Scènes de la vie privée et publique des animaux/08

COUR CRIMINELLE
de
JUSTICE ANIMALE.


Messieurs les Rédacteurs en chef,



Je suis, comme vous ne le savez pas, greffier de la Cour d’assises récemment établie en vertu des ordonnances de Sa Majesté le Lion, promulguées de son palais du mont Atlas de l’an XI du Règne-Animal. La première session venant d’être close, je m’empresse de vous en adresser le compte rendu. Je crois prudent de vous taire l’endroit où se sont tenues ces mémorables séances, car les Hommes, par haine et par jalousie, ne manqueraient pas de troubler nos assemblées ultérieures ; et, comme dit un Rat de mes amis, longtemps nourri des bouquins d’un latiniste : Di, tale avertite fatum !

Ce fut parmi la famille des Corbeaux, à laquelle j’appartiens, que l’on choisit les juges, les avocats et la plupart des jurés de la Cour. Leurs noirs habits leur donnaient cette gravité qui masque la sottise et en impose aux ignorants, et l’on pensa qu’habitués à fouiller des cadavres, ils seraient plus aptes à signaler l’état de décomposition morale des accusés. Une Cigogne fut appelée à la présidence, dont la rendaient digne sa patience et son sang-froid. À moitié assoupie dans son fauteuil, les yeux entr’ouverts, la poitrine renflée, la tête en arrière, guettant au passage les contradictions des accusés, elle avait encore l’air d’être en embuscade au bord d’un marais.

Les fonctions de procureur général échurent à un Vautour au col tors. Ce personnage, s’il avait jamais eu la moindre sensibilité, s’en était défait depuis longtemps ; ardent, impitoyable, il ne songeait qu’à obtenir des succès, c’est-à-dire des condamnations. Il avait bec et ongles pour attaquer, jamais pour défendre. La Cour d’assises était pour lui un champ de bataille, et l’accusé un adversaire qu’il fallait vaincre à tout prix. Il allait à un procès criminel comme un soldat à l’assaut : il s’y jetait à corps perdu, comme un gladiateur au milieu du cirque. Le Vautour est, en somme, un excellent procureur général.

Les habitants des terriers, nids, taillis, trous, taupinières et marécages voisins, accoururent en foule pour assister à ces solennités judiciaires. Les Oies, les Butors, les Perroquets, les Buses et les Pies étaient en majorité : on assure qu’il en est toujours ainsi.

Des Canards, fondateurs d’un journal quotidiens, furent casés dans une tribune réservée. Par malheur, la disposition des lieux faisait que, de leur poste spécial, ils étaient moins auditeurs qu’assistants ; mais, pour narrer un procès comme pour le juger, est-il indispensable de l’entendre ?

Je n’entrerai point dans les détails de toutes les affaires qui ont occupé la session ; je ne vous parlerai point des poursuites dirigées contre un Aigle, pour excitation à la haine et au mépris du gouvernement ; un Bouc, pour danse illicite ; un Merle, pour délit de presse ; un Coq pour duel ; un Chat-Huant pour tapage nocturne ; un Renard, pour banqueroute frauduleuse ; un Chat, pour infanticide ; une Hirondelle, pour vagabondage ; une Pie, pour vol domestique ; un Sansonnet, pour diffamation ; un Paon, pour usurpation de titres ; une Grive, pour dispute de cabaret, etc. Je veux seulement vous parler de deux causes majeures. Musa, mihi causas memora, comme dit mon Rat latiniste.

Peut-être avez-vous lu, il y a quelques mois, dans la feuille quotidienne ci-dessus mentionnée : « Un crime affreux vient d’épouvanter nos contrées, si longtemps paisible. Au moment où les Animaux coalisés venait de jurer une éternelle fraternité, on a trouvé au coin d’un bois un Crapaud affreusement empoisonné. La justice informe. »

La justice informa si bien, qu’elle incarcéra deux Moutons, trois Escargots et quatre Lézards, tous également innocents ; aussi furent-ils relâchés immédiatement, après avoir subi quatre-vingt-quinze jours d’arrestation préventive. On profita de la circonstance pour mettre la patte sur un Bœuf, incapable d’un pareil forfait, mais signalé dès longtemps comme ennemi du gouvernement du roi : on ne saurait inventer trop de prétextes pour sévir contre ces ruminants-là.

