Scènes de la vie mexicaine
Revue des Deux Mondes, période initialetome 18 (p. 70-96).
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SCENES DE LA VIE MEXICAINE.




PERICO EL ZARAGATE.




I. – LA JAMAÏCA ET LE MONTE PARNASO.

De toutes les villes bâties par les Espagnols dans le Nouveau-Monde, Mexico est, sans contredit, la plus belle, et l’Europe pourrait s’enorgueillir de la compter au nombre de ses cités. Celui qui veut contempler dans toute sa splendeur le magnifique et bizarre panorama de la capitale du Mexique n’a qu’à monter, vers le coucher du soleil, sur l’une des tours de la cathédrale. De quelque côté qu’il porte ses regards, il aperçoit à l’horizon les dentelures de la Cordilière, gigantesque ceinture azurée de soixante lieues de tour. Au sud, les deux volcans qui dominent la sierra élèvent majestueusement leurs sommets couverts de neiges éternelles, et que les rayons obliques du soleil teignent en rose pourpre. L’un, le Popocatepetl (montagne fumante), se dessine en cône aigu sur l’azur déjà foncé du ciel ; l’autre, l’Iztaczihuatl (la femme blanche), affecte la forme d’une nymphe couchée qui livre ses épaules de glace aux dernières caresses du soleil. Au pied des deux volcans étincellent comme des miroirs trois lagunes où les nuages se reflètent, où les cygnes prennent leurs ébats. A l’ouest, le palais de Chapultepec, lieu de plaisance des empereurs aztèques et plus tard des vice-rois espagnols, déploie ses lignes imposantes. Autour de la montagne sur laquelle il est bâti, s’étend et ondule en vagues de verdure une forêt de cèdres dix fois séculaires. Du sommet de cette montagne, un fleuve s’élance et franchit la plaine sur les cent arches de ses aqueducs pour venir désaltérer une ville populeuse. A droite, à gauche, de tous côtés, des villages, des clochers, des coupoles, s’élèvent du sein de la vallée. Des sentiers poudreux s’entrecroisent et se découpent comme des rubans d’or sur la verdure ou le long des flaques d’eau. L’arbre du Pérou, le saule pleureur des sables, incline, sous les bouffées de la brise, ses rameaux échevelés, ses feuilles odorantes, ses grappes de baies rouges, et des palmiers dressent çà et là leurs troncs isolés au-dessus de massifs d’oliviers au pâle feuillage.

Ce ne sont là toutefois que les plans lointains et les grandes lignes du tableau. Ramenez vos regards sur la ville elle-même, ou plutôt regardez à vos pieds. Au milieu de l’échiquier formé par les terrasses des maisons, et parmi les fleurs dont ces terrasses sont ornées, vous verrez surgir, comme d’un immense bouquet, les clochers, les églises, avec leurs dômes de faïence jaune et bleue, les maisons enfin avec les murs bariolés et les balcons pavoisés de coutil qui leur donnent sans cesse un air de fête. La cathédrale occupe un des côtés de la plaza Mayor ; elle domine de toute la hauteur de ses tours le palais présidentiel, parallélogramme écrasé qui renferme à lui seul les sept ministères, — une prison, un jardin botanique, une caserne, les deux chambres. L’Ayuntamiento (municipalité) forme avec le palais un angle droit que continuent le portail de Las Flores et le Parian, vastes capharnaüms commerciaux. Ainsi le pouvoir législatif et exécutif, le domaine de la ville, le commerce, toute l’organisation mexicaine est là, résumée dans quelques édifices que l’église semble grouper sous son ombre. Le peuple est là aussi, car les rues de Santo-Domingo, de San-Francisco, de Tacuba, de la Monnaie, de la Monterilla, vomitoires de la grande cité, versent sur la plaza Mayor un flot toujours renouvelé, toujours en mouvement, et il ne faut que se mêler quelques instans à cette foule pour connaître la société mexicaine dans ses plus étranges contrastes de vice et de vertu, de splendeur et de misère.

A l’heure de l’Angelus surtout, cavaliers, piétons et voitures composent, sur la plaza Mayor, une foule chamarrée, compacte, multicolore, où l’or, la soie et les haillons se mêlent de la façon la plus bizarre. Les Indiens vont regagner leurs villages, la populace va retrouver ses faubourgs. Le ranchero fait piaffer son cheval au milieu des promeneurs, qui ne s’écartent que lentement ; l’aguador (porteur d’eau), qui finit sa journée, traverse la place, courbé sous son chochocol de terre poreuse ; l’officier se dirige vers les cafés ou les maisons de jeu, où il passera sa soirée ; le sous-officier se fait faire place à l’aide du cep de vigne, indice de son grade, comme jadis le centurion romain. Le jupon rouge de la femme du peuple tranche sur la saya et la mantille noire de la femme du monde, qui s’abrite sous son éventail du dernier rayon de soleil. Des moines de toutes couleurs fendent la foule en tous sens. Ici le padre, avec son grand chapeau à la Basile, coudoie le franciscain avec son froc bleu, sa ceinture en corde de soie et son large feutre blanc ; là passe le dominicain, avec son lugubre costume blanc et noir, qui fait souvenir de Torquemada, le fondateur de l’inquisition ; plus loin, le froc brun du capucin contraste avec les draperies blanches et flottantes du frère de la Merci. Des spectacles, des incidens variés se succèdent sans cesse au milieu de cette foule bigarrée et s’en partagent l’attention. Tantôt c’est le tambour de la caserne qui bat aux champs, les portes du santuario s’ouvrent à deux battans, une voiture en sort étincelante de dorures, les sons d’une cloche se mêlent aux roulemens des tambours, et toute la foule se découvre, s’agenouille et s’incline devant le saint sacrement qu’on porte à quelque mourant. Malheur à L’étranger philosophe ou ignorant qui dédaignerait de plier le genou ! Tantôt on voit déboucher sur la place un détachement de trois soldats escortés de six officiers et précédés de douze musiciens : c’est un bando de l’autorité suprême pour la promulgation duquel on déploie ce luxe ale musique et d’uniformes brodés. Tel est avant l’oracion l’aspect général de la plaza Mayor, vrai forum au milieu duquel le peuple de Mexico, le peuple souverain (c’est ainsi que ses flatteurs l’appellent), s’agite sous ses haillons, sans cesse en quête d’un nouveau maître à qui la puisse sacrifier le maître de la veille ; très insouciant d’ailleurs en fait de principes politiques, et prenant le désordre pour la liberté, sans se douter que les atteintes multipliées de l’anarchie pourraient bien un jour abattre le corps vermoulu de cette étrange république, déjà caduque après vingt-cinq ans d’existence !

Chaque soir cependant, aux premiers tintemens de l’Angelus, tout bruit cesse comme par enchantement sur la plaza Mayor. La foule frémissante s’arrête et se tait. Puis, quand les dernières vibrations des cloches ont expiré dans l’air, le mouvement renaît. La cohue s’écoule en tous sens, les voitures s’ébranlent, les cavaliers galopent, les piétons s’écartent, mais pas toujours assez promptement pour se dérober A. l’épée ou au lazo de hardis voleurs qui assassinent ou dévalisent ceux qu’ils choisissent pour victimes, quelquefois même en plein jour et à la face de tous[1]. La nuit venue, la place est déserte ; quelques rares promeneurs parcourent au clair de la lune le trottoir qui borde le parvis ; d’autres restent assis ou se balancent nonchalamment sur les chaînes de fer qui rattachent entre elles les bornes de granit du santuario. La journée est achevée, les scènes nocturnes commencent, et les léperos deviennent pour quelques heures les maîtres de la ville.

Le lépero est un des types les plus bizarres de la société mexicaines Celui surtout qui a pu voir Mexico non-seulement livrée à cette agitation joyeuse qui précède l’oracion, mais plongée dans le silence sinistre que la nuit ramène, celui-là peut seul dire ce qu’il y a de redoutable et de singulier dans le caractère de ce lazzarone mexicain. A la fois brave et poltron, calme et violent, fanatique et incrédule, ne croyant à Dieu que juste pour avoir du diable une terreur salutaire, joueur éternel, querelleur par caractère, voleur par instinct, d’une sobriété qui n’a d’égale que son intempérance, le lépero sait accommoder sa paresse comme son humeur à toutes les fortunes. Tour à tour porte-faix, maçon, conducteur de chevaux, paveur de rues, commerçant, le lépero est partout. Il exerce partout sa profession préférée, aux églises, aux processions, aux spectacles, et toujours au détriment des assistans ; aussi sa vie n’est-elle qu’un long démêlé avec la justice, qui n’est pas elle-même à l’abri de ses larcins. Prodigue dans la richesse, le lépero n’est pas moins résigné, moins courageux dans la pauvreté. A-t-il gagné le matin de quoi subvenir à peu près à la dépense de la journée, il cesse aussitôt tout travail. Souvent aussi ses ressources précaires viennent à lui manquer. Tranquille alors et sans souci des voleurs, il s’étend, enveloppé de sa couverture déchirée, à l’angle d’un trottoir ou sur le seuil d’une porte. Là, raclant sa jarana (petite mandoline), contemplant avec une sérénité stoïque la pulqueria (cabaret) où le crédit lui est inconnu, il prête une oreille distraite au sifflement de la friture voisine, resserre plus étroitement la corde qui sangle son ventre, déjeune d’un rayon de soleil, soupe d’une cigarette et s’endort sans penser au lendemain.

