Scènes du jeune âge/Bancroche

Dumont, libraire-éditeur (volume 1p. 41-80).


BANCROCHE.




Il ne se faut jamais moquer des misérables ;

Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux

Lafontaine, le Lièvre et la Perdrix.
(Fable)




BANCROCHE.


DÉDIÉ


À MON PETIT AMI JULES DUPUY.




C’était un samedi : en revenant du collége Louis-le-Grand, Alphonse de Romière et son gouverneur passaient sur le Pont-Neuf ; les cris d’une voix jeune frappèrent son oreille. « Oh là là ! au secours ! ils me tuent ! » criait-elle. Alphonse se retourne, et voit un pauvre petit garçon tout déguenillé qui succombait sous les coups de trois enfants ayant le double de son âge et de sa force. Révolté de ce combat inégal, Alphonse ne craint pas de se commettre avec la troupe des petits commissionnaires ; il se précipite sur les oppresseurs, les met en fuite et, avec l’aide de son gouverneur, il délivre le pauvre vaincu, qui baisait les genoux d’Alphonse, et crottait son pantalon en serrant sa jambe tendrement ; le tout par reconnaissance.

Si désintéressée que soit une bonne action, on aime à savoir si elle est bien placée : le jeune Alphonse s’arrêta quelques moments pour considérer la figure de son protégé. Des traits réguliers, un regard d’une vivacité extraordinaire, joint à un sourire doux et triste, le rendaient agréable, malgré le sang et la boue dont il était alors barbouillé ; car le pauvre enfant avait reçu un coup de poing sur le nez pendant la bataille.

— Allons, relève-toi, dit Alphonse, et suis-moi dans ce café.

— Aidez-moi un peu, dit l’enfant car ma jambe me fait mal.

— Tiens, regarde donc ce pauvre Bancroche, dit en ricanant un petit polisson qui jouait avec deux de ses camarades au pied de la statue de Henri IV ; il ne se gêne pas vraiment, il se fait relever par un bourgeois. Ce que c’est d’être bancal ! il n’est pas honteux tout de même.

En effet Bancroche, ainsi nommé parce qu’il avait une jambe de travers et plus courte que l’autre, n’aurait pu, sans secours, se remettre sur ses pieds. Alphonse, secondé par le bon M. Loiseau, qui l’approuvait du regard, aida Bancroche à se traîner jusqu’au café de la rue Dauphine ; là il lui fit donner les soins dont il avait besoin ; puis, glissant une pièce de cinq francs dans la main du petit garçon il s’apprêtait à continuer sa route.

— Ah ! monsieur ! s’écria l’enfant d’un ton suppliant, pour l’amour du bon Dieu, dites-moi où vous demeurez !

Surpris de la question, Alphonse y répondit sans hésiter : Rue Basse-du-Rempart, n°…

— Merci, merci, mon bon monsieur, que le ciel vous bénisse ! disait le pauvre estropié, en buvant son petit verre de vin de Malaga, et en mangeant les deux petits pains qu’on venait de lui donner. Mais Alphonse, qui savait être attendu par son père, était déjà loin.

Quand Bancroche revint chez la mère Guimbar, la marchande d’allumettes, malgré la compresse qui lui cachait un côté de la tête, et les écorchures qu’il avait aux genoux, ce fut une joie délirante pour tous deux : car il rapportait pour la première fois quelque chose dont sa protectrice pourrait avoir sa part ; tandis que le peu de gros sous, fruit des commissions qu’il faisait chaque jour pour les marchands de chiens ou d’oranges du Pont-Neuf, servaient à peine à payer le pain bis et le morceau de fromage qui composaient tous ses repas.