Les journalistes retaillèrent leurs plumes, et écrivirent : « Plus on avance, moins on pénètre l’horrible mystère du drame dont l’infortuné Crapaud a été victime. L’instruction se poursuit avec la plus grande activité, sous la direction de deux Tortues. »

Enfin une Taupe, sortant à tâtons de son terrier, déclara qu’elle avait vu une énorme Vipère (monstrum horrendum, comme dirait mon ami le Rat) s’élancer sur le Crapaud ; confronté avec le cadavre, qu’on avait soigneusement embaumé, elle déclara positivement que ça devait être lui.

Des Bouledogues furent dépêchés à la poursuite de la Vipère, l’attaquèrent vaillamment pendant son sommeil, la lièrent et l’amenèrent devant la Cour.

Quelques extraits du journal des Canards vous suffiront pour apprécier cette affaire :

« Le greffier (c’est moi-même, Messieurs, sans nulle vanité) donne lecture de l’acte d’accusation. La Vipère nie le fait qui lui est imputé, quoiqu’un Lézard confirme la déposition de la Taupe. La Parole est à la Fourmi, expert chargé d’analyser les restes de la victime. (Mouvement d’attention.)

« Messieurs,

« Notre but était de rechercher si le corps de ce malheureux Crapaud contenait le principe vénéneux récemment découvert dans la Vipère, et nommé par les savants viperium. Cette substance se combine avec divers oxydes, acides et corps simples, et forme différents vipérates, vipérites et vipérures. Nous avons donc analysé l’estomac, le foie, le poumon, les entrailles et la masse encéphalique ; nous nous sommes, pour cela, servis de réactifs dérobés à un pharmacien homœopathe qui a l’habitude de porter sa pharmacie dans sa poche. Après avoir fait chauffer et évaporer jusqu’à siccité le suc pancréatique et les matières contenues dans l’estomac, nous avons obtenu une substance liquoreuse, mais assez solide, que nous avons traitée par deux milligrammes d’eau distillée ; en la plaçant dans un matras de verre et la soumettant à l’ébullition pendant deux heures vingt-cinq minutes, nous n’avons rien obtenu du tout ; mais cette même substance, traitée successivement par des acétates, des sulfates, des nitrates, des prussiates et des chlorates, nous a donné un précipité d’un bleu vert-pomme que nous avons retraité par plusieurs réactifs énergiques ; nous avons alors obtenu un précipité d’une couleur indécise, mais bien caractérisée, et qui ne saurait être que du vipérium à l’état pur. »

« Ce rapport clair et concluant, impressionne vivement l’auditoire. La Fourmi met sous les yeux des jurés une fiole contenant le résidu recueilli. (Agitation en sens divers.)

L’issue de ce procès, qui se termina par la condamnation de la Vipère, eût excité, sans aucun doute, la curiosité publique, si des débats plus importants ne l’avaient détournée.

On lisait dans le journal :

« Un crime affreux, commis avec les circonstances les plus aggravantes, vient de jeter la terreur dans ce pays. Une Brebis, qui, en fuyant sa bergerie, avait donné aux Animaux domestiques l’exemple d’une noble indépendance, a été égorgée avec son Agneau. Un Loup, coupable de ce crime, a été immédiatement arrêté encore muni du poignard assassin. Il a cherché, à plusieurs reprises, à se donner la mort ; mais on l’a prévenu dans cet odieux projet. On doit des éloges au brigadier des Bouledogues pour la fermeté qu’il a déployée dans cette périlleuse arrestation.

