Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 100-116).


LE LÉVITE
ET
SA CONCUBINE.


SERMON IV.


« Et dans le temps qu’il n’y avoit point de rois dans Israël, il arriva qu’un Lévite qui habitoit d’un côté du mont Ephraïm, prit avec lui une concubine. » Juges 19.


Une concubine ! ouï mes frères ; mais observez que le texte rend raison de la conduite qui vous paroît étrange : dans le temps qu’il n’y avoit point de rois dans Israël ; ce lévite usant alors du droit commun, vous dirai-je, fit ce qui parut bon à ses yeux, et sa concubine, ajouterez-vous, imita cette liberté, car après l’avoir maltraité, elle s’en alla.

Le scandale et la honte vont donc partir avec elle ? par tout où elle va chercher un asile, la main de la justice fermera brusquement sans doute la porte à sa rencontre ? Non, elle s’en alla à Bethléem dans la maison de son père où elle séjourna quatre mois en entiers.

Oh le bienheureux intervalle pour méditer sur la fragilité et la vanité des plaisirs de ce monde ! Je vois le saint homme à deux genoux, les mains attachées sur son cœur et les yeux levés vers le ciel, remerciant le très-haut de ce que l’objet qui avoit si longtemps partagé son affection, venoit par sa fuite de le résigner à son culte.

Non, mes frères, ce n’est point encore cela, et le texte sacré nous dépeint bien différemment la situation du lévite.

« Il se leva, nous dit-il, il prit son esclave et deux ânes, courut après sa compagne fugitive pour lui parler amicalement et la ramener chez lui ; elle le conduisit dans la maison de son père, et dès que celui-ci l’eut aperçu, il se réjouit de l’avoir rencontré. »

Quel groupe sentimental ! diront ici les critiques du siècle : et c’est ainsi que les commentateurs, mes chers frères, parlent de tout. Faites l’esquisse de l’histoire la plus innocente, et cédez un instant votre pinceau à la pruderie, ou à la mauvaise humeur, elles finiront votre tableau avec des traits si durs, et un coloris si sale que l’honnêteté et la candeur rougiront à son aspect.

Esprits vertueux qui ne savez être rigides interprêtes que de vos propres défauts, je m’adresse à vous, à vous avocats désintéressés du malheureux qui se méprend. Pourquoi ne veut-on pas imiter votre bonté ? Combien de fois avez-vous répété, que les actions d’un homme ne sont pas toujours un motif pour le condamner, qu’elles sont environnées de mille circonstances qui ne se présentent pas à la première vue, que les ressorts qui l’ont poussé sont profondément cachés, que parmi la foule des malheureux qui sont à chaque instant cités au jugement du public, il en est mille dont l’esprit seul a péché, et qui ont été mal interprêtés ; que pour ceux dont le cœur a erré, la force des passions qui les ont excités, les difficultés qui les ont enflammés, l’attrait de l’objet qui les a captivés, et peut-être même les combats de la vertu avant sa défaite, peuvent les faire utilement recourir de la sévérité de la justice, au jugement de la pitié ?

Arrêtons nous encore un moment à l’histoire du lévite et de sa concubine : semblable à toutes les autres, elle dépend beaucoup de la manière dont on la raconte, et comme l’écriture ne nous a laissé sur elle aucun commentaire, le cœur peut en commander un à l’imagination ; mais la décence ne s’éloignera pas du texte.

« Et dans le temps qu’il n’y avoit point de roi dans Israël, un lévite qui demeuroit d’un côté du mont Enphraïm, prit avec lui une concubine. »

Ô Abraham ! ô toi le père des croyans ! si cette conduite étoit blâmable, pourquoi en donnas-tu un exemple si séduisant aux yeux de ta postérité ? pourquoi le Dieu d’Isaac et de Jacob bénit-il si souvent la génération d’une pareille licence, promit-il de la multiplier, comme les sables de la mer, et de faire naître d’elle les princes de la terre ? Dieu seul peut dispenser de la loi qu’il a faite, et nous trouvons dans les livres saints que les patriarches, dont le cœur aspiroit le plus vers le ciel, usèrent sans doute par sa permission de cette dispense. Abraham prit Agar, Jacob outre ses deux femmes Rachel et Léa, s’accommoda de Zilpha et Bilha, dont quelques tribus descendirent. David eut dix-sept femmes et dix concubines, Jéroboam en eut soixante et ce qui paroît moins blâmable par la chose en elle-même que par son abus, Salomon, dont les excès insultèrent aux privilèges du genre humain, Salomon fut encore plus étonnant, par le même plan de luxe qui lui rendit nécessaires quarante mille écuries, il se méprit dans le calcul de ses besoins, et se donna mille sept cent femmes et trois cent concubines.

