Scivias, ou Les trois livres des visions et révélations/T1/8
VISION QUATRIÈME
Et ensuite je vis une splendeur immense et sereine, rayonnant comme de plusieurs yeux, ayant ses quatre angles tournés vers les quatre parties du monde, qui désignant le secret du Créateur suprême, me fut manifestée dans un grand mystère ; et dans cette splendeur sereine, une autre splendeur, pareille à l’aurore, ayant en soi une clarté d’une lueur empourprée, apparut. Et voici que je vis sur la terre des hommes, qui portaient du lait dans des vases d’argile, et qui en faisaient des fromages ; une partie était épaisse, on en faisait des fromages plus forts ; une autre partie était légère, et les fromages tout petits ; et une troisième partie mêlée de pourriture, dont il résultait des fromages pleins d’amertume. Et je vis comme une forme de femme, ayant dans son sein comme une forme parfaite d’homme. Et voici que par une secrète disposition du Créateur suprême, la même forme manifesta le mouvement de vie ; et une sphère embrasée, n’ayant aucun trait du corps humain, posséda le cœur de cette forme, toucha son cerveau, et se transfusa dans tous les membres. Et ensuite cette forme d’homme, vivifiée de la sorte, sortant du sein de la femme, eut les mouvements conformes à ceux des hommes, sur cette sphère ; et changea sa couleur, suivant leur couleur.
Et je vis que beaucoup de troubles, envahissant une sphère de cette sorte, qui résidait dans le corps humain, la firent courber jusqu’à terre ; mais elle, reprenant ses vertus, se releva avec vigueur, résista virilement, et se plaignit ainsi avec des gémissements : Moi étrangère, où suis-je ? dans l’ombre de la mort. Quel est le chemin que je suis ? La voie de l’erreur. Et quelle consolation puis-je goûter ? Celle des pélerins. Moi en effet, je dus avoir un tabernacle de pierres plus resplendissantes que le soleil et les étoiles ; puisque le soleil couchant et les étoiles mourantes ne devaient pas luire en lui ; mais il devait être rempli de la gloire angélique ; parce que la topaze devait lui servir de fondement, et toutes les gemmes devaient former sa structure ; ses degrés devaient être de pur cristal, et ses parvis devaient être tendus d’or. Car moi, je devais être la compagne des anges, parce que je suis le souffle vivant que Dieu infusa dans la matière aride. C’est pourquoi je devais connaître Dieu et l’aimer. Mais hélas, lorsque mon tabernacle[1] comprit qu’il pouvait de ses yeux regarder en tous sens[2] il se tourna vers l’aquilon. Ah ! Ah ! là, j’ai Été prise et dépouillée de la contemplation et de la joie de la science, mon vêtement a été mis en lambeaux[3] ; et ainsi, chassée de mon héritage[4], j’ai été conduite dans un lieu étranger, qui manque de toute beauté et de toute gloire, et où je suis soumise au plus vil esclavage.
Mais ceux qui entreprirent de me couvrir d’opprobres, me firent partager la pâture des pourceaux ; et m’envoyant ainsi dans un lieu désert, me donnèrent aussi à manger des herbes amères trempées de miel. Ensuite m’étendant sur un pressoir, ils m’affligèrent de nombreux tourments ; et me dépouillant de mes vêtements pour me faire de nombreuses blessures, ils me laissèrent en proie (aux bêtes) ; les serpents et les scorpions venimeux, les aspics et leurs semblables firent ma capture, et me criblèrent de leur venin ; de telle sorte que je devins toute débile et sans force. Alors, me tournant en ridicule, ils me dirent : Où donc est maintenant ton honneur ? Ah ! Alors je fus toute tremblante ; et dans les gémissements de ma douleur, je me dis secrètement en moi-même : Oh ! où suis-je ? Ah ! comment suis-je venue ici ? Et qui chercherai-je, comme consolateur, dans cet esclavage ? Comment rompre ces chaînes ? Qui pourra, de ses yeux, contempler mes blessures ? Qui donc supportera leurs fétides odeurs ? Quelle main, sans frémir, y voudra verser l’huile ? Qui donc, pour mes douleurs, sera miséricordieux ? Que le ciel (plus clément) entende mes clameurs ! Que la terre s’émeuve en voyant ma détresse ! Que tout ce qui vit, s’incline avec pitié vers ma captivité, tant l’amertume de ma douleur m’oppresse ; car je suis étrangère, sans consolation et sans secours. Oh ! qui me consolera ? parce que ma mère elle-même m’a abandonnée ; car je me suis écartée de la voie du salut. Qui m’aidera, si ce n’est Dieu ? Quand je me souviens de toi, ô Sion ! ô ma mère ! toi que j’ai eue pour demeure, alors je vois l’amère servitude à laquelle je suis soumise. Quand je rappelle à ma mémoire le souvenir de tes multiples concerts, alors je considère mes blessures. Quand je me souviens de ton bonheur et ta gloire, alors je déteste le venin dont je suis inféctée. Où me tourner ? Où fuir ? Ma douleur est insondable ! et si mes maux persévèrent, je serai la compagne de ceux que j’ai hantés honteusement, dans la terre de Babylone[5]. Où es-tu, Sion, ô ma mère ? Malheur à moi ! parce que j’ai fui, hélas ! loin de toi ! Si je pouvais t’oublier, ma douleur serait moins amère. Maintenant je fuirai mes horribles compagnons ; parce que l’infortunée Babylone m’a placée dans une balance de plomb, m’a écrasée sous d’énormes travées, de telle sorte que je respire à peine.
Mais quand je répands devant toi, ô ma mère, mes larmes avec mes gémissements, l’infortunée Babylone fait retentir à tel point le mugissement de ses eaux, que tu ne peux être attentive à ma voix. C’est pourquoi, je chercherai avec beaucoup de sollicitude les voies étroites, dans lesquelles je pourrai fuir mes affreux compagnons et ma détestable captivité, — Et après avoir ainsi parlé, j’ai fui dans un étroit sentier, où, pleurant amèrement, je me suis cachée dans une petite caverne, du côté du septentrion : parce que j’avais perdu ma mère. Là, je considérai encore la profondeur de ma détresse, et toutes mes blessures ; et ne cessant de me lamenter, je versai des larmes si abondantes, que toutes mes plaies béantes et saignantes en furent inondées. Et voici qu’une odeur suave, comme provenant de la douce haleine de ma mère, m’enivra de son parfum. Oh ! que de gémissements et de larmes je répandis, en éprouvant cette légère consolation. Et je fis si transportée de joie que l’antre de la montagne, où je m’étais réfugiée, retentit de mes cris d’allégresse. Et je dis : Ô patrie, ô Sion, ô ma mère, qu’adviendra-t-il maintenant de moi ? Où donc est ton illustre fille ? Oh ! depuis combien de temps suis-je privée de tes douceurs maternelles qui, si amoureusement, me remplissaient de délices ? Et la douceur de ces larmes était telle, que je m’imaginais voir ma mère. Mais, mes ennemis entendant mes clameurs, disaient : Où est celle que nous avons gardée jusqu’ici en notre compagnie, selon notre volonté, et qui jusqu’ici s’est conduite selon notre bon plaisir ? Voici qu’elle invoque les habitants du ciel ? Mettons en œuvre tous nos artifices, et gardons-la, avec tant de soin et de sollicitude, qu’elle ne puisse jamais s’éloigner de nous, parce que nous avons pu l’assujettir une première fois. Si nous agissons ainsi, elle nous suivra de nouveau. — Et moi, étant sortie secrètement de l’antre où je m’étais cachée, je désirais monter sur une hauteur où mes ennemis ne puissent me découvrir. Mais eux m’opposèrent une mer si agitée, qu’il m’était impossible de la traverser. Il y avait là un pont si petit et si étroit, que je ne pouvais non plus passer dessus. Et sur les confins de cette mer, se dressaient des montagnes, dont les sommets étaient si hauts, que je sentis l’impossibilité de les atteindre. Et je dis : Oh ! que ferai-je maintenant, moi misérable ? J’avais un peu goûté la bonté de ma mère, je pensais qu’elle me voulait ramener à elle : hélas ! m’abandonne-t-elle de nouveau ? ah ! où irai-je maintenant ?… Car si je retombe dans mon premier esclavage, je serai, plus qu’avant, le jouet de mes ennemis ; parce que j’ai jeté des cris de détresse vers ma mère, j’ai goûté un peu la suavité de sa miséricorde ; et me voici de nouveau délaissée par elle. Mais moi, par cette haleine suave que j’avais senti me venant de ma mère, j’éprouvais encore une telle force, que je me retournai vers l’orient, et que j’essayai de nouveau de suivre les voies très étroites. Et ces sentiers étaient tellement environnés de ronces, d’épines, et d’autres obstacles semblables, qu’à peine jy voyais quelques vestiges (de pas). Mais cependant, avec beaucoup de peine et de sueur, étant parvenue enfin à les traverser, j’éprouvais de ce labeur une si grande lassitude que je pouvais à peine respirer.