J’avouerai ma faiblesse : parmi cette foule oisive et bruyante qui m’attirait chaque soir sur la plaza Mayor, mon attention négligeait volontiers l’élite des promeneurs pour s’arrêter sur les groupes déguenillés qui m’offraient une expression à la fois plus triste et plus vraie de la société mexicaine. Je n’avais jamais, par exemple, rencontré un lépero dans tout le pittoresque délabrement de son costume sans me sentir l’envie d’observer de plus près cette classe de bohémiens qui me rappelaient les plus étranges héros des romans picaresques, Il me semblait curieux de comparer ce fils impur des grandes villes aux sauvages aventuriers que j’avais rencontrés dans les bois et les savanes. Pendant les premiers temps de mon séjour à Mexico, je cherchai donc et je réussis, par l’intermédiaire d’un moine franciscain de mes amis, à me faire admettre dans l’honorable intimité d’un lépero de la meilleure souche nommé Perico le Zaragate[2]. Malheureusement nos relations étaient à peine commencées, que j’étais déjà, pour de très bonnes raisons, tenté de les rompre : je n’avais encore tiré du lépero que des révélations fort insignifiantes sur sa condition comme sur celle de ses pareils, et la quantité de piastres que Perico avait su m’arracher était assez considérable pour me donner fort à réfléchir. J’étais fermement résolu à en finir avec des leçons si coûteuses, quand je vis un matin entrer chez moi fray Serapio, le digne moine qui m’avait fait connaître Perico.

— Je viens vous chercher, me dit le franciscain, pour vous mener aux taureaux de la place de Necatitlan ; il y a une jamaïca et un monte Parnaso qui rendront la course des plus piquantes.

— Qu’est-ce qu’une jamaïca et un monte Parnaso ?

— Vous le saurez tout à l’heure ; partons, car onze heures vont sonner, et nous arriverons à peine à temps pour nous bien placer.

Je n’avais jamais su résister à l’attrait d’une course de taureaux, et je trouvais dans la compagnie de fray Serapio l’avantage de traverser en sûreté les faubourgs qui entourent Mexico d’une formidable ceinture. Dans celui surtout qui avoisine la place de Necatitlan, il est presque toujours dangereux de se hasarder avec un habit européen, et ce n’était jamais sans un certain malaise que je le traversais seul. Le capuchon du moine allait servir d’égide au frac parisien. J’acceptai avec empressement l’offre de fray Serapio, et nous partîmes. Pour la première fois je contemplai d’un œil tranquille ces rues sales sans trottoirs ni pavés, ces maisons noirâtres fendues et lézardées, berceau et refuge des bandits qui infestent les chemins et pillent souvent même les habitations de la ville. Une multitude de léperos borgnes, couturés, cicatrisés par le couteau, buvaient, sifflaient, criaient dans les tavernes, drapés dans leurs draps de coton souillés ou dans leurs frazadas[3] à jour. Des femmes à peine vêtues d’affreux haillons se tenaient sur le seuil des maisons au milieu d’enfans nus qui se roulaient dans la fange en poussant des cris aigus. En traversant ces hideux repaires, effroi de la police, le juge criminel récite une oraison, l’alcade se signe, le corchete (recors) et le régidor se font petits, l’honnête homme frissonne ; mais le moine y passe le front haut, le sourire aux lèvres, et le frôlement de sa sandale y est plus respecté que le bruit du sabre d’un celador ; souvent même, comme des tigres apprivoisés qui reconnaissent leur maître, les bandits se découvrent sur son passage et viennent baiser sa main.

La place de Necatitlan présentait un spectacle bizarre et nouveau pour moi. D’un côté, le soleil versait d’insupportables clartés sur les palcos de sol[4], et derrière les couvertures, les rebozos étendus pour donner de l’ombre, la populace, échafaudée en pyramides hurlantes, se livrait à un abominable concert de cris et de sifflemens. Du côté de l’ombre, les plumets des officiers, les châles de soie aux couleurs variées, formaient un coup d’œil qui consolait en quelque sorte le regard attristé par la misère et la nudité des loges exposées au soleil. J’avais vu cent fois ce spectacle, j’avais vu cette foule fatiguée, mais non rassasiée de carnage, lorsque vers le soir, à la fin des courses, les gosiers épuisés ne laissaient plus échapper que de rauques exclamations, lorsque le soleil dardait de longs rayons à travers les planches mal jointes de l’amphithéâtre, lorsque l’odeur du sang attirait au-dessus du cirque des bandes de vautours affamés ; mais je n’avais jamais vu l’arène même transformée comme elle l’était ce jour-là. De nombreuses armatures de bois remplissaient toute l’enceinte consacrée d’ordinaire aux courses ; revêtus d’herbe, de fleurs et d’odorantes ramées, ces échafaudages ne présentaient qu’une vaste salle de verdure, qu’une sorte de frais bosquet avec ses avenues mystérieuses, ses ruelles ménagées pour la circulation. Les cabanes disposées sous ce bosquet étaient autant d’asiles ouverts à la gastronomie mexicaine, autant de cuisines ou de puestos[5] d’eaux fraîches. Dans les cuisines, c’était, comme toujours, ce luxe extravagant de ragoûts sans nom à base de piment, de feu et de graisse de porc ; dans les puestos brillaient, au milieu des fleurs, des verres gigantesques remplis de boissons rouges, vertes, jaunes, bleues. La populace des palcos de sol s’enivrait à longs traits de l’odeur nauséabonde de la graisse, tandis que d’autres plus heureux, assis dans cet élysée improvisé, savouraient sous des tonnelles de verdure la chair du canard sauvage des lagunes.

— Voilà, me dit le franciscain en me montrant du doigt les nombreux convives attablés dans l’arène, voilà ce qu’on appelle une jamaïca.

— Et ceci, comment l’appelez-vous ? dis-je à mon compagnon en lui désignant un arbre de quatre à cinq mètres de haut, planté avec toutes ses feuilles au milieu de l’arène, et tout pavoisé de grossiers mouchoirs de couleur qui flottaient à chacune de ses branches.

— Ceci est le monte Parnaso, me répondit le franciscain.

— Aurions-nous par hasard une ascension de poètes ?

— Non, mais de léperos et des moins lettrés, ce qui sera beaucoup plus divertissant.

Comme le moine me faisait cette réponse, qui ne m’instruisait qu’à demi, les cris de toro ! toro ! vociférés par la galerie que le soleil dévorait, devinrent de plus en plus bruyans ; les cuisines, les puestos d’eaux rafraîchissantes furent désertés en un clin d’œil ; les déjeuners furent subitement interrompus, et les débris des vertes cabanes jonchèrent le sol de l’arène sous le choc impétueux d’une bande de léperos qui se laissèrent glisser, à l’aide de leurs couvertures, des loges les plus élevées dans l’enceinte. Parmi ces forcenés qui hurlaient, gambadaient en détruisant les frêles cabinets de verdure, je ne fus pas surpris de retrouver mon ancien ami Perico. Sans lui, la fête n’eût pas été complète. Le monte Parnaso, avec ses foulards de coton, s’élevait seul au milieu des débris de toute espèce qui encombraient l’arène, et devint bientôt le point unique des regards et des efforts de cette populace. Tous essayèrent d’y grimper à l’envi pour s’emparer des foulards qu’ils convoitaient ; mais, comme il arrive toujours, les efforts des uns paralysaient les efforts des autres, et l’arbre restait debout sans qu’aucun des prétendans pût en embrasser la circonférence. Au même instant, la trompette retentit dans la loge de l’alcade, la porte du toril s’ouvrit et donna passage au plus magnifique taureau que les haciendas voisines eussent pu fournir. Malheureusement pour les assistais, qui comptaient voir les léperos aux prises avec un ennemi plus redoutable, le taureau était un embolado[6]. Les lauréats du monte Parnaso montrèrent néanmoins quelque hésitation et jetèrent du côté du toril un regard effrayé. Le taureau, après avoir hésité lui-même, se dirigea au galop vers l’arbre toujours debout. Quelques léperos s’enfuirent, et les autres, délivrés de cette concurrence, purent s’élancer les uns après les autres sur les branches du monte Parnaso. Une catastrophe était imminente ; le taureau, arrivé au pied de l’arbre qui abritait les léperos, donnait dans le tronc des coups de corne redoublés. Sous le poids dont les branches étaient chargées, l’arbre s’inclina bientôt de côté ; enfin, au moment où Perico faisait une ample moisson de foulards, il s’inclina davantage et s’abattit, entraînant dans sa chute une grappe hideuse de corps entrelacés. Des rires frénétiques, des applaudissemens enthousiastes éclatèrent parmi les douze mille spectateurs qui garnissaient les gradins et les loges, à l’aspect des malheureux qui, meurtris, éclopés, cherchaient à se dégager de leurs étreintes mutuelles et des branchages dans lesquels ils étaient enchevêtrés. Le taureau vint ajouter à la confusion en égrenant à coups de corne cette noire guirlande, et j’eus la douleur de voir l’infortuné Perico, lancé à dix pieds en l’air, retomber dans un état d’immobilité qui m’ôtait tout espoir de continuer jamais sous un maître si habile mes études encore bien incomplètes sur la vie mexicaine.

Au même instant où Perico était emporté à grand’peine hors de l’enceinte, cent voix s’élevèrent pour appeler un prêtre. Pray Serapio se tapit à ce moment dans un angle de la loge ; mais, quoi qu’il en eût, il ne put esquiver le devoir que lui imposait la volonté du peuple. Il se leva donc avec une gravité qui dissimulait aux yeux du public son vif désappointement, et me dit tout bas :

— Suivez-moi, vous passerez pour médecin.

