire par la volupté comparée à la chaste main qui se pose avec un intrépide courage sur des plaies saignantes, ce sont là des idées qu’on ne saurait accepter. Entre la femme qui, vierge ou mère, a conservé le droit de garder son voile et celle à qui il n’est plus permis de s’envelopper dans le sien, toute comparaison, même déguisée, même lointaine, me semble contraire à cette pudeur qui se confond avec le goût dans quelques organisations. Mais, tout en séparant par d’immenses intervalles les deux races de femmes qui habitent les deux royaumes entre lesquels se partage le monde, il faut savoir rendre une justice égale à chacune d’elles. Une de ces deux races peut pécher contre les lois de Dieu, ni l’une ni l’autre n’intervertissent l’ordre des choses humaines, tandis que j’en sais une troisième qui, si elle était plus nombreuse, formerait au milieu de la société une étrange et inutile tribu semblable à celle de ces amazones dont nous parlions tout à l’heure. Supposez une femme qu’un funeste caprice du ciel ait fait poète, vraiment poète ; sa vie se passera tout entière en dehors des lois de l’humanité. S’il faut des preuves pour vous en convaincre, jetons ensemble un regard sur la carrière qu’elle peut parcourir.

Un certain jour, et à une certaine heure, les médecins déclarent qu’il est venu au monde une créature du sexe féminin. On lui cherche dans le calendrier quelque doux nom qui rappelle de pieux ou tendres souvenirs, comme Marie ou Madeleine ; c’est une fille, c’est bien une fille ; tout le monde la reconnaît comme telle. Sa mère a déjà construit pour elle toute une vie calme, ignorante et heureuse, entre le jour où elle lui mettra la robe blanche du baptême, et celui où elle lui essaiera le chapeau de mariée. Eh bien ! voilà qu’en grandissant, l’enfant qu’on persiste toujours à nommer une femme prend des allures étranges. Elle a dix ans à peine, et il y a des instans où son regard est triste ; elle fuit ses compagnes, cherche l’isolement et n’attire jamais sur ses joues le joyeux vermillon que le jeu pourrait y faire monter ; enfin elle promène au fond des grands parcs une enfance farouche et solitaire. Quand vient la jeunesse, ce qui serait chez d’autres vague inquiétude et curiosité naïve devient chez elle insupportable malaise et désir impérieux de savoir. Elle effraie sa mère par l’ardeur de ses études, elle se plaît à éveiller autour d’elle dans la bibliothèque où elle s’enferme, des voix qui confondent son esprit et troublent ses sens. Elle retire de l’ombre et de la poussière des livres dont elle écoute le langage, si bizarre et si hardi qu’il lui paraisse ; elle n’est pas sortie de la retraite, et il n’y a pas de discours qu’elle ne se soit accoutumée à entendre. Mais voilà qu’elle a dix-huit ans, et le moment est venu où l’on croit que sa destinée de femme va s’accomplir ; c’est pour la destinée de poète qu’elle a grandi. Elle cherche dans le mariage la liberté ; l’obscur et paisible royaume qu’un honnête homme lui confie ne lui convient pas ; il lui en faut un qui n’ait point de limites. Tout le monde s’est attendri, en lisant des contes allemands, sur ceux qui se laissent ensorceler par des filles de l’air ou des filles de l’onde au point de les prendre pour femmes. Le lendemain, quelquefois même le soir de leurs noces, en se promenant avec leurs épousées sur une montagne ou sur le bord d’un lac, ils les voient s’envoler dans les nuages ou disparaître sous les eaux. Celui qui s’est uni à une femme poète a épousé, lui aussi, l’habitante d’un autre élément que le sien. Un jour qu’il est à côté de celle dont la loi le dit seigneur et maître, il s’aperçoit que tout à coup elle se met à s’élever si haut, si haut, qu’il lui est impossible de la suivre. Entre un être qui rampe et un être qui vole une union ne peut pas long-temps subsister : la femme poète rompt avec son mari, et l’existence telle qu’elle l’a désirée si long-temps commence pour elle. C’est alors qu’a lieu ce renversement des lois humaines dont il est permis de s’indigner. Celle que Dieu a mise sous la sauve-garde de sa faiblesse et de ses terreurs étouffe ses terreurs et lutte contre sa faiblesse. Elle cherche les émotions bruyantes et se livre aux scandaleuses amours. Vous souvenez-vous de cette Catherine II qui changeait de favoris comme Louis XV changeait de maîtresses, montait à cheval, portait des vêtemens larges et affectait des allures d’homme ? C’est ainsi que je me l’imagine. La couronne du poète, en se posant sur un front de femme, y fait germer les mêmes pensées que le diadème de l’empereur. Celle qui poursuit l’agrandissement de son empire au milieu des empires de la terre, et celle qui rêve des conquêtes dans le monde de l’intelligence, doivent avoir même vie, comme elles ont même but. Toutes deux, livrées à une entreprise qui réclame la liberté de leur esprit, ne demandent à ce qui les entoure que des affections qu’elles puissent briser. L’une veille le regard sur des cartes, l’autre veille le regard sur des livres ; mais ni l’une ni l’autre ne veille auprès d’un berceau. Comment appeler une créature dont le sein, destiné à allaiter des enfans et à renfermer les joies maternelles, demeure stérile et ne bat que pour des sentimens d’orgueil, dont la bouche, faite pour livrer passage à de tendres accens, s’ouvre pour prononcer de hardies et bruyantes paroles, dont les yeux, créés pour sourire, pour être doux et ignorans, sont pensifs, sévères, et, quand certains éclairs les illuminent, laissent voir d’effrayantes profondeurs, enfin dont toutes les facultés et tous les organes ont pris une destination contraire à celle qui leur était assignée, comment appeler une pareille créature ? En vérité, je ne crois pas qu’il y ait dans la langue qui se parle et même dans celle qui s’écrit, un nom qui puisse lui convenir.

On ne saurait donc se prononcer avec trop d’énergie contre la femme qui, de propos délibéré, s’élance sur l’hippogriffe du poète, mesurant de l’œil et défiant de la pensée les obstacles qu’elle devra franchir dans sa course haletante pour arriver à un but qui lui est interdit. Mais à côté de celles que le bruit enivre, que la mêlée attire, qui veulent la vie littéraire tout entière avec ses émotions et ses scandales, n’est-il point des femmes qui savent conquérir parmi les écrivains une place honorable sans avoir changé jamais la robe traînante en tunique de combat ? Je pourrais en citer un grand nombre dont l’existence reste murée ; on ne connaît d’elles que des œuvres qu’on se plaît à lire, et un nom qu’on aime à rappeler ; quelques-unes ne se doutent même pas des grades qu’elles gagnent dans une armée dont elles ne savent point faire partie. Celle qui, dans le siècle de La Bruyère et de La Rochefoucault, occupe une place qu’aucune autre place ne domine, comment est-elle venue à la gloire ? En laissant jouer son esprit et rêver son cœur dans une correspondance de famille. Le roman intime, tel que les temps modernes nous l’ont donné, avec ses détails qui réclament une observation patiente, avec ses nuances qui exigent une finesse exquise, appelait les talens féminins ; ces talens ne lui ont pas manqué. Un homme qui sait joindre la sensibilité du poète au discernement du critique, a bien des fois dans ce recueil même expliqué les gracieux mystères d’une littérature vers laquelle l’attirent de tendres et bienveillans instincts, cette littérature de femmes spirituelles et honnêtes, qui ne demandent leurs inspirations qu’aux objets que leur regard peut embrasser du coin de leur cheminée. Je sens que la femme qui, douée du talent de bien dire, garde pour elle seule et pour les heureux qu’elle aime les trésors de son doux langage, me sera toujours infiniment plus chère que celle qui admet un public, même un public délicat, à jouir des beautés de son intelligence ; mais c’est là une opinion toute personnelle que je ne me flatte point de faire prévaloir. Il existe, je le sais, une classe de femmes qui écrivent sans céder à aucune ambition coupable et contre nature, quelquefois même pour atteindre les buts les plus légitimes, qui n’ont pas d’autre désir que de rendre les péripéties d’un drame du cœur ou de tirer de leur expérience quelques utiles préceptes. Cette classe-là doit prétendre aux sympathies de quelques-uns et au respect de tous. C’est contre Sapho et ses descendantes que je veux uniquement m’élever. Dernièrement, je voyais en tête d’une vieille édition allemande le portrait de Sapho gravé d’après une médaille antique. Dans son front développé, dans ses narines ouvertes, dans sa bouche fortement accusée, il y a quelque chose de viril qui m’a rappelé les traits de cette tzarine dont je parlais tout à l’heure. À quel sexe appartient la beauté d’un pareil visage ? Il est bien difficile de le dire. À quel sexe appartenait-elle elle-même ? C’est ce qu’il serait plus difficile encore de décider. Les puissantes fureurs de l’homme et l’attrayante langueur de la femme se confondaient dans cette ame étrange comme les contours efféminés se confondent avec les lignes vigoureuses dans la statue de l’Hermaphrodite. Eh bien ! ce mélange des sentimens et même des appétits de deux sexes, qui fit jadis de la muse de Lesbos une créature digne d’être placée dans l’île fabuleuse inventée par les mignons d’Henri III, il faut s’attendre à le retrouver éternellement chez la femme qui sera poète dans toute la plénitude du sens qu’a reçu cette expression.