« Il importait de savoir quel avait été le genre de mort de la malheureuse Brebis, dont on avait coupé la gorge. On choisit à cet effet un Dindon, savant docteur décoré, qui s’était acquis une juste célébrité en découvrant, comme dit mon ami le Rat, rationem quare opium favit dormire. Ce docteur illustre constata que la Brebis était loin d’avoir succombé à une attaque de choléra-morbus, comme on aurait pu faussement l’avancer ; mais que le gosier ayant été entamé à l’aide d’un instrument non contondant, par une plaie de six centimètres de long, la mort avait été le résultat de la division de la veine jugulaire interne. »

Pour peindre la comparution du coupable devant ses juges, faisons un nouvel emprunt au journal désigné plus haut :

« Dès le matin, une multitude immense assiége les portes du prétoire ; l’autorité a pris des mesures pour prévenir le désordre. L’accusé est introduit. Il est pâle ; ses yeux sont noirs, mais sans éclat. Sa mise, quoique décente, n’a rien de recherché. On distingue à peine ses traits, qu’il semble vouloir dérober à la curiosité publique. Un vieux Corbeau, qui, entre vingt concurrents, a obtenu l’honneur de défendre le grand criminel, s’assied au banc de la défense en robe d’avocat.

« L’accusé répond avec fermeté aux questions d’usage. Lecture faite de l’acte d’accusation, le président demande au Loup ce qu’il peut alléguer pour sa justification.

« Le Loup se lève : « Monsieur le président, je suis innocent du crime dont on m’accuse. (Mouvement.) J’ai eu longtemps, je l’avoue, la funeste habitude de détruire des Moutons ; mais en agissant ainsi, je consultais moins mon inclination que ma haine pour les Hommes : si j’éprouvais du plaisir à donner la mort à une Brebis, c’est que c’était enlever à nos oppresseurs une portion de leurs richesses. Depuis longtemps, je suis revenu à des sentiments plus doux, mais sans cesser de détester les Hommes. Jugez donc de mon indignation, quand, l’autre jour, je vis les malheureux dont on m’impute la mort, poursuivis par un boucher qui les frappa sans pitié. Je volai à leur secours : l’infâme bourreau prit la fuite ; et c’est au moment où je venais de ramasser son arme, où je me préparais à panser les plaies des victimes, que les agents de l’autorité m’ont fait prisonnier. Je me propose de les attaquer plus tard… en dommages-intérêts pour attentat à la liberté d’un citoyen paisible. Provisoirement, je me contente de protester mon innocence. » (L’accusé se rassied et porte la patte à ses yeux.)

« Ce discours éveille les sympathies de l’auditoire et notamment du beau sexe. « Comme il parle bien ! » dit une Grue. « Qu’il a de grâces ! » s’écrie une Pie-Grièche. « Quel dommage, si un aussi beau criminel était condamné ! » dit une Bécasse, en respirant des sels. »

Il paraît qu’il est bon d’être scélérat pour plaire à ces dames, mais qu’il importe de joindre l’hypocrisie à la méchanceté, si l’on veut toucher leur cœur… Retournons à nos moutons.

« Plusieurs témoins confirment les faits consignés dans l’acte d’accusation. Le Loup persiste dans son système de défense, et soutient que le poignard qu’on lui présente ne lui a jamais appartenu. Un Loup, son camarade de lit, dépose en ces termes :

« Il y a environ un mois, je rôdais dans les bois avec l’accusé : nous arrivâmes près d’une clairière au milieu de laquelle deux charbonniers étaient assis et occupés à dîner. Ils se sauvèrent à notre apparition, en nous abandonnant leurs comestibles ; et, pour manger plus aisément, l’accusé se servit du couteau avec lequel il a consommé le crime. »

« Pendant cette déposition, le Loup s’agite avec fureur sur son banc. Il veut s’élancer sur le témoin ; les Bouledogues ont peine à le contenir. Après de vains efforts pour articuler, il tombe inanimé sur son banc. L’audience est suspendue et renvoyée au lendemain. »

Les jours suivants, le Loup se trouva trop faible pour soutenir les débats. Jamais Animal illustre, jamais vénérable père de famille, jamais roi adoré de ses sujets (dans les feuilles ministérielles), n’excitèrent autant d’intérêt pendant le cours de leurs maladies. Les assistants craignaient de perdre une source d’émotions ; les juges appréhendaient qu’une proie fût ravie à la justice animale ; le Vautour général redoutait d’avoir à rengainer le superbe réquisitoire qu’il improvisait depuis trois semaines. Les journaux donnaient chaque matin un bulletin de la santé du Loup :

« — L’accusé est fort souffrant et presque constamment couché. Il a sans cesse auprès de lui plusieurs Sangsues ; il semble, du reste, calme et résigné à son sort.