Toutefois, m’étant évadée avec beaucoup de fatigue au sommet de la montagne dans le creux de laquelle je m’étais d’abord cachée, je me tournai vers sa vallée ; et comme je voulais y descendre, les aspics, les scorpions, les dragons et les autres serpents de cette sorte, venant au-devant de moi, me firent entendre leurs sifflements. Et moi, épouvantée, je jetai de grands cris, en disant : Ô mère, où es-tu ? Ma douleur serait moins vive si je n’avais pas ressenti déjà la douceur de ta visite ! Vais-je retomber de nouveau dans cette captivité où j’étais plongée auparavant ? Où donc est ton secours, maintenant ? Alors, j’entendis la voix de ma mère qui me disait : Ô fille, cours, car des ailes t’ont été données, afin que tu voles, par le puissant donateur auquel nul ne peut résister. Vole donc au-dessus de toutes ces contrariétés, avec la rapidité (de tes ailes). Et moi, réconfortée par beaucoup de consolations, je déployai ces ailes, et je traversai rapidement tous ces serpents venimeux et mortels.
Et j’arrivai devant un tabernacle bâti sur des bases indestructibles. Et y pénétrant, j’accomplis les œuvres de lumière, après avoir exercé les œuvres des ténèbres. Et dans ce tabernacle, au septentrion, je plaçai une colonne de fer non poli, sur laquelle je suspendis çà et là des ailes diverses, qui s’agitaient comme des éventails, et trouvant de la manne, je la mangeai. Mais à l’orient, je construisis un fort de pierres quarrées ; et y allumant du feu, je bus du vin doux mêlé avec la myrrhe. Au midi, je construisis de même une tour, dans laquelle je suspendis des boucliers de couleur rouge ; et aux fenêtres, je plaçai des trompettes d’ivoire. Au milieu de cette tour, je versai du miel, duquel je fis un parfum précieux, avec d’autres aromates ; de telle sorte que, son odeur puissante se répandait dans toute l’enceinte du tabernacle. À l’occident je n’édifiai aucune œuvre, parce que cette partie était tournée vers le siècle. — Mais pendant que j’étais occupée, à ce labeur, mes ennemis, saisissant leurs carquois, attaquèrent mon tabernacle avec leurs flèches ; et moi, à cause du soin que j’apportais à mon ouvrage, je ne fis aucune attention à leur perfidie ; jusqu’à ce qu’ils eurent criblé de flèches les portes du tabernacle : aucune flèche cependant ne put entamer la porte, ni pénétrer la pierre du tabernacle ; et moi-même, je ne fus nullement blessée. Ce que voyant, ils envoyèrent une grande inondation pour me détruire, moi et mon tabernacle ; mais par leur malice, ils n’aboutirent à rien. C’est pourquoi, je me moquais d’eux audacieusement, en disant : L’architecte qui a édifié ce tabernacle est plus savant et plus fort que vous. Ramassez vos flèches et déposez-les, parce qu’elles ne pourront désormais remporter sur moi aucune victoire, selon votre volonté. Voyez quelles blessures elles ont faites ? Moi, avec beaucoup de peine et de labeur, je vous ai livré plusieurs combats, lorsque vous vouliez me mettre à mort. Ce que vous n’avez pu faire, parce que je suis munie d’armes très redoutables : J’ai dirigé vers vous des glaives tranchants, par lesquels je me suis vaillamment défendue contre vos attaques. Retirez-vous donc, retirez-vous, parce qu’à l’avenir, vous ne pourrez plus me posséder !
Mais moi, débile et ignorante, je vis aussi plusieurs tourbillons, qui se jetant sur une autre sphère, voulurent la détruire, et ne purent le faire, parce que celle-ci, résistant fortement, ne leur donna pas le temps d’appesantir leur fureur sur elle ; cependant elle se plaignit en ces termes : Bien que je sois très indigente, je dois remplir un grand office. Oh ! que suis-je ? Et quel est l’objet de ma plaintive clameur ? Je suis placée, comme souffle de vie, dans l’homme, dans le tabernacle des moelles, des veines, des os et de la chair ; de telle sorte que je donne la vie à ce tabernacle, et je le dirige en tous sens, dans ses mouvements. Mais hélas, sa sensibilité produit la corruption, l’impureté, la violence des mœurs, et tous les genres de vices. Ah ! avec quels gémissements je me plains !
Car lorsque je possède toutes les ressources de la vie dans les œuvres de mon tabernacle, la persuasion diabolique qui m’enveloppe en toutes choses dans ses filets, vient à mes devants ; et, dans un souffle d’orgueil, elle m’exalte à ce point, que je dis souvent : Je veux agir suivant la concupiscence des forces de ma terre (chair) ! car, dans mon tabernacle, je comprends toutes les œuvres ; mais je suis tellement gênée par cette concupiscence (de ma chair), que je ne distingue pas mes œuvres, avant de ressentir en moi de cruelles blessures. Oh ! combien je gémis alors ! Et je dis : Ô Dieu, ne m’avez-vous pas créée ? Voici que la terre vile m’opprime.
Et ainsi vais-je me réfugier en elle ? Comment ? Lorsque mon tabernacle éprouve la concupiscence charnelle ; alors, comme je ressens de la volupté dans l’acte, j’accomplis cet acte avec elle (l’âme avec la chair). Mais la raison qui est en moi avec la science, me montre que j’ai été créée par Dieu ; et en vertu de cette raison, je comprends qu’Adam, ayant transgressé le précepte divin, se cacha. C’est ainsi que moi-même, pénétrée de crainte, j’évite la face de Dieu ; lorsque je sens que les œuvres que j’accomplis dans mon tabernacle sont contraires à Dieu. Mais lorsque je les pèse sur la balance de plomb du péché, je méprise toutes ces œuvres, qui s’accomplissent avec ardeur dans la concupiscence charnelle. Hélas, comme je suis sujette à l’erreur ! Comment pourrai-je vivre au milieu de ces périls ? Et lorsque la persuasion diabolique m’envahit par ces paroles : Est-ce donc un bien ce que tu ignores, ce que tu ne vois pas, et ce que tu ne peux faire : qu’en sera-t-il ? Et lorsque Satan dit de nouveau : Ce que tu connais, ce que tu comprends, ce que tu peux faire, pourquoi le délaisses-tu ? — Que ferai-je alors ? Mais je répondrai, pleine de douleur : Ah ! misérable que je suis ! Parce que, par Adam, des poisons impurs ont été infusés en moi, lorsque lui-même, ayant transgressé le précepte divin, et s’étant ravalé à terre, a édifié les tabernacles de chair. Car dans le goût qu’il (Adam) trouva dans la pomme, par sa désobéissance, se mêla la douceur nuisible de la chair et du sang, ce qui produisit la corruption des vices. C’est pourquoi je sens en moi le péché de la chair ; et je néglige le Dieu de pureté, parce que je suis énivrée par la faute. Mais ce qui a le goût de mon tabernacle (de ma chair), je ne dois pas le suivre. Car, de ce qu’Adam, dans sa première apparition, fut créé par Dieu, dans un état de simplicité et de pureté : Je crains Dieu, sachant que j’ai été créée par lui pure et simple. Mais cependant, par la mauvaise habitude du vice, je suis dans l’inquiétude. Oh ! dans toutes ces choses je suis étrangère et exposée à l’erreur ! Les tourbillons des voix diverses profèrent de nombreux mensonges, qui se font entendre en moi en ces termes : Qui es-tu ? Et que dis-tu ? Et quels sont les combats que tu livres ?