Heureusement celles dont nous parlons aujourd’hui ne portent ce grand et formidable titre de poète qu’à défaut d’un autre nom qui puisse mieux les caractériser. Ce n’est point que quelques-unes d’entre elles n’aient poussé l’ambition aussi loin que possible ; mais leurs talens, à défaut de leur vie, que je ne me crois point le droit d’interroger, me rassurent un peu sur l’état de leurs ames. L’arbre auquel Dieu a suspendu dans des fruits tentans et dorés la science du bien et du mal est trop élevé pour qu’elles atteignent jamais à ses branches. Bien loin de les en plaindre, je ne puis que les en féliciter.

Parmi les devancières de nos femmes poètes, je ne connais un peu familièrement que Mme Deshoulières, qui fit, comme chacun sait, une campagne contre Racine au profit de Pradon. Mme Deshoulières avait conservé au milieu du règne de Louis XIV, sous les brocards de Molière et de Boileau, les idées chevaleresques et pastorales dont étaient imprégnés les beaux esprits au temps de la fronde. Sous le charme des romans de d’Urfé, pleine des souvenirs de Clélie, nourrie de la Calprenède, elle cultiva une poésie dont presque tous les monumens sont oubliés. À la fin du XVIIe siècle, les Muses, étrillées en plein théâtre par l’auteur des Femmes savantes, se turent un instant. Au siècle de Voltaire, apprendre à faire des vers fit partie de l’éducation des femmes comme apprendre à danser. En traçant le portrait de Mme d’Houdetot, Jean-Jacques parle de son talent pour la poésie après avoir parlé de sa grace dans le menuet. En ce temps-là, le langage poétique n’était pas le langage des douleurs, mais bien celui de la raillerie mondaine et des amours faciles. C’est peut-être la seule époque où l’on puisse se représenter sans trop de répugnance les doigts de rose compromis avec la plume. Les vers d’alors sont des péchés qui étaient presque de la même nature et qui n’ont guère laissé plus de trace que les soupirs et les baisers ; ils méritent qu’on leur fasse grace. Pendant les jours de la révolution, la voix du canon et celle de la Marseillaise eurent seules le droit de se faire entendre ; mais, quand Bonaparte eut rendu à la France le calme intérieur, les poètes se remirent à chanter ; et comme les terribles années dont on sortait avaient creusé un profond abîme entre la société qui s’était écroulée et celle qui cherchait à s’établir, au lieu de continuer la tradition du dernier siècle, on se mit en quête d’une tradition fabuleuse. On se croyait moins loin d’Aspasie que de Mme de Pompadour. On dédaigna de chercher sous les cendres encore brûlantes de l’édifice qui venait de périr le carnet où Mme d’Houdetot écrivait des épîtres galantes à M. de Saint-Lambert ; on aima mieux remuer les débris des vieux âges poétiques pour tâcher d’y retrouver le cistre de Sapho. Mme Dufrénoy, la princesse de Salm et la nièce de Ducis, Mme Babois, cultivèrent à l’envi l’élégie antique. Les Saphos de l’empire ont eu le même genre de célébrité que les ménestrels de la restauration. Il est fâcheux que Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu les aient quelquefois rappelées.

C’est par des idylles que Mme Desbordes-Valmore a débuté. Il y a plus d’une façon d’entendre l’idylle. J’ai près de moi Fontenelle, Gessner et André Chénier. Tous les trois me découvrent des aspects bien différens, et tous les trois me charment tour à tour. L’un me peint la nature de Wateau, des arbres au feuillage de pourpre et de safran, des bergers vêtus d’azur, des bergères en souliers roses, des brebis chamarrées de rubans, des amours dans les nuages, en un mot le monde adorable et extravagant du Pèlerinage à Cythère ; l’autre me fait voir parfois, quand une inspiration heureuse guide son pinceau, quelques-uns des paysages naïfs et vrais de l’école flamande, un gazon de ce beau vert qui repose la vue, même le cœur, et de riantes treilles étalant leurs joyeux trésors sous l’auvent d’une maison de brique. Le troisième enfin offre à mes regards les scènes de la vie champêtre telles que la sculpture antique trouvait moyen de les fixer au flanc des amphores : les chœurs de nymphes, les danses des satyres, et les augustes travaux du laboureur. De ces trois poètes, le seul qu’on ait traité avec une véritable injustice, c’est Fontenelle. Ne devrait-on point pourtant avoir de l’indulgence pour ces doux vers :

Ô rives du Lignon, ô plaines de Forez !
Lieux consacrés aux amours les plus tendres,
Montbrison, Marcilli, noms toujours pleins d’attraits,
Que n’êtes-vous peuplés d’Hilas et de Silvandres !
Mais pour nous consoler de ne les trouver pas,
Ces Silvandres et ces Hilas,
Remplissons nos esprits de ces douces chimères,
Faisons-nous des bergers propres à nous charmer, etc. ?

Au moins l’auteur des Lettres galantes ne cherche pas à nous abuser et ne nous abuse pas lui-même sur la vérité de ses peintures. Il se sent porté vers l’Astrée par une inclination qu’il ne prétend point déguiser, et ce sont des bergers de l’Astrée qu’il veut faire revivre. Si étranges que soient les caprices de la fantaisie, il faut les respecter et même tâcher de les aimer, car la fantaisie est créatrice par excellence. L’artiste seul, il est vrai, peut apprécier les charmantes fêtes qu’elle donne au cœur et les joyeux délassemens qu’elle invente pour soulager les peines de l’esprit ; mais tout le monde doit reconnaître et respecter en elle le caractère quasi-divin qu’elle partage avec la folie, dont elle est un peu parente. Grace donc, j’emploie encore le langage de Fontenelle, grace pour

……… Cette puissante et douce rêverie
Qui fit errer Lysis dans les plaines de Brie
Avec quelques moutons à peine ramassés.

Certes, les plaines de Brie, telles qu’elles sont, malgré l’uniformité de leur aspect, ne déplaisent pas à mes yeux ; le ciel qui s’étend au-dessus d’elles n’a pas l’azur ardent et sombre du ciel de Rome, leur sol n’a point ces teintes vigoureuses que donne le soleil du midi. Cependant je conçois que dans leur nudité même elles offrent un genre d’attraits, et qu’un poète qui voit le jour se lever à leur horizon de l’impériale d’une voiture puisse encore éprouver du bonheur. Mais, parce qu’on peut comprendre et sentir le charme de la réalité, faut-il fermer son ame à celui du mensonge ? Si les plaines de Brie me plaisaient sans prisme entre elles et mes regards, vues à travers la douce folie de Lysis, elles ne m’en plairont que davantage. Des fleurs aux formes bizarres et aux riantes couleurs sortiront du sol que parsemaient de loin en loin quelques touffes d’herbe rare et triste ; là se plaindra un ruisseau, là des arbres chargés de fruits s’élèveront derrière des haies vives. Je verrai des moutons qui ne me feront pas penser au boucher, et des bergères qui ne me feront songer qu’aux amours. Le malheur de ces enchantemens, c’est qu’ils nous procurent un plaisir qui s’évanouit vite, et qui, semblable à tous les plaisirs que la seule nature n’a point produits, laissent une sorte de malaise et de regret dans le cœur. Aussi ne demanderai-je pas qu’on mette les idylles de Fontenelle comme celles de Théocrite et de Virgile au nombre des sources les plus limpides et les plus pures où l’on doive puiser des jouissances poétiques ; mais je crois qu’elles ont une place dans le domaine si vaste de l’art, et qu’il est permis au rêveur d’aller quelquefois les visiter.