Avec quelle fierté Bancroche jeta sa pièce de cinq francs sur l’éventaire de la mère Guimbar ; comme il s’empressa de lui raconter comment cette grosse somme était en sa puissance ! car il ne voulait pas qu’elle le soupçonnât d’une vilaine action ; l’estime, la tendresse de cette pauvre marchande d’allumettes étaient tout pour lui : c’était elle qui l’avait recueilli le jour où la mort de sa mère le laissait sans un seul appui en ce monde. Madame Guimbar demeurait à côté du grenier où cette malheureuse mère venait de succomber à sa misère, les hommes chargés de son enterrement par charité voulurent emmener par la même occasion son enfant à l’hospice des Orphelins ; mais les cris de Bancroche et sa résistance à obéir aux hommes qui lui enlevaient sa mère attirèrent la voisine ; elle l’arracha de leurs mains, et, sans calculer si le sort qu’elle lui apprêtait n’était pas pire que celui des enfants trouvés, elle s’engagea à en avoir soin, et à l’élever de son mieux à gagner sa vie. Ainsi les pauvres gens sont souvent les plus charitables.

Son chagrin fut grand lorsqu’elle s’aperçut que son enfant adoptif était bancal, et que cette infirmité lui enlevait bien des moyens de vivre par son travail ; mais Bancroche était si gentil, si intelligent ! puis il sautait si vivement qu’il pouvait se passer de marcher ; et son adresse, sa promptitude, étaient telles, que les autres petits commissionnaires à bonnes jambes en étaient jaloux.

Il taillait déjà fort bien les allumettes, puis il les portait à soufrer, et les rangeait en petits paquets sur l’éventaire de la mère Guimbar, qui n’avait plus qu’à les crier dans les rues. Ce travail fait, il se rendait à son poste sur les marches du Pont-Neuf, où il attendait les commissions que le Ciel voulait bien lui envoyer. Elles étaient rares ; car il avait beau dire : « Croyez-moi, j’irai aussi vite qu’un autre, » en voyant sa jambe de travers, on donnait la préférence à de moins alertes et de moins exacts que le petit Bancroche.

Depuis le bonheur qu’il avait eu d’être battu sur le Pont-Neuf (car c’était à son avis le premier jour heureux de sa vie), il ne pensait qu’au moyen de témoigner sa reconnaissance à son jeune bienfaiteur. Comment faire pour parvenir jusqu’à lui ? Il avait déjà rôdé bien des fois sur le boulevart, dans l’espérance de voir passer le jeune Alphonse, et d’en être reconnu, grâce à sa mauvaise jambe ; mais le hasard l’avait toujours amené trop tôt ou trop tard près de la maison de M. de Romière.

Un jour qu’il pleuvait à verse, et que Bancroche, plus courageux que ses camarades, bravait le mauvais temps pour attendre quelque bonne aubaine, un jeune homme ouvre la porte du café qui fait le coin de la rue Dauphine, et fait signe au petit commissionnaire de venir lui parler. Bancroche saute plutôt qu’il ne marche vers lui.

— Sais-tu lire ? lui demande le jeune homme.

— Non, monsieur, mais j’ai bonne mémoire ; dites-moi seulement où il faut porter cette lettre, et soyez tranquille, je la remettrai bien exactement. Tenez, pour en être plus sûr, vous ne me paierez qu’au retour.

— Non ; tu m’as l’air d’un bon garçon, et je te crois. Tu connais bien la rue Basse-du-Rempart ?

— Si je la connais ! c’est la rue de M. de Romière.

— Eh bien, c’est justement chez mon camarade Alphonse de Romière que je t’envoie porter cette lettre.

— Ah ! quel bonheur ! s’écrie Bancroche en sautant de joie ; et il part aussitôt sans attendre le prix de sa commission.

Arrivé à la porte de la maison, il se garde bien de demander si M. Alphonse de Romière est chez lui : il franchit les degrés du péristyle en tâchant de n’avoir affaire qu’aux gens de l’antichambre ; mais le concierge, qui l’a vu passer furtivement, court après lui comme après un voleur, et lui crie d’une voix de tonnerre :

— Que viens-tu faire ici, petit drôle ? veux-tu bien déguerpir avec tes sabots crottés ? est-ce que tu crois que j’ai lavé mon escalier tout exprès pour ne pas te salir les pieds, gamin ? Allons, va-t’en.

— Je viens ici apporter une lettre à M. de Romière, dit Bancroche, d’un ton résolu, et je ne m’en irai pas avant d’avoir fait ma commission.

— Ta commission ? tu dois savoir que des gaillards a ginchés comme toi n’entrent pas dans les appartements. Allons, donne-moi ta lettre, et va dans la cour attendre la réponse.

