Saint Paul (Renan)/XV. Suite de la troisième mission. La grande collecte

Michel Lévy (p. 418-437).


CHAPITRE XV.


SUITE DE LA TROISIÈME MISSION DE PAUL. — LA GRANDE COLLECTE. — DÉPART D’ÉPHÈSE.


Paul, selon son habitude, ajouta à la fin de la lettre :

Salut de ma propre main, moi Paul. Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème. MARAN ATHA.

Il confia sa lettre à Stéphanas, Fortunat et Achaïcus, qui lui avaient apporté celle des Corinthiens. Paul pensait que les trois députés arriveraient à Corinthe à peu près en même temps que Timothée. Il craignait que la jeunesse et la timidité de son disciple ne fussent mal prises dans la société moqueuse de Corinthe[1], et qu’on ne lui accordât pas assez d’autorité. L’apôtre recommanda de la manière la plus instante qu’on traitât Timothée comme lui-même, et exprima le désir qu’on le lui renvoyât le plus tôt possible. Il ne voulait pas quitter Éphèse sans ce précieux compagnon, dont la présence était devenue pour lui une sorte de besoin.

Paul pressa fortement Apollos de se joindre à Stéphanas et de retourner à Corinthe ; mais Apollos aima mieux ajourner son départ[2]. À partir de ce moment, on le perd de vue. La tradition, cependant, continue de le regarder comme un disciple de Paul[3]. Il est probable, en effet, qu’il continua sa carrière apostolique, mettant au service de la doctrine chrétienne son érudition juive et sa parole élégante.

Paul, cependant, roulait des projets sans bornes[4], où il croyait, selon sa constante habitude, voir des dictées de l’Esprit. Il arrivait à Paul ce qui arrive souvent aux personnes habituées à un genre d’activité : il ne pouvait plus se passer de ce qui avait fait l’occupation de sa vie. Les voyages étaient devenus pour lui un besoin, il en cherchait les occasions. Il voulait revoir la Macédoine, l’Achaïe, puis visiter de nouveau Jérusalem, puis repartir pour tenter de nouvelles missions en des pays plus éloignés et jusque-là non atteints par la foi, tels que l’Italie, l’Espagne[5]. L’idée d’aller à Rome le tourmentait[6] : « Il faut que je voie Rome, » disait-il souvent[7]. Il devinait que le centre du christianisme serait un jour là, ou du moins que des événements décisifs se passeraient là. Le voyage de Jérusalem se rattachait pour lui à un autre projet qui le préoccupait beaucoup depuis un an.

Pour calmer les susceptibilités jalouses de l’Église de Jérusalem, et répondre à une des conditions de la paix qui fut signée lors de l’entrevue de l’an 51[8], Paul avait préparé une grande collecte dans les Églises d’Asie Mineure et de Grèce. Nous avons déjà vu qu’un des liens qui marquaient la dépendance des Églises provinciales à l’égard de celles de Judée, était l’obligation de l’aumône. L’Église de Jérusalem, en partie par la faute de ceux qui la composaient, était toujours dans la détresse. Les mendiants y abondaient[9]. À une époque plus ancienne, ce qui avait caractérisé la société juive, c’est qu’il n’y avait chez elle ni misère ni grandes fortunes. Depuis deux ou trois siècles, il y avait à Jérusalem des riches et par conséquent des pauvres. Le vrai juif, tournant le dos à la civilisation profane, devenait de jour en jour plus dénué de ressources. Les travaux publics d’Agrippa II avaient rempli la ville de maçons affamés ; on démolissait uniquement pour ne pas laisser sans ouvrage des milliers d’ouvriers[10]. Les apôtres et leur entourage souffraient comme tout le monde de cet état de choses. Il fallait que les Églises suffragantes, actives, laborieuses, empêchassent ces saintes gens de mourir de faim[11]. Tout en supportant impatiemment les prétentions des frères de Judée, on n’en reconnaissait pas moins, dans les provinces, leur suprématie et leurs titres de noblesse. Paul avait pour eux les plus grands égards. « Vous êtes leurs débiteurs, disait-il à ses fidèles ; si les gentils sont devenus les copartageants des saints de Judée dans l’ordre spirituel, c’est bien le moins qu’ils les assistent de leurs biens charnels[12]. » C’était là, d’ailleurs, une imitation de l’usage qu’avaient depuis longtemps les juifs de toutes les parties du monde d’envoyer des contributions à Jérusalem[13]. Paul pensait qu’une grosse aumône, qu’il apporterait lui-même aux apôtres, le ferait mieux recevoir du vieux collège qui lui pardonnait si difficilement de faire de grandes choses sans lui, et serait aux yeux de ces nobles faméliques la meilleure marque de subordination. Comment traiter de schismatiques et de rebelles ceux qui faisaient preuve de tant de générosité, de sentiments si fraternels et si respectueux[14] ?