Gessner est, en définitive, un Allemand, quoique l’immense popularité de ses œuvres en fasse un des personnages obligés de notre histoire littéraire. Comme Allemand, il eut un sentiment de la nature puissant et vrai que les influences subies au siècle dernier par sa patrie ne parvinrent pas à étouffer. On est beaucoup trop porté à confondre ses petits poèmes avec ceux de Florian. Dans Florian comme dans Fontenelle, c’est encore le Lignon qui murmure, le Lignon que le roman a pris au monde réel, pour en faire un fleuve presque aussi fabuleux que celui du Tendre. Chez Gessner, on trouve l’étang que nous avons tous vu, l’étang qui est au bout de la prairie, derrière les saules, l’étang d’où s’échappent tant de croassemens bizarres dans les soirées d’été, et qui ressemble, l’hiver, à un miroir, quand les rayons de la lune tombent sur sa surface durcie. Gessner, s’il ne rappelle pas Florian, ne rappelle point pour cela Théocrite, qu’il eut cependant la prétention d’imiter. Les Muses de Sicile qu’il invoquait comme Virgile n’ont point voulu faire un pèlerinage sur les rives du Rhin ; il a pris à l’antiquité quelques-uns de ses noms, mais il n’a reproduit ni ses mœurs, ni l’aspect de ses campagnes. Philis, dont le berger Daphné se retrace les douces vertus et la tendre pudeur, tout en promenant ses yeux de son foyer, où pétille un feu clair, à sa fenêtre, qui laisse voir les champs blanchis par la neige ; Philis m’a plutôt l’air d’être la fille de quelque pasteur protestant aux yeux couleur de violette, comme dit Heine, à la démarche timide et à la robe montante, qu’une bergère de la Grèce ou de la Sicile, aux yeux ardens et noirs, à l’allure impétueuse et au sein demi-nu. Les pommiers jouent un plus grand rôle que les orangers dans les paysages du poète allemand, et je crois bien plutôt voir à l’horizon quelque église du culte réformé, avec le presbytère d’un côté et le cimetière de l’autre, qu’un temple de Vénus ou de Cybèle. Gessner imita Théocrite comme Amyot traduisit Longus, il fut original à son insu. Dans le plus charmant de ses poèmes, le Souhait, il rend un hommage touchant à Klopstock, celui qui fut en Allemagne ce que Châteaubriand fut en France, le père d’une jeune poésie. À une époque où la littérature d’outre-Rhin se ressentait de l’admiration de Frédéric pour Voltaire, il comprit que les vieux chênes de la Germanie ne devaient pas être taillés à la façon des ifs de Versailles. Il était digne de partager l’admiration mêlée d’enthousiasme que fit éprouver à ses compatriotes, quelques années après ses idylles, une églogue aussi touchante que Paul et Virginie, le Vicaire de Wakefield, le chef-d’œuvre d’Olivier Goldsmith. Gessner ne doit donc pas être oublié quand on parle de poésie pastorale. Il est le créateur d’un genre qu’il serait difficile de saisir en l’imitant lui-même, mais qu’on retrouverait en imitant la nature.

Quant à André Chénier, je viens de relire l’Oarystis et Lydé, c’est là qu’il faut chercher tous les trésors que cache sous sa ceinture la Vénus antique ; tantôt sa voix fait pénétrer dans nos sens la voluptueuse fraîcheur des bois sacrés, tantôt elle y verse la molle ivresse des nymphes et les pétulantes ardeurs des satyres. Des bergers plus impétueux que les béliers qu’ils gardent, des bergères chez qui la pudeur n’est qu’un voile attrayant jeté pour un instant à peine entre le désir et la jouissance, un éclat rayonnant de verdure, une réjouissante odeur de troupeaux, enfin une divine musique de baisers et de soupirs, voilà ce que nous offrent les immortelles églogues qu’il nous a léguées. Et ce sentiment de la nature, qu’elles expriment avec tant de bonheur, n’est pas le seul qu’on y trouve : je ne sais si le sentiment de l’art ne s’y révèle pas encore avec plus de puissance. Une des plus admirables fables de l’antiquité, qui nous a donné tant d’admirables fables, c’est celle de Pygmalion et de sa Galatée. D’abord le statuaire taille dans un bloc de marbre une figure aussi belle que peut l’être une création de l’art. Ce qu’il est donné de faire au ciseau est accompli. Une statue dont les contours attestent la plus habile des mains et le plus patient des génies, s’élève sur un piédestal. Ce n’est pas assez pour le sculpteur, il veut pour sa statue ce qui n’émane que de Jupiter, la vie elle-même ; et il soupire avec tant d’ardeur, il désire avec tant de force, que le roi de l’Olympe se laisse attendrir. Galatée descend de son piédestal, belle comme une fille de l’art, vivante comme une fille de la terre. Dans un transport ineffable de joie triomphante l’artiste sent se poser sur son front les lèvres qu’il a modelées. Eh bien ! je crois qu’André Chénier vit se renouveler en sa faveur ce touchant miracle des temps antiques. N’est-on point porté à s’imaginer, en examinant ses œuvres, que le ciel permit pour chacune d’elles ce qu’il avait permis une fois pour l’œuvre de Pygmalion ? À la perfection de leurs formes, au poli de leur surface, on sent bien que ce sont des œuvres de marbre, mais c’est un marbre où est descendu le rayon mystérieux de l’existence, c’est un marbre qui vit, qui respire, qui aime et qui fait aimer.

De ces trois maîtres, que le temps et surtout le génie placent à de grandes distances les uns des autres, Fontenelle, Gessner, André Chénier, en est-il un dont Mme Desbordes-Valmore ait su nous rendre la force ou la grace ? Je ne le crois pas. Ses bergères ne sont ni pimpantes et coquettes comme celles d’un roman du temps de la fronde, ni honnêtes et naïves comme celles d’une légende germanique, ni belles et voluptueuses comme celles d’une églogue de l’antiquité. La tradition de l’Astrée était perdue au temps de l’empire, et on ne peut faire à Mme Desbordes-Valmore un reproche sérieux de ne pas l’avoir cherchée. Quant au génie de Gessner et à celui d’André Chénier, il lui était impossible d’y atteindre. Ce qui fit le talent du poète allemand, c’est un calme de cœur, une sérénité d’esprit qu’elle paraît n’avoir possédée jamais ; ce qui éleva le poète français à la prodigieuse hauteur où il s’est placé, c’est, après l’énergie de son ame, une solidité d’instruction qu’en sa qualité de femme elle est bien excusable de n’avoir même pas ambitionnée. Dans une pièce de vers où tous les souvenirs de l’enfance sont évoqués avec un indicible charme, M. Victor Hugo rappelle le temps où il suivait les sentiers de l’école portant avec lui entre quatre ficelles :

Horace et les festins, Virgile et les forêts.

Horace et Virgile ! bon gré mal gré, nous les avons tous eu pour compagnons dans les premières années de notre vie. Malheureusement, quand arrive la jeunesse avec les bruyantes distractions qu’elle nous apporte, avec les emportemens d’amour qu’elle met dans notre sein pour tant d’objets séduisans et nouveaux, ils deviennent, ces immortels poètes, semblables à d’humbles amis d’enfance : on a pour eux quelques accès de tendresse suivis bien vite d’un long oubli ; mais enfin leurs divins entretiens n’ont pas été entièrement perdus, il en est resté quelque chose, et si par hasard il vous prend fantaisie de revenir à eux, ils vous tiennent toujours ouverts leurs trésors de beau langage et de nobles pensées. Les femmes n’ont jamais eu ces amitiés salutaires ; je crois donc qu’il y a des sources de poésie qu’elles peuvent deviner, car il n’est rien qu’elles ne devinent, mais dont elles ne peuvent pas jouir.

Sans doute, Mme Desbordes-Valmore se dit qu’elle pouvait aussi bien se passer de Virgile que s’en était passée Mme Deshoulières. Les idylles de Mme Deshoulières sont bien loin d’être des œuvres accomplies ; mais elles ont, comme celles de Fontenelle, un charme romanesque et un tour galant que Mme Desbordes-Valmore ne pouvait pas reproduire, parce que ce sont des mérites qui tiennent tout entiers au temps où elles ont paru. La différence de grace qui existe entre les costumes de la fronde et ceux de l’empire se trouve entre les églogues qu’inspirèrent de tendres réminiscences de Mlle de Scudéry et celles qui furent composées sous l’influence de Mme Dufrénoy. S’il y a inégalité de talent et surtout de bonheur dans la forme entre la femme poète du temps de Louis XIV et la femme poète du temps de l’empire, il faut convenir que pour le fond l’égalité se rétablit entre elles. Il y a chez l’une et chez l’autre même absence de fortes études, non-seulement de celles qui se font sur les livres, mais aussi de celles qu’une ame vigoureusement trempée fait en face d’un orme ou d’un chêne. Il y a même sensibilité sans direction et sans but, enfin il y a même faiblesse ; or, la faiblesse est une grace pour la femme partout, excepté dans ses écrits.

