Sermon XI. Élie et la veuve de Sarepta.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON XI. ÉLIE ET LA VEUVE DE SAREPTA[1]. modifier

ANALYSE. – Saint Augustin, dans cette courte homélie, rappelle d’une façon saisissante : 1° la nécessité des bonnes œuvres, 2° la grâce qui sait y disposer les cœurs, 3° la récompense qui leur est assurée.


1. Le Seigneur notre Dieu ne veut laisser périr aucun de nous ; il cultive son Église comme une vigne ; il demande du fruit à ses arbres avant que le temps soit venu où la hache doit abattre ceux qui n’en portent pas. C’est pourquoi il ne cesse de nous avertir de faire le bien, tandis que nous en avons le temps et que nous le pouvons avec son secours. Une fois le moment de l’action passé, il n’y a plus qu’à en recevoir la récompense. Après la résurrection, en effet, personne ne té dira, dans le royaume de Dieu : Partage ton pain avec celui qui a faim ; personne n’y souffrira de la faim : Revêts celui qui est nu ; puisqu’on y aura pour vêtement l’immortalité : Accueille l’étranger ; puisque tous seront dans leur patrie ; car maintenant mous en sommes éloignés. Personne ne dira : Visite le malade ; car la santé y sera éternellement inaltérable: Ensevelis les morts, car il n’y en aura pas. Ces devoirs de charité ne seront aucunement nécessaires dans cette éternelle vie où tu ne connaîtras que la paix et une éternelle joie Mais aujourd’hui, pour nous faire savoir combien il nous recommande instamment les œuvres de miséricorde, Dieu laisse au besoin ses plus fidèles serviteurs ; et ceux qui deviennent leurs amis en partageant avec eux les richesses d’iniquité, seront à leur tour reçus dans les tabernacles éternels[2] : en d’autres termes, si les riches du siècle soulagent de leurs aumônes les serviteurs de Dieu qui tombent quelquefois dans l’indigence en s’appliquant continuellement à son service, ils méritent de partager avec eux la vie du ciel, comme avec eux ils ont partagé les biens de la terre.
2. Ces réflexions sont amenées par la première lecture qu’on vient de nous faire dans le livre des Rois [3]. Dieu avait-il manqué de nourrir son serviteur Élie ? Les oiseaux, à défaut d’homme, ne le servaient-ils pas ? Un corbeau ne lui apportait-il pas un pain chaque matin et de la chair le soir ? Dieu voulut montrer, ainsi qu’il i peut fournir aux besoins de ses serviteurs quand et comme il le veut. Et cependant, pour donner à une pieuse veuve l’occasion de le nourrir, il réduisit son prophète à l’indigence. Mais l’indigence du saint enrichit la veuve. Quoi ! Élie ne pouvait-il, par la miséricorde divine, faire pour lui-même ce qu’il fit pour une burette d’huile ? Vous le voyez donc et la chose est évidente, les serviteurs de Dieu sont parfois dans le besoin pour éprouver ceux qui n’y sont pas. Cette veuve toutefois n’avait rien ; ses dernières ressources étant épuisées, elle allait mourir avec ses enfants. Pour faire cuire son dernier pain, elle alla donc amasser deux morceaux de bois ; Élie la vit alors. Remarquez : l’homme de Dieu la vit quand elle cherchait deux morceaux de bois. Cette femme représentait l’Église ; et comme la croix est formée de deux morceaux de bois, cette femme mourante cherchait à vivre toujours. Contentons-nous d’indiquer ce mystère. Élie parle ensuite à la veuve comme Dieu le lui avait ordonné. Celle-ci lui fait connaître ses dispositions dernières, elle annonce qu’elle va mourir après avoir épuisé ce qui lui reste. Mais que sont devenues ces paroles du Seigneur : « Va à Sarepta des Sidoniens ; là en effet j’ai commandé à une veuve de te nourrir ? » Observez comment Dieu donne ses ordres ; ce n’est pas à l’oreille, mais au cœur. Avons-nous lu qu’aucun prophète ait été envoyé vers la veuve et qu’il lui ait dit : Voici ce que veut le Seigneur : Vers toi viendra mon serviteur souffrant de la faim, donne-lui de ce que tu as ; ne crains pas la disette, je te dédommagerai de ce que tu auras fait pour lui ? Nous ne lisons pas que ce langage lui ; ait été adressé. Nous ne lisons pas non plus qu’un Ange lui ait été envoyé en songe, qu’il l’ait prévenue qu’Élie allait venir souffrant de la faim, ni que personne l’ait avertie de le nourrir. Dieu parle à la pensée et il a des moyens admirables pour donner ses ordres. Si donc il commanda à cette veuve, ce fut, croyons-nous, en lui parlant au cœur, en lui inspirant ce qu’il fallait faire, en lui persuadant ce qui était bon. Ne lisons-nous pas dans un prophète que le Seigneur commanda à un ver de ronger la racine d’un arbrisseau [4] ? Que signifie : Il commanda, sinon : Il le disposa ? L’inspiration du Seigneur avait donc préparé le cœur de cette femme à obéir à Élie et telle était sa disposition quand elle vint et s’entretint avec lui. Celui qui inspirait à Élie de commander inspirait à la veuve d’obéir. « Va lui dit le prophète, donne-moi d’abord du peu qui te reste ; » tes provisions ne manqueront pas. Cette femme n’avait plus en effet qu’un peu de farine et un peu d’huile. Ce peu ne s’épuisa point. Qui possède autant ? Cette infortunée, dont tout le bien pouvait être suspendu à un clou, avait plaisir à apaiser la faim du serviteur de Dieu. Quoi de plus heureux que sa pauvreté ? Si elle reçoit tant en cette vie, que ne doit-elle pas espérer en l’autre ?
3. Aussi je vous l’ai dit, n’attendons point le fruit de notre travail dans ce temps où nous semons. Maintenant nous ensemençons avec fatigue le champ des bonnes œuvres ; plus tard nous en recueillerons les fruits avec joie. N’est-il pas écrit : « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences ; mais ils reviendront avec joie portant leurs gerbes dans leurs mains [5] ? « Ce que fit Élie pour la veuve était un emblème, non la vraie récompense. Car si cette veuve fut alors récompensée d’avoir nourri l’homme de Dieu, il faut avouer qu’elle n’avait pas semé beaucoup puisqu’elle recueillit peu. Qu’était-ce que cette farine qui ne s’épuisa point et cette huile qui ne tarit point avant que Dieu fit tomber la pluie sur la terre ? Ce n’était que du temporel ; et après que le Seigneur eut daigné envoyer la pluie, cette femme sentit davantage le besoin : il lui fallut alors cultiver la terre, attendre et faire la moisson ; au lieu que pendant la sécheresse sa nourriture était toute facile à préparer. Le miracle que Dieu faisait en sa faveur pendant quelques jours rappelait donc cette vie future où la récompense ne saurait finir. Notre pain sera Dieu lui-même ; et comme les aliments de la veuve furent inépuisables pendant quelques jours, ce pain nous rassasiera durant l’éternité. Telle est la récompense qu’il nous faut espérer en faisant le bien. Gardez-vous de céder à la tentation et de dire : Je nourrirai quelque serviteur de Dieu dans le besoin, et ma coupe ne tarira point, et je trouverai toujours du vin dans ma cuve. Ne cherche pas cela. Sème tranquillement plus tard viendra la moisson, mais elle viendra, et tu en jouiras sans fin.

  1. 1 R. 18
  2. Lc. 16, 9
  3. 1 R. XVII
  4. Jon. 4, 7
  5. Ps. 125, 6