— Vous plaisantez ? lui dis-je.

— Non, parbleu ! si le drôle n’est pas tout-à-fait mort, il aura un médecin et un confesseur de la même force.

J’accompagnai le moine avec une gravité pour le moins égale à la sienne, et, pendant que nous descendions les escaliers du cirque, les éclats de rire et les vivats de la foule nous prouvèrent que le public de l’ombre, comme celui du soleil, avait déjà oublié un incident aussi ordinaire. Nous fûmes introduits dans une petite pièce sombre pratiquée au milieu des couloirs du rez-de-chaussée. Dans un coin de cette pièce, on venait de déposer l’infortuné Perico, qu’on avait au préalable débarrassé de ses foulards. Puis, moitié par respect pour l’église et la faculté si dignement représentées l’une et l’autre, moitié par le désir de ne pas perdre le spectacle de la course, les assistans nous laissèrent seuls. Le lépero, la tête appuyée contre la cloison et ne donnant aucun signe de vie, était assis plutôt que couché ; ses bras pendans, sa figure d’une pâleur cadavéreuse, indiquaient que, si la vie n’avait pas abandonné ce corps inerte, il ne devait plus en rester qu’une bien faible étincelle. Nous nous regardâmes, le franciscain et moi, aussi embarrassés l’un que l’autre de notre rôle.

— Je crois, dis-je au moine, que vous pouvez à tout hasard lui donner l’absolution.

Absolvo te, dit fray Serapio en poussant rudement du pied le lépero, qui parut enfin sensible à cette marque d’intérêt, et qui murmura en ouvrant à demi les yeux

— Je crois en Dieu le père, le fils et le saint… Ah ! les coquins m’ont enlevé mes foulards… Señor padre ! je suis un homme mort.

— Pas encore, mon fils, lui répondit le moine ; mais peut-être ne te reste-t-il que peu de temps pour confesser tes péchés, et tu ne feras pas mal d’en profiter pour que je puisse t’ouvrir à deux battans les portes du ciel. Je te préviens que je suis pressé.

— La course n’est donc pas finie ? dit naïvement le pauvre Perico. Mais je crois qu’à tout prendre, continua-t-il en se tâtant, je suis peut-être moins mal que vous ne pensez.

Puis, m’apercevant, Perico ferma les yeux, comme s’il se fût senti de nouveau défaillir, et reprit d’une voix éteinte

— Au fait, je me sens mal…, très mal, et, s’il vous plaît d’écouter ma confession, j’aurai bientôt fini.

— Commence donc, mon fils.

Le moine s’accroupit près du malade, qui, du reste, ne portait aucune trace extérieure de blessure, Otant son large chapeau gris, Perico se pencha à l’oreille du moine, et je m’écartai pour ne pas interrompre le lépero, qui commença ainsi :

— Je m’accuse d’abord, mon père, d’avoir répondu par la plus noire ingratitude aux prévenances du cavalier que voici, en le mettant à contribution aussi souvent que j’ai pu le faire, et… cependant moins que je ne l’aurais désiré, ce dont je le prie de ne pas me conserver rancune, car dans le fond… je lui étais tendrement attaché.

Je m’inclinai en signe d’assentiment.

— Je m’accuse aussi, mon père, d’avoir dérobé la montre en or du juge criminel Sayosa la dernière fois que je comparus devant lui,

— Comment cela, mon fils ?

— Le seigneur Sayosa eut l’imprudence de vouloir regarder l’heure devant moi et de faire un geste de surprise en se plaignant d’avoir oublié chez lui sa montre en or et sa chaîne. Je me dis dès-lors que, si je n’étais pas pendu, il y avait un bon coup à faire. Ignorant le sort qui m’était réservé, je donnai le mot d’ordre à un mien ami qu’on élargissait à l’instant même. Il faut vous dire que le seigneur juge avait un faible bien connu pour le dindon…

— Je ne te comprends pas, mon fils.

— Vous allez me comprendre. Mon compère acheta un dindon superbe et courut le présenter à la femme du seigneur Sayosa, en lui disant que son mari l’avait chargé de lui offrir cette belle bête ; le seigneur juge la priait en même temps, ajouta mon ami, de remettre au porteur la chaîne et la montre en or qu’il avait oubliées chez lui. Ce fut ainsi que la montre…

— Ceci est grave, mon fils.

— J’ai fait pis encore, mon père : le lendemain j’ai volé à la femme du juge pendant que son mari était en séance…

— Quoi ? mon fils.

— Le dindon, mon père. Vous concevez, on n’aime pas à perdre, murmura Perico d’une voix dolente. Le moine contint à grand’ peine un accès d’hilarité causé par la révélation du lépero.

— Et quel motif, mon fils, reprit-il d’une voix mal, affermie, t’avait conduit devant le seigneur, juge criminel Sayosa ?

— Une bagatelle : je m’étais engagé à servir, moyennant quelques écus, la vengeance d’un habitant de cette ville (le nom ne fait rien à l’affaire). On me fit voir l’homme que je devais frapper. C’était un jeune et beau cavalier, reconnaissable surtout à une longue et mince cicatrice qui se dessinait très distinctement au-dessus du sourcil droit Je m’embusquai à la porte d’une certaine maison où cet homme allait d’habitude tous les soirs après l’oraison. Je le vis en effet entrer dans la maison qui m’avait été signalée. La nuit tombait, et j’attendis. Deux heures se passèrent ; il n’y avait plus personne dans la rue, devenue silencieuse, et celui que j’attendais ne sortait pas. Il me prit envie de voir ce qui pouvait le retenir si long-temps. L’appartement était au rez-de-chaussée : je regardai donc à travers les barreaux d’une fenêtre qu’on avait laissée entr’ouverte, sans doute à cause de l’extrême chaleur…

Perico, soit par faiblesse, soit pour tout autre motif, semblait, en continuant sa confession, ne céder qu’avec répugnance à l’ascendant exercé sur lui par fray Serapio : on eût dit un de ces somnambules qui ne dévoilent leur pensée qu’à regret sous le fluide magnétique qui les domine. J’interrogeai le moine du regard pour savoir si je devais m’éloigner ; un coup d’œil me retint à ma place.

— Au-dessous d’une image des saintes ames, continua Perico, sommeillait une vieille femme enveloppée jusqu’aux yeux de son rebozo. Le beau cavalier, que je reconnus, était assis sur un canapé. Agenouillée devant lui, la tête appuyée sur ses genoux, une femme jeune et belle semblait, les yeux levés sur lui, s’enivrer d’une amoureuse contemplation. Le jeune homme effeuillait une rose rouge qui s’épanouissait dans la conque transparente d’un peigne d’écaille que des tresses de cheveux retenaient sur la tête inclinée devant lui. Je compris pourquoi le temps lui paraissait si court. Peut-être le mouvement de compassion que j’éprouvai me sera-t-il compté là-haut pour quelque chose, car je me sentis tout triste d’avoir à couper le fil d’un si doux roman.

— Tu l’as donc tué, malheureux ? s’écria le moine.

— Je m’assis dans l’ombre sur le trottoir en face de la maison. J’étais ému, le découragement m’avait pris, si bien que je m’endormis à mon poste. Le bruit d’une porte qui s’ouvrait m’arracha à mon assoupissement ; un homme sortit. Je me dis alors qu’une parole devait être sacrée, que ce n’était pas le moment d’écouter ma sensibilité naturelle, et je me levai. Une seconde après, j’étais sur les talons de l’inconnu. Les sons d’un piano se firent entendre presque en même temps derrière la fenêtre qui s’était refermée. On sentait que le bonheur devait doubler l’agilité des doigts qui parcouraient le clavier. — Pauvre femme me dis-je, ton amant va mourir, et tu chantes ! — Je frappai… l’homme tomba…

Le sensible Perico se tut et soupira.

— Le chagrin m’avait-il troublé la vue ? reprit-il après un court silence. Un rayon de lune éclaira en ce moment la figure de celui que j’avais frappé. Ce n’était pas mon homme. J’en fus, ma foi, content ; j’avais été payé pour tuer, j’avais tué, et, ma conscience tranquillisée à cet égard, je me mis en devoir de couper une mèche des cheveux de l’inconnu, afin de pouvoir rapporter à celui qui me payait un signe quelconque de l’accomplissement de ma mission. Tous les cheveux se ressemblent, me disais-je. Je me trompai encore ; l’homme que j’avais tué était un Anglais ; il avait les cheveux rouges comme un piment mûr. Le beau cavalier vivait. Alors, dans mon désappointement, je blasphémai le saint nom de Dieu, et c’est ce dont je m’accuse, mon père.

Perico se frappa la poitrine, tandis que le franciscain lui représentait toute la noirceur de ce dernier crime en passant très légèrement sur le premier, car la vie d’un home, d’un Anglais hérétique surtout, est d’un poids bien léger aux yeux de la classe la moins éclairée de la nation mexicaine, dont le moine et le lépero m’offraient deux types fort distincts. Fray Serapio termina son homélie en administrant à la hâte à Perico une absolution dans un latin digne des comédies de Molière ; puis il reprit en bon espagnol :

— Maintenant il ne te reste plus qu’à demander pardon à ce cavalier de l’avoir mis trop fréquemment à contribution, ce qu’il te pardonnera Volontiers, vu l’impossibilité où tu es de recommencer de long-temps.

