Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/2/8


CHAPITRE VIII


Rétables.



§ I


Retable actuel du Rosaire (1697 et 1734)


En 1696, les paroissiens de Saint-Thégonnec, trouvant trop modeste l’autel du Rosaire construit en 1652 par M. de la Palmay, maître menuisier de Morlaix, conçurent le projet de le surmonter d’un beau rétable. Ils firent appel aux sculpteurs de Quimper, de Morlaix, et d’autres lieux. Les registres ne citent que le nom de Jacques Lespaignol, maître sculpteur de la paroisse de Saint-Melaine de Morlaix qui demeura adjudicataire des travaux. L’acte fut passé le 25 août 1697, devant le notaire du comte du Penhoat.

D’après cet acte, Jacques Lespaignol s’engageait à exécuter en dix-huit mois le dessin « que lui remit le recteur, moyennant la somme de 940 livres payables en trois termes. »

Les paroissiens se chargeaient de faire les charrois et le transport de tout l’ouvrage soit de Morlaix, soit de Landerneau et de faire mettre le rétable en place à leurs frais. Ils s’engageaient également à faire exécuter le tableau qui devait être mis au milieu du rétable, à l’exception toutefois « de la bordure et de la doublure de bois par derrière. » La fabrique fit faire ce tableau par Alain Bourriquen, maître-peintre de Morlaix, pour la somme de 76 livres 10 sols [1], La dorure du rétable fut confiée à Gilles Bunol, maître doreur de Morlaix [2].

D’après le marché conclu entre Jacques Lespaignol et la fabrique, le rétable devait être construit en bois de chêne sec, bien conditionné et mis en couleur de tuffeau. Les statues de saint Paul Aurélien et de saint Jean, ainsi que les autres statues, festons et chapiteaux seraient en bois de châtaignier. Quant aux colonnes, elles seront de marbre noir ; les six grandes auraient six pieds de haut et les quatre autres auraient la hauteur réclamée par les proportions de l’ouvrage.

La fabrique, outre les 940 livres payées au sculpteur pour le premier devis, déclare lui avoir versé la somme de 270 livres pour « des augmentations et ornements qu’il a faits sur le rétable, suivant l’avis et le consentement de M. le recteur et des délibérants de la paroisse. »

Jacques Lespaignol n’exécuta pas à la lettre le plan qui lui avait été remis, car les dix colonnes de marbre noir dont il est fait mention dans l’acte notarié n’existent pas dans le rétable du Rosaire. Néanmoins, la sculpture et la dorure soumises au jugement des experts furent acceptées en 1700.

Après avoir fait exécuter le rétable du maître-autel, la fabrique pensa aussi à celui du Rosaire qui n’avait pu être achevé en 1697, puisque l’abside n’avait pas encore été exhaussée. Elle fit ajouter deux étages à celui qui existait précédemment et pour ce travail elle eut recours à Jean Laurent, menuisier de Guimiliau. L’affaire fut conclue le 24 août 1784 aux conditions suivantes : la fabrique devait fournir à l’entrepreneur une maison au bourg de Saint-Thégonnec « pour se loger et pour construire le dit ouvrage » et lui payer la somme de 3.700 livres. Mais, outre le rétable, Jean Laurent devait construire la balustrade de l’autel du Rosaire.

Le rétable actuel du Rosaire compte, au premier étage, quatre colonnes en marbre noir. La statue de saint Jean qui s’y trouvait autrefois a été remplacée par celle de saint Jaoua. Le second étage possède le même nombre de colonnes avec, dans les cotés, les statues de saint Louis et d’un ange gardien tenant par la main un enfant, et au milieu une scène du purgatoire. Le Christ entouré d’anges reçoit les âmes que les prières de saint Dominique et de sainte Catherine de Sienne ont délivrées des flammes du purgatoire. Au sommet du rétable se trouve le Père éternel.



§ II.


Rétable du Maître-Autel (1724-1730).