Homme sage ! homme abusé ! si tes belles maximes et tes judicieux proverbes n’eussent amendé tes folles pratiques, où en serois-tu ? trois cent… détournons nos pas, mes frères, d’une pierre d’achoppement aussi dangereuse.

Notre lévite n’en eut qu’une, le texte hébreu dit même une épouse concubine, pour la distinguer de cette espèce vile qui marche dans l’obscurité de la nuit sous le toit du débauché, et qui se glisse dans la porte ouverte pour elle. Nous savons par des commentateurs que dans l’économie juive, elles ne différoient des véritables épouses que dans quelques cérémonies et stipulations extérieures, et qu’elles se livroient à leur époux (on le nommoit ainsi) de bonne foi et avec affection.

Le lévite avoit sans doute besoin de partager avec une compagne sa triste solitude, et de remplir d’un objet aimé le vide de son cœur ; car nonobstant toutes les excellentes choses en faveur de la retraite, qu’on trouve dans beaucoup de livres, il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Le pédant le plus froid ne frappera jamais nos oreilles d’une réponse satisfaisante contre cette sainte maxime : au milieu des plus bruyantes leçons de la philosophie, la nature élève sans cesse sa voix persuasive pour la société et l’amitié : un cœur bon et généreux en réclame toujours un second, et il languit et se dessèche, s’il en est abandonné.

Qu’un solitaire en sa torpeur marche vers le ciel seul et sans compagne ; quant à moi, je n’en trouverois jamais ainsi le chemin : que je sois sage et religieux ; mais que je sois homme. Grand Dieu ! en quelque poste que me place la Providence, quelque voie qu’elle me prescrive pour arriver à ton sein, donne-moi un compagnon dans mon voyage, quand ce ne seroit que pour lui montrer combien nos ombres s’agrandissent à mesure que le soleil baisse, quand ce ne seroit que pour lui dire, oh combien la face de la nature est fraîche et colorée ! combien les fleurs des champs sont belles ! combien les fruits des arbres sont délicieux !

Hélas ! ceux que le lévite va manger seront plus amers que les herbes dont la Pâque couvrira sa table ; tandis qu’ils suivent ensemble le sentier de la vie, elle détourne de lui ses pas infidelles, et s’enfuit.

La moitié douce et tranquille du genre humain est ordinairement outragée par l’autre ; mais dans cette fatalité, il lui reste un précieux avantage ; elle pardonne : quel que soit le ressentiment de l’injure qu’on fait à l’homme de paix, l’orgueil ne surveille pas de si près le pardon qu’il accorde, que dans le cœur de l’homme superbe. Nous serions même plus enclins à cette aimable vertu si le monde nous le permettoit ; mais il est là pour interprêter nos pardons, et surtout ceux dont il s’agit ici : il a ses lois auxquelles le cœur ne se soumet pas toujours, et elles exercent sur nous un pouvoir si réel et si peu apparent, qu’il faut à l’homme honnête toute la fermeté de ses principes pour leur résister.

Quel combat notre lévite n’eut-il pas à soutenir contre lui-même, contre sa concubine, et contre l’opinion de sa tribu sur son injure ! pendant la période de quatre mois entiers, chaque passion dut régner à son tour ; et dans le flux et reflux des moins douces de celles qui dévoient l’agiter, la pitié sans doute se fit quelquefois entendre ; la religion ne garda non plus le silence, et la charité murmura souvent son doux langage ; chaque objet qu’il voyoit sur les côtes du mont Ephraïm, chaque grotte qui lui présentoit sa fraîcheur, chaque boccage qui arrêtoit ses pas inquiets, dévoient solliciter le souvenir de son bonheur passé, et éveiller dans son ame un sentiment favorable à l’objet qui l’avoit séduit.