Ce n’était pas là le compte de Bancroche : aussi s’obstina-t-il à ne point se dessaisir de la lettre, en disant qu’on lui avait bien recommandé de ne la remettre qu’à M. Alphonse de Romière ou à son gouverneur, et qu’il la remporterait plutôt que de la donner à un autre. Indigné de cette résistance dans un enfant qu’il pouvait renverser d’un coup de pied, le concierge allait se livrer à sa colère, lorsqu’un valet de chambre qui descendait s’informa du sujet de la querelle. Bancroche le conjura de dire à son jeune maître que le petit Bancroche, qu’il avait secouru sur le Pont-Neuf, venait lui apporter des nouvelles d’un camarade de collége. À ce nom burlesque, le valet de chambre se mit à rire ; et pensant qu’il allait aussi faire rire son jeune maître, il alla lui demander s’il voulait recevoir M. Bancroche.

— Le petit commissionnaire du Pont-Neuf ? demanda Alphonse : certainement, je le veux.

— Mais je ferai observer à monsieur qu’il est fort crotté.

— N’importe, faites-le entrer.

Bancroche, dont le cœur battait de joie en écoutant ces mots, car la porte était restée ouverte, avait bien vite ôté ses sabots, et il essuyait ses bas aux rideaux de l’antichambre, quand le domestique le prit brusquement par le bras pour le faire entrer dans le cabinet où étudiait Alphonse.

— C’est donc toi, mon pauvre garçon ! dit-il avec bonté : je suis content de te revoir.

— Et moi donc, monsieur ! répondit Bancroche en tournant sa casquette à jour dans ses doigts, et en donnant la lettre à Alphonse.

— Il est hors de danger ! s’écria-t-il après avoir lu. Ah ! mon cher Bancroche, que je suis bien aise que tu m’apportes cette bonne nouvelle ! Cet excellent Stanislas, c’est qu’il m’aime tant !

— Est-ce que vous l’avez aussi empêché d’être assommé ? demanda Bancroche avec un accent pénétré.

— Non, mon ami, reprit Alphonse, ému de la reconnaissance qu’il trouvait dans le cœur de ce pauvre enfant : c’est lui, au contraire, qui m’aide au collége à parer les calottes ; car lorsqu’il n’est pas malade, il est plus fort que moi. Mais par quel hasard est-ce toi qu’on a chargé de cette lettre ?

Bancroche raconta comment la pluie ayant chassé tous les autres commissionnaires du coin de la rue, il avait bien fallu avoir recours à lui.

— C’est mes bons jours à moi, ajouta-t-il en riant, que ceux-là où les chiens n’osent pas sortir ; y me vient toujours quelque pratique. Le malheur est que je ne sais pas lire, et qu’il y en a qui ne veulent pas me donner leurs lettres, de peur que je me trompe d’adresse.

— Eh bien ! il faut apprendre à lire, mon garçon.

— C’est pas la bonne volonté qui me manque, monsieur : je reste quelquefois une heure à regarder les affiches du Pont-Neuf : je demande le nom des grandes lettres au colleur ; quand il n’a pas bu, il m’en dit quelques unes, mais le plus souvent il m’envoie promener.

— Eh bien, si je te donnais de quoi aller à l’école, irais-tu ?

— Ah ! mon petit monsieur, que je serais content ! La mère Guimbar me dit tous les jours qu’il n’y a que ça qui me manque.

Alphonse ne put s’empêcher de rire à ces mots, car il manquait tant de choses au pauvre Bancroche !

Une nouvelle pièce de cinq francs paya sa commission ; il lui en fut promis autant chaque mois pour payer le maître d’école, et remplacer les sous qu’il ne pourrait gagner pendant les heures d’étude.

— Monsieur a la bonté de croire que ce gamin-là va employer son argent de cette manière. Ah ! je parie bien que la marchande de chaussons aux pommes en verra plus que le maître d’école, dit le valet de chambre, qui préparait l’habit d’Alphonse.

Bancroche se retourne vivement de son côté et lui lance un regard foudroyant ; puis il dit à Alphonse d’un ton fier et les larmes aux yeux :

— Si vous croyez ce qu’il dit, monsieur, reprenez cet argent.

— Non ; j’ai confiance en toi, répondit Alphonse.

