Sermons choisis de Sterne/Préface

Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 47-50).


PRÉFACE.


Ces Sermons sont sortis tout brûlans de mon cœur ; je voudrois que ce fût là un titre pour pouvoir les offrir au sien… Les autres sont sortis de ma tête, et je suis plus indifférent sur leur réception. C’est ainsi que Sterne caractérise lui-même ses sermons dans sa première lettre à Eliza, et leur lecture confirme l’idée qu’il en donne. On ne voit plus en effet ici l’auteur de Tristam Shandy enjamber son dada, galoper fantastiquement d’une idée à l’autre, et parcourant un horison qu’il se plaît à reculer, se dérober à la vue du lecteur qu’il aime à tromper. C’est un philosophe chrétien qui médite les écritures, et qui en extrait avec finesse une doctrine pure, autant amie de la religion que de l’humanité. Tout y respire la paix, la piété et la philantropie.

Si son imagination trop vive pour être long-temps modérée, s’échappe et se livre à quelques saillies étrangères à la dignité de la chaire, son cœur sensible vole aussitôt après elle pour la réprimer, la ramener, et tempérer cette gaieté par l’onction de sa morale. Mes sermons, disoit-il, sont des housards qui frappent lestement un coup à droite et à gauche ; mais on les verra toujours être les auxiliaires de la vertu. Cette plaisanterie sentie, définit l’ouvrage ; elle seule eût dû servir de préface.

On ne donne que seize sermons parmi les quarante-quatre imprimés en Angleterre ; on ne pouvoit faire un choix plus étendu sans tomber dans le défaut si souvent reproché aux éditeurs, d’accumuler indifféremment tous les ouvrages d’un écrivain, et d’étouffer son génie sous un amas qu’il désavoueroit s’il vivoit. Ces sermons furent écrits sans prétention pour instruire les paroissiens confiés aux soins de Sterne. La célébrité qu’il acquit dans la suite excita le zèle intéressé de ses imprimeurs, et servit de passeport à tout ce qu’ils s’empressèrent de ramasser, pour profiter de l’instant de faveur attachée à un nom connu. Le traducteur doit être plus sobre que les éditeurs.

Cette traduction est littérale, malgré les leçons du purisme. Peut-on traduire Sterne autrement sans le défigurer ? Un moraliste, un historien sont rendus souvent par des tournures équivalentes, parce que leur mérite est dans les choses qu’ils écrivent ; mais quand celui d’un auteur original consiste plus dans sa manière que dans sa matière, c’est cette manière qu’il faut constamment imiter ; c’est alors qu’il faut craindre, qu’à force de polir une traduction, un coup de lime portant à faux, n’aplatisse un trait saillant, et n’efface l’empreinte de l’originalité précieuse au lecteur. Les Anglais ont craint de rendre Montaigne inconnoissable en le traduisant. Les mots nouveaux, et les tournures hardies, même dans sa langue, sont notés en lettres italiques.

Ce n’est pas qu’en prescrivant de traduire littéralement un ouvrage original, il faille le faire, comme dit Montaigne, à coup de dictionnaire. Si le mot propre n’est pas inspiré par le génie présent de Sterne, il est inutile de le chercher ailleurs que dans cette inspiration. Il n’est pas dans un dictionnaire, et le froid a glacé le traducteur dans l’intervalle de ses recherches. Il faut enfin méditer et sentir Sterne pour le traduire ; tout autre moyen est insuffisant.

Si l’on veut connoître plus au long le jugement singulier que cet écrivain portoit sur ses sermons, on peut recourir à la digression plaisante qui se trouve à la fin de l’histoire de Lefèvre, tome III, page 156 et suiv.