Car tu es malheureuse. Tu ignores, en effet, si ton œuvre est bonne ou mauvaise. Où aboutiras-tu enfin ? Et qui te conservera ? Et quelles sont ces erreurs qui te conduisent à la folie ? Accompliras-tu ce qui te donne du plaisir ; fuiras-tu ce qui nuit à ton essor ? Oh ! que feras-tu ? car tu le sais et tu l’ignores. Ce qui te délecte, en effet, ne t’est pas permis ; et ce qui te déplaît, tu dois l’accomplir, en vertu du précepte divin. Et comment sais-tu, qu’il en est ainsi ? Il vaudrait mieux pour toi, ne pas être ! — Et, après que ces tourbillons (troubles) s’étaient élevés en moi, je commençais de suivre une autre voie qui est dure à ma chair, parce que c’est la voie, de la justice. Mais, de nouveau le doute s’élève en moi, et j’ignore si c’est par la grâce du St-Esprit, ou non ; et je dis : Cela est inutile ! Et ensuite, je veux voler au dessus des nues. De quelle manière ? Je veux m’élever au dessus de mon intelligence, et entreprendre ce que je ne puis achever. Mais lorsque je tente de le faire, une grande tristesse s’empare de moi, de telle sorte que je n’accomplis aucune œuvre, ni dans les hauteurs de la sainteté, ni dans le terre-plein de la bonne volonté, mais j’éprouve en moi l’inquiétude du doute, du désespoir, de la tristesse, de l’oppression de toutes choses. Et lorsque la persuasion diabolique me trouble de la sorte. Oh ! quelle calamité m’écrase alors ! parce que tous les maux qui sont ou peuvent être, dans le blâme, dans la malédiction, dans la mortification du corps et de l’âme, dans les paroles impures contre la chasteté, le salut, et la grandeur de Dieu : tout cela est la cause de mon infélicité.
D’où cette iniquité s’élève en moi, à savoir, que toute félicité et tout bien qui est, soit dans l’homme soit dans Dieu, me sera pénible et à charge, parce qu’il me propose plutôt la mort que la vie. Ah ! quel malheureux combat se livre en moi, qui me fait passer d’un labeur dans un autre, d’une douleur dans une autre, d’un schisme dans ün autre schisme ; et m’enlève toute félicité !
Mais d’où vient le mal que causent ces erreurs ? De ceci, à savoir : L’antique serpent, en effet, possède en lui la ruse, la fourberie, et le venin mortel de l’iniquité. Dans son astuce, il me suggère l’obstination du péché, en détournant mon intelligence de la crainte du Seigneur ; de telle sorte que je ne crains pas de pécher, en me disant : Qui est Dieu ? Je ne sais qui est Dieu ! Et dans sa trompeuse fourberie, il me suggère l’entêtement ; de telle sorte que je m’obstine dans le péché. Mais par ce poison mortel de l’iniquité, il me prive de toute joie spirituelle, de telle sorte que je ne puis me réjouir en Dieu ; et j’éprouve l’étreinte du désespoir, car je doute si je puis être sauvée ou non. Oh ! quels sont ces tabernacles (de chair) qui supportent tant de périls, par la fourberie de Satan ? Mais lorsque, par la grâce de Dieu, je me souviens de ce qu’il a fait ; alors, au milieu de ces oppressions, je réponds ainsi à ces persuasions diaboliques : Moi, je ne le céderai pas à la chair fragile ; mais je lui livrerai des guerres redoutables. Comment ? Puisque le tabernacle (de ma chaîir) veut accomplir des œuvres injustes, je me défendrai, en réprimant mes moelles, mon sang et ma chair, dans la sagesse de la patience, comme se défend le lion redoutable, ou le serpent, qui pour éviter la mort se renferme dans son antre. Car je ne dois pas me laisser atteindre par les flèches de Satan, ni exercer la volonté de la chair. Comment ?
Lorsque la colère veut porter ses efforts vers mon tabernacle, je regarde vers la bonté de Dieu, que la colère n’émeut jamais ; et ainsi, par cet air qui fertilise de sa douce haleine l’aridité de la terre, je deviens plus douce, et je jouis d’une joie toute spirituelle ; lorsque les vertus commencent à montrer en moi leur vigueur. Et c’est ainsi que j’éprouve la bonté de Dieu. Mais lorsque la haine veut tenter de me dénigrer : Je considère la miséricorde et le martyre du Fils de Dieu et ainsi, je réprime ma chair, en respirant dans la fidélité du souvenir, le parfum suave des roses qui naissent du milieu des épines ; et de la sorte, je reconnais mon Rédempteur. Lorsque l’orgueil superbe s’efforce d’élever en moi, sans le fondement de la pierre (angulaire, le Christ), la tour de sa vanité, et d’ériger en moi ce sommet qui prétend que nul ne l’égale en hauteur, mais veut paraître plus élevé que les autres : Oh ! alors, qui voudra me secourir ? parce que l’antique serpent, qui voulant l’emporter sur tout, se précipita dans la mort, s’efforce de me renverser. Alors je dis, dans mon abattement : Où est mon roi et mon Dieu ? Que puis-je faire de bien sans Dieu ? Rien. Et ainsi, je regarde vers Dieu qui m’a donné la vie ; et je cours vers la bienheureuse vierge qui écrasa l’orgueil de l’antique serpent ; et de la sorte, devenue une pierre inébrantable de la maison de Dieu, le loup très rapace, qui a été pris au piège de la divinité, ne pourra plus désormais l’emporter sur moi. Et ainsi je connais le bien le plus doux, c’est-à-dire l’humilité, dans la contemplation de la grandeur de Dieu ; surtout, par le souvenir de l’humilité de la Vierge bienheureuse, toute embaumée de ses parfums suaves ; et, pénétrée de la douceur divine, jouissant de délices infinies, je repousse victorieusement les autres vices.
— Ensuite, moi misérable, je vis qu’une autre sphère, brisant ses liens, se retira de sa forme avec des gémissements, et dans les douleurs brisa son siège. Et elle dit : Je sortirai de mon tabernacle ! Mais moi, misérable, pleine de tristesse, où irai-je ? — Par des sentiers terribles et redoutables, vers le tribunal, pour y être jugée. Là, je montrerai les œuvres que j’ai accomplies dans mon tabernacle ; et je recevrai là ma récompense selon mes mérites. Oh ! quelle crainte ! Oh ! quelle détresse sera la mienne ! Et comme la dissolution s’opérait ainsi : quelques esprits de la lumière et de l’ombre vinrent, qui avaient été ses compagnons et les instigateurs de sa conduite, pendant qu’elle était dans sa demeure (son corps), attendant sa désagrégation afin de l’emmener avec soi, lorsque (la mort) serait venue. Et j’entendis la voix de vie qui disait : qu’elle soit conduite selon ses œuvres, de tel lieu à tel lieu. Et j’entendis de nouveau une voix qui me disait : La Bienheureuse et ineffable Trinité s’est manifestée au monde, lorsque le Père a envoyé dans le monde son Fils unique, conçu du St-Esprit, et né de la Vierge ; afin que les hommes, nés dans beaucoup de conditions différentes, et pris dans les liens du péché, soient conduits par lui (le Christ) dans la voie de la vérité ; de telle sorte que, après avoir brisé leurs fragiles entraves corporelles, apportant avec eux leurs bonnes et saintes œuvres, ils puissent recueillir les joies du suprême héritage.