J’avoue… Oh ! j’avoue, devoit-il s’écrier, que cette perfidie est bien grande ; mais la porte de la merci doit-elle lui être fermée pour toujours ? une infidélité est-elle le seul crime que l’homme outragé ne puisse pardonner, et duquel la raison ne doive pas oublier la cicatrice ? est-ce en effet le plus noir de tous ? dans quel tarif des offenses humaines l’a-t-on ainsi évalué ? est-ce parce qu’il est bien difficile à supporter ? ah ! mon cœur s’écrie, oui, oui : mais demandons-lui si toutes les passions ensemble n’affilent pas le poignard qui pénètre dans mes entrailles ? demandons-lui si ce n’est pas autant l’orgueil et le respect humain que le sentiment de mes vertus, qui empoisonnent et irritent la plaie cruelle que cette femme m’a faite. Dieu miséricordieux ! si cela étoit, pourquoi persécuterois-je dans un transport de fierté la malheureuse que tu as créée et qui t’appartient ? n’y a-t-il pas une gradation dans toutes les fautes ? quand elle eut perpétré son crime, eh bien ! elle oublia le compagnon de son offense, et vola dans les bras de son père. N’y a-t-il aucune différence entre un coupable qui sort précipitamment de la route de la vertu, et s’enfuit dans la conscience de sa dépravation, et le voyageur imprudent qui s’égare par mégarde, et rétrograde sur ses pas dès qu’il apperçoit son erreur ? Oh ! que le sentiment de la douleur d’avoir commis une offense est doux dans un cœur qui ne veut plus la commettre ! C’est sur cet autel seul que je t’offrirai mon injure. La punition qu’un esprit ingénieux frappé du remords de sa faute, exerce sur lui-même est bien cruelle ; si elle ne l’expie pas tout-à-fait ; Dieu juste doue moi du don de l’oubli. La merci sied si bien au cœur des hommes ; mais encore plus à celui de ton ministre, d’un lévite, qui chaque jour t’offre tant de sacrifices pour les transgressions de ton peuple. Ah ! j’ai bien peu profité autour de tes autels, si je n’ai pas appris à pratiquer le pardon que je poursuis sans cesse pour les autres à ton tribunal. Que la paix et le bonheur reposent sur la tête de l’homme qui parle ainsi.

« Il se leva et courut après elle pour lui parler amicalement, pour parler à son cœur, pour lui rappeler leurs premières caresses, pour lui dire enfin, combien peu elle aimoit son mari, combien peu elle s’aimoit elle-même. »

Les reproches de l’homme miséricordieux sont doux et tranquilles ; peu semblables aux efforts que fait sur lui l’homme orgueilleux et inexorable, efforts qui humilient encore plus ceux auxquels il pardonne, ces reproches, dis-je, sont calmes et courtois comme le génie qui veille sur son caractère. Comment le lévite pouvoit-il ne pas ramener chez lui sa concubine ? Comment son père pouvoit-il ne pas ouvrir son cœur à la générosité ? Il le vit, et se réjouit de l’avoir rencontré : il le pressa de jour en jour de rester avec lui, conforte ton cœur, lui dit-il, et livre le à la joie.

Si la pitié et la vertu dictèrent les préliminaires de la paix, l’amour sans doute la scella irrévocablement. Grand, trois fois grand est son pouvoir pour renouer ce qui a été brisé, et pour effacer les injures de la mémoire même. Le lévite se leva ainsi que sa concubine et ses esclaves, et ils partirent.

Il est inutile de poursuivre plus loin cette histoire. La catastrophe en est horrible, et elle nous mèneroit au-delà des bornes que je me suis prescrites. J’en veux à présent aux jugemens téméraires, et les acteurs que je viens de mettre sur la scène apprendront à ceux qui jouent sur celle du monde, combien peu de douceur ils doivent attendre de lui.

