Traduction par Charles Longuet.
V. Giard et E. Brière (p. 76-79).
XII
Rapport général des profits, des salaires, et des prix

De la valeur d’une marchandise déduisez la valeur qui rembourse celle des matières premières et des autres moyens de production consommés, c’est-à-dire, déduisez la valeur qui représente le travail passé contenu dans cette marchandise, et le reste de sa valeur se résoudra dans la quantité de travail qu’a ajoutée le dernier ouvrier employé. Si cet ouvrier travaille douze heures par jour et que douze heures de travail moyen se cristallisent en une quantité d’or égale à six schillings, cette valeur additionnelle de six schellings est la seule valeur que son travail aura créée. Cette valeur donnée, que détermine la durée de son travail, est le seul fonds d’où le capitaliste et lui doivent tirer leurs parts, leurs dividendes respectifs, la seule valeur à diviser en salaire et en profit. Il est clair que les proportions variables suivant lesquelles elle peut se répartir entre les deux copartageants ne changeront pas cette valeur elle-même.

Il n’y aurait rien de changé non plus si, au lieu d’un seul ouvrier, vous mettez toute la population ouvrière, douze millions de journées de travail, par exemple, au lieu d’une seule.

Puisque le capitaliste et l’ouvrier ne font que partager cette valeur limitée, c’est-à-dire la valeur mesurée sur le travail total de l’ouvrier, plus l’un reçoit, moins l’autre recevra, et réciproquement : quand une quantité est donnée, à mesure qu’une de ses parties augmente, l’autre diminue d’autant. Si le salaire change, le profit changera dans un sens opposé. Si le salaire descend, le profit montera, et si le salaire monte, le profit descendra. Si l’ouvrier, selon notre première hypothèse, reçoit trois schellings, somme égale à la moitié de la valeur qu’il a créée, ou si sa journée entière se compose pour une moitié de travail payé, et pour l’autre moitié de travail impayé, le taux du profit sera de 100 pour cent, car, en ce cas, le capitaliste aussi recevrait trois schellings. Si l’ouvrier ne reçoit que deux schellings, c’est-à-dire s’il ne travaille pour lui-même qu’un tiers de la journée entière, le capitaliste aura quatre schellings et le taux du profit sera de 200 pour cent. Si l’ouvrier reçoit quatre schellings, le capitaliste n’en recevra que deux, et alors le taux du profit s’abaissera à 33 1/3 pour cent. Mais toutes ces variations seront sans influence sur la valeur de la marchandise. Une hausse générale du salaire aboutirait donc à une baisse du taux général du profit, mais elle n’influerait pas sur les valeurs. Mais bien que la valeur des marchandises, qui doit finalement régler leur prix-courant, soit exclusivement déterminée par la quantité totale de travail qu’elles contiennent et non pas par le partage de cette quantité en travail payé et travail impayé, il ne s’en suit aucunement que la valeur de marchandises isolées, ou de catégorie de marchandises produites dans une durée de douze heures, par exemple, reste constante. Le nombre ou la masse de marchandises produites en un temps de travail donné ou par une quantité donnée de travail, dépend de la puissance productive du travail employé, et non de son étendue, de sa longueur. Avec un certain degré de force productive du filage, par exemple, une journée de douze heures peut produire douze livres de filés, avec un degré moindre de force productive deux livres seulement, Si donc douze heures de travail moyen étaient incorporées dans la valeur de six schellings, en l’un des cas les douze livres de filés coûteraient six schellings, en l’autre les deux livres de filés coûteraient également six schellings. Une livre de filés, par conséquent, coûterait six pence dans un cas et trois schellings dans l’autre. La différence de prix serait le résultat de la différence dans les forces productives du travail employé. Une heure de travail serait contenue dans une livre de filés avec la plus grande force productive, tandis que, avec la plus petite, six heures de travail seraient contenues dans une livre de filés. Le prix d’une livre de filés ne serait, dans le premier cas, que de six pence, quoique le salaire fût relativement élevé et que le taux du profit fût bas ; il serait de trois schellings dans l’autre cas, quoique le salaire fût bas et le taux du profit élevé. Il en serait ainsi parce que c’est la quantité totale de travail incorporée dans la livre de filés qui en règle le prix, et non pas la division proportionnelle de cette quantité totale en travail payé et en travail impayé. Il peut arriver, ai-je dit il y a un instant, qu’un travail de prix élevé produise des marchandises à bas prix et réciproquement qu’un travail à bon marché produise des marchandises chères. Ce fait n’a plus maintenant son apparence paradoxale. Il n’est en effet que l’expression de la loi générale constatée ; à savoir que la valeur d’une marchandise se règle d’après la quantité de travail qu’elle contient, mais que la quantité de travail contenu dépend entièrement des forces productives du travail employé, et que, par conséquent, toute variation dans la productivité du travail fera varier la valeur.