Le lépero se tourna vers moi, et, de l’air le plus languissant qu’il put prendre :

— Je suis un grand pécheur, me dit-il, et je ne me croirai tout-à-fait absous que si vous daignez me pardonner les tours indignes que je vous ai joués. Je vais mourir, seigneur cavalier, et je n’ai pas de quoi me faire enterrer. Ma femme doit être avertie à l’heure qu’il est, et ce serait un grand soulagement pour elle, si elle trouvait dans ma poche quelques piastres pour payer mon linceul. Dieu vous les rendra, seigneur français.

— Au fait, dit le moine, vous ne pouvez guère refuser cette faveur à ce pauvre diable, et ce sont les dernières piastres qu’il vous coûtera.

— Dieu le veuille ! dis-je sans penser que je faisais presque un souhait homicide, et je vidai ma bourse dans la main que me tendait Perico, qui ferma les yeux, laissa tomber sa tête à la renverse, et ne parla plus.

Requiescat in pace ! dit fray Serapio ; la course doit être bien avancée, et je n’ai plus rien à faire ici.

Nous sortîmes. — Après tout, me disais-je en m’éloignant du cirque, je n’avais pas encore obtenu du Zaragate des confidences aussi curieuses. Une telle confession me dédommageait amplement du mécompte que m’avaient causé mes premières relations avec ce singulier personnage. D’ailleurs, cette leçon était la dernière que devait me donner le lépero, et à cette pensée je ne pouvais me défendre d’un peu de pitié pour lui. J’avais tort cependant, comme on va le voir, de croire tous mes comptes réglés avec mon maître Perico.

II. – L’ALAMEDA. – LE PASEO DE BUCARELI.

Il est peu de villes au Mexique qui ne possèdent leur alameda[7], et, comme il convient à la capitale d’une république ou d’un royaume, celle de Mexico est sans contredit la plus belle. Une promenade de ce genre manque à Paris. Hyde-Park à Londres est celle qui s’en rapproche le plus. L’Alameda de Mexico forme un carré long, entouré d’une muraille à hauteur d’appui, qui longe un fossé profond, dont les eaux bourbeuses, aux exhalaisons fétides, déparent ce lieu de plaisance, irréprochable du reste. Une grille, à chacun des angles, donne passage aux voitures, aux cavaliers et aux piétons. Des peupliers, des frênes et des saules forment un berceau de verdure au-dessus de la chaussée principale, destinée aux chevaux et aux voitures, qui roulent et galopent silencieusement sur un terrain uni. Des allées qui convergent à de grands centres communs, ornés de fontaines aux eaux jaillissantes, interposent leurs massifs de myrtes, de rosiers et de jasmins entre les voitures et les promeneurs à pied, dont l’œil peut suivre, à travers ces ombrages embaumés, des équipages luxueux, des chevaux pleins d’ardeur dans leurs évolutions répétées autour de l’Alameda. Le bruit des roues, étouffé par le sable des allées, arrive à peine à l’oreille, mêlé au murmure des jets d’eau, à la brise parfumée qui frémit dans une verdure éternelle et toujours jeune, aux bourdonnemens des abeilles et des colibris. Les carrosses dorés se croisent, dans une circulation incessante, avec les voitures européennes, et les splendides harnachemens des chevaux mexicains ressortent dans tout leur éclat à côté de la selle anglaise, qui paraît bien mesquine au milieu de ce luxe vraiment oriental. Les femmes du monde ont quitté à l’heure de la promenade la laya et la mantille pour revêtir des costumes en arrière de six mois sur les dernières modes parisiennes. Nonchalamment étendues sur les coussins des voitures, elles laissent reposer dans une chaussure souvent, hélas ! trop négligée ce pied qui fait leur orgueil et l’admiration des Européens. Heureusement les glaces baissées ne laissent entrevoir que leur diadème de noirs cheveux rehaussés de fleurs naturelles, leur séduisant sourire, leurs gestes, où la vivacité s’unit si gracieusement à la nonchalance. L’éventail s’agite, et parle aux portières son mystérieux langage. La foule des promeneurs à pied ne présente pas un spectacle moins piquant ; seulement l’Europe mêle en moins grand nombre ses tristes costumes aux costumes bariolés de l’Amérique.

Après un certain nombre de tours, les voitures abandonnent l’Alameda, les cavaliers suivent les voitures ; toute cette foule passe indifférente devant une fenêtre grillée, qui donne sur le trottoir qu’il faut longer pour gagner une promenade nommée le Paseo de Bucareli[8]. On ne devinerait guère quelle hideuse exposition ces grilles rouillées protégent chaque jour, à deux pas de la plus brillante promenade de Mexico : cette fenêtre est celle de la morgue où l’on expose les cadavres. La sollicitude de la justice ne commence que de ce moment, et ces cadavres d’hommes et de femmes sont jetés là pêle-mêle, à moitié nus, encore sanglans ; chaque jour, cette morgue a des hôtes nouveaux Quant au Paseo, voisin du funèbre édifice, il n’étale pour tous ornemens qu’une double rangée d’arbres, des bancs de pierre destinés aux promeneurs à pied, et trois fontaines surchargées de détestables statues allégoriques. De ce lieu, on découvre le même paysage que du haut de la cathédrale : ce sont encore les deux pics neigeux des volcans avec leurs panaches de nuages, les sierras nuancées de tons violets, et, à leur pied, les façades blanches de quelques haciendas, des champs de maïs entrevus à travers les arches d’aqueducs gigantesques, enfin quelques dômes d’églises et de châteaux presque toujours noyés, à l’heure où les promeneurs fréquentent le Paseo, dans les vapeurs lumineuses du soir.

C’était le soir aussi, le soir du jour où j’avais assisté à la course de taureaux, que je m’étais mêlé à la foule des oisifs qui couvre ordinairement l’espace compris entre le Paseo et l’Alameda. La nuit commençait à le disputer au jour ; les réverbères allaient s’allumer, les promeneurs à pied et en voiture regagnaient rapidement leurs demeures. C’était un dimanche. Bruyamment répétés par les cloches sans nombre des églises et des couveras, les tintemens de l’Angelus dominaient le bourdonnement de la foule, dont une partie s’arrêtait avec respect, et dont une autre se précipitait comme un torrent qu’aucun obstacle ne peut retenir. Le jour, qui jetait ses dernières lueurs à travers les grilles de la morgue, n’éclairait plus que faiblement les victimes qui gisaient pêle-mêle sur un lit de maçonnerie maculé de larges plaques de sang. En vain repoussées par des soldats qui les envoyaient pleurer plus loin, des femmes se lamentaient devant les barreaux et poussaient des cris de douleur. Leurs cris ameutaient les passans ; les uns les plaignaient, les autres se contentaient de les regarder curieusement. Agenouillé près des grilles de la morgue, la tête découverte et tenant la bride d’un cheval richement caparaçonné, un homme récitait dévotement ses oraisons. A son costume, il était facile de reconnaître qu’il appartenait à la classe aisée des habitans de Tierra Afuera[9], qui repoussent avec un égal dédain les modes et les idées de l’Europe. Cet équipement pittoresque s’alliait bien du reste à des traits mâles et pleins de distinction. Au-dessus du sourcil droit de l’inconnu, une longue et mince cicatrice se dessinait en blanc sur son front découvert. C’était, sans nul doute, le beau jeune homme dont Perico m’avait le matin même fait le portrait. Rendait-il grace à Dieu de l’avoir arraché au danger, ou le remerciait-il d’aimer et d’être aimé ? La question resta douteuse pour moi, et d’ailleurs les dévotions qui donnaient matière à ces conjectures furent subitement interrompues. Effrayé par le bruit des voitures, un cheval rebelle aux efforts de son cavalier vint heurter violemment l’échelle au haut de laquelle un sereno allumait un réverbère suspendu aux murs de la caserne de La Acordada. Le sereno tomba d’une hauteur de quinze pieds, et resta sans mouvement sur le pavé. Il me serait facile de décrire la stupeur du malencontreux cavalier à la vue du sereno privé de connaissance et peut-être mortellement blessé, car ce cavalier, il faut bien le dire, c’était moi ; mais j’aime mieux raconter ce qui s’ensuivit.

On connaît les habitudes bienveillantes de la populace des grandes villes à l’endroit de ceux qui par malheur commettent d’aussi tristes maladresses. Pourtant on ne se rend peut-être pas un compte bien exact de l’attitude d’une pareille populace au Mexique, surtout vis-à-vis d’un étranger qui n’est pour elle qu’un ennemi naturel. Contenu, malgré sa fougue, au milieu d’un flot pressé de léperos qui ne délibéraient que sur le genre de supplice à infliger à l’auteur désolé d’un pareil crime, mon cheval n’était pour moi d’aucune ressource, et je me surpris un instant à envier le sort du sereno insensible du moins aux atteintes de cette multitude, qui le foulait aux pieds sans prendre de lui nul souci. Fort heureusement le hasard m’envoya deux auxiliaires sur l’un desquels au moins j’étais loin de compter. Le premier fut un alcade qui, escorté de quatre soldats, se fit jour jusqu’à moi, et me dit qu’à ses yeux j’étais convaincu d’avoir causé la mort d’un citoyen mexicain. Je m’inclinai silencieusement. D’après les ordres du magistrat, on chargea le corps du sereno toujours immobile sur un tapestle (espèce de brancard) tenu en réserve dans la caserne pour des cas semblables ; puis, m’invitant poliment à descendre de cheval, l’alcade m’enjoignit de suivre à pied le brancard jusqu’au palais, d’où je me trouverais tout naturellement à deux pas de la prison. Je n’eus garde, on le pense bien, de céder sur-le-champ à cette invitation ; j’essayai de démontrer à l’alcade que le cas exceptionnel où je me trouvais n’autorisait nullement une pareille procession judiciaire. Malheureusement l’alcade était, comme presque tous ses pareils, doué d’une ténacité à toute épreuve, et à tous mes raisonnemens il ne répondit qu’en insistant de plus belle sur le respect dû à la coutume. Je songeai alors à chercher parmi les assistans quelqu’un qui voulût bien me servir de caution, et tout naturellement mes regards se portèrent sur l’endroit où j’avais remarqué, le cavalier agenouillé qui, à la première vue, m’avait inspiré un si profond intérêt ; mais le cavalier avait disparu. Allais-je donc être forcé de me soumettre à l’odieuse formalité exigée par l’alcade ? C’est à ce moment que le hasard m’envoya le second auxiliaire dont j’ai parlé. Le nouveau personnage qui vint s’interposer entre l’alcade et moi était très majestueusement drapé d’un manteau de drap de Queretaro, couleur olive, dont un pan relevé cachait presque entièrement sa figure. A travers les nombreuses déchirures du manteau, on pouvait apercevoir une veste d’un drap non moins équivoque. Arrivé devant l’alcade, après avoir, non sans peine, fendu la foule, ce personnage passa le bras à travers un des trous de son manteau, et put ainsi, sans déranger les plis de sa cape, porter la main au débris de chapeau qui couvrait sa tête. Il se découvrit courtoisement, tandis que dans sa chevelure noire et hérissée restaient accrochés quelques cigarettes, un billet de loterie et une image de la miraculeuse vierge de Guadalupe. Je ne fus pas médiocrement surpris en reconnaissant dans ce respectable bourgeois mexicain mon ami Perico, que je croyais mort et à la veille d’être enterré.