Après l’idylle, Mme Desbordes-Valmore aborda l’élégie ; c’est là le genre de poésie qu’elle semble avoir le plus aimé. Il y a deux sortes d’élégies. L’une est celle dont Properce et Tibulle nous ont laissé les modèles, le véritable chant d’amour tel que les baisers l’éveillent au fond du cœur et le font venir sur les lèvres, le chant qui ne cherche à traduire que la volupté, qui ne porte pas à l’ame d’autres pensées que celles de ses désirs et de ses jouissances, qui n’a point d’autres langueurs que ses langueurs divines, enfin l’élégie antique et païenne. L’autre est l’élégie qui mêle au regret ou à l’espérance du plaisir des regrets plus vagues et des espérances plus lointaines, l’hymne où le sentiment des jouissances terrestres tend sans cesse à se confondre avec celui d’un bonheur qui n’est nulle part ici-bas, enfin cette élégie chrétienne où le sourire de Béatrix a remplacé celui de Délie. Si M. de Lamartine eût déjà chanté Elvire à l’époque où Mme Desbordes-Valmore composa ses premières poésies, sans doute c’est vers cette dernière élégie qu’elle eût incliné ; mais, aux jours de ses débuts, on était encore sous l’empire du chantre d’Éléonore. Ce fut donc Parny qui lui servit de guide. C’est l’élégie des anciens âges qu’à son insu peut-être elle essaya de reproduire. Ici le souvenir d’André Chénier se présente encore à mon esprit. Je ne sais que lui qui fasse passer dans nos veines le feu dont les brûlent quelques vers de Catulle qui puisse décrire avec une fougue toute latine le désordre d’une couche et les suites d’un combat amoureux. Certes, c’est là un talent que d’ordinaire on n’est pas en droit d’exiger d’une femme, mais qu’on peut, je crois, demander à celle qui s’écrie :

Quoi ! sur ton cœur jamais ne pourrai-je dormir ?

Ou bien :

J’ai goûté cet amour, j’en pleure les délices,
Cher amant ! quand mon sein palpita sous ton sein, etc.

Puisque Mme Desbordes-Valmore empruntait aux poètes de l’amour sensuel les plus hardis de leurs sujets, que ne savait-elle leur emprunter aussi leur façon vigoureuse de les traiter ? Voici les règles que M. de Parny donnait à l’élégie dans son discours de réception à l’Académie française : « Le poète, dit-il, doit se faire oublier, et non pas s’oublier lui-même ; l’élégance du style est nécessaire et ne suffit pas ; il faut encore un choix délicat de détails et d’images, de l’abondance sans négligence, du coloris sans aucun fard, et le degré de précision qui peut s’allier avec la facilité. » Mme Desbordes-Valmore n’a rempli aucune des conditions de cette excellente poétique. Contrairement au précepte que nous venons de transcrire, elle a trouvé moyen de s’oublier elle-même en ne se faisant pas oublier. Ses élégies ont l’intérêt que présentent toutes les lettres amoureuses, intérêt très puissant pour ceux qui les ont écrites ou ceux à qui elles sont adressées, mais très faible pour ceux que le hasard ou une indiscrétion en a rendu maîtres.

Les dernières poésies de Mme Desbordes-Valmore ne rappellent plus ni ses idylles ni ses élégies. Nous avons sous les yeux un livre appelé les Pleurs, qui est éclos, on le sent dès les premières pages, dans une nouvelle atmosphère. M. de Lamartine est venu ; Éléonore a été détrônée par Elvire. Certes, il faut admirer Elvire ; c’est une sœur de Béatrix et de Laure ; malheureusement ses formes ne sont pas assez distinctes de celles des nuages au sein desquels son amant la regarde planer. J’avais moins de peine à me représenter Éléonore, dont

Le sein doucement agité
Repousse la gaze légère
Qu’arrangea la main d’une mère,
Et que la main du tendre amour,
Moins discrète et plus familière,
Saura déranger à son tour.

Mais enfin Éléonore n’est plus ; son sourire s’est effacé du cœur de tous les poètes. Une révolution s’est accomplie. Le livre de Mme Desbordes-Valmore, comme tous ces livres de poésie secondaire qui réfléchissent tour à tour les idées dominantes des époques où ils paraissent, sert à la constater. J’ouvre les Pleurs, et j’y trouve une pièce intitulée les Ailes d’Ange :

L’air pur a fait frémir vos ailes,
Bel ange, et vous vous envolez.

Cette citation doit suffire à faire juger de l’esprit de tout le recueil. Maigres et allongés, les amours de Parny sont devenus des archanges. Jadis les souvenirs de volupté faisaient seuls couler les larmes de Mme Desbordes-Valmore, les espérances d’amour étaient les seules qu’elle vît voltiger autour d’elle ; maintenant, dans une pièce de vers intitulée le Pardon, elle s’écrie :

Dieu n’a pas dit : Brisez son fragile courage ;
Dieu fit le roseau faible et l’air est son appui.
L’espérance, c’est Dieu, même au sein de l’orage ;
Je suis roseau, je tremble et je cherche après lui.

Il n’y a ni beaucoup de correction ni beaucoup de clarté dans cette strophe. Si je l’ai citée, c’est parce qu’elle achève de montrer, avec les Ailes d’Ange, quelle influence a exercée M. de Lamartine sur une ame qui n’aurait aspiré jadis qu’à renfermer un écho affaibli des accens de Tibulle. Les poètes ne sont pas condamnés à rester dans un même cercle, à répéter, quand ils descendent la montagne, les chants joyeux qu’ils faisaient entendre en la gravissant. Il est à désirer, au contraire, qu’on sente dans leurs œuvres le mouvement, la diversité de la vie humaine, les changemens qu’elle amène en se déroulant. Loin de perdre, à la variété des impressions, leurs vers y gagnent un charme et un intérêt incontestables ; mais les métamorphoses du poète doivent être produites par les révolutions qui se font en lui, non point par celles qui se font autour de lui. Or, le livre de Mme Desbordes-Valmore, au lieu de nous apprendre que certaines sources de poésie se sont taries dans son cœur, tandis que d’autres s’y sont ouvertes, nous apprend seulement que le poète en vogue, au lieu de s’appeler M. de Parny, s’appelle M. de Lamartine.

Sur qui la crainte de ne pas être à la mode pourrait-elle exercer plus d’empire que sur les femmes ? En être encore aux amours quand tout le monde parle d’archanges, songer encore à Vénus quand tout l’encens va à la Vierge, ce serait porter des tailles courtes quand la mode des tailles longues est revenue : aucune femme n’a jamais eu ce courage. Ce qui caractérise tous les talens féminins dont j’ai les œuvres devant moi, c’est une incroyable promptitude à répudier pour le costume de l’année nouvelle le costume de l’an passé. Les vrais poètes sont ceux qui, nés chrétiens aux temps antiques ou païens aux temps modernes, chantent le bonheur du ciel ou les plaisirs de ce monde sans s’inquiéter si leur voix est solitaire ou se marie à d’autres voix. Quand on crée, et le nom de poète veut dire créateur, c’est à son image, non pas à celle des autres, qu’il faut créer. L’originalité, qui n’est pas autre chose que la force, doit bien rarement se rencontrer chez les femmes ; on ne la trouve chez aucune de celles qui nous occupent aujourd’hui. Ainsi, l’histoire de Mme Tastu est celle de Mme Desbordes-Valmore. Dans ses premiers vers, Mme Tastu s’écrie, en déplorant la mort de Mme Dufrénoy :

Je vois sur l’Hélicon un long crêpe s’étendre.

