Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Cornazano et Cynthio delli Fabritii

Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 50-68).

IV

cornazano et cynthio delli fabritii.


Parlons de deux conteurs qui ont écrit l’un en prose, l’autre en vers, et qui ont donné à leurs récits une forme reproduite avec grand succès de nos jours pour des compositions dramatiques : ils prennent un proverbe qui leur sert de prétexte à une narration, laquelle n’a quelquefois qu’un rapport assez indirect avec l’adage qui sert de titre.

Les Proverbii in facetie d’Antonio Cornazano ont eu, dans la première moitié du XVIe siècle, des éditions nombreuses, mais très-incorrectes, et fort difficiles à se procurer aujourd’hui. Il n’est pas non plus très-aisé de rencontrer la jolie réimpression que M. Renouard fit exécuter en 1812 et qui fut tirée à cent exemplaires. Ces Proverbii sont au nombre de seize ; en voici les titres :

Pur fieno che gli è paglia d’orzo.
Chi cosi vuole, cosi habbia.
A buono intenditore poche parole.

Anzi corna che croce (deux récits divers sous
ce titre).
Non mi euro di pompe, pur che sia ben vestito.
Chi fa li fatti suoi non s’imbratta le mani.
Tu potresli ben essere corritore, ma non hai gia la vista.
Meglio è tardi che non mai.
Tutta è fava (les contes x et xii) se rattachent à cette expression ).
Glîene fusse pur anchora.
Non ten darrei quella.
Piscia chiaro, indorme al medico.
Tu non se quelle.
A qui la va Dio la benedica.

Il existe de Cornazano un autre ouvrage fort peu connu, en vers latins ; ses deux éditions (Milan, 1503, et sans date) sont très-rares. Il renferme dix proverbes, dont quatre seulement se retrouvent dans la production en langue italienne. Ces contes en vers latins sont parfois d’une grande étendue (le premier, par exemple, a 312 vers, et le deuxième 414). Ils sont, en général, aussi hardis pour le fond que pour la forme. Des mots tels que penis, cunnus, vulva, etc., y reviennent fréquemment ; il est vrai qu’on n’était pas alors choqué de ces expressions autant qu’on le serait aujourd’hui : les livres qui les contenaient se vendaient sans entrave ; les auteurs et les libraires se nommaient en toutes lettres, et, pour les idées comme pour les mots, tout était, permis à la langue latine à la fin du quinzième et au commencement du seizième siècle[1]. Il ne saurait en être de même lorsqu’on écrit en français au milieu du dix-neuvième siècle ; aussi regardons-nous comme intraduisibles les Proverbii de Cornazano. Ainsi, par exemple, dans le sixième, dont le titre peut se traduire par : Personne ne se salit les mains en faisant son ouvrage, il s’agit d’une jeune mariée qui se décide à ôter des gants qu’elle avait mis par pruderie ; épisode qui, par parenthèse, a été introduit par Straparole dans une de ses nouvelles (5e de la XI{e nuit, édit Jannet, tome 2, p. 308).

C’est en vers qu’est rédigée une production plus importante que celle de Cornazano, l’ouvrage très-rare et très-recherché d’Aloyse Cynthio degli Fabrilii : Origine delli volgari proverbi : Vinegia, 1526, in-folio.

On sait avec quel cynisme et quelle acrimonie s’exprime cet écrivain, ennemi juré des moines et des femmes[2] ; mais on manque de détails sur sa vie et sur sa fin, qui paraît avoir été tragique. Renouard dit qu’il fut brûlé[3], et Ébert, dans son Bibliographisches Lexikon, a reproduit cette assertion qui ne paraît pas fondée. Robert (Fables inédites, 1825, t. I, p. ccvi) suppose que Fabrizio fut assassiné, ce qui parait plus vraisemblable. Tout ce qu’on sait se réduit d’ailleurs à ces expressions énigmatiques qui se trouvent inscrites d’une écriture du temps sur un exemplaire signalé dans la Lettre[4] que Magné de Marolles a publiée sur le livre en question : « Nota questa satyra essere di propria mano del autore, et pochi giorni drieto morse, in qual modo non lo dico. »

L’ouvrage de Cynthio étant fort peu connu, nous croyons à propos de donner ici la nomenclature des quarante-cinq proverbes qui le composent, et auxquels il faut en ajouter un autre que M. Renouard fit imprimer à vingt-sept exemplaires, en 1812, d’après un manuscrit autographe (Chi prima va al molino primo macina) :



