Scivias, ou Les trois livres des visions et révélations/T1/9

VISION CINQUIÈME


Sommaire : — De la Synagogue, mère de l’Incarnation du Fils de Dieu. — Paroles de Salomon. — Paroles du prophète Isaïe. — Des divers aspects de la Synagogue. — De son aveuglement et de ce que signifient ces expressions : Dans le cœur d’Abraham, dans la poitrine de Moyse, dans le ventre d’un autre prophète. — Que veut dire : Grand comme une tour, ayant une auréole autour de la tête semblable à l’aurore. — Paroles d’Ezéchiel. — Comparaison de Samson, de Saül, et de David sur le même sujet.


Après cela, je vis comme une image de femme (blanche) de la tête jusqu’à l’ombilic, noire de l’ombilic jusqu’aux pieds, et les pieds couleur de sang. Elle avait autour des pieds une nuée resplendissante et pure. Elle était privée d’yeux ; et, ayant ses mains sous les aisselles, se tenait près de l’autel qui est devant les yeux de Dieu ; mais elle ne le touchait pas. Et dans son cœur était Abraham ; et dans sa poitrine Moïse ; et dans son ventre les autres prophètes ; montrant chacun leur signe, et admirant la beauté de la nouvelle épouse. Elle apparut grande comme la tour immense de quelque cité, ayant sur sa tête comme une auréole semblable à l’aurore. Et j’entendis de nouveau une voix du ciel qui me disait : Dieu imposa à l’ancien peuple l’austérité de la loi, en ordonnant à Abraham la circoncision, qu’il changea ensuite en une grâce de suavité, en donnant son Fils à ceux qui croyaient à la vérité de l’Évangile ; et il adoucit par l’huile de la miséricorde, ceux qui étaient blessés par le joug de la loi. C’est pourquoi tu vois comme une image de femme, blanche de la tête à l’ombilic : c’est la Synagogue, mère de l’incarnation du Fils de Dieu, et qui dès le commencement de la naissance de ses fils jusqu’à la plénitude de leurs forces, prévoit dans l’ombre les secrets de Dieu, mais ne les découvre pas pleinement. Car elle n’est pas la resplendissante aurore qui manifeste ouvertement, mais celle qui regarde de loin dans l’étonnement et l’admiration, comme il est dit d’elle dans les cantiques : Quelle est celle qui monte du désert pleine de délices et s’appuyant sur son bien aimé[1] ? Ce qui veut dire : Quelle est cette nouvelle épousée, qui s’élève par la multitude de ses bonnes œuvres au milieu des déserts des nations, (qui abandonnent les préceptes légaux de la sagesse, pour adorer les idoles ;) celle qui monte vers les désirs d’en haut, pleine des délices des dons du St-Esprit ; en soupirant dans l’ardeur de son zèle, et s’appuyant sur son époux, qui est le Fils de Dieu ? C’est celle qui, dotée par le Fils de Dieu, resplendit de l’éclat des vertus, et abonde des ressources fécondes des Écritures. Mais la Synagogue, dans son admiration, interroge ainsi mon serviteur Isaïe, sur les fils de la nouvelle épouse : Quels sont ceux qui volent comme des nuées, et qui sont comme des colombes à leurs fenêtres ?[2] Ce qui veut dire : Quels sont ceux qui, dans leur esprit, se séparant des concupiscences terrestres et charnelles, volent, avec un parfait désir et une entière dévotion, vers les éternelles ; et, avec la simplicité de la colombe, sans aucune amertume du cœur, préservent les sens de leur corps ; et se munissent, par l’ardeur des bonnes œuvres, de la pierre inébranlable qui est le Fils unique de Dieu ? Ce sont ceux qui, pour l’amour des biens célestes, foulent aux pieds les royaumes terrestres. C’est pourquoi la Synagogue admire la nouvelle épouse, l’Église, qui ne se voit pas ornée des mêmes vertus qu’elle, mais environnée d’escortes angéliques, afin que le démon ne puisse ni la ruiner, ni la renverser ; tandis que la Synagogue, abandonnée par Dieu, gît dans le vice.