Dans ses derniers vers, Mme Dufrénoy et l’Hélicon sont oubliés pour toujours ; la pièce qui termine le plus récent de ses recueils, la pièce qui est intitulée Adieu, est adressée à M. de Lamartine. Cependant, malgré le rapport que l’absence d’originalité établit entre elles, Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu offrent de grandes dissemblances. Mme Tastu est celle de nos femmes poètes qui a parlé le langage le plus correct, c’est un mérite dont il faut lui savoir gré ; c’est celle aussi qui s’est souvenu le plus souvent de son sexe dans les matières qu’elle a traitées ; malheureusement ce second mérite était de nature à profiter beaucoup plus à sa personne qu’à ses poésies. C’est un grand mystère que l’existence ; il y a des œuvres d’art qui ont des proportions régulières, des contours agréables à l’œil et qui cependant ne nous touchent pas, c’est qu’il leur manque la vie ; d’autres sont mal taillées, mal venues, affreuses à voir, mais elles émeuvent, parce qu’on sent en elles un souffle qui les anime. Entre ces deux espèces d’œuvres, il y a la différence qui existe entre un visage de plâtre et une face humaine. Si horrible que soit la face humaine, il y a en elle quelque chose de divin qui la met au-dessus du visage de plâtre. C’est ce quelque chose qui manque aux pièces de Mme Tastu ; la plupart d’entre elles ne vivent pas. Nous avons d’elle trois volumes. Le premier se compose de chroniques sur l’histoire de France ; les deux autres renferment des poésies détachées. Est-il besoin de parler des Chroniques ? Traduire dans le langage des vers, c’est-à-dire graver pour l’immortalité, sur le plus noble monument qu’il soit donné à l’homme d’élever, les faits les plus dramatiques de notre histoire, c’est une entreprise qu’un génie comme celui de Dante eût été peut-être impuissant à accomplir. Je ne sais qui a pu engager Mme Tastu à la tenter ; mais, d’après la façon dont elle-même s’est quelquefois jugée dans ses vers, j’imagine que c’est plutôt la modestie que l’orgueil. Elle a sans doute pensé que la nature de son talent la mettrait à l’abri du reproche d’avoir voulu donner à la France une épopée nationale, ce n’est point nous qui la tromperons dans cette légitime espérance. Silence donc pour ses Chroniques. Quant à ses recueils, parmi tous les vers qu’ils renferment, il en est deux qui m’ont touché, tellement touché, qu’au risque de m’égarer un peu, je voudrais courir un instant vers l’horizon qu’ils me découvrent. Ces deux vers sont dans une ode à M. de Châteaubriand. Après avoir parlé de l’auréole dont notre jeunesse entoure le front des grands hommes, et de la façon dont cette auréole se dissipe avec les nobles illusions qui nous la faisaient entrevoir, elle s’écrie :

Hélas ! à chaque pas nous sentons sur la route
De nos jeunes respects le cœur se délier…

Je ne sais rien d’une vérité plus mélancolique et plus émouvante que cette réflexion. Si je disais toutes les idées qu’elle fait naître en mon esprit, tous les souvenirs qu’elle me rappelle je pourrais écrire un chapitre entier de la vie littéraire dans tous les temps ; aussi ne l’essaierai-je pas, mais je veux pourtant dire quelques mots des choses auxquelles elle me fait songer. Je m’imagine un pauvre jeune poète de province qui, sous les grands arbres de ses boulevarts solitaires, a lu Atala, René, les Orientales et les Méditations. Quel effet de saisissement et de vertige doit produire sur son cerveau cette pensée : Ceux dont la voix a franchi la distance pour l’enivrer, ceux qui ont plus fait pour le charme de ses promenades que la verdure et le ciel, ceux qui ont jeté plus de rêves et d’enchantemens dans sa vie que n’en jettent ses vingt ans, ceux-là existent quelque part ; ils sont revêtus d’une forme que ses yeux pourraient contempler. De quel désir de les voir le sein de notre poète sera-t-il rempli ! et si un jour il devenait l’ami de l’un d’eux, s’il pouvait pénétrer dans le secret d’une de ces merveilleuses intelligences qui créent des mondes comme l’intelligence divine, c’est une joie qu’il doit croire à peine son ame en état de contenir. Eh bien ! j’admets que des espérances dont il craignait de se bercer s’accomplissent ; je suppose qu’il aille à Paris (nous venons d’y voir Jasmin, qui, dans son charmant patois, jurait de ne jamais y mettre les pieds), je suppose qu’il aille à Paris et qu’il voie de près un de ces immortels génies dont l’éclat a illuminé sa paisible existence ; sera-t-il heureux ? Hélas ! je crains bien que non. Le plus probable est qu’il retournera dans son pays sceptique et railleur à l’endroit des dieux de sa jeunesse.

Il y a deux façons de perdre ses illusions à l’égard des grands hommes : l’une d’elles, peut-être est-ce la plus ordinaire, c’est de reconnaître quelle affreuse plaie creusent presque toujours en eux l’égoïsme et l’orgueil ; l’autre, je crois qu’elle est de beaucoup la plus triste, c’est de s’apercevoir que peu à peu, sans qu’ils se soient rendus coupables envers nous, notre cœur s’émousse en leur présence et ne reçoit plus les émotions dont ils le remplissaient jadis. C’est de cette seconde manière surtout qu’il faut se défier. On se laisse entraîner à se moquer du culte légitime qu’on avait voué à quelques grandes gloires, comme on se laisse entraîner trop souvent aussi à se railler sur quelque noble et pur amour. C’est là un grand malheur. Gardons aussi long-temps que possible nos enthousiasmes de jeunesse. Ne soyons pas honteux des bons sentimens qui nous ont inspiré de mauvais vers. Les strophes boiteuses que nous avons adressées à dix-huit ans au poète qui a fait couler sur nos joues d’heureuses larmes, sont aussi sacrées que l’ardente et généreuse lettre envoyée, avec toute la sublime témérité du premier amour, à celle qui, sans même s’en douter, a mis la flamme en notre cœur. S’il faut qu’il arrive une époque où le génie nous intéresse aussi peu que la beauté, où le regard d’un œil d’aigle nous laisse aussi froids que le regard d’un œil de colombe, au moins souvenons-nous avec tendresse du temps où nous ne pouvions pas voir, sans sentir nos yeux humides et nos joues brillantes, un doux visage et un front inspiré.

J’aime les deux vers de Mme Tastu, parce que je crois qu’ils renferment les sentimens que je viens d’exprimer. Mais tirer deux vers seulement de toutes les odes et élégies qu’elle a composées, peut-être trouvera-t-on que c’est injuste. Quoique ce soient les seuls qui m’aient vraiment ému, j’avoue qu’elle en a fait d’autres qui doivent être doux à l’oreille pour tout le monde, et qui, pour quelques-uns peut-être, sont doux au cœur. En tout cas, ce qui plaide pour elle c’est la gracieuse humilité avec laquelle elle parle toujours de son talent. Dans une pièce de vers appelée l’Ange Gardien, une des meilleures de son premier recueil, elle définit avec un tact exquis le rôle que la poésie peut jouer dans l’intérieur d’une femme :

As-tu réglé dans ton modeste empire
Tous les travaux, les repas, les loisirs,
Tu peux alors accorder à ta lyre
Quelques instans ravis à tes plaisirs.

Oui, sans doute, je ne vois aucun mal à ce qu’une femme fasse des vers, quand tout le petit monde dont elle est l’ame, heureux et paisible autour d’elle, ne réclame plus rien de sa sollicitude : pour ma pat, j’aimerais mieux qu’elle s’amusât à faire parler la voix vibrante du piano ou de la harpe qu’à prendre cette lyre métaphorique qui n’indique, en définitive, que des plumes qu’on fait grincer et du papier qu’on noircit ; mais enfin, si c’est là le passe-temps qui la séduit, elle peut s’y livrer sans crime ; seulement il faudrait que ces lignes qu’elle écrit à ses instans perdus, comme elle tirerait des accords d’un instrument, ces lignes qui ne servent qu’à soulager son ame et à faire couler doucement ses heures, il faudrait, dis-je, qu’elle les rendît fugitives et éphémères comme les accens d’une véritable lyre, en laissant s’envoler, au lieu de les recueillir, les pages où elle les a tracées.

Nous l’avons dit, Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu se touchent par certains côtés : l’une a un talent plus passionné, l’autre un talent plus chaste ; mais comme poètes, sinon comme femmes, toutes deux ont une égale modestie. Mme Delphine de Girardin nous fournit un type nouveau. C’est la véritable Muse, avec l’étoile au front et un rameau de laurier à la main. Elle jette des vers si haut du Panthéon, chante la patrie et les grands hommes, parle de sa beauté, de sa gloire, de son génie, se donne elle-même le non de Corinne, et va se faire couronner au Capitole.