1. La Invidia non morite (muore) mai.

Cynthio a pris la donnée de ce conte dans un vieux fabliau, mais il l’a arrangé d’une façon particulière. Jupiter, voulant se convaincre si les plaintes dont les hommes le fatiguent sans cesse sont fondées, descend sur la terre avec Mercure, et il va loger chez l’Envie, laquelle est représentée, comme l’épouse d’un aubergiste. Elle accueille si bien les deux étrangers que Jupiter, au moment de partir, lui promet de lui accorder la grâce qu’elle demandera. Elle sollicite, la protection du maître des dieux en faveur d’un pommier qui lui appartient et que les voleurs dépouillent sans cesse. Jupiter accède à ce vœu, et décide que l’arbre retiendra de force celui qui sera monté dessus jusqu’à ce que la propriétaire consente à ce que la liberté lui soit rendue. La Mort vient sommer l’Envie de quitter ce bas monde ; l’Envie lui demande auparavant de vouloir bien cueillir un fruit sur le pommier. La puissance surnaturelle de l’arbre se révèle alors, et l’Envie ne laisse descendre la Mort que lorsque Jupiter lui a accordé le don de l’immortalité. Cette historiette se retrouve avec quelques variantes, dans un livret populaire répandu en France : Histoire nouvelle et divertissante du bonhomme Misère, qui fera voir ce que c’est que la misère, où elle a pris son origine, comment elle a trompé la mort et comment elle finira dans le monde. Il ne s’agit plus, comme dans le conte italien, de Jupiter et de Mercure ; c’est saint Pierre et saint Paul que le bonhomme, recueille chez lui tout trempés de pluie. Il demande, lorsqu’une récompense lui est offerte, qu’une fois monté sur son poirier on n’en puisse descendre sans sa permission. Il fait grimper la Mort sur l’arbre enchanté, et il ne consent à la laisser descendre que lorsqu’elle s’est engagée à le laisser en repos jusqu’au jour du jugement dernier. Elle a tenu parole, et quoique souvent elle fasse de grands ravages parmi les voisins du bonhomme, elle se contente de passer devant sa porte. On est donc certain que Misère vivra tant que le monde subsistera.


2. Ogni scusa è buona, purchè la vaglia.

Un jeune aventurier, parti de Bologne, s’égare dans une forêt et arrive à un couvent de religieuses, qui l’accueillent fort bien, mais qui le dépouillent entièrement de l’argent qu’il avait sur lui, et le chassent ensuite avec ignominie. Sur son chemin, il trouve un abbé florentin auquel il raconte sa mésaventure. Grâce aux conseils de l’abbé et par l’emploi d’une vigueur extraordinaire, il rentre en possession de son argent ; mais l’aventure ne peut guère se raconter.


3. Lettere non danno senno.

Apologue où les animaux sont mis en jeu. Le lion arrive à se convaincre qu’il ne peut se fier au seul emploi de la force pour conserver son empire sur les animaux ; il faut aussi qu’il ait recours à l’habileté. Il parcourt le monde et fréquente les écoles des philosophes, afin d’apprendre l’art de régner. De retour dans ses états, il enjoint à tous les animaux, sous peine de haute trahison, de comparaître devant son trône. Ils arrivent tous, à l’exception du singe ; le roi envoie le renard chercher cet indocile vassal. Le renard trouve le singe dans l’Éthiopie ; il lui représente qu’il est dangereux de résister aux ordres du souverain. Le singe se décide alors à paraître devant le monarque ; mais mal lui en prend, car aussitôt il est déchiré par le souverain offensé. Le lion ordonne ensuite au renard d’écorcher le cadavre et de lui apporter le cœur et la cervelle du coupable. Pendant cette opération, l’appétit de maître renard s’éveille ; il croque ce qui lui était demandé, et il vient ensuite, l’air décidé, dire au lion que les organes en question manquaient dans le corps du singe. Le roi s’étonne, et observe qu’il n’a lu dans aucun auteur grec ou latin qu’un quadrupède pût vivre sans cœur ou sans cervelle. Le renard lui réplique que, si le singe avait été pourvu de ces organes, il ne serait pas venu se placer sous les griffes royales, et che lettere non danno senno. On peut rapprocher ce récit de l’apologue qui forme la quatre-vingt-onzième des Cento novelle antiche’(p. 141 de l’édition de Turin, 1802), où figurent un loup, un mulet et un renard, et qui a pour morale : Ogni uomo che sa lettera non è savio.