Paul commença d’organiser la collecte dès l’an 56[15]. Il en écrivit d’abord aux Corinthiens[16], puis aux Galates[17], et sans doute à d’autres Églises. Il y revint dans sa nouvelle lettre aux Corinthiens[18]. Il y avait dans les Églises d’Asie Mineure et de Grèce de l’aisance, mais pas de grandes fortunes. Paul connaissait les habitudes économes du monde où il avait vécu. L’insistance avec laquelle il présente sa nourriture et son entretien comme une lourde charge dont il n’a pas voulu grever les Églises prouve qu’il partageait lui-même ces chétives attentions de pauvres gens, obligés de regarder à des riens. Il pensa que, si, dans les Églises de Grèce, on attendait son arrivée pour la collecte, la chose se ferait mal. Il voulut donc que, le dimanche, chacun mît chez lui à part une épargne proportionnée à ses moyens pour cette pieuse destination. Ce petit trésor de charité devait attendre, toujours grossissant, son arrivée. Alors, les Églises choisiraient aux voix[19] des députés, et Paul les enverrait avec des lettres de recommandation porter l’offrande à Jérusalem. Peut-être même, si le résultat en valait la peine, Paul irait-il en personne, et alors les députés l’accompagneraient. Tant d’honneur et de bonheur, aller à Jérusalem, voir les apôtres, voyager en compagnie de Paul, faisait tressaillir tous les croyants. Une émulation de bien faire, savamment allumée par le grand maître en l’art de la direction des âmes, tenait tout le monde en éveil. Cette collecte fut durant des mois la pensée qui soutint la vie et fit battre tous les cœurs.

Timothée revint bientôt à Éphèse, ainsi que Paul l’avait désiré[20]. Il apportait des nouvelles postérieures au départ de Stéphanas ; mais on est porté à croire qu’il avait quitté la ville avant que Stéphanas y fût de retour ; car c’est par Titus que Paul apprit plus tard l’effet que sa nouvelle lettre avait produit[21]. La situation à Corinthe était toujours très-tendue. Paul modifia ses projets, résolut de toucher d’abord à Corinthe, d’y rester peu de temps, d’accomplir ensuite son voyage de Macédoine, de faire un second et plus long séjour à Corinthe, et ensuite, reprenant son premier plan, de partir pour Jérusalem, accompagné des députés corinthiens[22]. Il crut devoir informer sur-le-champ l’Église de Corinthe de ce changement de résolution. Il chargea Titus du message et des communications les plus délicates pour l’Église révoltée[23]. Le disciple devait en même temps presser la réalisation de la collecte que Paul avait ordonnée[24] Titus, à ce qu’il semble, se récusa d’abord ; il craignait, comme Timothée[25], le caractère étourdi et inconsidéré des gens de Corinthe. Paul le rassura, lui dit ce qu’il pensait des qualités des Corinthiens, atténua leurs défauts, osa lui promettre un bon accueil[26]. Il lui donna pour compagnon un « frère » dont le nom ne nous est pas connu[27]. Paul était aux derniers jours de son séjour à Éphèse ; néanmoins il fut convenu qu’il attendrait dans cette ville le retour de Titus.

Mais de nouvelles épreuves vinrent l’obliger de nouveau à modifier ses desseins. Peu de jours dans la vie de Paul furent plus troublés que ceux-ci[28]. Pour la première fois, il trouva la mesure dépassée et il avoua que ses forces étaient à bout[29]. Juifs[30], païens[31], chrétiens hostiles à sa direction[32], paraissaient conjurés contre lui. La situation de l’Église de Corinthe lui donnait une sorte de fièvre ; il lui expédiait courrier sur courrier, il changeait chaque jour de résolution à son égard. La maladie, probablement, s’y joignit ; il crut toucher à la mort[33]. Une émeute qui eut lieu à Éphèse vint encore compliquer sa situation et l’obligea de partir sans attendre le retour de Titus[34].