— Seigneur alcade, dit Perico, ce cavalier a raison. C’est involontairement qu’il a commis ce meurtre, il ne doit donc pas être confondu avec les malfaiteurs ordinaires, et d’ailleurs je suis ici pour le cautionner, car j’ai l’honneur de le connaître intimement.

— Et qui te cautionne, toi ? demanda l’alcade.

— Mes antécédens, reprit modestement le Zaragate… et ce cavalier, ajouta-t-il en me désignant.

— Mais puisque c’est toi qui le cautionnes ?

— Eh bien ! je cautionne ce cavalier, ce cavalier me cautionne, ce sont donc deux cautions pour une, et votre seigneurie ne peut pas mieux rencontrer.

J’avoue que, placé entre la justice de l’alcade et la fatale protection de Perico, j’hésitai un instant. De son côté, l’alcade ne semblait guère convaincu par le syllogisme que Perico venait de lui lancer avec une si triomphante assurance. Je crus devoir alors terminer le débat en me penchant à l’oreille de l’alcade et en lui donnant mon adresse à voix basse.

— Eh bien ! reprit-il en se retirant, j’accepte la caution de votre ami à la cape olive, et je me rends de ce pas à votre domicile, où je compte vous trouver.

L’alcade et les soldats s’étaient éloignés ; la foule restait aussi compacte et toujours menaçante, mais un sifflement aigu et deux ou trois gambades eurent bientôt fait reconnaître Perico des gens de sa caste, qui se rangèrent avec empressement devant lui. Le lépero prit alors mon cheval par la bride, et je m’éloignai ainsi de ces groupes sinistres, fort inquiet sur le dénoûment de mon aventure, et fort triste surtout du malheureux événement qui en avait été l’origine.

— Comment se fait-il que je vous trouve si bien portant ? dis-je à mon guide quand j’eus recouvré un peu de sang-froid. J’avoue que je croyais vos affaires dans ce monde à jamais terminées.

— Dieu a fait un miracle en faveur de son serviteur, reprit Perico, et il leva dévotement les yeux au ciel ; mais on dirait, seigneur cavalier, que ma résurrection vous contrarie. Vous concevez du reste que, malgré tout mon désir de vous être agréable…

— Nullement, Perico, nullement, je suis enchanté de vous revoir en vie ; mais comment s’est opéré ce miracle ?

— Je n’en sais rien, reprit gravement le lépero ; seulement il s’est accompli assez rapidement pour que j’aie pu reprendre ma place parmi les spectateurs de la course, et même tenter une dernière ascension. Je venais d’être confessé et absous à neuf, c’était une occasion unique de risquer ma vie sans exposer mon ame ; j’ai voulu en profiter, et cela m’a porté bonheur, car, cette fois, en dépit du taureau qui m’a soulevé sur ses cornes, je suis retombé sur mes jambes, au grand contentement du public, qui a fait pleuvoir sur moi les réaux et les demi-réaux. Alors, me trouvant, grace à vous surtout, la bourse assez bien garnie, j’ai pensé à satisfaire mes goûts pour la toilette, et je suis allé au baratillo faire emplette de ce costume, qui me donne un air fort respectable. Vous avez vu avec quelle considération l’alcade m’a traité. Il n’y a rien de tel que d’être bien vêtu, seigneur cavalier !

Je vis clairement que le drôle m’avait joué une fois de plus, et que sa feinte agonie, comme sa confession, n’avait été pour lui qu’un excellent moyen de me tirer quelques piastres. J’avoue néanmoins que ma colère fut désarmée en ce moment par la dignité comique avec laquelle le lépero se pavanait dans son manteau troué, tout en me tenant ces étranges discours. Je ne songeai qu’à ne débarrasser d’une compagnie qui me devenait importune, et je me contentai de dire en souriant à Perico :

— Si je compte bien, les maladies de vos enfans, l’accouchement de votre femme, votre linceul, m’ont coûté à peu près une centaine de piastres ; vous faire remise du tout, ce sera, j’aime à le croire, payer assez généreusement le service que vous venez de me rendre. De ce pas donc je regagne mon domicile, et je vous renouvelle mes remerciemens.

— Votre domicile, seigneur cavalier ! y pensez-vous ! s’écria Perico, mais, à l’heure qu’il est, votre maison doit être cernée par la force armée : on vous cherche chez tous vos amis ; vous ne savez pas à quel alcade vous avez affaire ?

— Vous le connaissez donc ?

— Je connais tous les alcades, seigneur cavalier, et ce qui prouve combien je mérite peu le surnom qu’on me donne, c’est que tous les alcades ne me connaissent pas ; mais, de tous ses pareils, celui qui vous poursuit maintenant est le plus fin, le plus rapace, le plus diabolique.

Bien que j’eusse quelque raison de trouver ce portrait exagéré, je me sentis un moment ébranlé, dans ma résolution. Puis Perico me représenta, en termes vraiment pathétiques, le bonheur que sa femme et ses enfans éprouveraient à voir leur bienfaiteur venir leur demander un asile pour la nuit. Ayant à choisir entre deux protecteurs également intéressés, je me laissai convaincre par celui dont l’avidité avait les moins tristes dehors ; je me décidai à suivre de nouveau le lépero.

Cependant la nuit avançait ; nous traversions des ruelles suspectes, des carrefours déserts, des rues inconnues pour moi et remplies d’une formidable obscurité. Les serenos devenaient de plus en plus rares ; je me sentais entraîné vers le fond de ces faubourgs où la justice n’ose pas pénétrer, et j’étais sans armes, à la merci d’un homme dont j’avais entendu l’épouvantable confession. Jusqu’alors le Zaragate, je l’avoue, ne m’avait guère paru trancher beaucoup par ses crimes si effrontément avoués sur une population démoralisée par l’ignorance, la misère et les guerres civiles ; mais, à cette heure et au milieu de ce dédale de sombres ruelles, au milieu du silence de la nuit, mon imagination prêtait à cette figure picaresque de fantasques et colossales dimensions. La position était critique : abandonner brusquement un pareil guide, dans ces quartiers perdus, était dangereux ; le suivre ne l’était pas moins.

— Mais où diable demeurez-vous ? demandai-je à Perico.

Le lépero se gratta la tête pour toute réponse ; j’insistai.

— À dire vrai, reprit-il enfin, n’ayant pas de domicile fixe, je demeure un peu partout.

— Et votre femme, et vos enfans, et cet asile que vous m’offriez ?

J’avais oublié, reprit imperturbablement le Zaragate, que j’avais envoyé hier ma femme et mes enfans à… à Queretaro, mais quant à un asile…

— Est-ce à Queretaro que vous me l’offrez aussi ? demandai-je à Perico, reconnaissant trop tard que la femme et les enfans de cet honnête personnage étaient aussi imaginaires que son domicile.

— Quant à un asile, reprit Perico avec la même impassibilité, vous partagerez celui que les ressources de mon imagination vont me procurer, et que je sais trouver quand mes moyens ne me permettent pas de louer un domicile, car le ciel ne nous envoie pas tous les jours des courses de taureaux et d’autres aubaines semblables… Tenez, ajouta-t-il en une montrant du doigt une lueur vacillante et lointaine qu’on voyait se refléter sur le trottoir de granit, voilà peut-être notre affaire.

Nous avançâmes vers la lueur qui brillait au loin, et je pus bientôt reconnaître qu’elle s’échappait de la lanterne d’un sereno. Drapé dans un manteau jaunâtre qui n’était guère en meilleur état que celui de Perico, le gardien de nuit, accroupi sur le trottoir, semblait suivre d’un regard mélancolique les grands nuages qui traversaient le ciel. À notre approche, il resta immobile dans son indolente attitude.

— Holà ! l’ami, lui demanda le Zaragate, n’avez-vous pas connaissance dans le quartier de quelque velorio ?