Il y eut, sous la restauration, une époque où il se fit une étrange confusion des sentimens les plus divers d’origine et de nature. Les souvenirs de l’émigration et ceux de l’empire se mêlaient, dans certains esprits, de la façon la plus bizarre. On ne voulait pas répudier les quatorze glorieuses années que notre nation, devenue un peuple nomade de héros, avait passées sur les champs de bataille ; on ne voulait pas non plus rejeter dans une nuit éternelle les quatorze siècles qui ressuscitaient avec l’antique royauté. On rêva l’alliance de la passion chevaleresque avec le patriotisme de 89. On vit dans les poésies un incroyable mélange de preux, de troubadours, de châtelaines et de grenadiers de la vieille garde. Clotilde de Surville s’unissait à Béranger : C’est au milieu de ce chaos où flottaient les élémens les plus opposés, que Mme de Girardin commence à écrire. En ce moment, je vois à côté l’une de l’autre, dans le même volume, deux odes, je crois que ce sont ses premières, dont l’une est adressée au général Foy, l’autre à Jeanne d’Arc. Mme de Girardin nous entretient si souvent de sa beauté dans ses poésies, qu’il nous est permis d’en parler comme d’un fait qui appartient à sa vie littéraire. Les belles font aimer,… c’est André Chénier qui l’a dit ; elle était belle et on l’aima. Le nom de Delphine fut à la mode. Une jeune fille avec de blonds cheveux, des yeux limpides et une taille élancée, se présente au public pour jouer le rôle de Muse. — Le public, qui aime les yeux limpides, les tailles élancées, et les blonds cheveux, se hâte de l’accepter ; voilà l’histoire des débuts de Mme de Girardin. Je ne sais pas si, aux temps antiques, il y avait dans les cœurs assez d’amour simple et sincère de l’art pour que le poète pût chanter au grand jour et devant la multitude sans profanation ; si cela fut, comme j’aime à le croire, il est certain que cela n’existe plus aujourd’hui. Dussé-je passer pour manger de la laitue et marcher à la façon des bêtes sauvages, comme Voltaire le reprochait à Jean-Jacques, je déclare qu’il n’est point de vie qui me paraisse plus odieuse que celle de Corinne. S’il est un commerce qui demande de la pudeur, c’est celui qu’on entretient avec la poésie. Avoir toujours sur la bouche, même avec les indifférens, les mots et les pensées qui se tirent, comme les pierres précieuses, des profondeurs les plus mystérieuses de l’ame, appeler le feu du ciel dans ses yeux quand on est entouré de visages au sourire indifférent ou hébété, songer toujours, toujours aux hommes, quand on ne relève que de Dieu et de la nature, je pense qu’il n’est rien de plus sacrilége, de plus propre à inspirer le dégoût aux véritables amans de l’art. Celui qui va dans le monde sans appliquer sur son visage le masque du monde, c’est-à-dire sans prendre la physionomie impassible et indifférente qu’on doit y porter, celui-là blesse autant les convenances que l’homme qui s’en irait la face découverte à une mascarade. Quand le canon gronde, quand les balles sifflent, quand tous les bruits sublimes des tempêtes humaines se font entendre, de magnifiques expressions se montrent sur les traits du soldat ; quand le prêtre à l’autel élève son calice, quand le magistrat sur son siége interroge avec un respect plein de terreur la voix de sa conscience, le sentiment religieux qu’ils éprouvent se peint sur leur front ; mais soldat, magistrat et prêtre doivent tous avoir le même regard et le même sourire, quand le sort les réunit autour d’une table ou d’une cheminée. Il appartient au poète moins qu’à tout autre d’enfreindre la règle générale. Si la civilisation moderne ne lui a pas fait de place dans les solennités de la vie publique, il y a toujours un lieu qui répond pour lui au champ de bataille, à l’église, au tribunal : c’est le cabinet de travail où il est seul avec l’inspiration. Qu’il laisse éclater dans ce sanctuaire les divins enthousiasmes de son ame, et que, hors de là, il n’ait rien dans son extérieur qui trahisse sa vie, ce ne sera point seulement agir en homme du monde, ce sera agir en homme de cœur.

Ainsi donc nous repoussons dans la carrière poétique de Mme de Girardin toute la partie fastueuse et théâtrale. Eût-elle été véritablement Corinne, cette Corinne qui avait pourtant de si belles heures d’éloquence, nous laisserions à d’autres le plaisir de l’admirer ; mais Girardin n’avait de Corinne que son goût pour les pompes triomphales. La nature de son esprit ne la portait en aucune façon vers la poésie éclatante par laquelle elle débuta. Ce qui lui aurait été donné, si elle avait su comprendre les limites de son talent, c’eût été d’exprimer des pensées toutes mondaines dans un langage spirituel et quelquefois même d’une grace un peu cavalière. On rencontre dans son petit poème de Napoline quelques vers comme en peut inspirer le bois de Boulogne à un poète à la mode qui parcourt ses allées gracieusement penché sur le col d’un cheval anglais. Je regrette que Mme de Girardin ne se soit pas adonnée davantage aux compositions légères, et pourtant le genre badin, comme tous les autres, a quelque chose de malséant pour les femmes. Ainsi, je me souviens d’une chanson de Mme Deshoulières :

Ah ! que chez le colonel Stoup
La débauche est charmante, etc.

qui paraîtrait délicieuse si elle avait été écrite par Voiture ou par Benserade, et qui nous déplaît parce que nous ne pouvons pas nous empêcher de songer qu’elle est l’œuvre d’un poète en vertugadin. Quand ils sont prestes et hardis, les vers de Mme de Girardin produisent sur moi le même effet que cette chanson de Mme Deshoulières. Je crois voir une femme qui me sourit en mettant un chapeau d’homme sur sa tête. Or, je ne sais rien de plus laid, quoique cela se voie tous les jours, qu’un chapeau d’homme sur une tête de femme.

Mme de Girardin connut M. de Lamartine plus tôt que Mme Tastu et Mme Desbordes-Valmore ; mais, avant de voir les anges dans ses rêves comme nos muses modernes, elle y vit, comme les muses de l’empire et des premières années de la restauration, les colonels de hussards et de lamiers. Voici deux de ses vers qui me reviennent :

L’amour fait chérir la victoire,
Et l’amour le rendra vainqueur.

Il n’est point de région que Mme de Girardin n’ait abordée dans le domaine de la poésie ; elle a fait des contes, des odes, des élégies, des poèmes épiques et des romances. Anciennement les romances jouaient dans la vie amoureuse un rôle qu’elles ne remplissent plus maintenant ; on attachait aux paroles une importance qu’elles ont perdue. Les romances de Mme de Girardin m’ont amusé, parce que je me suis plu à construire sur chacune d’elles, moitié riant, moitié rêvant, une de ces histoires sentimentales dont tout le monde, j’en suis sûr, a les élémens dans ses souvenirs. Il suffit d’avoir passé quelques mois de sa jeunesse en province pour retrouver dans sa mémoire la voix d’un vieux piano et celle d’une jeune femme qui prêtait pour vos oreilles et pour votre cœur une douceur infinie à quelque refrain comme : Il m’aime, ou L’ingrat m’oublie, Je t’aimerai, ou Ne m’aime pas. Après quelques paroles de romance, il n’y a dans les œuvres de Mme de Girardin qu’un seul mot qui m’ait fait agréablement rêver, c’est le titre de l’un de ses poèmes : Madeleine. Quel magnifique sujet à traiter, pour un véritable artiste, que la vie de la pécheresse de Judée ! Dans le coin d’un tableau de Paul Véronèse, celui qui représente la scène du vase d’encens qu’on brise aux pieds du Christ, il y a une femme à la taille cambrée et aux épaules d’une chaude couleur, qui mêle aux pensées mystiques dont notre ame est pleine une pensée de volupté. Dans un poème sur Madeleine, il y avait un effet de la même nature à produire ; qu’il eût été beau de rencontrer la manière à la fois idéale et sensuelle des grands maîtres de l’école italienne ! C’est dans l’histoire de Madeleine que Jésus doit apparaître comme ce prophète d’Orient qui, malgré la douce austérité de ses mœurs, admire la parure des lis et défend leur oisiveté. Quant à Madeleine elle-même, est-il besoin de rappeler que c’est le plus admirable type de courtisane qui puisse enflammer l’imagination d’un peintre ou celle d’un poète ? La figure d’Aspasie est pâle auprès de la sienne. L’amour antique et l’amour chrétien se réunissent en elle. Les accens de David et ceux de Tibulle doivent se confondre dans la voix qui entreprend de la chanter. Voilà tout ce que nous faisait penser le nom écrit en tête du poème de Mme de Girardin. Pour garder nos illusions, il aurait fallu nous en tenir au titre et ne pas lire le poème. En vérité, Mme de Girardin aurait mieux fait de traiter Madeleine à la manière dont Parny traita la Vierge, et Voltaire Jeanne d’Arc, que de travestir en un récit, tantôt froid comme une ode académique, tantôt précieux comme un sonnet ou mignard comme une romance, le sublime épisode de l’Évangile. Peut-être son poème est-il un péché de jeunesse, je le veux bien ; mais ce sont de tristes péchés de jeunesse que les doux chants d’un poème sans vie ou les cinq actes d’une tragédie glacée. Comment les femmes, qui en ont de si doux à faire, ne savent-elles pas s’en contenter et laisser ceux-là à la conscience des académiciens ?

