Michel Lévy (p. i-ii).


À


CORNÉLIE SCHEFFER




Nous avons vu ensemble Éphèse et Antioche, Philippes et Thessalonique, Athènes et Corinthe, Colosses et Laodicée. Jamais, sur ces routes difficiles et périlleuses, je ne t’entendis murmurer ; pas plus dans nos voyages que dans la libre poursuite du vrai, tu ne m’as dit : « Arrête-toi. » À Séleucie, sur les blocs disjoints du vieux môle, nous portâmes quelque envie aux apôtres qui s’embarquèrent là pour la conquête du monde, pleins d’une foi si ardente au prochain royaume de Dieu. Sûrement, ces espérances matérielles immédiates donnaient dans l’action une énergie que nous n’avons plus. Mais, pour être moins arrêtée dans ses formes, notre foi au règne idéal n’en est pas moins vive. Tout n’est ici-bas que symbole et que songe. Descartes avait raison de ne croire à la réalité du monde qu’après s’être prouvé l’existence de Dieu ; Kant avait raison de douter de tout jusqu’à ce qu’il eût découvert le devoir. Notre jeunesse a vu des jours tristes, et je crains que le sort ne nous montre aucun bien avant de mourir. Quelques erreurs énormes entraînent notre pays aux abîmes ; ceux à qui on les signale sourient. Au jour des épreuves, sois pour moi ce que tu fus quand nous visitions les sept Églises d’Asie, la compagne fidèle qui ne retire pas sa main de celle qu’elle a une fois serrée.