— Eh bien, vous verrez ! dit Bancroche en sortant la tête haute et clopinant à peine.

Cette sortie, un peu trop fière peut-être, fut trouvée fort mauvaise par le valet de chambre de M. de Romière ; et lorsqu’il reconduisit Bancroche jusque dans la cour, sous prétexte de lui montrer son chemin, il monta chez le concierge pour lui recommander de ne plus laisser entrer ce petit polisson (c’est ainsi qu’il désignait Bancroche) ; et le concierge, pensant que cet ordre venait de ses maîtres, n’eut garde d’y manquer. Aussi, lorsque, ayant fait des progrès surprenants, à force d’application, Bancroche revint pour remercier son bienfaiteur et lui prouver l’emploi qu’il avait fait de son argent :

— Les maîtres sont à la campagne, dit une fois le concierge ; ou bien, un autre jour : — Ils sont en voyage. Enfin, pour se délivrer des instances et des visites de Bancroche, il alla jusqu’à menacer de le battre s’il le voyait seulement rôder autour de la maison. Alors Bancroche, désespérant de parvenir au jeune Alphonse, se résigna à le guetter chaque soir à la sortie de quelque spectacle. Le temps du carnaval approchait : Alphonse irait probablement rire aux Variétés, au Gymnase ou au Vaudeville ; Bancroche se campa alternativement à l’un de ces théâtres.

Un soir une belle voiture entre avec fracas sous la voûte de la rue de Chartres ; Bancroche reconnaît le domestique qui baisse le marchepied : c’est un de ceux qui se moquaient de lui dans l’antichambre de M. de Romière. Bientôt il voit Alphonse s’élancer de la voiture pour donner la main à une jolie petite fille qui porte un manteau écossais. Ils passent rapidement : car leurs parents, qui sont derrière eux les pressent. La foule qui les entoure ne permet pas à Bancroche de se montrer ; mais il sent quelque chose à ses pieds : c’est la fourrure qui a glissé sous le manteau de la sœur d’Alphonse. Bancroche s’expose à être étouffé pour la ramasser : il parvient à retirer le boa de dessous les pieds des arrivants ; puis, après l’avoir nettoyé de son mieux avec sa veste, il va sur la place où les voitures se rangent, et dit au cocher :

— Votre jeune maîtresse a perdu cela ; tenez, remettez-le dans la voiture.

Vrai ! dit le cocher : eh bien, qu’est-ce que tu veux pour ta peine ?

— Rien, reprit le petit commissionnaire ; seulement que vous disiez à M. Alphonse que c’est Bancroche qui l’a rapporté.

Une nuit que Bancroche revenait d’un bal du faubourg Saint-Honoré, où il avait gagné trente sous à aller avertir les cochers, qu’on appelait en vain, par la raison qu’au lieu de garder leurs voitures, ils étaient au cabaret, il aperçut en passant devant la maison de M. de Romière une grosse colonne de fumée qui paraissait monter jusqu’à la lune. Effrayé à cet aspect, il s’arrête. La fumée augmente ; elle se colore : plus de doute, le feu est dans quelque partie de la maison ; et pourtant tout le monde y est tranquille, on n’entend pas le moindre bruit.

— Ah ! mon Dieu ! la fumée les étouffe peut-être, s’écrie Bancroche ; et il descend avec précipitation l’escalier du boulevart. Il va frapper à la porte ; mais le concierge, endormi, ou qui sait ses maîtres rentrés depuis long-temps, ne se donne point la peine d’ouvrir. Le pauvre Bancroche se désespère. Après plusieurs tentatives inutiles pour arriver en sautant jusqu’à un bouton de sonnette qui répond au chevet du concierge, il se rappelle le corps-de-garde des pompiers de la rue du Luxembourg et il y court à perdre haleine.

— Le feu est rue Basse-du-Rempart ! crie-t-il de toutes ses forces ; suivez-moi.

— Ah ! gamin répond l’officier du poste, c’est peut-être une gosse que tu nous fais ; mais prends-y garde, car tu nous la paieras cher.