Mme de Girardin est une femme d’esprit qui n’était pas plus destinée à composer des hymnes patriotiques ou des poèmes sacrés que Mme Deshoulières à célébrer les victoires de Louis XIV. Placée au milieu d’une de ses sociétés élégantes et lettrées, comme il en existait au XVIIIe siècle, elle eût tracé sur des éventails et sur des carnets des vers qui auraient mérité d’être portés par la renommée de Versailles à Paris ou de Paris à Versailles. Elle se fût entendue mieux que Mme de Genlis à charmer les loisirs d’une vie de château ; elle eût écrit pour le théâtre de l’île Adam des proverbes qui auraient fait les délices de la petite cour du prince de Conti. Elle n’aurait eu qu’un seul défaut, celui d’être sujette à des accès d’enthousiasme pour les philosophes et de souffrir qu’on l’appelait quelquefois Uranie. À l’époque où le sort l’a fait vivre, l’esprit était décrié, bafoué, considéré comme une chose aristocratique tout-à-fait contraire aux mœurs et aux idées nouvelles. Sa cause était si mauvaise, que ceux même qui revenaient de l’exil n’osaient pas la défendre. Les poètes se partageaient en patriotes et en troubadours, Les uns sacrifiaient à un libéralisme sonore, les autres à un romantisme ténébreux. Mme de Girardin, indécise entre ces deux camps, pencha tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. Il y avait alors un rôle charmant, c’était de rendre à la langue française l’allure vive et légère qu’elle avait perdue, de rallier les graces que la révolution avait mises en fuite et que l’empire n’avait certainement pas rappelées ; Mme de Girardin aurait pu le remplir, si elle avait su le deviner à temps. Mais elle se prit de passion pour je ne sais quelle pompe de mauvais goût, reste des solennités de la république ; elle rêva luth, laurier et char triomphal. Les idées ambitieuses et exagérées qui inspirèrent Corinne à l’éloquente fille de Necker exercèrent sur elle le plus funeste empire ; au lieu de les mettre dans un roman, elle entreprit, pour son malheur, de les transporter dans son existence. Elle ne créa pas une nouvelle Corinne, elle voulut être Corinne elle-même. Mme de Girardin s’est ressentie dans toute sa vie littéraire de cette fatale prétention. Elle ne veut oublier ni le Panthéon, ni le Capitole. Née avec le bonheur, car c’en est un pour une femme, d’entendre fort mal les affaires d’état et fort bien les affaires de cœur, elle néglige le marivaudage pour la politique, ou du moins, ce qui est encore plus fâcheux, elle mêle la politique au marivaudage. Je me souviens d’une pièce de vers, appelée les Ouvriers de Lyon, où elle aborde cette terrible satire sociale qui a fini par lasser les rudes génies de Barthélemy et de Barbier. Elle est faite pour mouler dans du plâtre ou de l’argile de jolies statuettes, et ce sont les grands blocs de marbre qui attirent son ciseau. Fine et spirituelle comme une marquise de la régence, elle caresse dans l’ombre des tragédies en cinq actes avec l’amour candide et plein d’illusion d’un lycéen ; en un mot, elle écrase une parure élégante et gracieuse sous un diadème et un manteau de théâtre dont elle ne peut pas se débarrasser.

Nous avons eu dans Mme Desbordes-Valmore la muse passionnée dont l’ame éclate en chants interrompus par des sanglots toutes les fois qu’un souvenir mêlé de volupté et de douleur l’effleure de ses ailes brûlantes ; nous avons eu dans Mme Tastu la muse domestique qui prend la lyre après avoir déposé le fuseau ; enfin, nous avons eu dans Mme de Girardin la muse nationale qui consentirait volontiers à se promener sur un char de triomphe, comme le faisait jadis la déesse de la Raison dans les solennités publiques. Eh bien ! nous n’en avons pas encore fini avec toutes les variétés de muses. Ouvrez un volume de Mme Louise Colet appelé Fleurs du Midi, les titres suivans frapperont successivement vos yeux : Génie, Néant, Enthousiasme, Tourmens, Hécatombe, Désenchantement, Mort. Il y a un siècle ou deux, un volume appelé Fleurs du Midi, écrit de la main d’une femme, aurait renfermé de quoi faire une guirlande de madrigaux, de ballades et de sonnets ; voilà maintenant ce qu’on cache sous les fleurs, Néant, Mort, etc. Je l’avoue pourtant, l’impression que m’a laissée ce livre a été beaucoup plus gaie que sinistre. En définitive, je lui dois même une certaine reconnaissance, car il m’a donné la nouvelle espèce de femmes poètes que je cherchais, la muse des abîmes et des tempêtes, des doutes désespérés et des brûlantes amours, en un mot la femme qui s’est égarée sur les pas de Byron, au lieu de se perdre sur les traces de Parny. Si celle qui a écrit tous les sombres mots que nous venons de transcrire avait souffert réellement en les traçant, bien loin d’avoir pour elle des paroles de raillerie, je la plaindrais, et je la plaindrais d’autant plus qu’il n’y aurait pas à sa souffrance ce but sublime que Dieu met aux souffrances des poètes, d’être utiles à la cause du bien ou à celle du beau ; mais la forme est produite chez Mme Colet par une habitude du mécanisme poétique qui, j’en suis convaincu, a produit également la pensée. Elle appartient à cette école de faiseurs d’odes et d’élégies qui, dans l’innombrable quantité d’hémistiches que M. Victor Hugo et M. de Lamartine ont mis en circulation, trouvent de quoi multiplier jusqu’à l’infini les combinaisons rhythmiques. Il n’y a pas chez elle quelques-uns de ces élans de sensibilité qu’on peut rencontrer chez Mme Desbordes-Valmore et même chez Mme Tastu ; il n’y a pas non plus cette grace vive et hardie que l’auteur de Napoline sait donner quelquefois à ses vers ; ce qu’on y trouve, c’est une effrayante abondance de mots et de tours empruntés au langage des poètes en vogue. Mme Colet, venue au temps de Voltaire, aurait fait rimer dans des épîtres moitié scientifiques, moitié légères, badin et malin, astronomie et chimie ; sous l’empire, elle eût joint dans des odes sonores ces fameuses rimes dont on s’est tant moqué, gloire et victoire, guerrier et laurier ; elle unit maintenant malheur et douleur, archange et étrange, dans de sombres élégies ou des hymnes ténébreux. Le second recueil de vers de Mme Colet indique, rien qu’à la prétentieuse mélancolie de son titre, Penserosa, qu’on va y trouver la manière des Fleurs du Midi ; aussi l’y retrouve-t-on en effet toutes les fois que Mme Colet reproche au ciel de lui avoir donné un génie qui la dévore, parle des douleurs de l’ame et des terreurs de l’esprit, enfin paraphrase ces plaintes intarissables de la poésie moderne dont on commence à se lasser, il n’y a point, pour ceux qui la lisent, d’impression pénible. Sur ces sentimens de mode et d’apparat, qu’on bâtisse des vers faux et conventionnels, il n’y a rien là qui puisse froisser ; mais, quand c’est sur les sentimens simples et éternels de tous les honnêtes gens qu’elle construit l’échafaudage de ses grands mots, quand à la place de ces tristesses pompeuses, dont s’éprennent souvent les cœurs secs et les têtes vides, elle entreprend de chanter un de ces profonds et réels chagrins que chacun ici-bas est obligé de ressentir aux heures terribles de la vie, quand aux pensées ambitieuses et recherchées de sa poésie artificielle elle allie les souvenirs sacrés d’un lit de mort, en un mot quand elle adresse des vers à un père dont elle nous dépeint l’agonie, à une mère dont elle nous montre les yeux éteints et les lèvres glacées, il y a là une véritable profanation dont on se sent tout irrité et tout ému. Il est de grands poètes qui n’ont pas craint de mêler au philtre qu’ils composent pour nous enchanter les larmes austères que de saintes douleurs font couler sur nos joues. S’ils ont reçu du ciel une telle organisation que les vers viennent chez eux avec les sanglots, j’aimerais mieux, quelle que soit la valeur de leurs œuvres, qu’ils eussent assez de force pour renfermer en eux les poétiques mystères de leurs pleurs. Cependant, comme le génie est chose divine, et partant au-dessus des jugemens humains, je n’ose ni les condamner ni les défendre, je me tais et je m’incline. Mais, quant à ces rimeurs qui font des vers à leur mère parce que les vers à Iris n’ont plus cours, lorsque je les vois mêler à leur ingrat et stérile labeur des sentimens qu’ils n’étaient pas dignes d’éprouver, lorsque je les vois chercher dans les souvenirs d’une agonie, dans les pensées d’un lieu funéraire, des oripeaux pour leur muse vaniteuse et indigente, je trouve que leurs mauvaises strophes renferment une mauvaise action.