Une grande partie de notre temps est employée à dire ou à ouïr du mal de notre prochain. Le théâtre est toujours occupé par quelqu’infortuné. Chaque heure, chaque moment apportent un épisode étrange ou terrible qui prolonge l’étonnement et perpétue le babil. Comment peut-on se comporter ainsi ? quelle conduite ! qu’elle vie ! voilà la formule de toutes les conversations, et ce seroit beaucoup si la censure en restoit-là. Il n’est pas, par conséquent, de vertu sociale plus digne de l’homme que celle qui lui donneroit la force de résister à ce torrent. Les sources qui le nourrissent sont nombreuses, et les tourbillons qui nous le pendent dangereux dans notre passage, sont aussi subits que violens. Rendons ce discours utile à la société, en traçant la marche de ce torrent depuis les sources qui l’alimentent.

La première qui s’offre à nos regards, peut, si la spéculation précéda jamais la pratique, dériver d’une innocente curiosité ; c’est lorsqu’avec plus de zèle que d’instruction nous racontons un phénomène avant de nous assurer de son existence. Les Romains, dit Festus (Actes des Apôtres, chap. 15. v. 16.), ne condamnent personne à la mort, (et moins encore au martyre) avant de l’avoir entendu ; et le juge qui prononceroit sa sentence avant cette formalité, encourroit et le blâme et les peines dus à la contravention des loix naturelles et civiles. Mais nous sommes généralement si pressés de dire notre avis, que nous foulons par notre précipitation ce premier droit de l’accusé : et qu’en arrive-t-il souvent ? la scène change tout-à-coup, l’accusation devient imaginaire, et notre folie seule est réelle ; nous perdons l’honneur d’une mauvaise plaisanterie, et nous restons en butte aux coups de celles que nous avons méritées.

La seconde cause de nos mauvais jugemens, c’est lorsque l’accusation paroît être portée avec plus d’ordre ; c’est lorsque nous commençons légalement par une information, mais que nous la prenons d’après des évidences suspectes, contre lesquelles le Sauveur nous précautionne en nous disant : Ne jugez pas sur les apparences. C’est derrière les démonstrations que se cachent le mensonge et la ruse qui nous aveuglent. Il est mille choses qui paroissent être, et ne sont pas. Le Christ, disoient les Juifs, est allé boire et manger, le Christ n’est qu’un gourmand et qu’un biberon. Eh bien ! il étoit alors assis au milieu des pêcheurs, il étoit leur consolateur et leur ami. Dans ce cas-ci, la vérité, comme une femme modeste, méprise une justification, et dédaigne de paroître dans le cercle de ses accusateurs pour les éblouir de sa lumière. C’en est assez pour le soupçon, il a déjà porté sa plainte, la malice qui l’a écouté sourit des rapports qui la justifient ; elle ordonne les préparatifs du supplice, et le jugement téméraire se lève ensuite pour en prononcer la sentence finale.

Une troisième manière de mal juger, c’est quand les faits sont d’une vérité incontestable, mais qu’ils sont commentés avec tout le fiel de la censure. Combien une ame sensible et honnête devroit l’épargner ! Il est vrai que l’horreur naturelle qu’on a pour tout ce qui est criminel plaide en ce cas en faveur de la critique ; celle-ci a tellement l’air de la vertu, que dans un discours contre les jugemens téméraires, l’orateur pourroit à peine les distinguer, et cependant au milieu du débordement d’exclamations que le coupable excite et mérite, comment est-il possible que quelqu’un ne se dise pas à soi-même, pourquoi le ciel ne m’a-t-il pas créé ainsi, pourquoi ne suis-je pas aussi un exemple ? cette apostrophe bien simple toucheroit plus mon cœur, et me donneroit une meilleure idée de celui du commentateur, que la période la plus caustique ne m’en donneroit de son esprit. La punition de l’infortuné n’existe-t-elle pas dans sa faute ? et quand cela ne seroit pas, quelle pitié ! que la langue d’un chrétien, que la plus douce des religions a appris à bien dire et à louer, devienne le bourreau de ses semblables. Nous lisons dans le dialogue d’Abraham et du mauvais riche, que, quoique le premier fût au ciel et le second dans les enfers, le patriarche le traita avec les expressions les plus douces : Mon fils, mon fils, lui dit-il toujours. Dans la dispute au sujet du corps de Moïse entre l’archange et le démon, le démon lui-même, St. Jude nous apprend que l’archange n’osa jamais employer contre lui la moindre raillerie. C’étoit indigne de son haut caractère, et le trait n’eût pas été d’un politique ; car s’il l’avoit fait (c’est le sentiment d’un théologien sur ce passage), le démon auroit été plus fort que lui dans ce genre d’escrime ; la raillerie étoit son arme naturelle, et les esprits les plus vils sont par conséquent les plus adroits à la manier.