Pour que, Ô homme, tu puisses mieux approfondir (ces choses) et en porter un jugement plus sûr : tu vois une splendeur plus imposante et plus sereine, qui rayonne comme de plusieurs yeux, et qui a quatre angles tournés vers les quatre parties du monde, ce qui signifie l’infinité et la pureté de la science de Dieu, dans ses mystères et dans ses manifestations, resplendissant d’une grande profondeur d’évidence, et étendant aux quatre parties du monde les flèches aigues de sa quadruple stabilité ; où elle-même prévoit d’une manière très claire, ceux qui doivent être rejetés, et ceux qui doivent être recueillis ; en montrant le mystère de la suprême majesté : ce qui est signifié, comme tu vois, par l’image de la hauteur et de la profondeur infinies. Dans cette forme, une autre splendeur semblable à l’aurore, qui apparaît, avec une clarté empourprée, signifie que la science de Dieu montre aussi que le Fils unique du Père, prenant la chair de la Vierge, daigna verser son sang, dans la simplicité de la foi, pour le salut des hommes. En vertu de cette science de Dieu, les bons et les méchants sont connus ; parce que cette science ne peut être obscurcie par les ténèbres d’aucune sorte. Mais toi, ô homme, tu dis : Que fait l’homme, puisque Dieu prévoit tout ce qu’il doit faire ? À quoi je réponds : Dans la méchanceté de ton cœur, tu imites celui qui le premier, refusant de suivre la voie de la vérité, opposa le mensonge à la vérité, lorsqu’il voulut se rendre semblable à la souveraine bonté. Eh ! Qui peut savoir le commencement et la fin de tout ce qui est, fut et sera ? Mais toi qui es-tu ? Poudre de cendre ! Et que savais-tu quand tu n’étais pas ? Mais toi qui as un commencement lamentable et une fin misérable, tu contredis à ce que tu ignores, et ce que tu ne peux savoir ; c’est-à-dire l’incompréhensible beauté de la justice de Dieu, dans laquelle ne se trouve aucun soupçon d’injustice dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. Ô insensé ! où penses-tu que se trouve le père de l’iniquité, que tu imites ? — Quand cela ? — Lorsque l’orgueil t’élève au-dessus des astres, et sur les autres créatures ; et que tu veux monter au-dessus des anges qui accomplissent les préceptes divins, en toutes choses et par dessus tout. Mais toi aussi tu tomberas, comme est tombé celui qui opposa le mensonge à la vérité. Car il (Satan) aima le mensonge, et enveloppé dans la mort, il tomba dans l’abîme. C’est pourquoi, ô homme, prends garde ! Lorsque tu ne considères, ni cette charité par laquelle Dieu t’a délivré, ni les bienfaits dont il t’a sans cesse comblé, ni la manière dont il veut te retirer de la mort : tu tombes fréquemment dans le péché, préférant la mort à la vie. Si entin tu rappelles à ton esprit les écritures, et ces doctrines proposées par tes anciens pères dans la foi, à savoir : que tu dois éviter le mal, et faire le bien ; si tu dis alors dans le fond du cœur : j’ai gravement péché ! c’est pourquoi il m’importe de revenir, par une digne pénitence, vers mon père qui m’a créé : alors, ton père te reçoit avec bonté ; et te reposant sur son sein, il te comble de ses douces caresses. Mais maintenant tu fais fi de cette béatitude qui t’est proposée, et tu refuses d’écouter et d’accomplir la justice de Dieu. Bien plus, s’il était possible, tu dirais du jugement de Dieu qu’il est plutôt injuste que juste. C’est pourquoi, si tu n’étais pas racheté par le sang du Fils de Dieu, tu serais gisant dans la perdition. Mais le jugement de Dieu est juste et véritable ! C’est pourquoi, ô homme, quel sera l’avantage que tu recueilleras de mon jugement ? — Dans le chœur des anges et dans ma vigne choisie, on entend la louange de ceux qui chantent et disent : Gloire à vous Seigneur qui êtes juste et véritable ! et ils ne contrediront pas à mon jugement ; parce qu’eux-mêmes sont justes. Mais quel profit aura Satan d esa révolte contre moi ? — Celui-ci, lorsqu’il vit sa grande beauté, voulut s’exalter au-dessus de tous ; de telle sorte, qu’une foule innombrable d’esprits superbes le suivirent dans sa révolte ; et la puissance divine, dans le zèle de sa justice, les bannit (du ciel) avec lui. Ainsi seront bannis ceux qui, persévérant dans le mal, méprisent la justice de Dieu, parce qu’ils s’efforcent de changer le souverain bien en malice. Dieu n’est donc nullement la cause de l’injustice ; car il a ordonné, dans l’équité de sa bonté, tout ce qui est droit.
Mais ces hommes, qui dans leur infidélité abandonnèrent Dieu, se faisant des idoles dans lesquelles le démon entra pour les tromper, se livrèrent à la folie de cette vanité, après cette génération d’hommes auxquels Adam et Ève avaient dit, comment ils avaient été créés par Dieu, et comment ils avaient été chassés du paradis. Les autres, les suivant dans cette même perversité, adorèrent la créature de Dieu, de préférence au créateur lui-même ; et ils pensèrent que les créatures sans vie, pouvaient disposer de leur vie. — Que ceux qui croupissent encore dans cette infidélité, se guérissent de leur folie, et reviennent fidèlement vers celui qui a brisé les chaînes de Satan ; se délivrant de ces vieilles erreurs de l’ignorance, et embrassant une vie nouvelle ; comme les y exhorte mon serviteur Ezéchiel, lorsqu’il dit : Rejetez loin de vous toutes les prévarications dans lesquelles vous vous êtes souillés, et faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau[6]. Ce qui signifie : Ô vous qui voulez persévérer dans la voie droite, sous les rayons du soleil de justice dont les brebis bienheureuses suivent les chemins, éloignez de la conscience de votre cœur la recherche des choses occultes, qui vous sont inutiles au point de vue de la doctrine nécessaire et salutaire, et par lesquelles vous voulez voler à des hauteurs inaccessibles, tandis que vous êtes plongés dans ce gouffre affreux où, loin de l’ordre, n’habite que cette horrible confusion qui ignore Dieu. Et lorsque vous aurez fait cela, suivez toujours la voie de la vérité pour votre salut ; et vous découvrirez dans votre cœur, la nouveauté d’un ciel resplendissant ; et vous posséderez dans votre esprit, la nouveauté d’une inspiration vivifiante.
Tu vois aussi sur la terre des hommes qui portent du lait dans des vases d’argile, et qui en font des fromages : ce sont, dans le monde, les hommes et les femmes qui ont dans leur corps la semence humaine, de laquelle proviennent les diverses espèces de peuples : une part de ce lait est épaisse et donne des fromages bien formés ; parce que cette semence dans sa vertu, étant utilement mûrie et tempérée, produit des hommes vigoureux, auxquels est attribuée une grande illustration des dons de l’esprit et du corps, par la vertu des père et mère qui les possèdent ; de telle sorte que, pour l’acquisition de la prudence, de la distinction et de la conduite de la vie, ils sont florissants dans leurs œuvres, devant Dieu et devant les hommes ; parce que le démon ne trouve pas en eux de place. Une autre part du lait est plus faible ; et les fromages qu’on en fait, sont plus petits : parce que cette semence, dans sa légèreté, n’étant pas parfaitement mûrie et tempérée, produit des hommes débiles et souvent stupides, mous et inutiles, auprès de Dieu et dans le siècle, par l’accomplissement de leurs œuvres ; car ces hommes ne cherchent pas Dieu avec courage. Mais une troisième partie (du lait) est mêlée de corruption, et l’on en fait des fromages d’un goût amer : parce que la semence (humaine) à cause de la faiblesse du mélange, extraite à contre temps et inutilement mêlée, procrée des hommes qui éprouvent souvent des amertumes, des embarras, et des oppressions ; c’est pourquoi ils ne peuvent élever leur cœur vers les choses supérieures. Cependant, grand nombre de ceux-là deviennent utiles, bien qu’ils aient à souffrir beaucoup de tempêtes et de troubles, dans leur caractère et dans leurs mœurs ; mais ils en sont victorieux, car s’ils se laissaient aller à leur tristesse, ils se rendraient lâches et inutiles.
C’est pourquoi Dieu, pour les encourager, les aide et les conduit à la voie du salut, comme il est écrit : C’est moi qui ferai mourir, et c’est moi qui ferai vivre ; je blesserai et je guérirai, et nul ne peut éviter de tomber entre mes mains[7]. Ce qui veut dire : Moi qui suis (l’être par excellence)[8] n’ayant ni commencement ni fin, je frappe de mort les hommes corrompus dans leurs actes, ceux qui, par les souillures du démon, s’amollissent dans le vice ; et qui, dans les enfantements provenant d’une source impure, sont trompés par les artifices du démon. Oh ! qu’elle est aiguisée la dent de la vipère, qui les remplit de son venin, pour que la mort pénètre en eux ! C’est pourquoi, je ruine leur prospérité dans ce siècle ; et par de nombreuses afflictions, qu’ils ne peuvent surmonter, ils disparaissent, sans qu’ils puissent se plaindre de la justice du jugement qui les accable. Mais moi, qui ne suis vaincu par aucune malice, je les fais vivre souvent misérablement dans d’autres conditions : quand je retire des choses terrestres, vers les régions célestes, le souffle de vie, de peur qu’il ne périsse[9]. Je terrasse aussi parfois par des afflictions, et par l’accablement du labeur de la vie, ceux qui, dans l’orgueil de leur esprit, désirent s’élever à des hauteurs dangereuses, dans la persuasion qu’ils ne peuvent être renversés par personne ; et je les élève parfois à la vraie santé (de l’âme), de peur qu’ils ne soient consumés par les fausses vanités, au milieu des périls qu’elles engendrent. Mais en toutes ces choses, ni l’homme ni les autres créatures, ne peuvent empêcher par leur ruse ou leur puissance, les effets de mon œuvre ; parce qu’il n’y a personne qui puisse résister à ma volonté et à ma justice.