Je veux donc oublier bien vite l’ode que Mme Colet adresse à la mémoire de son père, le poème qu’elle a appelé ma Mère ! et, pour m’arrêter sur des idées pacifiques, terminer ce qui la regarde en rappelant son succès de l’Académie. Comme Mme de Girardin, elle a eu son jour de triomphe au Capitole. Ne parlons point des vers qui lui valurent sa couronne, car nous gâterions peut-être un souvenir que nous sommes heureux d’évoquer.

C’est par Mme Anaïs Ségalas que nous terminerons ; aussi bien, je ne vois plus, après elle, quelle nouvelle transformation la femme pourrait subir sans cesser d’être femme tout-à-fait. C’est le bruit du canon qui éveille dans l’ame de Mme Ségalas les premiers accens de la poésie. Elle débute par des vers sur la conquête d’Alger. Les bulletins du Moniteur exercent sur son imagination le prestige qu’ils exerçaient, au temps de l’empire, sur celle des lycéens ; chaque bulletin lui inspire une ode, et de toutes ces odes elle compose un volume, qu’elle appelle les Algériennes. Parmi les pièces de vers qui sont rassemblées dans ce curieux recueil, il en est une qui mériterait d’être citée avant toutes les autres, c’est celle où l’auteur, rapportant les exploits de je ne sais quelle vivandière, s’échauffe à l’idée de l’injure qu’on fait à son sexe en le tenant loin des champs de bataille lorsqu’il pourrait s’y conduire si vaillamment. — Quoi ! dit-elle,

Vous doutez du courage et de l’ardente flamme
Qui font voler la femme au milieu des combats ?
A-t-elle moins que vous, intrépides soldats,
D’amour pour son pays et de force dans l’ame ?

Après s’être étendue sur le malheur des tristes victimes du préjugé auxquelles on refuse des mousquets et des cartouches, Mme Ségalas regrette, toujours dans la même ode, que la croix de la Légion-d’Honneur brille si rarement sur des poitrines de femmes. Elle méprise tous les nœuds dont les bergères de Fontenelle et de Mme Deshoulières, se parent, elles et leurs moutons ; ce qu’il lui faut, c’est un ruban étroit et jauni qui décore les habits usés par la victoire, ce ruban, dit-elle qui ne s’achète qu’avec du sang. Ainsi, du sang et de la poudre, voilà ce qui a causé les premiers enivremens de Mme Anaïs Ségalas. Mme de Girardin se borne à se prendre d’un tendre intérêt de cœur pour le guerrier qui combat ; Mme Ségalas en est jalouse, elle veut lui enlever son fusil, et tuer ou se faire tuer à sa place.

Dans son dernier volume, les Oiseaux de Passage, Mme Ségalas ne s’étourdit plus du bruit des fanfares, et ne marche plus au milieu des balles sur les corps des blessés ; cependant elle a conservé ses habitudes masculines. Elle va dans les cimetières, et joue avec les têtes de mort, comme les fossoyeurs de Shakspeare ; elle chante la liberté du sauvage et la royauté du brigand. Le Moniteur avait inspiré à Mme Ségalas son premier recueil, la Gazette des Tribunaux a une grande part dans le second. On y trouve des stances sur l’assassin et une scène de la police correctionnelle. Enfin, ce qui achève de le caractériser, ce bizarre volume renferme une ode enthousiaste à Chodruc-Duclos. Si Mme Ségalas avait eu au service des étranges caprices de son imagination une véritable langue de poète, consacrant les plus folles pensées par des mots immortels, elle eût élevé un monument fabuleux qu’on contemplerait avec effroi et étonnement ; mais il lui a manqué ce qui manque à presque toutes les femmes qui veulent écrire, un langage : le langage se forme avec lenteur par de rudes et âpres travaux, que les femmes dédaignent ou qui les rebutent. Toutes les poésies que nous avons parcourues aujourd’hui, depuis celles de Mme Desbordes-Valmore jusqu’à celles de Mme Ségalas, ont la même absence d’originalité dans l’expression. Les Algériennes et les Oiseaux de passage sont deux volumes écrits avec cette facilité sans correction qui est si dangereuse. Les vers que renferment ces recueils appartiennent à la monnaie poétique de notre époque. On a cherché à graver l’effigie de Casimir Delavigne sur quelques pièces, celle de Victor Hugo sur quelques autres ; l’effigie de l’auteur n’est sur aucune.

Maintenant, de toutes ces œuvres que nous avons parcourues, des élégies passionnées de Mme Desbordes-Valmore, des chastes élégies de Mme Tastu, des chants patriotiques de Mme de Girardin, des odes byroniennes de Mme Colet, quelle conclusion devons-nous tirer ? Une conclusion qui, pour être piquante, aurait besoin d’être écrite dans la langue un peu brutale de Montaigne et de Molière, à savoir que les femmes sont nées pour mettre au monde autre chose que des volumes de vers. Tous les hommes qui ont reçu du ciel une verve originale et un esprit vigoureux, Juvénal chez les anciens, chez les modernes l’auteur des Précieuses ridicules, celui d’Émile, et jusqu’à ce Byron qu’invoquent les muses d’aujourd’hui, tous ces francs écrivains, au hardi parler et aux énergiques boutades, ont été d’accord pour condamner les tentatives des poètes femelles. Certainement, parmi les femmes qui écrivent, celles dont nous venons de citer les noms en sont la preuve, il est des femmes d’esprit, mais de combien je leur préférerai toujours la femme d’esprit qui n’écrit pas ! Ah ! si j’osais tracer son portrait à celle-là, je suis sûr que tout le monde l’aimerait ; l’un reconnaîtrait en elle sa mère, l’autre sa sœur, l’autre sa maîtresse, car, dans l’intimité de la famille ou dans une autre intimité, tout le monde a connu la femme d’esprit qui n’écrit pas. Elle n’écrit pas ! mais quel juge plus délicat peut-on trouver pour les œuvres d’imagination ? Arbitre impartial dont aucun sentiment involontaire de jalousie ne trouble la raison, c’est elle qui donne au poète le plus doux comme le plus précieux des suffrages. Elle n’écrit pas ! non elle ne prend pas la plume comme une épée pour attaquer ou défendre des choses qui croulent, elle ne la prend pas non plus comme un instrument pour jeter des accens aux oreilles de la foule ni même aux oreilles des connaisseurs ; elle n’a point d’œuvre par le monde dont on soit obligé de lui parler quand on l’aborde ; mais il est quelques secrétaires qui renferment un billet où elle a mis un parfum que le grand air ne fait pas évaporer. C’est elle qui a un langage original et charmant, formé de mots qu’un sourire corrige, qu’une inflexion de voix grave dans le cœur. La plupart de ceux qui composent des livres parlent lourdement de peu de choses pour un grand nombre, elle parle de tout pour quelques-uns et parle de tout avec grace. J’espère qu’on me rendra justice ; si je conseille aux femmes de laisser la poésie de côté, ce n’est point parce que je méconnais ce qu’il y a en elles de noble et d’élevé. Eh ! mon Dieu, je ne leur demande même pas de renoncer à la poésie, si l’on donne à ce mot son véritable sens : leur poésie, à elles, est dans les vers qu’elles inspirent et non pas dans ceux qu’elles font. Leur poésie, avant tout, c’est d’être belles et de se faire aimer. À Dieu ne plaise pourtant que je leur interdise l’art dans certaines limites ! Je serais fâché qu’une femme ne sût pas faire naître de douces extases au cœur de son mari et de joyeuses rêveries au cœur de ses enfans, en jouant le soir dans un coin de son salon quelque mélodie allemande. Tout ce que j’exige d’elles, c’est qu’elles ne tirent jamais d’un instrument et encore moins de leur ame des accords qui s’envolent au-delà du foyer.

Au moment d’achever cette étude que j’ai faite avec conscience, je me demande, comme je le ferai toujours, à qui peuvent être utiles les pages qu’on vient de lire. Je n’oserais jamais croire, peut-être même n’aurais-je pas le courage de désirer que ce fût à celles dont j’ai parlé ; mais si elles l’étaient par hasard à quelques jeunes filles prêtes à traduire, dans un langage positif et banal, les voix confuses et mystérieuses de leur cœur, si je pouvais retenir quelques mauvais vers sur de jolies bouches, je m’en applaudirais avec joie et croirais avoir rempli mon devoir dans toute son étendue ; quant à y retenir les doux aveux, Dieu merci, c’est d’autres moralistes que cela regarde.


G. de Molènes.