— Oui, parbleu ! d’ici à quelques madras (pâtés de maisons) et près du pont de l’Ejizamo, vous en trouverez un, à telle enseigne que si je ne craignais quelque ronde du seigneur régidor, ou si je trouvais quelque brave garçon qui voulût prendre mon manteau et garder ma lanterne, j’irais moi-même à la fête.

— Bien obligé, dit courtoisement Perico ; nous allons profiter du renseignement.

Le sereno jeta un regard d’étonnement sur mon costume, qui jurait singulièrement avec celui de Perico.

— Les pareils de ce seigneur cavalier ont peu l’habitude de fréquenter ces réunions, dit l’homme de police.

— C’est un cas de force majeure ; ce seigneur a contracté une dette qui l’oblige à ne pas retourner ce soir chez lui.

— C’est différent, dit le sereno ; il y a des dettes qu’on n’aime à payer que le plus tard possible. -Et, prêtant l’oreille aux sons d’une horloge lointaine, le gardien de nuit, sans plus s’occuper de nous, cria d’une voix lugubre :

— Il est neuf heures, et le temps est orageux.

Puis il reprit sa première attitude, tandis que des voix lointaines de serenos lui répondaient successivement dans le silence de la nuit.

Je me remis mélancoliquement à marcher derrière Perico, suivi de mon cheval que je menais en laisse, car les règlemens de police interdisent, après l’oraison, de parcourir les rues de Mexico à cheval, et je n’étais nullement disposé à avoir de nouveau maille à partir avec les alcades. L’avouerai-je ? ce qui me décidait en ce moment à ne pas me séparer de mon guide, c’était ma curiosité, que ses paroles venaient de mettre en éveil. Je voulais savoir ce que pouvait être un velorio, et cet amour de l’imprévu, qui trouve tant d’occasions de se satisfaire au Mexique, venait une fois encore m’arracher à mes ennuis.

Nous n’avions pas marché dix minutes que, selon le renseignement du sereno, nous avions atteint un pont jeté sur un étroit canal. Des maisons crevassées baignaient leur pied verdâtre dans une eau grasse et bourbeuse. Une lampe, qui se consumait tristement devant un retablo des ames du purgatoire, jetait des reflets livides sur cette eau stagnante. Sur les azoteas (terrasses), des chiens de garde hurlaient après la lune, tantôt cachée ; tantôt encadrée seulement par un mobile rideau de nuages, car nous étions dans la saison des pluies. Sauf ces lugubres rumeurs, tout était silencieux là comme dans les autres quartiers que nous venions de traverser. Les fenêtres d’un premier étage, assez vivement éclairées en face du tableau des ames du purgatoire, tranchaient seules sur cette double rangée de sombres masures. Perico frappa à la porte de la maison illuminée. On tarda quelque temps à venir ; enfin la porte s’ouvrit, mais à demi, un des ventaux étant retenu, selon l’usage, par une chaîne de fer.

— Qui est là ? dit une voix d’homme.

— Des amis qui viennent prier pour les morts et se réjouir avec les vivans, répondit Perico sans hésiter.

Nous entrâmes. Éclairés par la lanterne de celui qui remplissait les fonctions de portier, nous traversâmes le vestibule et pénétrâmes dans une cour intérieure. Le guide montra à Perico un anneau scellé dans le mur : j’y attachai mon cheval par la bride ; nous montâmes une vingtaine de marches, et j’entrai, précédé de Perico, dans une pièce assez bien éclairée. J’allais enfin apprendre ce que c’est qu’un velorio.


III. – LE VELORIO.

La réunion dans laquelle Perico m’avait introduit présentait un spectacle des plus étranges. Des hommes et des femmes du menu peuple, au nombre d’une vingtaine, étaient assis en cercle, causant, criant, gesticulant. Une odeur fétide, cadavéreuse, mal combattue par la fumée des cigares, la vapeur du vin de Xérès et du chinguirito[10], remplissait la salle. Dans un coin de l’appartement, une table s’élevait surchargée de provisions de toute espèce, de tasses, de bouteilles, de flacons. A une table plus éloignée, des joueurs assis mêlaient au cliquetis de la monnaie de cuivre tous les termes techniques du monte, et se disputaient, avec une ardeur excitée par les liqueurs fortes, des piles de cuartillas et de tlacos[11]. Sous la triple inspiration du vin, des femmes et du jeu, l’orgie que je surprenais ainsi à son début paraissait devoir prendre rapidement un formidable essor ; mais ce qui me frappa le plus fut précisément l’objet qui semblait le moins préoccuper les assistans. Un jeune enfant, qui paraissait avoir atteint à peine sa septième année, était couché sur une table. A son front pâle, couvert de fleurs fanées par la chaleur de l’atmosphère étouffante, à ses yeux vitreux, à ses joues amaigries et plombées, déjà nuancées de tons violâtres, il était facile de voir que la vie s’était retirée de lui, et que depuis plusieurs jours peut-être il dormait du sommeil éternel. Au milieu des cris, des rires, du jeu, des conversations bruyantes, au milieu de ces hommes et de ces femmes qui riaient et chantaient comme des sauvages, l’aspect de ce petit cadavre était navrant. Les fleurs, les bijoux qui le couvraient, loin d’ôter à la mort sa lugubre solennité, ne faisaient que la rendre plus hideuse. Tel était l’asile que je devais à l’ingénieuse sollicitude de Perico.

Un silence général suivit notre entrée. Un homme, dans lequel j’eus bientôt reconnu le maître de la maison et le père de l’enfant mort, se leva pour nous recevoir. Son front, loin d’être chargé de tristesse, semblait au contraire rayonner de contentement, et ce fut d’un air d’orgueil qu’il nous montra les nombreux hôtes réunis pour célébrer avec lui la mort de son fils, regardée comme une faveur du ciel, puisque Dieu avait daigné rappeler à lui le jeune enfant avant l’âge de raison. Il nous assura que nous étions les bienvenus dans sa maison, et que pour lui, en un jour semblable, les étrangers devenaient des amis. Grace à la loquacité de Perico, j’étais devenu le point de mire de tous les regards. J’avais un personnage difficile à remplir, Perico ayant cru devoir affirmer, à tous ceux qui voulaient l’entendre, qu’il était impossible de tuer les gens de meilleure grace que je ne l’avais fait. Pour m’élever à la hauteur de mon rôle, je me hâtai de mettre mes gants dans ma poche et d’affecter une assurance cavalière, persuadé qu’il était prudent de hurler avec les loups.

— Que pensez-vous du gîte que je vous ai trouvé ? me demanda Perico en se frottant les mains ; celui-là ne vaut-il pas mieux que celui que je pouvais vous offrir ? En outre, vous saurez maintenant ce qu’on appelle un velorio. C’est une ressource dans les soirées de tristesse ou de désœuvrement. Grace à moi, vous acquerrez ainsi des titres à la reconnaissance éternelle de ce digne père de famille, dont l’enfant, mort avant l’âge de sept ans, est maintenant un ange dans le ciel.

Et Perico, jaloux sans doute de s’assurer aussi une part dans ce tribut de gratitude, s’empara sans façon d’un énorme verre de chinguirito qu’il vida d’un trait. J’étais pour la première fois témoin de cette coutume barbare qui ordonne à un père de famille d’étouffer ses larmes, de dissimuler ses angoisses sous un front riant, de faire les honneurs de chez lui au premier vagabond qui, sur le renseignement d’un sereno, vient se gorger de viandes et de vins devant le cadavre de son fils, et partager des largesses qui souvent condamnent le lendemain toute une famille à la misère. Une fois que l’orgie, un moment troublée, eut repris de plus belle, je retrouvai un peu de calme, et je me mis à jeter les yeux autour de moi. J’aperçus alors, au milieu d’un cercle empressé de ces femmes qui se font un devoir de ne jamais manquer une veillée des morts, un front pâle, une bouche qui essayait de sourire malgré des yeux pleins de larmes, et, dans cette victime d’une superstition grossière, je n’eus pas de peine à deviner la mère, pour laquelle un ange dans le ciel ne remplaçait pas l’ange qui lui manquait sur la terre. Parmi les commères qui se pressaient autour d’elle, c’était à qui redoublerait par les plus maladroites importunités l’affliction de la pauvre femme. L’une racontait les phases de la maladie et des souffrances du jeune défunt ; l’autre énumérait les remèdes infaillibles qu’elle aurait appliqués, si on l’avait consultée à temps, tels que les emplâtres de saint Nicolas, les moxas, la vapeur du pourpier cueilli un vendredi de carême, les décoctions d’herbes filtrées dans un morceau du froc d’un dominicain, et la pauvre mère crédule se détournait pour essuyer ses larmes, bien convaincue que ces remèdes auraient en effet sauvé son enfant. Le vin de Xérès, les cigarettes se succédaient rapidement pendant ces consultations ; puis on proposa et l’on mit en pratique tous les jeux innocens en vogue dans l’Amérique espagnole, tandis que des enfans, succombant à la fatigue, s’étendaient pour reposer dans tous les coins de la salle, comme s’ils eussent envié le sommeil de celui dont le front décoloré protestait, sous ses fleurs flétries, contre cette odieuse profanation de la mort.

Retiré dans l’embrasure épaisse d’une des croisées qui donnaient sur la rue, je suivais des yeux avec assez d’inquiétude tous les mouvemens de Perico. Il me semblait que cette protection qu’il m’avait imposée par surprise devait cacher quelque embûche. Ma physionomie devait trahir mes préoccupations, car le lépero s’approcha de moi et me dit en forme de consolation :

— Voyez-vous, seigneur cavalier, il en est de tuer un homme comme d’autre chose ; il n’y a que le premier pas qui coûte. D’ailleurs, votre sereno fera peut-être comme mon Anglais, qui aujourd’hui se porte mieux que jamais. Ces hérétiques ont la vie si dure ! Ah ! seigneur cavalier, dit Perico en soupirant, j’ai toujours regretté de ne pas être hérétique.