4. Chi non si puo distender si ritragga.

Débat entre les deux sexes, sous la forme d’une allégorie très-inconvenante. Un sujet analogue est traité dans la Cazzaria de l’Arsiccio intronato. Il y a plus de décence, quoiqu’on trouve aussi des passages singuliers dans le Débat de l’homme et de la femme, opuscule en vers publié au commencement du XVIe siècle.


5. Alli cani magri van le mosche.

C’est le même sujet que le Faiseur de papes dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. XIV). Nous n’avons pas besoin de rappeler que ce sujet a été traité par La Fontaine ; il avait déjà figuré dans les récits de Masuccio et de Malespini.


6. Futuro caret.

Un mari, ne pouvant réussir à corriger sa femme d’un goût excessif pour la paresse et la dépense, lui envoie un riche vêtement avec l’inscription Futuro caret, et la livre ainsi à la risée publique.


7. Chi di gatta nasce sorge (sorci) piglia.

Récit fort insignifiant destiné à prouver que le penchant au mal gît dans le sang, et que l’éducation ne peut rien pour le réprimer.


8. La va da tristo a cattivo.

Deux narrations réunies ensemble sans aucune adresse. La première se rapporte à une anecdote que l’on retrouve dans Straparole : un homme, malgré les conseils que lui donne son père en mourant, adopte un enfant étranger, et il est payé par l’ingratitude la plus noire. La seconde histoire est un procès criminel dénué d’intérêt.


9. Ogni cosa è per lo meglio.

C’est un des récits les plus bizarres qu’offre le recueil de Cynthio, et on peut le regarder en partie comme étant de son invention. Un pauvre, pêcheur, qui depuis longtemps n’a rien pris et qui se trouve dans une misère extrême, se jette dans sa barque et la laisse emporter par les flots à l’aventure. La barque s’enfonce dans la mer, et le pêcheur se trouve dans l’empire de Neptune, où l’on célèbre une grande fête. La description de ces solennités, l’énumération des monstres marins qui s’y rendent, occupent plusieurs centaines de vers et sont dans un goût rabelaisien. Neptune fait ensuite reconduire le pêcheur chez lui par une baleine. Le pêcheur fait hommage au seigneur du lieu de divers objets qu’il a rapportés du fond des eaux ; le seigneur l’interroge sur sa situation ; le pêcheur a deux filles et un fils, mais il juge à propos, pour se rendre plus intéressant, de se présenter comme ayant trois filles. Le seigneur demande à les voir, et l’on déguise le jeune homme sous un costume de femme. Les questions que l’on trouve dans un vieux fabliau (Le Jugement des C.) leur sont proposées, et, satisfait surtout des réponses du garçon déguisé, le seigneur le fait venir dans son château, afin de le faire élever avec ses filles. Le reste du récit, destiné à prouver que tout est au mieux dans le meilleur des mondes, échappe à l’analyse. Quant aux aventures du pêcheur au fond de la mer, elles nous rappellent un récit encore plus absurde qui se trouve dans la continuation jointe par H. de Luña à la Vida de Lazarillo de Tormès, œuvre piquante d’Hurtado de Mendoza. Le héros, étant à bord d’un des navires qui font partie de l’expédition de Charles-Quint contre Alger, tombe dans les abîmes de l’océan, est changé en thon, et reprend la forme humaine après avoir été péché.


10. Altri han le noci ed io ho le voci.

Deux anecdotes cousues ensemble : la première est dans Cornazano, la seconde est dans Boccace (journée VII, nouv. 9).


11. Tu guardi l’altrui busca (scheggia) e.non vedi il tuo travo.

Paraphrase un peu longue d’une historiette qui est dans les Facéties de Pogge, sous le titre de Naulum (t. I, p. 185, Londini, 1798, in-32).


12. Dove che il diavolo non puo metter il capo, gli mette la coda.

C’est un remaniement d’un fabliau qui est dans le recueil de Méon (t. Il) : « D’un moyne qui contrefist l’ymage du diable ». Nous avons déjà vu le même sujet dans les proverbes latins de Cornazano.