C’est pourquoi tu vois aussi cette (même) femme, noire de l’ombilic jusqu’aux pieds ; ce qui signifie, qu’elle fut souillée par la prévarication de la loi, et la transgression du testament de ses pères, à partir de sa pleine vigueur jusqu’à la consommation de sa durée ; parce qu’en bien des manières elle négligea les préceptes divins, et suivit la volupté de la chair.

Elle a les pieds tout sanglants, et autour de ses pieds, brille une nuée resplendissante, parce que, à sa consommation, elle mit à mort le prophète des prophètes (le Christ) ; et elle-même déchue, s’écroula. Mais dans cette consommation, la lumière de la foi resplendissante et pure surgit dansl’esprit des croyants, parce qu’au moment de la chute de la Synagogue, l’Église se leva, lorsque la doctrine apostolique, après la mort du Fils de Dieu, se répandit par toute la terre. — Mais cette image est privée d’yeux, et tient ses mains sous ses aisselles ; parce que la Synagogue ne vit pas la vraie lumière, lorsqu’elle méprisa le Fils de Dieu.

Aussi, elle dissimula l’œuvre de justice, dans le dégoût et la torpeur de l’œuvre bonne, qui ne venait pas d’elle ; et elle les déguisa négligemment, comme sans valeur.

Elle se tient près de l’autel qui est devant le trône de Dieu, mais ne le touche pas, parce qu’en vérité, elle connut, dans son écorce, la loi de Dieu qu’elle reçut par le précepte divin et par la visite de Dieu ; mais elle ne la toucha pas intérieurement, parce qu’elle la détesta plus qu’elle ne l’aima, en négligeant d’offrir à Dieu les sacrifices et l’encens des divines oraisons.

Mais, dans le cœur de cette femme se trouve Abraham, parce qu’il fut, lui-même, dans la Synagogue, les prémices de la circoncision ; et dans sa poitrine Moïse, parce que celui-ci grava dans les entrailles des hommes la loi divine ; et dans son ventre les autres prophètes, c’est-à-dire, dans l’institution qui lui avait été donnée divinement, les inspecteurs des préceptes divins : chacun montrant ses signes, et admirant la beauté de la nouvelle épouse ; parce que ces prophètes manifestèrent par d’éclatantes merveilles la grandeur de leur prophétie, et contemplèrent avec admiration la splendeur de la noblesse de l’Église. Elle apparaît si majestueuse, qu’elle est comparable à la haute tour d’une cité ; parce que, recevant la beauté des préceptes divins, elle munit et fortifia la noble cité des élus. Elle a sur sa tête comme une auréole semblable à l’aurore, parce que l’Église, dans sa naissance, manifesta le miracle de l’incarnation du Fils de Dieu, ainsi que les vertus éclatantes, et les mystères qui en découlent ; car elle fut couronnée comme d’une aurore matinale, lorsqu’elle reçut les préceptes divins ; pour signifier Adam, qui reçut d’abord le précepte de Dieu, mais dans la suite, par sa transgression, se précipita dans la mort. Les juifs agirent pareillement, en acceptant d’abord la loi divine ; mais ensuite, ils abandonnèrent le Fils de Dieu dans leur incrédulité. Or, de même que l’homme, par la mort du fils unique de Dieu, dans une ère nouvelle, fut arraché à la perdition de la mort ; ainsi la Synagogue, avant le dernier jour, attirée par la divine clémence, abandonnera l’incrédulité et parviendra véritablement à la connaissance de Dieu. Que signifie, cela ?