— Pour avoir la vie dure ?

— Non, pour me faire payer mon abjuration. Malheureusement ma réputation de bon chrétien est trop bien établie.

— Mais ce cavalier que vous deviez tuer ? — demandai-je à Perico, me trouvant tout naturellement ramené au souvenir du mélancolique jeune homme que j’avais vu agenouillé devant la morgue, — croyez-vous qu’il vive encore ?

Perico secoua la tête.

— Demain peut-être sa folle passion lui aura coûté la vie, et sa maîtresse ne lui survivra pas. Pour moi, je n’ai pas voulu faire deux victimes à la fois, et j’ai renoncé à cette affaire.

— Ces sentimens vous honorent, Perico.

Perico voulut profiter de l’impression favorable que sa réponse venait de produire sur moi

— Sans doute… on n’expose pas ainsi son ame pour quelques piastres… Mais, à propos de piastres, seigneur cavalier, continua-t-il en me tendant la main, je me sens en veine, et votre bourse est peut-être encore assez bien garnie ; au cas où je débanquerais le monte, je m’engage à vous mettre de compte à demi dans mon bénéfice.

Je crus prudent de ne pas répondre à cette nouvelle demande du Zarugate par un refus. Le monte allait d’ailleurs me débarrasser pour quelque temps d’une compagnie qui me devenait importune. Je glissai donc quelques piastres dans la main de Perico. Presque au même instant minuit sonna. Un des assistans se leva et s’écria d’une voix solennelle :

— C’est l’heure des ames en peine, prions !

Les joueurs se levèrent, les divertissemens furent suspendus, et tous les assistans s’agenouillèrent gravement. La prière commença à haute voix, interrompue par les répons à intervalles égaux, et pour la première fois on parut se souvenir du but de la réunion. Qu’on imagine ces convives aux yeux éteints par l’ivresse, ces femmes presque nues, réunis autour d’un cadavre couronné de fleurs ; qu’on fasse planer sur cette foule agenouillée les vapeurs d’une atmosphère épaisse, où des miasmes putrides se mêlent aux exhalaisons des liqueurs fortes, et on aura une idée de l’étrange, de l’horrible scène à laquelle j’étais forcé d’assister.

Les prières finies, les jeux recommencèrent de nouveau, mais avec moins d’ardeur. Il y a toujours, dans les réunions nocturnes, un moment de malaise où le plaisir, lutte avec le sommeil ; mais, ce moment franchi, la joie devient plus bruyante et prend l’aspect d’une sorte de délire, de frénésie. C’est l’heure de l’orgie : ce moment allait arriver.

J’avais repris mon poste dans l’embrasure de la fenêtre, et, pour échapper aux sollicitations du sommeil comme à l’air méphitique de la salle, j’avais entr’ouvert la croisée. Interrogeant du regard l’obscurité de la nuit, je cherchais à lire dans les étoiles l’heure qu’il pouvait être, je tâchais aussi de m’orienter au milieu du dédale de rues que j’avais traversé ; mais à peine apercevais-je au-dessus des maisons voisines un coin du ciel, qui, ce soir-là, n’avait pas sa sérénité ordinaire. Je consultai en vain mes souvenirs ; rien ne me rappelait dans Mexico ce canal aux eaux plombées, ces ruelles sombres qui ouvraient perpendiculairement aux deux quais leurs bouches obscures. J’étais complètement dépaysé. Devais-je rester plus long-temps au milieu de cette hideuse orgie ? devais-je affronter les périls d’une tentative d’évasion à travers les rues de ce faubourg écarté ? Pendant que je me posais, sans pouvoir les résoudre, ces questions également embarrassantes, un bruit de pas, des murmures confus, vinrent tout à coup me distraire. Je m’effaçai derrière un des contrevents intérieurs, de manière à voir et à entendre sans être vu. Une demi-douzaine d’hommes ne tardèrent pas à déboucher d’une des ruelles qui s’ouvraient en face de la maison où je me trouvais. Celui qui marchait en tête était couvert d’une esclavina[12] qui ne cachait qu’à demi le fourreau de son épée ; les autres tenaient à la main leurs lames nues. A leur allure timide, un Européen nouvellement débarqué les eût pris pour des malfaiteurs ; mais mon expérience ne se laissa pas mettre en défaut : la justice pouvait seule avoir une contenance aussi craintive, et il me fut facile de reconnaître une ronde de nuit composée d’un régidor, d’un alcade auxiliaire et de quatre celadores.

Voto a brios ! dit l’homme à l’esclavina, — sans doute un de ces magistrats auxiliaires à la fois alcades et cabaretiers, qui hébergent les malfaiteurs pendant le jour, quitte à les poursuivre la nuit ; — à quoi pense le seigneur préfet, en nous envoyant faire des rondes dans ces quartiers où jamais la justice n’a pénétré ? Je voudrais le voir chargé de cette besogne !

— Il aurait soin d’apporter avec lui les armes à feu qu’on nous refuse, dit l’un des corchetes, qui paraissait de tous le plus rassuré, car les criminels et les malfaiteurs n’ont pas l’habitude de ne porter comme nous que des armes blanches, et celui qu’on nous a chargés de protéger en fera peut-être cette nuit l’expérience à ses dépens.

— Que diable ! dit l’alcade, quand on sait qu’on s’expose à être assassiné la nuit, on reste chez soi.

— Il y a de ces enragés que nulle crainte n’arrête, reprit un des corchetes ; mais, comme dit l’Évangile, celui qui cherche le danger y périra.

— Quelle heure peut-il être à présent ? reprit l’auxiliaire.

— Quatre heures, répondit un des recors ; et, levant les yeux vers la fenêtre derrière laquelle je me cachais, le même homme ajouta : J’envie le sort des gens qui passent si gaiement leur nuit dans cette tertulia.

En conversant ainsi, les celadores longeaient le parapet qui borde le canal. Tout à coup l’auxiliaire qui marchait en tête trébucha dans l’obscurité. Au même instant, un homme se dressa debout et de toute sa hauteur devant les gardes de nuit.

— Qui êtes-vous ? demanda l’alcade d’une voix qu’il essaya de rendre imposante.

— Que vous importe ? répliqua l’homme d’un ton non moins arrogant. Ne peut-on dormir dans les rues de la ville sans avoir à subir un interrogatoire ?

— On dort chez soi… autant que possible, balbutia l’alcade visiblement intimidé.

L’individu surpris en flagrant délit de vagabondage fit entendre un sifflement aigu ; puis, repoussant l’alcade, il se jeta en courant dans la ruelle la plus voisine. A ma grande surprise, l’alcade et les celadores, au lieu de le suivre, s’éloignèrent, en gens qui devinent un piège, dans une direction tout opposée. Presque en même temps, une main se posa sur mon épaule ; je tressaillis et me retournai. Perico et l’hôte à qui il m’avait présenté étaient devant moi.

— Voici un sifflement qui m’a tout l’air d’un appel de mon compère Navaja occupé à quelque expédition, s’écria le premier en se penchant vers la fenêtre, tandis que le second, les jambes chancelantes, les yeux avinés comme un homme qui a trop consciencieusement rempli ses devoirs de maître de maison, me présentait un verre plein d’une liqueur que sa main tremblante laissait déborder. Puis, avec la susceptibilité particulière aux ivrognes

— On dirait vraiment, seigneur cavalier, me dit-il, que vous faites fi de la société de pauvres gens comme nous ; vous ne jouez pas, vous ne buvez pas, et cependant, pour certains cas de conscience, le jeu et l’eau-de-vie sont d’une grande ressource. Voyez, moi, j’ai bu et mangé, pour régaler mes amis, ce que j’avais et ce que je n’ai pas : eh bien ! je suis content, quoique je ne possède plus un tlaco dans le monde, et, si vous le voulez bien, je vous joue le corps de mon enfant. C’est un enjeu, continua-t-il d’un air confidentiel, qui en vaut bien un autre, car je puis le louer encore, et bien cher, à quelque amateur de velorio.

— Jouer le corps de votre enfant ! m’écriai-je.

— Et pourquoi pas ? Cela se fait fous les jours. Tout le monde n’a pas le bonheur d’avoir un ange là-haut, et le corps de ce cher petit porte bonheur ici-bas.

Je me débarrassai comme je le pus des obsessions d’un père aussi tendre pour reporter mes regards vers la rue ; mais les abords du canal étaient redevenus silencieux et déserts. Je ne tardai pas cependant à me convaincre que cette tranquillité, cette solitude, n’étaient qu’apparentes ; des bruits vagues, des rumeurs indécises, s’échappaient par momens d’une des ruelles qui aboutissent au canal. Bientôt je crus entendre crier le gravier sous des pas mal assurés. Le corps penché en dehors du balcon, l’oreille au guet, j’attendais l’instant où ce redoutable silence allait être troublé par quelque cri d’angoisse. Des éclats de voix ramenèrent de nouveau mon attention vers la salle à laquelle je tournais le dos. L’orgie avait en ce moment atteint son paroxysme. Le Zaragate, entouré d’un groupe menaçant de joueurs dont sa veine trop obstinément heureuse avait excité les soupçons, cherchait, mais en vain, à se draper fièrement des lambeaux de son manteau olive déchiré en longues lanières sous les mains furieuses de ses adversaires. Les épithètes les plus injurieuses tombaient sur lui de toutes parts.