Souvent aussi, comme tu le vois, dans l’aveuglement de mon oubli et de la malice de Satan, l’union de l’homrme et de la femme s’accomplit, et donne lieu à la naissance d’enfants difformes ; afin que les parents qui ont transgressé mes préceptes, étant tourmentés dans leurs enfants, reviennent à moi, par la pénitence. Souvent aussi, je permets cette procréation (monstrueuse) parmi les hommes, pour ma gloire et celle de mes saints ; afin que, ceux qui sont ainsi disgrâciés de la nature, étant ramenés à la santé par l’intervention de mes élus, mon nom soit glorifié par les hommes avec plus d’ardeur, à cause des miracles.
— Mais ceux qui s’astreignent à cette loi, dont l’accomplissement leur fait désirer l’honneur de la virginité, s’élèvent comme l’aurore vers les régions mystérieuses du ciel ; parce que, pour l’amour de mon Fils, ils retranchent de soi la délectation charnelle.
— Cette forme féminine que tu vois, portant dans son sein une forme humaine parfaite, signifie, qu’après que la femme a reçu la semence humaine, l’enfant se forme avec l’intégrité de ses membres, dans la cellule cachée du sein de sa mère. Et voici que, par une secrète disposition du divin Créateur, la même forme (embryonnaire) témoigne du mouvement de la vie : parce que, dès qu’en vertu d’un ordre et de la volonté mystérieuse de Dieu, l’enfant a reçu l’esprit (le souffle de vie) dans le sein maternel, au moment établi et voulu par Dieu, il montre par les mouvements de son corps, qu’il vit ; comme la terre s’entr’ouvre et laisse épanouir les fleurs de son fruit, lorsque la rosée est descendue sur elle. De telle sorte que c’est comme une sphère de flammes, n’ayant aucun trait du corps humain, qui possède le cœur de cette forme, parce que l’âme, brûlant dans le foyer de la souveraine science, distingue diverses choses dans le cercle de sa compréhension. Et cette sphère n’a aucun trait du corps humain, parce qu’elle n’est ni corporelle, ni éphémère, comme l’est le corps de l’homme ; et qu’elle lui donne la force et la vie, en ce qu’étant comme le fondement du corps, elle le régit tout entier ; et de même que le firmament du ciel contient les régions inférieures et touche aux supérieures, de même le cerveau de l’homme, dans le rayonnement de ses vertus, embrasse et goûte les choses du ciel et de la terre ; puisque l’âme connaît sciemment Dieu, et pénètre dans tous les membres du corps, en donnant aux moelles, aux veines et à toutes les parties, la force et la vie ; comme l’arbre distribue à tous ses rameaux la sève et la vigueur qui lui viennent de ses racines. Mais ensuite cette forme humaine, ainsi vivifiée dans le sein de la mère, possède, lorsqu’elle en sort, les mouvements que lui imprime la sphère (de flammes) qui est en elle ; et suivant ces mouvements, elle change aussi sa couleur, parce que, après que l’homme a reçu dans le sein de la mère le souffle de vie, qu’il est né, et qu’il a manifesté les mouvements de ses actes, selon les œuvres que l’âme accomplit avec le corps, les mérites lui viennent de ces mêmes œuvres ; car il revêt la splendeur des bonnes (œuvres) et se couvre des ténèbres des mauvaises.
Cette même sphère (de flammes) montre sa vigueur, suivant les énergies corporelles ; de telle sorte que, dans l’enfance de l’homme, elle fait preuve de simplicité ; dans la jeunesse, de force ; et dans la plénitude de l’âge, comme toutes les veines de l’homme se dilatent dans leur parfait développement, elle manifeste la puissance de ses vertus par sa sagesse ; comme l’arbre, délicat dans son premier germe, montre ensuite son fruit, et s’épanouit dans toute sa force. Mais dans la vieillesse de l’homme, lorsque ses moelles et ses veines commencent à ne plus soutenir le corps, qui se penche à cause de sa faiblesse : l’âme de l’homme, comme prise du dégoût de la science, montre moins de vigueur ; de même que la sève de l’arbre, quand vient le temps de l’hiver, se glace dans le tronc et dans les branches, et, lui aussi, se penche vers la terre.
Mais l’homme a en lui trois sentiers (manière d’être). Qu’est-ce cela ? L’âme, le corps et le sens ; et c’est par eux que la vie s’exerce. Comment ? L’âme vivifie le corps et entretient la pensée, le corps attire l’âme et manifeste la pensée (ou le sentiment) ; mais les sens touchent l’âme et flattent le corps. Car l’âme donne la vie au corps, comme le feu fait pénétrer la lumière dans les ténèbres, au moyen de deux forces principales qu’elle possède, l’intelligence et la volonté, qui sont comme ses deux bras ; non que l’âme ait deux bras pour se mouvoir, mais parce qu’elle se manifeste par ces deux forces, comme le soleil par sa splendeur.
C’est pourquoi, ô homme, toi que n’alourdit pas le poids de la chair, apporte ton attention à la science des Écritures. L’intelligence est fixée à l’âme comme le bras au corps. Car, de même que le bras auquel est unie la main avec les doigts, s’étend en avant du corps : ainsi l’intelligence avec la coopération des autres forces de l’esprit, par lesquels elle comprend tous les actes humains, procède de l’âme ; car plus que les autres facultés, elle comprend tout ce qui est dans les actes humains, soit en bien soit en mal ; de telle sorte que par cet (intellect) comme par un maître, l’homme saisit tout ce qu’il est (susceptible) de comprendre ; parce que, de cette manière l’âme discerne toutes choses, comme le froment est expurgé de tout mélange ; en recherchant ce qui est utile ou inutile, aimable ou détestable, ce qui est un principe de vie ou de mort.
De même que la nourriture sans le sel est fade, ainsi les autres facultés de l’âme sont insipides et sans clairvoyance, étant privées d’intelligence. Mais celle-ci, qui est dans l’âme comme l’épaule dans le corps et la moelle dans le cerveau, comprend en Dieu la divinité et l’humanité : elle est comme la jointure du bras ; et lorsque la foi guide ses actes, c’est l’inflexion de la main, qui dans son discernement, distingue comme par ses doigts, les diverses œuvres ; car l’intelligence n’agit pas comme les autres facultés de l’âme. Que signifie cela ?
La volonté en effet active l’œuvre, l’esprit la reçoit, et la raison la produit ; mais l’intelligence comprend l’œuvre et en montre le bien ou le mal ; comme les anges, qui aiment le bien et détestent le mal, ont l’intelligence.
Et de même que le corps renferme le cœur, ainsi l’âme possède l’intelligence, qui exerce sa vertu dans une partie de l’âme, comme la volonté dans une autre. Comment ? La volonté en effet est la grande force de l’âme. Comment ? L’âme réside dans un angle de la maison, c’est-à-dire dans le firmament du cœur, comme un homme qui, se trouvant dans un coin de sa maison, d’où il peut l’apercevoir toute, la dirige, levant son bras droit, pour signifier et montrer tout ce qui est utile à sa maison, en se tournant vers l’Orient.
Ainsi fait l’âme, pour toutes les parties du corps, en regardant vers l’Orient ; elle établit sa volonté, qui est comme son bras droit, dans le firmament des veines et des moelles, pour diriger le mouvement de tout le corps ; car c’est la volonté qui accomplit toutes choses, le bien et le mal.