13. L’è fatto il becco all’oca.

Ceci est une histoire populaire en Italie. Un roi, voulant mettre sa fille à l’abri des séductions, la fait enfermer dans une tour ; mais il lui procure, pour la distraire, des jouets divers. Un artiste étranger se présente au monarque et lui propose l’achat d’une oie se mouvant par des ressorts ; le roi fait emplette de l’oiseau, afin d’amuser sa fille. Dans le corps de l’oie est caché un jeune homme qui s’introduit ainsi auprès de la princesse, et qui se fait promptement aimer d’elle. Au bout de trois mois, on prétexte la nécessité d’emporter l’oie afin de réparer le bec qui est cassé, et l’amant sort ainsi de la tour sans être aperçu. Sur ces entrefaites, le roi meurt très à propos, et la princesse, rendue à la liberté, épouse celui qu’elle aime. Il existe des éditions nombreuses de la ''Historia perche si dice : È fatto il becco a l’oca. Nous en avons vu de Florence, 1583 ; Pistoie, sans date, etc. L’Arétin avait également traité ce sujet, à ce que dit la Vita, dont nous avons parlé avec détail. On peut consulter d’ailleurs le Pecorone de ser Giovanni ; mais, au lieu d’une oie, il s’agit d’un aigle[5].
14. Per fin alli orbi se ne accorgeriano

Impossible à analyser.


15. Chi pecora si fa, lo lupo li mangia.

Histoire niaise et dépourvue de tout sel.


16. Chi non ha ventura non vada a pescar.

Version mal faite de la Pêche de l’anneau dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. III). Une historiette analogue se rencontre dans bien des conteurs (Pogge, Malespini, Desperriers, Straparole, La Fontaine, etc.).


17. Si crede Biasio.

Récit qui se retrouve dans Randello, sous le même titre ; il paraît que c’était un conte populaire.


18. Non mi euro di pompe, purchè sia ben vestita.

C’est le sixième des proverbes italiens de Cornazano ; mais la fin de l’histoire offre dans Cynthio plus de développement et plus d’agrément.


19. Chi fà li falli suoi non s’imbratta le mani.

Voir encore Cornazano, proverbe VII.


20. Passato il tempo che Berta filava.

Récit insignifiant et dépourvu d’intérêt.


21. Meglio è tardi che non mai.

Deux amis, dont l’un est marié et vante sans cesse sa femme, discutent la question de la vertu du sexe. Le célibataire prétend que les meilleures femmes ne valent pas grand’chose ; il raconte, à l’appui de sa thèse, qu’une fois, à la suite d’un rendez-vous, il lui est arrivé d’être expulsé par sa dame et exposé à de graves dangers. Il conseille à son ami de soumettre son épouse à l’épreuve qui est racontée dans un vieux fabliau (Du Pescheur de Pont seur Saine). Le reste du récit est comme chez le trouvère.


22. A chi ha ventura poeo senno basta.

C’est la seconde histoire de la première journée de Masuccio.


23. Non è piu tempo di dar fen ad oche.

Un professeur de droit à Pise fait un voyage sur mer avec son épouse ; un pirate la lui enlève. Il se désole, mais plus tard il apprend où elle est et il court la réclamer. Le corsaire dit au savant qu’il lui rendra sa femme, si elle le désire ; mais l’ingrate préfère ne pas revenir auprès d’un vieux mari. (V. le Décaméron, II, 10.)


24. Alli signali si conoscono le balle.

Récit sans esprit et ordurier.


25. Tu vai cercando Maria per Ravenna.

Deux histoires réunies. La première est une paraphrase bien faite d’un des contes de Boccace (Décaméron, IX, 6) ; la seconde est fort insignifiante. Il existe d’autres rédactions (in ottava rima) de la Nobilissima historia de Maria per Ravenna. Trois éditions, dont deux avec la date de 1558 et de 1636, figurent au catalogue Libri (1847, nos 1433-1435), où une note fait remarquer que ce conte, en vers très-libres, est une imitation, du récit de Cynthio, et que la tradition sur laquelle il repose est très-ancienne. On le trouve indiqué, dès le XIVe siècle, dans l’Acerba de Cecco d’Ascoli (lib. IV, cap. XI) ; les vers suivants y font allusion :

Chi se sonina iacer carnalmente
Con matre o con sorella vederai
Convien che quel anno sia dolente.