L’aurore ne fait-elle pas son apparition avant le soleil ? Mais l’aurore s’évanouit, et la clarté du soleil demeure. Que veulent dire ces paroles ? — L’Ancien Testament n’est plus, et la vérité de l’Évangile demeure ; car ce que les anciens observaient charnellement dans les prescriptions légales, le peuple nouveau, dans le nouveau testament, l’accomplit spirituellement ; ce que ceux-là montrèrent dans la chair, ceux-ci l’accomplissent dans l’esprit. Car la circoncision n’a pas disparu, parce qu’elle est devenue le baptême : ceux-là étaient marqués dans un seul membre, ceux-ci dans tous leurs membres. Ce qui fait que les anciens préceptes n’ont pas péri, puisqu’ils ont été améliorés. Aussi, à la fin des temps, la Synagogue se convertira fidèlement à l’Église. Car, ô Synagogue, lorsque tu errais dans la multitude de tes iniquités, de telle sorte que tu te souillais avec Baal et les autres divinités semblables, délaissant les coutumes légales pour des mœurs honteuses, et gisant dénudée au milieu des péchés : j’ai fait ce que dit mon serviteur Ezéchiel : j’ai étendu mon voile sur toi, et j’ai couvert ton ignominie ; et je te l’ai juré, et j’ai signé un pacte avec toi. [3] Ce qui veut dire : Moi, Fils du Très Haut, selon la volonté de mon Père, j’ai étendu sur toi, ô Synagogue, mon incarnation, pour ton salut, afin d’effacer les péchés que tu as commis dans la multitude de tes oublis, et je t’ai assuré le remède de la rédemption en manifestant, pour ton salut, les voies que jai suivies dans la conclusion de mon pacte ; lorsque je t’ai découvert la vraie foi, par la doctrine apostolique ; afin que tu observes mes préceptes, comme la femme se soumet à la puissance de son mari. Car j’ai écarté de toi les aspérités de la loi extérieure, et je t’ai donné la suavité de la doctrine spirituelle, et je t’ai expliqué, par moi-même, tous mes mystères, au moyen des doctrines spirituelles ; mais tu m’as abandonné, moi le juste, pour te donner à Satan. Mais toi, ô homme, comprends : De même que la femme de Samson, l’a abandonné, de telle sorte qu’il a été privé de sa lumière ; ainsi la Synagogue a abandonné le Fils de Dieu, lorsque dans son obstination elle l’a méprisé, et qu’elle a délaissé sa doctrine. Mais quand les cheveux (de Samson) eurent repoussé, c’est-à-dire lorsque l’Église de Dieu, se fut fortifiée, le Fils de Dieu, par sa vertu, renversa la Synagogue, et déshérita ses fils, quand ils furent écrasés sous la colère de Dieu, par les gentils eux-mêmes qui ignoraient Dieu ; car elle s’était soumise elle-même, à toutes les erreurs de la confusion et du schisme ; et elle s’était souillée dans les prévarications de toutes sortes d’iniquités. Mais de Même que David. répudia enfin la femme, qu’il avait épousée en premières noces, et qui avait péché avec un autre homme, de même le Fils de Dieu répudia la Synagogue (qui lui fut d’abord, unie dans son incarnation, mais qui, abandonnant la grâce du baptême, suivit le démon. Cependant vers la fin des temps il la recevra, dès qu’elle-même, répudiant les erreurs de son infidélité, reviendra à la lumière de la vérité. Car le démon a pris la Synagogue dans son aveuglement, et l’a livrée à toutes les erreurs de l’infidélité ; et il ne cessera de le faire, jusqu’à la venue du fils de perdition, qui tombera dans l’exaltation de son orgueil, comme Saül périt sur le mont Gelboe, après avoir chassé David de sa terre. — Ainsi le fils de l’iniquité s’efforcera de chasser mon Fils du milieu de ses élus ; et mon Fils ayant repoussé l’Antechrist, ramènera la Synagogue à la véritable foi ; comme David reprit sa première épouse après la mort de Saül. Car lorsqu’à la fin des temps les hommes verront vaincu celui qui les avait trompés, ils reviendront en grande diligence à la voie du salut. Il ne convenait pas, en effet, que la vérité de l’Évangile annonçât l’ombre de la loi, parce qu’il sied que les choses charnelles précèdent, et que les spirituelles suivent ; parce que le serviteur prédit la venue de son maître, et non le Seigneur celle de son serviteur. Ainsi la Synagogue précède dans l’ombre de la figure, et l’Église suit dans la lumière de la vérité. C’est pourquoi quiconque possède la science du St-Esprit et les ailes de la foi, ne transgresse pas mon avertissement, mais il le reçoit pour en faire les délices de son âme.



  1. Quæ est ista quæ ascendit per desertum deliciis affluens, et innixa super dilectum suum ? (Cant. VIII).
  2. Qui sunt ii qui ut nubes volant, et quasi columbæ ad fenestras suas ? (Isa. LX).
  3. Expandi amictam meum super te, et operui ignominiam tuam, et juravi tibi, et init pactum tecum (Ezech. XVI)