La volonté est semblable au feu qui cuit chaque chose comme dans une fournaise. Le pain est cuit par lui, afin que les hommes soient réconfortés, en se nourrissant, et que, de la sorte, ils vivent. Ainsi la volonté est la force, le soutien de tout l’ouvrage ; parce que c’est elle qui faiblit dans la déception, et fermente dans la puissance, comme elle broie dans la rudesse ; et ainsi, préparant son œuvre, comme le pain, avec prudence : elle le cuit dans la plénitude de son ardeur, pour la perfection ; et de cette manière, elle donne aux hommes une nourriture plus substantielle, dans l’œuvre (qu’il accomplit). que dans le pain (qu’il mange) ; car l’homme s’arrête parfois de prendre la nourriture, mais l’œuvre de la volonté dure en lui, jusqu’à la séparation de l’âme d’avec le corps ; et malgré la diversité de son labeur, dans l’enfance, la jeunesse, l’âge mûr et la décrépitude : c’est toujours par la volonté qu’il agit et démontre sa perfection. Mais la volonté a, dans l’intime de l’homme, un tabernacle : c’est l’âme, que l’intelligence et la volonté elle-même, ainsi que chaque faculté de l’âme, alimentent de leur vertu ; toutes ces facultés entretiennent leur flamme dans le même tabernacle, et s’unissent l’une à l’autre. Comment ? Si la colère s’éveille, le fiel s’enfle ; et envoyant sa fumée dans le tabernacle, il irrite la colère. Si une honteuse délectation surgit, l’incendie de la volupté s’allume dans l’œuvre qui lui est propre, l’impétuosité, qui est la caractéristique du péché, se donne libre cours ; et se confond avec elle dans le même tabernacle. Mais il est une autre douce jouissance produite dans ce tabernacle, par le saint Esprit ; l’âme s’y complaisant, la reçoit avec fidélité ; et accomplit au moyen des célestes désirs, l’œuvre salutaire. Il y a aussi une certaine tristesse, de laquelle, dans le même tabernacle, provenant des humeurs qui environnent le fiel, naît la torpeur, l’indignation, l’endurcissement et l’opiniâtreté qui dépriment l’âme ; si elle n’est soustraite à ce mal, par le secours de la grâce de Dieu. Mais comme des éléments divers et contraires se rencontrent dans ce tabernacle, fréquemment, il est agité par la haine et les autres passions mortelles, qui tuent l’âme, et préparent de grandes ruines pour sa perdition. Or, lorsque la volonté le veut, elle met en mouvement tous les moyens d’action de son tabernacle ; et dans son ardeur, les abandonne, soit pour le bien, soit pour le mal. Que si ces moyens plaisent à la volonté, c’est là qu’elle fait cuire sa nourriture, et qu’elle la propose à l’homme, pour qu’il la goûte. Et dans le même tabernacle une troupe nombreuse pour le bien et le mal se lève ; comme une armée rassemblée (pour le combat), en quelque lieu. Mais lorsque le général de cette armée survient, si les troupes lui plaisent, il les prend sous ses ordres ; si elles lui déplaisent, il les disperse : ainsi fait la volonté. Comment ? Si le bien ou le mal surgissent dans son sein, la volonté l’accomplit ou le néglige. Mais, dans l’intelligence et la volonté, la raison se montre comme l’expression de l’âme, laquelle achève toute œuvre, soit de Dieu, soit de l’homme. Car le son porte haut la parole, comme le vent soulève l’aigle, pour qu’il puisse voler ; c’est ainsi que l’âme envoie le son, qui provient de la raison, pour qu’il soit entendu et compris des hommes ; afin qu’ils saisissent sa portée, et que chaque œuvre soit menée à sa perfection. Mais le corps est le tabernacle et le soutien de toutes les facultés de l’âme ; parce que l’âme habitant dans le corps, opère avec lui, et le corps avec elle, dans le bien comme dans le mal.
Or, le sens (le sentiment) est la faculté à laquelle l’œuvre des forces intérieures de l’âme adhère ; de telle sorte qu’elles sont connues par lui dans les fruits de chaque œuvre, et qu’il leur est assujetti ; car elles le conduisent à l’œuvre, et ce n’est pas lui qui leur impose l’action ; parce qu’il est leur ombre, faisant suivant ce qui leur plaît. Mais l’homme extérieur s’éveille d’abord avec le sens, dès le ventre de la mère, avant sa naissance ; les autres facultés de l’âme restant encore cachées. Que signifie cela ? L’aurore annonce la lumière du jour : ainsi le sens (la sensibilité) de l’homme indique toutes les facultés de l’âme, avec la raison. Et comme la loi et les prophètes sont renfermés dans deux préceptes du Seigneur, ainsi le sens (la sensibilité) de l’homme a son siège dans l’âme et dans ses facultés. Que signifie cela ? La loi est établie pour le salut de l’homme, et les prophètes manifestent les secrets divins ; ainsi, la sensibilité de l’homme détourne de lui tout ce qui est nuisible, et découvre l’intérieur de l’âme. Car l’âme vivifie le sens. Comment ? Elle anime la face de l’homme et le dote du regard, de l’ouïe, du goût, de l’odorat et du toucher, de telle sorte que l’homme ému dans sa sensibilité, est plus vigiiant en toutes choses ; puisque le sens est le signe de toutes les facultés de l’âme, comme le corps est le vase de l’âme. Comment ? Le sens est l’aboutissant de toutes les forces de l’âme. Que signifie cela ? On connaît l’homme par sa face, il voit par ses yeux, il entend par ses oreilles, la bouche est l’organe de sa parole, les mains sont l’organe du toucher, et par les pieds il marche ; ainsi, les sens sont dans l’homme, comme des pierres précieuses et comme un riche trésor scellé dans un vase. Et de même que l’on voit le vase avant de connaître le trésor qu’il renferme, ainsi par le sens, on devine les autres facultés de l’âme. Mais l’âme est la maîtresse, la chair est la servante. Comment ? L’Âme régit tout le corps en le vivifiant, et le corps reçoit le gouvernement de celle qui le vivifie ; parce que si l’âme ne vivifiait pas le corps, celui-ci tomberait en dissolution. Et, quand l’homme accomplit le mal, avec la connaissance de l’âme, celle-ci en éprouve la même amertume, que lorsque le corps reçoit sciemment le poison. L’âme se réjouit d’une bonne œuvre, comme le corps se délecte d’une nourriture délicate. Et l’âme pénètre dans le corps, comme la sève dans l’arbre. Que signifie cela ? Par la sève l’arbre est verdoyant, il produit des fleurs et des fruits, de même le corps par l’âme. De quelle manière le fruit de l’arbre parvient-il à sa maturité ? Par la températute de l’air. Comment ? Le soleil ie réchauffe, la pluie l’arrose, et ainsi il mûrit à la température de l’air. Que signifie cela ? La miséricorde de la grâce de Dieu illumine l’homme, comme le soleil ; l’inspiration du Saint Esprit l’arrose, comme une pluie bienfaisante ; et le discernement, comme une douce température, le conduit à la perfection des œuvres bonnes et fructueuses.
Mais l’âme dans le corps, est comme la sève dans l’arbre ; et ses facultés sont comme les rameaux de l’arbre. Comment ? — L’intelligence est dans l’âme, comme la verdeur des rameaux et des feuilles ; la volonté, comme les fleurs ; l’esprit, comme le premier fruit qui sort de lui ; la raison, comme le fruit parfait qui vient à sa maturité ; les sens, comme l’extension de sa grandeur. Et c’est de cette manière, que le corps de l’homme est fortifié et soutenu par l’âme.
C’est pourquoi, ô homme, comprends ce que tu es par ton âme, toi qui renonces à ton intelligence et qui veux être comparé aux animaux.
En voyant ces choses, Ô homme, considère aussi, que beaucoup de tourbillons envahissant une de ces sphères, qui résident dans le corps humain, la forcent de s’incliner vers la terre. Cela signifie, que tandis que l’homme vit dans son âme et dans son corps, beaucoup de tentations invisibles troublent son âme, et souvent l’inclinent, par la délectation charnelle, vers les péchés des concupiscences terrestres ; mais elle, ayant reconquis ses forces, se redresse virilement, leur résiste avec vigueur ; parce que l’homme fidèle et soucieux, lorsqu’il a péché, se repent par la grâce de Dieu, abandonne le péché ; et, mettant son espoir en Dieu, renonce aux feintes de satan, et cherche fidèlement son Créateur ; comme l’âme fidèle, qui, dans le regret qu’elle a de ses misères, s’efforce de s’élever plus haut.
Mais, tu vois dans une autre sphère que de nombreux tourbillons se précipitant, veulent la renverser, sans y parvenir : cela signifie que de multiples embûches diaboliques envahissent cette âme, pour s’efforcer de l’entraîner au crime ; mais cependant, elles ne peuvent prévaloir par leurs fausses illusions ; parce que, leur résistant vigoureusement, elle ne leur donne pas l’occasion d’accomplir leur folie ; et, se munissant de l’inspiration d’en-haut, elle éloigne d’elle les traits des fausses déceptions, avec le secours de son Sauveur, comme elle le déclare plus haut, dans les paroles de sa plainte, ainsi qu’il a été indiqué.