« — L’accusé a passé une mauvaise nuit. Plusieurs Oies de la plus haute volée sont venues demander de ses nouvelles au geôlier.

« — L’accusé est mieux. Il consacre ses loisirs à lire et à écrire. L’objet favori de ses études est le recueil des Idylles de madame Deshoulières ; il a consommé, depuis sa captivité, deux mille neuf cents feuilles de papier. Il rédige un drame en dix-sept tableaux, intitulé : le Triomphe de la Vertu, et un mémoire philosophique sur la nécessité d’abolir la peine de mort. Voici quelques vers de sa composition, que nous sommes parvenus à nous procurer :

 
Oh ! pour le prisonnier, les jours où la nature
S’embellit de soleil, de fleurs et de verdure,
Les jours les plus riants sont les plus désolés.
Il entend des troupeaux les clochettes qui sonnent,
Les concerts des oiseaux, les zéphyrs qui frissonnent
En s’éparpillant dans les blés.

Et doux roucoulement des colombes plaintives,
Murmure cadencé des ondes fugitives,

 
Voix des bois et des vents arrivent jusqu’à lui,
Mais en vain sur les prés la lumière ruisselle ;
Malheureux paria, la joie universelle
Semble insulter à ton ennui !

Cesse de voyager, en ton espoir frivole,
Avec tout ce qui passe et tout ce qui s’envole ;
Cesse de secouer le fer de tes barreaux.
Pour toi le sort n’a plus que terreurs et menaces ;
Ta vie est condamnée, et les geôliers tenaces
Ne te céderont qu’aux bourreaux.


Je l’avoue, Messieurs les rédacteurs, l’espèce d’enthousiasme dont ce misérable Loup a été l’objet m’inspire de tristes réflexions. J’ai entendu de malheureux Rossignols fredonner, pendant des années entières, les chants les plus sublimes, sans triompher de l’obscurité ; et, parce qu’il avait commis un crime, ce Loup voyait ses premiers essais applaudis avec transport. Je connais des Animaux de bien, des héros de vertu, auxquels on ne consacrerait pas deux lignes, et l’on entretenait pompeusement le public des faits et gestes d’un coquin. Ne vaudrait-il pas mieux dissimuler le mal, et mettre le bien en relief ? À la vérité, si l’on s’attachait à reproduire exclusivement les bonnes actions, on n’aurait parfois à expédier à ses abonnés que du papier blanc.

Repris aussitôt que le Loup put les supporter, les débats se poursuivirent pendant huit jours. On entendit vingt-cinq témoins, tant à charge qu’à décharge. Jurés, défenseurs, président, avocat général, n’épargnèrent ni interrogations, ni interruptions, ni observations, ni interpellations ; il en résulta que l’affaire, excessivement claire dans le principe, s’embrouilla au point de devenir incompréhensible. La plupart des procès ressemblent à l’eau d’une fontaine : plus on les agite, plus ils deviennent troubles.

L’accusé avait usé de tant de subterfuges pour captiver l’attention, il s’était si habilement posé, que ce fut au milieu d’une émotion universelle que le Vautour géneral prit son éssor oratoire :

« Messieurs les jurés, dit cet honorable volatile, avant d’entrer dans les détails des faits soumis à votre judicieuse appréciation, j’éprouve le besoin de vous adresser une question, une question grave, une question majeure, une question importante. Je vous le demande, Messieurs les jurés, je vous le demande avec un sentiment de vive douleur, je vous le demande avec un sentiment de pénible amertume… je dirai plus, Messieurs !… je vous le demande avec un sentiment d’ardente indignation : Où va la société ?… Et en effet, Messieurs, de quelque côté que nous portions nos yeux, nous ne voyons que désordres : désordres chez les Quadrupèdes, désordres chez les Oiseaux, désordres chez les Scarabées, désordres partout… Nous n’apercevons que des symptômes de désorganisation profonde, de désorganisation radicale, de désorganisation intime. Oui, Messieurs, le corps social se mine, le corps social se décompose ; le corps social toucherait à sa ruine, si vous n’étiez là, Messieurs, pour arrêter les progrès toujours croissant de la dissolution morale. »

« L’orateur soutient l’accusation sur tous les points, et conclut à la peine capitale. L’avocat riposte par de vigoureux croassements, après avoir préalablement déclaré que le plus beau spectacle qu’on puisse avoir sur la terre est celui de l’innocence aux prises avec le malheur.