26. Chi vuol amici assai ne provi pochi.

Conte d’une grande platitude. Un bourgeois de Paris, qui surveille très-sévèrement sa fille, passe, avec un jeune homme qui en est épris, un contrat devant notaire ; en vertu de cet acte, il s’engage à se laisser tuer par l’amant si celui-ci parvient dans le délai de trois mois à obtenir un regard de sa fille. Celle-ci laisse l’amant pénétrer près d’elle.


27. La offerto le arme al tempio (sic).

Conte très-souvent reproduit et qui se trouve dans Masuccio (III, 1) ; c’est le fabliau Les Culottes du Cordelier. Voir dans Casti Le Brache di san Griffone (nov. 38, t. 3, p. 149 à 180 de l’éd. de 1804).


28. Chi cosi vuol cosi si habbia.

Longue paraphrase d’un récit qui se trouve avec le même titre dans les Proverbii de Cornazano.


29. Prima si muta il pelo che si camlia el vezzo.

Tableau presque effrayant de la vie désordonnée des Cordeliers à Venise ; le conte qui s’y rattache est emprunté à l’une des facéties de Pogge : Digiti tumor (t. I, p. 205). Ce sujet se trouvait déjà dans les Cent Nouvelles nouvelles (Dung moyne qui faignit estre très fort malade et en dangier de mort pour parvenir à l’amour d’une sienne voisine). Il a été imité par Grécourt (Le Mal d’aventure). Voir aussi les Novelle de Malespini (part. II, nov. 88).


30. Chi troppo vuol di rabbia more.

Récit fort plat et fort invraisemblable.


31. La le va dietro quai la matta al fuso.

Une jeune fille élevée par son père dans une retraite absolue fournit des preuves risibles de son ignorance. Le fond du récit paraît emprunté à Cornazano (proverbio IX) ; les traits relatés dans le conte sont des anecdotes populaires ; ils rappellent un opuscule en vers qui se trouvait à la vente Libri, en 1847 : Novella della figliuola del mercatante che si fuggi la priment sera del marito per non essere impregnata. Une jolie fille avait demandé à son père le moyen de faire des enfants : il l’avait battue. Croyant, le jour de ses noces, que son mari allait la battre, elle s’était enfuie, etc. Les détails de ce conte sont fort libres.


32. Chi troppo si assotiglia si scavezza.

C’est une des historiettes de Pogge : Priapus in laqueo (t. 1, p. 179). Ceux qui connaissent le texte latin comprendront que nous devons renoncer à chercher à le traduire pour le faire passer sous les yeux d’un lecteur français, qui « veut être respecté », On retrouve d’ailleurs ce récit dans le Moyen de parvenir et dans les Cent Nouvelles nouvelles, sous le titre : Le Lacs d’Amour. Voir aussi Malespini, part. II, nov. 79.


33. Infra la carne e l’ungia alcun non punza (punga).

Cynthio a mis en vers, en y joignant une continuation assez plate, le récit que Cornazano donne comme illustrant le proverbe : A buono intenditore poche parole.


34. Il non è oro tutto quel che luce.

Une femme, surprise par son mari avec un amant, fait croire au pauvre sire que la personne qui est dans son lit est une vieille parente, laquelle, en lui rendant visite, s’est tout d’un coup trouvée attaquée de la peste. Une histoire sans intérêt, et qui est peut-être un fait réel survenu à Venise, forme la suite de cette aventure.


35. Guastando s’impara.

C’est l’histoire, si souvent racontée, qui se trouve dans le Décaméron (VII, 2) et qui forme

la trente-cinquième des Novellæ de Morlini.


36. Ogni cuffia scusa di notte.

Une jeune religieuse a un rendez-vous avec un amant. L’abbesse en est instruite, et, dans son empressement de saisir les coupables in flagrante delicto, elle se lève avec tant de précipitation qu’elle met sur sa tête, au lieu de son bonnet, un vêtement d’homme qui était auprès de son lit. Boccace (Décaméron, III,3, et IX, 2).


37. Rebindemini.

Deux amants s’enfuient ensemble, et, après bien des traverses, ils sont séparés. Le jeune homme est capturé par des pirates et vendu à Grenade. Il est admis à la cour ; la reine en devient éprise, mais il se conduit à son égard comme le chaste Joseph, et elle le dénonce au roi, l’accusant d’avoir voulu lui faire violence. Le pauvre diable, condamné à mort, est conduit à la potence, lorsqu’une vieille femme, d’une effroyable laideur, sort de la foule et le demande pour mari. En consentant à cette union, il peut, selon les usages du pays, échapper au supplice ; mais il répond : Rebindemini, ce que le poëte traduit par :

Che’l ciel da tal supplizio i cani sguardi.