Il est une quatrième observation sur une des causes du mal que je vous dénonce, auditeurs chrétiens. C’est le désir de paroître homme d’esprit, en faisant des réflexions malignes et piquantes sur tout ce qui se passe dans la société. On établit une espèce de trafic sur les faillites des autres, et peut-être sur leurs malheurs. Ah ! quelque soit l’avantage que les bons mots attirent à leurs auteurs, nous ne les louons cependant que comme de certains mets qui, en flattant notre palais, excitent des larmes de nos yeux. Ce trafic est bien peu généreux ; comme il ne demande pas de grands fonds, beaucoup trop de personnes s’y livrent, et tant que les méchans seront caressés, et que de mauvaises têtes seront les juges des cercles, ce ton perfide passera pour l’esprit honteux d’une telle parenté, et il voudra lui appartenir malgré lui. Quoiqu’il en soit de leur affinité, il a donné un nom méprisable à l’esprit, dont l’essence ne fut jamais la satyre. De même qu’il y a une grande différence entre l’amertume et le sel, il en est une entre la méchanceté et la gentillesse du badinage. La première est une brutalité dépourvue de principes, et elle nous est suggérée par le démon ; l’autre n’est qu’une vivacité aimable qui nous vient du père des esprits. Elle est si pure, et fait tellement abstraction des personnes, qu’elle ne les offense jamais volontairement, ou si elle touche un ridicule, c’est avec la dextérité du vrai génie qui enlumine légèrement une absurdité, en la laissant passer. L’esprit peut sourire à la vue de la pyramide que la flatterie élève à la fatuité, mais la malignité la renverse, la rase au niveau du sol, et bâtit la sienne sur ses ruines.

Je m’adresse à vous, censeurs téméraires, esprits brillans, votre crédit ne tient-il pas assez de place dans les halles du monde, sans chasser encore de celles que vous n’occupez pas, les hommes à qui le sort les a assignées ? n’avez-vous pas une haute région dans laquelle vous planez, sans vous abaisser encore et vous tapir dans les cavernes ténébreuses de l’envie et de la calomnie ? Ne vous reste-t-il d’autre siège à occuper que celui du mépris de vos semblables. Eh quoi ! parce que l’honneur s’est mépris dans sa route, et que la vertu dans ses excès s’est trop approchée des confins du vice, faut-il pour cela les précipiter dans les abîmes ? la beauté sera-t-elle foulée aux pieds et traînée dans la boue pour un seul… un seul faux pas ? Ne restera-t-il pas une vertu, une seule qualité à la belle pénitente, parce qu’elle aura péché ? juste Dieu du ciel et de la terre ! mais tu es miséricordieux, aimant et bon, et tu jettes d’en-haut un coup-d’œil de pitié sur les injures que tes créatures se font entr’elles. Ah ! pardonne-nous-les ces injures, ainsi que nos fautes. Ne te rappelle pas que tu nous a créés frères, que tu nous a formés de la même chair, que nous a doués des mêmes sentimens et affligés des mêmes infirmités. Ô mon Dieu ! n’écris pas sur ton livre éternel que tu nous a fait miséricordieux d’après ton image, et que tu nous as fait présent de la plus douce et de la plus aimable des religions. N’écris pas que chaque précepte de ta loi porte avec lui un baume précieux pour guérir les maux de notre nature, pour adoucir et amollir nos cœurs : oublie que tu nous as destinés à vivre dans ce monde dans un tel commerce d’affabilité et de confraternité, qu’il nous préparât à exister ensemble dans un meilleur. Amen.