Le temple d’Artémis offrait à la prédication nouvelle un obstacle terrible. Ce gigantesque établissement, l’une des merveilles du monde, était la vie et la raison d’être de la ville entière, par ses richesses colossales[35] par le nombre des étrangers qu’il attirait, par les privilèges et la célébrité qu’il valait à la cité, par les fêtes splendides dont il était l’occasion, par les métiers qu’il entretenait[36]. La superstition avait ici la plus sûre des garanties, celle des intérêts grossiers, toujours si heureux de se couvrir du prétexte de la religion.

Une des industries de la ville d’Éphèse était celle des orfèvres, qui fabriquaient des petits naos d’Artémis. Les étrangers emportaient avec eux ces objets, qui, posés ensuite sur leurs tables ou dans l’intérieur de leurs maisons, leur représentaient le célèbre sanctuaire[37]. Un grand nombre d’ouvriers étaient employés à ce travail. Comme tous les industriels vivant de la piété des pèlerins, ces ouvriers étaient très-fanatiques. Prêcher un culte subversif de celui qui les enrichissait leur paraissait un affreux sacrilège ; c’était comme si de nos jours on allait déclamer contre le culte de la Vierge à Fourvières ou à la Salette. Une des façons dont on résumait la doctrine nouvelle était : « Les dieux faits de main d’homme ne sont pas des dieux. » Cette doctrine était arrivée à une publicité suffisante pour que les orfèvres en conçussent de l’inquiétude. Leur chef, nommé Démétrius, les excita à une manifestation violente, soutenant qu’il s’agissait avant tout de l’honneur d’un temple que l’Asie et le monde entier révéraient. Les ouvriers se jetèrent dans les rues, criant : « Vive la grande Artémis d’Éphèse ! » et en peu de temps toute la ville fut remplie de confusion.

La foule se porta au théâtre, lieu ordinaire des rassemblements. Le théâtre d’Éphèse, dont la cuve immense, dépouillée de presque toutes ses constructions, se voit encore dans les flancs du mont Prion[38], était peut-être le plus grand du monde. On estime que cinquante-six mille personnes au moins devaient y tenir[39]. Comme les hauts gradins affleuraient le sol de la colline, une foule énorme pouvait en un instant se déverser par le haut et tout inonder. Le bas du théâtre, d’ailleurs, était entouré de colonnades et de portiques remplis d’oisifs ; voisin du forum, du marché, de plusieurs gymnases[40], il était toujours ouvert. Le tumulte en un instant fut à son comble. Deux chrétiens de Thessalonique, Caïus et Aristarque, qui avaient joint Paul à Éphèse et s’étaient attachés à lui comme compagnons, étaient entre les mains des émeutiers. Le trouble était grand parmi les chrétiens. Paul voulait entrer dans le théâtre et haranguer le peuple ; les disciples le supplièrent de n’en rien faire. Quelques-uns des asiarques[41], qui le connaissaient, l’engagèrent aussi à ne pas commettre une telle imprudence. Les cris les plus divers se croisaient dans le théâtre ; la plupart ne savaient pas pourquoi on était rassemblé. Il y avait beaucoup de juifs, lesquels mirent en avant un certain Alexandre[42] ; celui-ci fit signe de la main pour demander le silence ; mais, quand on le reconnut pour juif, le tumulte redoubla ; pendant deux heures, on n’entendit d’autre cri que « Vive la grande Artémis d’Éphèse ! » Ce fut avec peine que le chancelier de la ville[43] parvint à se faire écouter. Il représenta l’honneur de la grande Artémis comme hors de toute atteinte, engagea Démétrius et ses ouvriers à faire un procès à ceux dont ils croyaient avoir à se plaindre, supplia tout le monde de rentrer dans les voies légales, et montra les conséquences que pourraient avoir pour la ville de tels mouvements séditieux, qu’on ne pourrait justifier aux yeux de l’autorité romaine[44]. La foule se dispersa. Paul, qui avait fixé son départ à quelques jours de là, ne voulut pas prolonger cette situation périlleuse. Il résolut de s’éloigner dans le plus bref délai.