Ce mot est d’origine arabe et s’était introduit dans le langage vénitien.
38. Dove che’l dente duol la lingua tragge.

Ce récit se rapporte encore à l’inconduite des ecclésiastiques. La naïveté d’un enfant fait découvrir les torts d’une femme. L’historiette rappelle là vingt-troisième des Cent nouvelles nouvelles (La Procureuse passe la raie).


39. Ciascun si ajuta coi suoi ferrizuoli.

Histoire qui ne comporte pas d’analyse.


40. Per via si concia soma.

Nouveau tableau des désordres des moines ; quelques anecdotes nullement piquantes.


41. L’occhio vuol la sua parte.

Longue paraphrase d’un trait qui est dans Pogge (t. I, p. 13), Jus parochi, et qui a été mis en vers latins par un anonyme (t. II, p. 5) ; sujet trop libre pour que nous nous y arrêtions davantage.


42. Ciascun tira l’acqua al suo molino.

Récit relatif à l’avidité des Récollets de Venise ; intérêt purement local.


43. La necessità non ha leggi.

Débat entre le bonnet et la tête, qui se font mutuellement des reproches ; mélange de platitudes et de pensées assez fines.


44. Fuge rumores.

Un étudiant, qui n’a pas appris grand’chose, échappe à l’examen auquel son père veut qu’il se soumette, en adressant aux examinateurs des demandes en latin qui les mettent en fuite.



45. Piscia chiaro e encaca al medico.

Ce conte, dirigé contre les médecins ignares et les charlatans, se termine par quelques anecdotes insignifiantes.



  1. L’Hecatelegium de Pacificus Maximus, recueil de poésies très libres, parut à Florence en 1489, avec le nom de l’imprimeur (Ant. Mischominus), et à Camerino en 1525, avec celui du typographe Jean-Jacob de Benedictis. Dans l’une et l’autre édition, l’auteur est nommé en toutes lettres. Le recueil de contes, souvent orduriers, de Morlini, dont nous parlerons dans un instant, fut imprimé cum grati et privilegio Cesareae maiestatis et Summi pontificis, decennio duratura. Vers le commencement du XVIIe siècle, on pourrait citer beaucoup d’exemples d’une semblable tolérance pour les livres français. En 1018, le Cabinet satyrique paraissait avec un privilège de Sa Majesté, autorisant le libraire Antoine Estoc à imprimer, faire imprimer, rendre et distribuer, tant de fois qu’il lui plairoit, ce recueil de priapées. À la même époque, le roi accordait encore un autre privilège à son cher et bien ami Hugues Gueru (Gaultier Garguille), de peur que quelques contrefacteurs ne viennent adjouster quelques autres chansons plus dissolues, etc.
  2. Parmi les épithètes que Cynthi prodigue aux moines, nous relevons au hasard et sans choix celles de : ribaldi, colli torti, gabbadei, aggabagenti, di Paphia indefessi stalloni, marassi, mastinacci.
  3. « On sait que l’auteur fut brûlé pour avoir immolé les mœurs et la religion a ses plaisanteries indécentes et du plus mauvais goût. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, t. III, p. 85.)
  4. Cette lettre, insérée en 1780 dans l’Esprit des journaux, a été réimprimée à part en 1856. Elle est curieuse, mais elle est loin d’épuiser le sujet sur lequel elle roule. Le Manuel du libraire indique (5e édition, t. II, 1156) douze adjudications de ce livre, mais elles ne se rapportent qu’à 5 ou 6 exemplaires. Nous ajouterons une treizième adjudication : 470 fr., vente Torrelli, en 1849, belle reliure anglaise. Nous dirons aussi que l’exemplaire de Borromeo, contenant des pièces de vers qui manquent presque toujours, a passé dans la Bibliotheca Grenvilliana, léguée au Musée britannique.
  5. La Flora, comédie de Franc. Angeloni, academico insensato, a pour dénouement plusieurs mariages ; mais, des rendez-vous nocturnes les ayant précédés, un valet assure que gia è fatto il becco all’oca.