Scènes de la vie des courtisanes/Le Philosophe
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Le Philosophe
Il ne vient donc plus chez toi, ô Drosis, le petit Clînias. Je ne l’ai pas vu chez vous depuis bien longtemps.
Non, ô Chélidonion. Son maître l’a enfermé pour qu’il ne m’approche plus.
Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ? Est-ce que tu veux parler de Diotimos le maître de gymnase ? celui-là est mon ami.
Non, c’est le plus débauché de tous les philosophes, Aristainetos.
Ce butor, velu et barbu, qui se promène d’habitude avec de petits jeunes gens dans la Poikilê ?
Ce vaniteux, ce mauvais homme que je voudrais livrer pour qu’on le fasse mourir, et que le bourreau le traîne par la barbe.
Comment celui-là a-t-il pu persuader Clînias ?
Je ne sais pas, Chélidonion. Mais ce petit qui n’a pas découché de chez moi depuis qu’il sait ce que c’est qu’une femme — et c’est moi qui le lui ai appris, — n’est pas venu dans ma rue depuis trois jours. Je me suis inquiétée, je ne savais pas ce qui lui était arrivé, et j’ai envoyé Nebris pour voir s’il était à l’Agora ou dans la Poikilê. Elle m’a dit qu’elle l’avait vu se promener avec Aristainetos, qu’elle lui avait fait de loin un signe de tête, mais qu’il avait rougi en baissant les yeux et qu’il ne l’avait plus regardée. Ensuite ils sont entrés dans la ville. Elle les a suivis jusqu’au Dipylos, mais comme il ne s’est pas retourné, elle est rentrée sans pouvoir me rien dire de certain. Tu penses dans quel état je suis depuis ce moment-là, ne sachant pas ce qu’on m’a fait de ce petit. Et je me disais : « Pourtant je ne lui ai pas fait de peine. Est-il aimé d’une autre pour me haïr ainsi ? C’est son père qui l’empêche de venir. » Je retournais tout cela dans ma tête. Et le soir Dromôn est venu m’apporter cette lettre de lui. Prends-la et lis, Chélidonion. Tu sais lire ?
Voyons. L’écriture n’est pas bien belle ; on voit qu’il t’a écrit vite. Il dit : « Comme je t’aimais, ô Drosis, j’en fais témoins les Dieux. »
Hélas, le malheureux ! il n’a même pas le temps d’écrire : Salut.
« Et maintenant ce n’est pas par haine, mais par nécessité que je suis séparé de toi. Mon père m’a confié à Aristainetos pour y faire de la philosophie ; et mon maître, quand il a tout appris sur nous deux, m’a beaucoup grondé, disant qu’il n’était pas convenable de vivre avec une courtisane quand on est fils d’Architelès et d’Erasicleia, car il a est bien mieux de préférer la vertu à la volupté. »
Il prend bien son temps, ce vieux radoteur, d’apprendre cela quand on est jeune.
« Et je suis tout à fait forcé de lui obéir. Il me suit et me garde soigneusement, et il ne me laisse pas voir d’autre personne que lui. Si j’apprends la sagesse, et si je suis ses conseils, il me promet que je deviendrai bienheureux et vertueux si je m’y prépare avec effort. J’ai eu beaucoup de peine à t’écrire ceci secrètement.
Sois heureuse et souviens-toi de Clînias. »
Que penses-tu de cette lettre, ô Chélidonion ?
C’est une lettre de Scythe, mais le « souviens-toi de Clinias », laisse encore un peu d’espoir.
C’est ce que je pense aussi ; mais je meurs d’amour. Pourtant Dromôn m’a dit que cet Aristainetos aime les jeunes gens, que sous prétexte de sciences il vit avec les plus jolis garçons, qu’il a déjà eu des entretiens singuliers avec Clînias et lui a promis de le rendre semblable aux dieux. Et même il lit avec lui les dialogues d’amour des vieux philosophes avec leurs disciples, et il est toujours autour de lui. Mais Dromôn l’a menacé d’en avertir le père de Clînias.
Il fallait régaler Dromôn, ô Drosis.
Je l’ai régalé ; mais il n’a pas besoin de cela pour être à moi. Il est amoureux de Nebris.
Rassure-toi ; tout ira bien. Moi, je suis d’avis qu’il faut mettre une inscription sur le mur du Keramîkos du côté ou Architélès se promène ordinairement.
Mais comment pourras-tu écrire cela sans être vue.
Ce sera la nuit, Drosis, avec un charbon ramassé quelque part.
Très bien. Combats avec moi, ô Chélidonion, contre ce pédant d’Aristainetos.