— Je suis un homme de bien, s’écriait impudemment le drôle, aussi vrai que vos façons discourtoises ont mis en lambeaux un des plus beaux manteaux que j’aie possédés.

— Effronté voleur, criait un joueur, ton manteau avait autant d’accrocs que ta conscience !

— En tout autre endroit, reprit Perico, qui manœuvrait prudemment vers la porte, vous me rendriez raison de cette double injure. Seigneur cavalier, continua-t-il en m’appelant, soyez ma caution comme j’ai été la vôtre ; la moitié de mon gain vous appartient, c’est un gain loyal, et tout ceci n’est qu’une calomnie.

Je maudissais une fois de plus mon intimité avec Perico, quand un événement plus grave vint faire une diversion heureuse à la scène où je me voyais menacé d’être acteur. Un homme sortit précipitamment d’une des pièces les plus reculées de l’appartement. Sur ses pas, un autre individu s’élança le couteau à la main, bientôt suivi par une femme échevelée qui poussait des cris aigus.

— Me laisserez-vous assassiner ainsi ? s’écriait pitoyablement l’individu poursuivi, personne ne me donnera-t-il un couteau ?

— Laissez-moi, laissez-moi ouvrir le ventre de ce larron d’honneur ! hurlait le mari outragé.

Les femmes, par esprit de corps sans doute, poussèrent toutes à la fois des cris lamentables et se jetèrent entre les deux adversaires, tandis qu’un des amis de l’offenseur lui remettait furtivement un long couteau entre les mains. Celui-ci se retourna et se lança intrépidement à la rencontre de son rival. Les cris des femmes redoublèrent ; ce fut une infernale confusion. Les deux ennemis acharnés faisaient des efforts prodigieux pour fendre les groupes agglomérés entre eux. Le sang allait couler, quand, dans la lutte engagée entre tous, la table qui supportait l’enfant mort fut renversée. Le corps alla heurter le carreau avec un bruit sourd, et les fleurs qui le couvraient jonchèrent le sol. Un large cercle s’ouvrit aussitôt autour du cadavre profané. Un cri perçant domina tout ce tumulte, et la mère désolée se jeta sur les restes de son enfant avec une suprême et navrante sollicitude.

J’en avais trop vu. Je m’élançai vers le balcon pour jeter un dernier regard sur la rue et m’assurer qu’une évasion était encore possible ; mais de ce côté aussi le passage m’était fermé. Un homme venait de sortir d’une des ruelles qui s’ouvraient sur le bord opposé du canal. D’autres hommes couraient derrière lui en brandissant des armes. Ce Nanaja, dans lequel Perico venait de reconnaître un confrère, avait sans doute réuni sa troupe, et j’allais le voir terminer, sans pouvoir porter secours à la victime, un de ces coups nocturnes qui font la gloire sinistre de certains léperos. L’homme qu’on poursuivait atteignit bientôt le parapet du quai et s’y adossa. Je l’entendis distinctement s’écrier :

— Arrière, lâches coquins, qui vous mettez cinq contre un !

— Courage, muchachos ! cria de son côté celui qui paraissait être le chef de la bande. Il y a cent piastres à gagner !

Ce qui se passa ensuite, est-il besoin de le décrire ? La lutte trop inégale qui s’était engagée ne dura que quelques instans ; bientôt un cri de joie féroce m’annonça qu’elle s’était terminée à l’avantage des assassins. Pourtant le malheureux si lâchement attaqué respirait encore, il put même se traîner sur le pont, d’où, agitant un tronçon d’épée, il bravait encore les cinq assaillans ; mais ce fut un dernier effort. De nouveau entouré par ces misérables, de nouveau il tomba sous leurs coups. Aux blafardes lueurs de la lampe qui brûlait pour les ames du purgatoire, je vis les cinq hommes soulever un corps sanglant et le lancer dans le canal, dont la surface ne fut qu’un moment troublée. Une seconde après, les assassins avaient disparu, et cela si rapidement, que je pus me demander si je ne venais pas de faire un mauvais rêve ; mais la réalité me serrait de trop près pour que je pusse caresser long-temps cette erreur. Un nouvel incident vint d’ailleurs me prouver que j’étais parfaitement éveillé. Un homme à cheval sortit de la maison où m’avait conduit un si fatal enchaînement de circonstances, et dans cet homme je reconnus Perico, dans ce cheval le noble animal que j’avais amené à si grand’peine de l’hacienda de la Noria.

— Holà, drôle ! m’écriai-je, ceci passe la permission ; tu me voles mon cheval !

— Seigneur cavalier, reprit Perico avec un sang-froid imperturbable, j’emporte une pièce de conviction qui pourrait être accablante pour votre seigneurie.

Tel fut l’adieu que me laissa le lépero, et le cheval, vigoureusement stimulé, partit au galop. Pour moi, sans prendre congé de personne, je m’élançai à la poursuite du Zaragate. Il était trop tard, je n’entendis, plus dans le lointain qu’un hennissement plaintif et le bruit du galop, que la distance rendit bientôt insaisissable. Je m’élançai à tout hasard dans une des lugubres ruelles qui aboutissaient au canal. Il me fallut errer long-temps dans ce dédale avant de retrouver un quartier connu, et le jour pointait quand je pus m’orienter. La nuit m’avait porté conseil, et je résolus de faire la déclaration en règle du malheur que j’avais causé la veille. Je me dirigeai donc résolûment vers le juzgada de letras[13]. Quand j’entrai, le juge n’était pas encore arrivé, et j’attendis dans le vestibule. La fatigue et le sommeil ne tardèrent pas à l’emporter sur mes préoccupations de tout genre ; je m’endormis sur mon banc. Des rêves confus me retraçant les scènes bizarres dont j’avais été témoin, il me sembla entendre un bruit sourd autour de moi, puis le silence se fit tout à coup. J’ouvris les yeux, et je crus continuer encore le cauchemar qui m’avait oppressé. Une civière couverte d’un drap ensanglanté était déposée presque à mes pieds. Une pensée me traversa l’esprit comme un éclair. Je m’imaginai que j’avais été reconnu, et que, par un raffinement de justice barbare, on voulait me confronter avec celui dont j’avais causé la mort. Je me retirai dans le fond du vestibule ; la vue de ce drap sanglant m’était insupportable. Peu à peu cependant je me rassurai, et, m’armant de courage, j’allai soulever un coin du drap funèbre. Je n’eus pas de peine à reconnaître la victime. Sa belle et pâle figure, son front marqué d’une longue et mince cicatrice, avaient laissé dans ma mémoire une trop profonde empreinte. Les plantes marécageuses et le limon verdâtre qui souillaient ses joues me rappelaient aussi quel avait été le théâtre du crime. C’était bien là l’homme que j’avais vu si vaillamment mourir, que je savais si tendrement pleuré. Je laissai le drap retomber sur cette noble tête.

Un court épisode terminera ce trop long récit. Quinze jours s’étaient écoulés, et il ne m’était resté de mes aventures nocturnes qu’une horreur invincible pour toute la classe des léperos, quand je reçus l’ordre de comparaître devant un alcade inconnu. Un homme d’une quarantaine d’années, et qui m’était non moins inconnu que l’alcade, m’attendait à la barre.

— Seigneur cavalier, me dit cet homme, je suis le farolero que votre seigneurie a tué plus d’à moitié, et, comme cet accident a entraîné une incapacité de travail pendant quinze jours, vous ne trouverez pas mauvais que je vous demande une indemnité.

— Non, certes, dis-je, assez satisfait de voir que je n’avais à me reprocher la mort de personne. Combien demandez-vous ?

— Cinq cents piastres, seigneur.

J’avoue que cette demande exorbitante changea immédiatement ma satisfaction en colère, et je ne pus m’empêcher d’envoyer in petto l’allumeur de réverbères à tous les diables. Cependant j’eus honte presque aussitôt de ces sentimens, et, l’alcade m’ayant conseillé de transiger, je fus trop heureux d’en être quitte pour le cinquième de la somme demandée par le farolero. Après tout, si mes études sur les léperos me coûtaient cher, l’expérience que j’y gagnais avait son prix, et, parmi ces largesses forcées, je n’avais rien à regretter, pas même les piastres que m’avait extorquées mon trop ingénieux ami Perico.


GABRIEL FERRY.

  1. Le journal le Siglo XIX, du 11 novembre 1845, publiait une plainte adressée à l’excellentissime ayuntamiento au sujet de voleurs qui auraient devancé même le déclin du jour et choisi l’heure de midi pour exercer leur redoutable industrie. La plainte et la réponse du conseil municipal sont deux documens aussi curieux l’un que l’autre.
  2. Zaragate, vaurien de la plus dangereuse espèce.
  3. Couverture de laine commune et distincte en cela du sarape.
  4. On nomme ainsi les loges de la partie du cirque exposée au soleil.
  5. Puesto, boutique en feuillages.
  6. C’est-à-dire avec une boule à l’extrémité de chaque corne. Dans toutes les courses, c’est le taureau consacré à la populace.
  7. Alameda, littéralement, lieu planté de peupliers, alamos ; nom générique des promenades publiques.
  8. Du nom du vice-roi qui en dota la ville.
  9. Pays du dehors, par contraste avec ceux qu’en Sonora et sur les frontières on appelle Tierra Adentro, pays du dedans.
  10. Eau-de-vie de cannes à sucre.
  11. La cuartilla vaut trois sous, le tlaco un sou et demi.
  12. Petit surtout ou manteau court.
  13. Salle d’audience. Le juez de letras est le juge criminel.