Aux termes de la missive qu’il avait envoyée par Titus aux chrétiens de Corinthe, Paul aurait dû tout d’abord s’embarquer pour cette ville[45]. Mais ses perplexités étaient cruelles ; les soucis qu’il avait du côté de l’Achaïe le rendaient indécis. Au dernier moment, il changea encore d’itinéraire. L’heure ne lui parut pas opportune pour aller à Corinthe ; il y fût arrivé mécontent et disposé à sévir[46] ; peut-être sa présence eût-elle provoqué une révolte et un schisme. Il ne savait pas quel effet sa lettre avait produit, et il en était fort inquiet[47]. Il se croyait, d’ailleurs, plus fort de loin que de près ; sa personne imposait peu ; les lettres, au contraire, étaient son triomphe[48] ; en général, les hommes qui ont une certaine timidité aiment mieux écrire que parler. Il préféra donc n’aller à Corinthe qu’après avoir revu Titus, sauf à écrire de nouveau à l’Église indocile. Pensant que la sévérité s’exerce mieux à distance, il espérait que sa nouvelle lettre ramènerait ses adversaires à des sentiments meilleurs[49]. L’apôtre reprenait ainsi son premier plan de voyage[50]. Il fit convoquer les fidèles, leur adressa ses adieux, donna l’ordre, quand Titus arriverait, de l’envoyer à Troas, et partit pour la Macédoine[51] accompagné de Timothée. Peut-être s’adjoignit-il dès lors les deux députés d’Éphèse, chargés de porter à Jérusalem les offrandes de l’Asie, Tychique et Trophime[52]. On devait être au mois de juin de l’an 57[53]. Le séjour de Paul à Éphèse avait été de trois ans[54].

Durant un si long apostolat, il avait eu le temps de donner à cette Église une solidité à toute épreuve. Éphèse sera désormais l’une des métropoles du christianisme, et le point où s’effectueront ses plus importantes transformations. Il s’en faut cependant que cette Église fût toute à Paul, comme les Églises de Macédoine et l’Église de Corinthe. D’autres que lui travaillèrent à Éphèse ; il y compta sûrement des ennemis[55], et dans dix ans nous verrons l’Église d’Éphèse citée comme un modèle pour avoir su faire bonne justice de « ceux qui se disent apôtres sans l’être », pour avoir démasqué leur imposture, et pour la haine vigoureuse qu’elle porte aux « nicolaïtes », c’est-à-dire aux disciples de Paul[56]. Le parti judéo-chrétien exista sans doute à Éphèse dès le premier jour.

Aquila et Priscille, les collaborateurs de Paul, continuèrent après son départ à être le centre de l’Église. Leur maison, où l’apôtre avait demeuré, était le lieu de réunion de tout ce qu’il y avait de plus pieux et de plus zélé[57]. Paul se plaisait à célébrer partout les mérites de ce couple respectable, auquel il reconnaissait devoir la vie. Toutes les Églises de Paul les avaient pour cela en grande vénération. Épénète, le premier Éphésien qui se convertit, venait après eux[58] ; puis, une certaine Marie, qui paraît avoir été diaconesse, femme active et dévouée[59] ; puis, Urbanus, que Paul nomme son coopérateur[60] ; puis, Apelle, à qui Paul donne le titre d’« honnête homme en Christ[61] » ; puis, Rufus, « homme distingué dans le Seigneur », lequel avait une mère âgée, que l’apôtre, par respect, appelait « Ma mère[62] ». Outre Marie, d’autres femmes, vraies sœurs de la charité, s’étaient vouées au service des fidèles. C’étaient Tryphène et Tryphose[63], « bonnes ouvrières dans l’œuvre du Seigneur », puis Persis, particulièrement chérie de Paul, et qui avait vaillamment travaillé avec lui[64]. Il y avait encore Ampliatus ou Amplias[65], le juif Hérodion[66], Stachys, aimés de Paul ; une Église ou conventicule composé d’Asyncrite, Phlégon, Hermès, Patrobas, Hermas et de plusieurs[67] ; une autre Église ou petite société composée de Philologue et Julie, de Nérée et « sa sœur » (c’est-à-dire probablement sa femme[68]), d’Olympas et de plusieurs autres[69]. Deux grandes maisons d’Éphèse, celles d’Aristobule[70] et de Narcisse[71], comptaient parmi leurs esclaves plusieurs fidèles. Enfin, deux Éphésiens, Tychique[72] et Trophime[73], s’étaient attachés à l’apôtre et furent désormais du nombre de ses compagnons. Andronic et Junie étaient aussi vers ce temps à Éphèse. C’étaient des membres de la primitive Église de Jérusalem[74] ; Saint Paul avait pour eux le plus grand respect, « parce qu’ils avaient été en Christ avant lui ». Il les appelle « distingués entre les apôtres ». Dans une circonstance que nous ignorons, probablement dans l’épreuve que Paul appelle « sa bataille contre les bêtes », ils partagèrent sa prison[75].