Bancroche ne l’écoute pas et se met à clopiner de toute sa vitesse devant l’officier. Les pompiers arrivent ; ils se font ouvrir d’autorité ; bientôt toute la maison est en rumeur : car c’est le poêle du grand escalier qui a mis le feu à une poutre de l’appartement d’Alphonse. On ne peut plus y parvenir sans danger. Mais la reconnaissance peut donner tant de courage. Bancroche monte malgré la fumée qui l’aveugle et la chaleur qui le suffoque. Il est dans la chambre d’Alphonse. Celui-ci tient un écrin qui renferme les diamants de sa mère, il espère les sauver avec lui ; mais comme il veut avant tout secourir son vieux père et l’aider à descendre de sa fenêtre par une échelle, l’écrin l’embarrasse : il le remet à Bancroche. Celui-ci brave de nouveau la fumée et le feu pour franchir l’escalier. Il arrive dans la cour et s’enfuit avec son trésor pour aller le mettre en sûreté au corps-de-garde. Une patrouille qui passe sur le boulevart l’arrête. En apercevant l’écrin qu’il emporte, on le croit un voleur. En vain il raconte le fait, il dit la vérité : on le mène à la Préfecture ; et là, il est jeté dans la prison qui recèle les filous, les vagabonds de son âge. Il est en butte à leurs moqueries, à leurs familiarités honteuses ; ils le traitent de camarade, et lui reprochent d’avoir été assez maladroit pour se laisser prendre. Le pauvre Bancroche pleure de dépit ; il se croit perdu à jamais pour avoir été confondu avec des voleurs. Il lui semble impossible de prouver son innocence, et il tombe dans un abattement profond. On apporte à manger aux prisonniers : Bancroche leur laisse sa part, car il n’a plus faim ; l’idée que la mère Guimbar va le croire coupable redouble ses sanglots.

La journée entière se passe sans qu’il entende parler de ceux qui pourraient le justifier ! « Il aura péri dans les flammes ! s’écrie-t-il en pensant à Alphonse, puisqu’il ne vient pas me réclamer ; » et cette cruelle supposition achève de le décourager. Pourtant le bon Dieu sait que je n’ai pas mérité tant de malheurs, pense-t-il ; et, confiant dans la bonté du ciel, il se met à genoux, et prie Dieu d’avoir pitié de lui. Alors les grossières plaisanteries des petits voleurs redoublent. Ils se mettent à le contrefaire. Bancroche ne s’en aperçoit pas. Les yeux fixés sur le soupirail grillé par où le jour vient, il est tout entier à sa prière ; mais soudain il se sent presser dans les bras d’un jeune homme ; on a prononcé son nom ; le jeune homme l’entraîne hors de ce lieu infâme, et, le portant presque au milieu d’une salle où se trouvent les chefs de la Préfecture, il proclame tout haut l’innocence du pauvre Bancroche et l’obligation que lui a toute sa famille : car sans ses soins la maison de M. Romière et ses habitants auraient été la proie des flammes. Chacun veut voir, veut complimenter le petit infirme qui a fait preuve de tant d’intelligence et de courage. On propose de faire une collecte pour lui. Alphonse et son père s’y opposent.

— C’est à nous d’assurer son sort, disent-ils ; et désormais…

Ils sont alors interrompus par la voix criarde d’une femme qui veut à toute force entrer dans la salle. C’est la mère Guimbar. Bancroche l’a reconnue : il court l’embrasser si précipitamment qu’il renverse tous les paquets d’allumettes étalés sur l’éventaire.

— Je vous remercie, dit-il au comte de Romière en montrant sa bienfaitrice ; mais pour la quitter, jamais !

— Bien, mon enfant, répond le comte attendri, tu ne la quitteras pas. La petite maison qui est au bout de mon parc pourra vous loger tous les deux.

Un mois après ce jour, Bancroche et la mère Guimbar étaient établis dans une jolie petite chaumière, avec une belle vache, quelques moutons et un beau pré pour les nourrir. Alphonse est venu souvent depuis les visiter ; et comme Bancroche, après avoir été le meilleur petit garçon, devait être le plus honnête homme du monde, Alphonse a fini par lui confier le soin de régir tous ses biens.

Cette histoire vous apprend, gentils lecteurs, que, malgré qu’on soit pauvre et infirme, on peut être utile et heureux.