Mais cette autre sphère qui, comme tu vois, se débarrassant des entraves de sa forme, brise ses liens, signifie que cette âme abandonnant sa demeure corporelle, rompt ses liens lorsque le temps de sa destruction est arrivé ; et s’en sépare avec des gémissements, brisant son siège dans la douleur ; parce qu’elle se retire de son corps difficilement ; et que, saisie d’effroi dans la du jugement imminent du juge suprême, elle permet, avec terreur, que le lieu de son habitation s’écroule lamentabiemnent.
Alors, elle connaît les mérites de ses œuvres, selon la justice de Dieu ; comme elle le montre plus haut dans sa plainte. C’est pourquoi lorsque la dissolution s’opère ainsi, surviennent certains esprits de lumière et de ténèbres, qui ont été ses compagnons de vie, suivant sa manière d’être ; parce que dans cette séparation, lorsque l’âme de l’homme abandonne sa demeure, les esprits angéliques bons et mauvais, selon l’ordre juste et véritable de Dieu, se trouvent présents après avoir été les spectateurs de ses œuvres et de la mañière dont elle les accomplit avec le corps, et ils attendent sa séparation, afin de l’emmener avec eux, lorsqu’elle sera faite ; parce qu’eux aussi attendent la sentence du juste juge sur cette âme, au moment de sa séparation d’avec le corps ; afin que, délivrée du corps, ils la conduisent, où le juge suprême voudra, selon les mérites de ses œuvres, comme il a été indiqué fidèlement.
C’est pourquoi, Ô mes très chers fils, ouvrez vos yeux et vos oreilles, et obéissez à mes préceptes. Et comment méprisez-vous votre Père qui vous a délivrés de la mort ? Les chœurs des anges chantent : Tu es juste, Ô Seigneur, parce que la justice de Dieu n’a aucune tache. Il n’a pas délivré l’homme en vertu de sa puissance, mais de sa compassion, lorsqu’il a envoyé dans le monde son Fils, pour la rédemption de l’homme. Aucune tache de boue ne peut souiller le soleil, aucune perversité, d’injustice ne peut atteindre Dieu. Mais toi, ô homme, dans la science contemplative, tu distingues le bien et le mal. Et qu’es-tu, toi dont l’âme est souillée d’une multitude de désirs charnels ? Et qu’es-tu, lorsque les pierres précieuses des vertus resplendissent en toi ? Le premier ange méprisa le bien et désira le mal ; c’est pourquoi il reçut le mal, dans la mort de l’éternelle perdition ; et il fut enseveli dans la mort, parce qu’il répudia le bien. Mais les bons anges méprisèrent le mal et aimèrent le bien, en voyant la chute de Satan qui voulait opprimer la vérité et exalter le mensonge ; c’est pourquoi ils furent enflammés de l’amour divin, en possédant le fondement inébranlable de tout bien ; c’est pourquoi ils ne veulent que ce que Dieu veut, et ne cessent jamais de chanter ses louanges. Mais le premier homme aussi connut Dieu, et l’aima en toute simplicité ; et acceptant son précepte, il se soumit (d’abord) à l’obéissance ; après, il s’abaissa vers le mal et tomba dans la désobéissance. Car lorsque le démon lui eut suggéré le mal, il abandonna le bien pour accomplir le mal, et fut chassé du paradis. C’est pourquoi il faut renoncer au mal, par crainte de la mort ; et embrasser le bien, par amour de la vie. Mais toi, ô homme, ayant le souvenir du bien et du mal, tu es placé sur un double chiemin ; parce que, si tu détestes les ténèbres du mal, et si tu veux regarder vers celui de qui tu es la créature, et que tu as confessé dans le saint baptême, où la faute antique d’Adam a été rejetée, si tu veux fuir le démon et sa malice, pour suivre le Dieu véritable et ses préceptes : considère, comment tu as appris à te détourner du mal et à faire le bien ; et parce que le Père céleste n’a pas épargné son Fils unique, et l’a envoyé pour ta délivrance, prie Dieu pour qu’il vienne à ton secours ; et il t’exaucera, en disant : Ces yeux me plaisent. Et si tu repousses la tiédeur, pour courir dans la voie des commandements, il exaucera toujours la clameur de tes prières. Car tu dois dompter ta chair, et la soumettre à l’empire de l’âme. Mais tu dis : j’éprouve un tel accablement dans ma chair, que je ne puis me soulever ! Et, puisque Dieu est bon, que lui-même me rende bon ! — Comment puis-je dompter ma chair puisque je suis homme ? — Dieu est bon, qu’il accomplisse tout bien en moi ! — Lorsqu’il lui plaira, il pourra me rendre bon. — Mais je te réponds : Puisque Dieu est bon, pourquoi méprises-tu de connaître sa bonté ; lorsque lui-même a livré pour toi son Fils unique, qui t’a délivré de la mort dans les tourments et les labeurs de toutes sortes ?
Lorsque tu dis que tu ne peux opérer les bonnes œuvres, tu le dis dans l’injustice de l’iniquité. Car tu as des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cœur pour penser, des mains pour agir, des pieds pour marcher ; de telle sorte que tu peux te lever ou te baisser, dormir ou veiller, manger ou jeûner, c’est ainsi que Dieu t’a créé. Résiste donc à la concupiscence de la chair et Dieu t’aidera. Car, lorsque tu t’opposes à Satan, comme un valeureux guerrier à son ennemi, alors Dieu se complaît dans ta résistance, et veut que tu l’invoques constamment, à toute heure, et dans toutes les embûches. Mais lorsque tu ne veux pas dompter ta chair, alors tu l’engraisses de vices et de péchés, et tu lui retires le frein de la crainte de Dieu, avec lequel tu devrais la retenir, pour qu’elle ne tombât pas dans la perdition. C’est pourquoi tu te retournes vers le démon, comme lui-même s’est retourné vers l’iniquité, lorsqu’il est tombé dans la mort. Et lui-même, se réjouissant de ta perte, dit : Voilà l’homme qui est semblable à nous ! Et alors, il se précipite sur toi, pour te faire rentrer, selon ton désir, dans ses voies et dans l’ombre de la mort. Mais Dieu connaît ce que tu peux faire de bien ; c’est pourquoi il t’a donné une loi, selon laquelle tu peux travailler. Dieu, dès le commencement du siècle jusqu’à sa consommation, veut se complaire dans ses élus ; afin qu’étant ormnés de la splendeur des vertus, ils soient fidèlement couronnés. Comment ? Que l’homme résiste à la volupté de la chair, de peur qu’il ne se laisse entraîner par les délices de ce monde ; et qu’il ne vive pas avec tant d’assurance, comme s’il habitait sa propre demeure ; car il est pèlerin et son père l’attend, s’il veut revenir vers lui au ciel, où il sait qu’il est. C’est pourquoi, ô homme, si tu tournes ton regard vers les deux voies, c’est-à-dire, vers le bien et le mal ; alors tu t’instruis et tu comprends les petites et les grandes choses. Comment ? Par la foi, tu comprends un seul Dieu dans la divinité et l’humanité ; et tu vois aussi les œuvres diaboliques dans le mal. Et, lorsque tu connais les voies de la justice et de l’iniquité ; alors je t’interroge : Quelle voie veux-tu suivre ? Si tu veux entrer dans la bonne voie, et si tu écoutes fidèlement ma parole, prie Dieu en de sincères et constantes supplications, pour qu’il t’accorde son secours, et ne t’abandonne pas, parce que tu es débile dans ta chair ; incline ta tête en t’humiliant, ôte le mal de tes œuvres, et rejette-le loin de toi rapidement ; c’est ce que Dieu demande de toi.