Dans un jour beaucoup plus douteux, apparaissent Artémas, qu’on dit avoir été compagnon de Paul[76] ; Alexandre le chaudronnier, Hyménée, Philète[77] Phygelle[78], Hermogène, qui semblent avoir laissé de mauvais souvenirs, provoqué des schismes ou des excommunications, et avoir été considérés comme des traîtres dans l’école de Paul[79] ; Onésiphore[80] et sa maison, qui, au contraire, se seraient montrés plus d’une fois envers l’apôtre pleins d’amitié et de dévouement[81].

Plusieurs des noms qui viennent d’être énumérés sont des noms d’esclaves, ainsi qu’on le voit à leurs significations bizarres, ou à l’emphase ironique qui les fait ressembler à ces noms grotesques qu’on se plaisait à donner aux nègres dans les colonies[82]. Il n’est pas douteux qu’il n’y eût parmi les chrétiens beaucoup de personnes de condition servile[83]. L’esclavage, dans beaucoup de cas, n’entraînait pas une attache aussi complète à la maison du maître que notre domesticité moderne. Les esclaves de certaines catégories étaient libres de se voir entre eux, de s’associer dans une certaine mesure, de former des confréries, des espèces de tontines et des cotisations en vue de leurs funérailles[84]. Il n’est pas impossible que plusieurs de ces hommes et de ces femmes pieuses qui se vouaient au service de l’Église fussent esclaves, et que les heures qu’ils donnaient au diaconat fussent celles que leurs maîtres leur laissaient. Aux temps où se passe cette histoire, la condition servile renfermait des gens polis, résignés, vertueux, instruits, bien élevés[85]. Les plus hautes leçons de morale vinrent d’esclaves ; Épictète passa en servitude une grande partie de sa vie. Les stoïciens, les sages disaient comme saint Paul à l’esclave : « Reste ce que tu es ; ne songe pas à t’affranchir[86]. » Il ne faut pas juger des classes populaires dans les villes grecques par notre populace du moyen âge, lourde, brutale, grossière, incapable de distinction. Ce quelque chose de fin, de délicat, de poli qu’on sent dans les relations des premiers chrétiens[87] est une tradition de l’élégance grecque. Les humbles ouvriers d’Éphèse que saint Paul salue avec tant de cordialité étaient sans doute des personnes douces, d’une probité touchante, relevée par d’excellentes manières et par le charme particulier qu’il y a dans la civilité des gens du peuple. Leur sérénité d’âme, leur contentement[88] étaient une prédication perpétuelle. « Voyez comme ils s’aiment[89] ! » était le mot des païens surpris de cet air innocent et tranquille, de cette profonde et attachante gaieté[90]. Après la prédication de Jésus, c’est là l’œuvre divine du christianisme ; c’est là son second miracle ; miracle tiré vraiment des forces vives de l’humanité et de ce qu’il y a en elle de meilleur et de plus saint.