« À midi et demi, les questions sont remises au jury. Il y en a trois : une pour chaque meurtre, une pour la préméditation. Le jury entre dans le taillis des délibérations. Des conversations animées s’engagent entre les assistants ; on distingue les voix glapissantes d’individus appartenant au sexe féminin. »

Bizarre contradiction, Messieurs les rédacteurs ! la nature a gratifié nos femelles, qui n’ont guère que des fadaises à exprimer, d’une loquacité intarissable. Le mâle, au contraire, a une tournure d’esprit plus sérieuse, mais possède à un moindre degré le don de la parole. De grâce, Mesdames, parlez moins, ou pensez plus.

« Il est trois heures. Les jurés rentrent à l’audience, et déclarent l’accusé coupable à la majorité de cinq croassements. Ce verdict, quoique prévu à l’avance, excite dans l’assemblée une vive sensation. (Mouvement général ; exclamations parmi les Oies).

« Le président : « Je recommande à l’auditoire le plus profond silence, le plus complet recueillement. Bouledogues, introduisez l’accusé. »

« Le Loup est ramené dans la salle ; sa démarche est assurée. Il entend la lecture de la déclaration du jury sans émotion apparente.

« Le Vautour général requiert, d’une voix émue, l’application de la peine.

« La Cour condamne le Loup a la peine de mort.

« La foule immense qui s’est entassée dans le prétoire reste morne et silencieuse ; pas un mot, pas un bêlement, pas un geste ne se manifeste. On dirait, à voir tous ces regards fixés sur un même point, tous ces becs muets et silencieux, qu’une même commotion électrique les a frappés tous d’une éternelle immobilité. »

Cette phrase ronflante termine le récit de cette dernière séance, publié dans le journal de la Cour criminelle. Le héros du procès vient d’être pendu ; il est mort avec courage et en protestant de son innocence.

Les geôliers ont trafiqué avantageusement des objets mobiliers qui avaient appartenu au condamné. Un Bœuf anglais, venu tout exprès des pâturages du Middlesex, a payé deux livres sterling une mèche de cheveux ; un libraire offre six mille francs du Triomphe de la Vertu.

On a publié quarante-deux portraits du Loup ; et, quoiqu’ils n’aient aucun rapport entre eux, chacun se déclare seul authentique et dessiné d’après nature à la Cour d’assises. Le Loup a eu les honneurs de la complainte, et voici celle que les Canards ambulants chantent à son intention :


Écoutez, Canards et Pies,
Geais, Dindons, Corbeaux et Freux,
Le récit d’un crime affreux,
Et bien digne des Harpies.
L’auteur de cet attentat
Est un Loup peu délicat.

Une Brebis malheureuse
Se promenait dans un champ ;
Il l’accoste, et le méchant,
D’une voix cadavéreuse,
Lui dit : « Madame, bonsoir,
Je suis charmé de vous voir. »

À ce discours trop perfide
Elle répond poliment ;
Mais le traître, en ce moment,
Tire un poignard brebicide,
Et, comme un vil assassin,
Le lui plonge dans le sein.

Mais la police protège
Les jours de tout citoyen !
On arrête le vaurien ;
Dans sa rage sacrilège,
Il veut se faire périr :
Il n’en a pas le plaisir.

Il vante son innocence,
Mais on ne l’écoute pas.

Après d’orageux débats,
On le mène à la potence.
Cet infâme condamné
Fut ainsi guillotiné.

moralité. Vous, dans le sentier du crime,
Qui pourriez être entraînés,
Par cet exemple apprenez
Cette vérité sublime :
Que celui qui fait le mal
Est un méchant Animal.



Les restes du supplicié ont été recueillis et enterrée sans cérémonie, sauf son crâne qu’on a remis à un Hibou, très-habile dans la science phrénologique. Cet illustre physiologiste lui a trouvé extraordinairement développée la bosse de la bienveillance. — Veuillez m’accorder la vôtre.

E. de La Bédollierre.