Et, de même que, si quelqu’un te présentait de l’or et du plomb, en te disant : Mets la main sur ce que tu voudras… tu prendrais avidement l’or et tu laisserais le plomb ; parce que tu aimes davantage l’or que le plomb : Ainsi tu dois faire plus de cas de la céleste patrie, que de la bassesse du péché. Si tu es tombé dans le péché, relève-toi aussitôt, par la confession et la pénitence, avant que la mort surgisse devant toi. Ton père veut en effet que tu cries, que tu pleures, que tu demandes du secours ; pour que tu ne restes pas dans les souillures du péché : Mais, si tu as reçu une blessure, demande le médecin, de peur que tu ne meures. Est-ce que Dieu n’a pas envoyé souvent des calamités aux hommes, afin d’être invoqué plus attentivement par eux ? Mais toi, ô homme, tu dis : Je ne puis accomplir les bonnes œuvres. — Et moi je dis : Tu le peux. Tu demandes : Comment ? — Je réponds : Par l’intelligence et la raison. Tu dis : Je n’en ai pas le désir en moi. — Je réponds : Apprends à combattre contre toi. — Et tu dis : Je ne puis combattre contre moi, si Dieu ne m’aide pas ! — Écoute donc comment tu combattras contre toi : Quand le mal surgit en toi, sans que tu saches comment te défaire de lui : touché par ma grâce (car dans les voies de ton regard intérieur ma grâce te touche), crie, prie, avoue et pleure ; afin que Dieu vienne à ton secours, qu’il éloigne de toi le mal et te donne des forces pour le bien : Tu possèdes ce don, en vertu de la science qui te fait comprendre Dieu, par l’inspiration du Saint-Esprit. Si tu étais l’ouvrier de quelque homme, toutes les fois qu’il t’importerait de faire ce qui répugne à ton corps, est-ce que tu ne supporterais pas laborieusement bien des chôses, pour une récompense terrestre ? Et pourquoi ne sers-tu pas Dieu, pour une récompense éternelle ? Dieu qui t’a donné le corps et l’âme !… Situ voulais posséder un bien temporel, comme tu travaillerais pour l’avoir, au moins quelque temps ! Maintenant tu te dégoûtes de chercher celui qui n’a pas de fin. Comme le bœuf marche sous l’aiguillon, ainsi tu dois entraîner ton corps par la crainte du Seigneur, parce que si tu le fais, Dieu ne t’abandonnera pas. Si un tyran faisait peser sur toi son joug, tu te retournerais aussitôt vers celui qui pourrait te porter secours, tu le supplierais, tu l’invoquerais, et tu lui promettrais tes richesses, s’il voulait te secourir. Fais de même, ô homme, lorsque l’iniquité t’environne : te retournant vers Dieu, supplie-le, prie-le, et promets-lui ton amendement ; et Dieu t’aidera. Mais toi, ô homme, tu es aveugle pour voir, sourd pour entendre, insensé pour te défendre, puisque l’intelligence que Dieu t’a communiquée, et les cinq sens de ton corps qu’il t’a donnés, tu les considères comme vanité et néant. Est-ce que tu n’as ni intelligence, ni science ? Le royaume de Dieu peut être acheté, non acquis en riant.
Écoutez donc, ô hommes, et ne perdez pas de vue l’entrée de la céleste Jérusalem ; ne touchez pas la mort ; ne niez pas Dieu, en confessant le démon ; n’augmentez pas le nombre de vos péchés ; ne diminuez pas le mérite de vos vertus. C’est Dieu que vous ne voulez pas écouter, lorsque vous refusez de marcher dans la voie des préceptes ; et vous courez après le démon, lorsque vous vous efforcez de satisfaire vos désirs charnels. Revenez donc à vous, et prenez des forces, parce que cela vous est nécessaire. Que l’homme fidèle examine son mal, et recherche le médecin, avant de tomber dans la mort.
S’il examine son mal et va chercher un médecin, lorsqu’il l’a trouvé, il lui montre le suc amer du remède qui peut le guérir : ce sont les paroles sévères, pour éprouver si son repentir vient du fond de son cœur, ou procède de son instabilité. Lorsqu’il s’en est rendu compte, il lui verse le vin de la componction et de la pénitence, pour laver la sanie de ses blessures ; et lui offre l’huile de la miséricorde, pour oindre ses mêmes plaies, en vue de la guérison.
Alors aussi, il lui enjoint d’avoir égard à sa santé, en lui disant : Fais en sorte de continuer cette médecine avec soin et persévérance, sans te dégoûter, parce que tes blessures sont graves. — Il y en a beaucoup qui entreprennent, avec difficuité, la pénitence de leurs péchés ; et bien qu’à grand peine, ils l’accomplissent cependant par crainte de la mort. Mais je leur tends la main, et je convertis en douceur cette amertume, de telle sorte que, pour mon amour, ils accomplissent avec calme cette pénitence entreprise avec difficulté. Mais celui qui néglige de faire pénitence de ses péchés, parce qu’il lui est difficile de châtier son corps, est misérable ; car il ne veut pas regarder en soi-même, et chercher un médecin, ni guérir ses blessures ; mais il cache la pire sanie, et déguise, par de faux semblants, la mort, de peur d’être vu. C’est pourquoi il est lâche, pour expérimenter la pénitence, sans considérer l’huile de la miséricorde, ni rechercher les consolations qui découlent de la rédemption ; il s’avance à grands pas vers la mort, parce qu’il l’aime, et ne recherche pas le royaume de Dieu. Courez-donc, ô fidèles, dans la voie des préceptes de Dieu, de peur que la damnation de la mort ne vous saisisse. Imitez le nouvel Adam (le Christ) et renoncez au vieil homme. Car le royaume de Dieu est ouvert à celui qui court[10], mais il est fermé à celui qui gît sur la terre. Malheureux sont ceux qui ont le culte de Satan et ignorent Dieu ! Quels sont-ils ? Ceux qui n’adorent pas Dieu, un dans la Trinité, ni la Trinité dans l’unité, qu’ils ne veulent pas reconnaître. Car, quiconque veut être sauvé ne doit pas douter de la foi catholique. Comment cela ? Celui qui renie le Fils n’adore pas le Père ; il n’aime pas le Fils celui qui ignore le Père ; il n’a pas de Fils celui qui rejette le St-Esprit ; il ne reçoit pas le St-Esprit celui qui ne vénère pas le Père et le Fils. Il faut donc comprendre l’unité dans la Trinité, et la Trinité dans l’unité. Ô homme, est-ce que tu peux vivre sans le cœur et le sang ? Ainsi, ni le Père sans le Fils et le St-Esprit, ni le Fils sans le Père et le Saint-Esprit, ni le Saint-Esprit sans les mêmes personnes. Mais le Père a envoyé dans le monde son Fils, pour la rédemption de l’homme ; et de nouveau, il l’a rappelé à lui ; comme l’homme manifeste les pensées de son cœur, et de nouveau les recueille en lui-même. C’est pourquoi, sur cette mission salutaire du Fils unique de Dieu, Isaïe en vertu de la volonté de la suprême majesté, parle ainsi : « Le Seigneur a envoyé le Verbe dans Jacob, et il est venu dans Israël »[11] Ce qui veut dire : Le Verbe par qui tout a été fait, à savoir le Fils de Dieu qui fut toujours dans le cœur du Père, selon la divinité, sans commencement de temps, le Seigneur l’a envoyé lui-même ; c’est-à-dire que le Père éternel, par la voix des prophètes dans Jacob, annonça fidèlement que ce même Fils de Dieu devait venir dans le monde, pour le salut des hommes ; afin que les hommes avertis et préparés par eux (les prophètes), suplantassent prudemment le démon, en déjouant avec sagesse les ruses de ses déceptions. Et ainsi le même Verbe parut dans Israël, lorsque le Fils unique de Dieu vint dans le sein virginal, où nul homme n’avait mis son empreinte, mais qui garda inviolable sa pureté ; afin que (le fils de Dieu) né d’une vierge, ramenât dans la voie véritable ceux qui ignoraient la lumière, à cause de leur fatal aveuglement, et qu’il leur donnât le salut éternel. C’est pourquoi, quiconque possède la science par le St-Esprit et les ailes de la foi, ne transgresse pas mon avis ; mais il le reçoit pour en faire les délices de son âme.
- ↑ Le corps de l’homme, qui est la demeure de l’âme, peut devenir par la grâce le tabernacle de l’Esprit-Saint.
- ↑ À cause de la liberté que Dieu lui avait donnée en partage. (N. d. T.)
- ↑ Le vêtement de mon innocence déchire par le péché.
- ↑ Le paradis terrestre d’où Adam fut chassé.
(N. d. T.)
- ↑ Super flumina Babylonis, illic sedimus, et flevimus cum recordaremur Sion.(Psal. 136)
- ↑ Projicite a vobis omnes prœvaricationes vestras in quibus prœvaricati estis et facite vobis cor novum et spiritum novum. (Ezech. XVIII).
- ↑ Ego occidam et ego vivere fariam ; percutiam et
ego sanabo, et non est qui de manu mea possit eruere.
(Daniel XXXID).
- ↑ Ego sum qui sum : Je suis celui qui est.
- ↑ De là sans doute les hommes dont les dons de l’esprit et de l’âme sont tellement affaiblis ou annihilés, qu’ils ressemblent à des bêtes. — Animalis homo — (N. D. T.)
- ↑ Et violenti rapiunt illud.
- ↑ Verbum misit Dominus in Jacob et cecidit in Israël. (Isa. IX)