  1. I Cor., xvi, 10-11.
  2. I Cor., xvi, 12.
  3. Tit., iii, 13. Cette épître est apocryphe et témoigne seulement de l’opinion qu’on se formait sur l’entourage de Paul, à l’époque où elle fut écrite.
  4. Ceux qui maintiennent l’authenticité des épîtres à Timothée et à Tite placent ici un voyage de Paul non mentionné par les Actes, et dont l’itinéraire aurait été : Éphèse, la Crète, Corinthe, Nicopolis d’Épire, la Macédoine, Éphèse. Nous avons exposé dans l’introduction (p. xxx et suiv., xxxix et suiv.) les raisons qui nous empêchent d’admettre cette hypothèse.
  5. II Cor., x, 16 ; Rom., xv, 24, 28.
  6. Rom., xv, 23.
  7. Act., xix, 21 ; xxiii, 11 ; Rom., i, 10 et suiv. ; xv, 22 et suiv.
  8. Gal., ii, 10.
  9. Rom., xv, 26.
  10. Jos., Ant., XX, ix, 7.
  11. Act., xi, 29-30 ; II Cor., ix, 12.
  12. Rom., xv, 27.
  13. Cicéron, Pro Flacco, 28 ; Jos., Ant., XIV, x, 6, 8 ; XVI, vi entier ; XVIII, iii, 5 ; Philon, Leg. ad Caium, § 23 ; Tacite, Hist., V, 5. Cet usage tend à se rétablir de nos jours parmi les Israélites.
  14. II Cor., ix, 12, 14 ; Rom., xv, 31.
  15. II Cor., viii, 10 ; ix, 2.
  16. Dans la lettre perdue. Ce qu’il dit I Cor., xvi, 1, 4, suppose qu’il en avait été longuement question auparavant.
  17. I Cor., xvi, 1.
  18. I Cor., xvi, 1-4.
  19. II Cor., viii, 19.
  20. I Cor., xvi, 11 ; II Cor., i, 1. Il est possible cependant que Timothée ne soit pas venu jusqu’à Éphèse et se soit attardé en Macédoine, où Paul l’aura retrouvé.
  21. II Cor., vii, 6 et suiv.
  22. II Cor., i, 15-16.
  23. II Cor., ii, 13 ; vii, 6 et suiv. ; xii, 18.
  24. II Cor., viii, 6.
  25. I Cor., xvi, 10-11.
  26. II Cor., vii, 14.
  27. II Cor., xii, 18 ; comp. viii, 18, 22.
  28. II Cor., i, 4 et suiv.; iv, 8 et suiv.
  29. II Cor., i, 8.
  30. Act., xx, 19 ; xxi, 27.
  31. Act., xix, 23 et suiv.
  32. I Cor., xvi, 9.
  33. II Cor., i, 8-10 ; vi, 9.
  34. Act., xix, 23 et suiv.
  35. Strabon, XIV, i, 26.
  36. Parmi les nombreuses inscriptions d’Éphèse, il y en a peu où il ne soit parlé du temple. Corpus inscr. gr., nos 2933 b et suiv. ; Le Bas et Waddington, Inscr., III, nos 136 a et suiv. Remarquez surtout le retour fréquent du titre de νεωποιός. Voir Act., xix, 35, en comparant Corp., no 2972, et Eckhel, D. n. v., II, p. 520 et suiv. Remarquez aussi les ἱερεῖαι τῆς Ἀρτέμιδος : Corp., no 2986, 3001, 3002, etc. Cf. Hérodote, I, 26 ; Élien, Hist. var., iii, 26.
  37. Voir Dion Cassius, XXXIX, 20. Comp. Εἰς τὴν Ἀριστοτ. Ῥητορικ. ὑπόμν. ἀνών., publié par Conrad Neobarius (Paris, 1539), fol. 26 verso, lignes 28-29. Pour les monuments figurés, voir l’abbé Greppo, Recherches sur les temples portatifs des anciens (Lyon, 1834), p. 22 et suiv.
  38. Le théâtre d’Éphèse est de construction romaine ; mais il peut avoir été bâti avant Néron. Du reste, il a été retouché plusieurs fois. Corp. inscr. gr., no 2976 ; Texier, Asie Min., p. 315.
  39. Falkener, Ephesus, p. 102 et suiv.
  40. Falkener, op. cit., plans hypothétiques d’Éphèse.
  41. Il y avait plusieurs asiarques à la fois. Voir les passages de Strabon et d’Ælius Aristide, cités ci-dessus, p. 353, note 1. Du reste, quand on avait été une fois asiarque, on en gardait le titre. Voir les inscriptions citées ci-dessus, p. 353, note 1, et Perrot, De Gal. prov. rom., p. 156 et suiv.
  42. Le rôle de cet Alexandre reste, dans le récit des Actes, tout à fait indécis.
  43. Γραμματεύς, charge importante dans les villes d’Asie. Vaillant, Num. gr. imp. rom., p. 313-314.
  44. La province d’Asie, étant sénatoriale, n’avait pas de légion romaine. La police y était en grande partie aux mains des indigènes.
  45. II Cor., i, 15-16.
  46. II Cor., i, 17, 23 ; ii, 1-2.
  47. II Cor., vii, 6 et suiv.
  48. II Cor., x, 1-2, 10-11.
  49. II Cor., ii, 3.
  50. I Cor., xvi, 5 et suiv.
  51. Act., xx, 1.
  52. Act., xx, 4 ; II Cor., viii, 19.
  53. I Cor., xvi, 8.
  54. Act., xx, 31.
  55. Rom., xvi, 17-20. Il faut se rappeler que Rom., xvi, 3-20, est un fragment d’une épître aux Éphésiens.
  56. Apoc., ii, 1 et suiv.
  57. I Cor., xvi, 19 ; Rom., xvi, 3-5 ; II Tim., iv, 19.
  58. Rom., xvi, 5. La leçon Ἀχαΐας est sûrement mauvaise. Comp. I Cor., xv, 15.
  59. Rom., xvi, 6. Ὑμᾶς paraît la bonne leçon ; comp. ibid., 12.
  60. Rom., xvi, 9.
  61. Rom., xvi, 10.
  62. Ibid., 13.
  63. Comp. Le Bas, Inscr., III, 804 (cf. Perrot, Expl., p. 120) et 1104.
  64. Rom., xvi, 12.
  65. Ibid., 8.
  66. Ibid., 11. Paul l’appelle son συγγενής. Voir les Apôtres, p. 108 à 168.
  67. Rom., xvi, 14.
  68. Comp. I Cor., ix, 5, et même Philem., 2.
  69. Rom., xvi, 15.
  70. Rom., xvi, 10.
  71. Ibid., 11. Paul ne saluant pas ces deux personnages, il en faut conclure qu’ils n’étaient pas chrétiens. Notez la différence des versets 5, 14, 15.
  72. Act., xx, 4 ; Col., iv, 7 et suiv. ; Ephes., vi, 21 ; II Tim., iv, 12 ; Tit., iii, 12. Sur ce nom, voyez Corpus inscr.gr., no 3855 i.
  73. Act., xx, 4 ; xxi, 29 ; II Tim., iv, 20.
  74. Voir les Apôtres, p. 108.
  75. Rom., xvi, 7.
  76. Tit., iii, 12. Son nom (Artémidore), son association à Tychique et le rôle qu’il joue dans l’Épître à Tite, le font croire Éphésien.
  77. Corp. inscr. gr., no 3664, ligne 17.
  78. Ce nom paraît se rapporter à la ville de Phygèle, voisine d’Éphèse. Voir une inscription de Scala-Nova. Corp. inscr. gr., no 3027.
  79. I Tim., i, 20 ; II Tim., i, 15 ; ii, 17 ; iv, 14-15. La destination de ces deux lettres (apocryphes) paraît être Éphèse.
  80. Cf. Corp. inscr. gr., no 3664, ligne 52 ; 4213 ; Mionnet, ii, 546.
  81. II Tim., i, 16, 18 ; iv, 19.
  82. Par exemple, Tryphose.
  83. I Cor., vii, 21-22.
  84. Inscr. de Lanuvium, 2e col., ligne 3 et suiv.
  85. Inscr. no 77 de Pittakis, dans l’Ἐφημερὶς ἀρχαιολογική d’Athènes, 1838, p. 121.
  86. Arrien, Epict. Dissert., III, 26 ; Dion Chrysostome, orat. xiv, p. 269 et suiv. (Emperius). Cf. ci-dessus, p. 257, et, dans notre tome IV, ce qui concernera la Iª Petri.
  87. L’exquise politesse des lettres de Paul en est la preuve.
  88. La gaieté est un sentiment dominant chez les chrétiens de Paul. II Cor., vi, 10 ; xiii, 11 ; Rom., xii, 8, 12, 15 ; xiv, 17 ; Phil., ii, 17-18.
  89. Tertullien, Apol., 39.
  90. Remarquez les bonnes figures souriantes des catacombes, par exemple, le fossor Diogène (Boldetti, p. 60).