Après avoir fait reculer le pignon du maître-autel en 1667, et exhausser l’abside ainsi que la nef principale en 1714. la fabrique s’occupa du chœur et du rétable du maître-autel. Elle paie aux sculpteurs, menuisiers et compagnons qui ont fait le chœur, le balustre, et relevé le maître-autel la somme de 600 livres » sans compter la somme de 270 livres qu’elle avait versée auparavant à « Joseph Simon et à d’autres marchands de bois de chêne et d’if [3]. »

Le rétable du maître-autel est l’œuvre de deux sculpteurs. Le côté de l’évangile fut exécuté par Jacques Lespaignol de Morlaix, d’après le plan de Boismaurin de Lampaul. Le côté de l’épître qui comprenait en outre la partie supérieure du rétable du Saint-Sacrement est dû au sculpteur Le Goff de Brest. Le plan en était de Robellin de Morlaix « dessineur du roy à Brest ».

La première partie de cet ouvrage fut exécutée conformément aux conditions du marché conclu le 18 mars 1724, et approuvée, après expertise, le 13 septembre 1725. La fabrique paya à Jacques Lespaignol en différents termes 2.015 livres [4]. Il restait à construire la seconde partie du rétable. L’adjudication des travaux eut lieu le 19 octobre 1727. Guillaume Guérin, sieur de Trogoloin, sculpteur de Brélévenez, près Lannion, en fut, pour son malheur, l’adjudicataire. Les conditions suivantes lui furent imposées. Il devait fournir les bois de chêne et de châtaignier, « bois secs et bien conditionnés, en bon et loyal marchand, » et exécuter le plan de Robellin de Morlaix. Il devait en outre construire deux piédestaux pour les statues de la Sainte Vierge et de saint Thégonnec et les élever à la même hauteur que les autres piédestaux qui soutiendront les colonnes du retable. Il déplacera enfin à ses frais l’ancien rétable du maître-autel pour le déposer sur l’autel du Saint-Sacrement, dans la chapelle appelée chapelle du Herlan. Les paroissiens se chargeront eux-mêmes du transport du rétable depuis Morlaix jusqu’à Saint-Thégonnec. Le montant des travaux revenait à 3.000 livres.

Guillaume Guérin, après avoir accepté de terminer le rétable pour le 24 juin 1729 au plus tard, ne dut pas trouver excellentes les conditions imposées par la fabrique. Il n’exécuta pas son travail pour le jour convenu, si tant est qu’il s’en fut même occupé. Il subit de ce chef un procès de la part de la fabrique.

Il fallait cependant achever ce rétable et une nouvelle adjudication eut lieu le 29 janvier 1730. Il s’agissait toujours d’exécuter le plan dressé par Robellin. Cette fois, malgré « les nombreux architectes accourus à Saint-Thégonnec pour la circonstance, aucun d’eux n’osa se charger du travail pour la somme de 3.000 livres. L’aventure de Guillaume Guérin leur avait donné à réfléchir La fabrique majora son prix de 1.100 livres. À cette nouvelle condition, elle trouva un adjudicataire en la personne de Le Goff, menuisier ou sculpteur de Brest. Mais l’adjudicataire devait, après avoir placé l’ancien rétable du maître-autel sur l’autel du Saint-Sacrement : « y faire les augmentations nécessaires pour remplir la place jusqu’au lambris. »

Le Goff fut autorisé à faire un tableau au milieu du rétable d’après le dessin fait par Boismaurin, et, pour ce nouveau travail, il reçut 300 livres. Ce tableau qui ne fut exécuté que pour combler les vides du rétable est le dosseret du siège du célébrant.

Voici la description qu’en fait M. le chanoine Abyrall dans son « architecture bretonne. »

« Une pièce d’une perfection rare qui se trouve dans l’église de Saint-Thégonnec, c’est le siège triple à accoudoirs et dosseret à l’usage du célébrant et de ses assistants. Il est décoré d’arabesques sur sa face et a pour accoudoirs des poissons au corps squamé et à la queue enroulée. Les trois panneaux du dossier sont enrichis d’arabesques, des festons, de têtes de chérubins et d’anges tenant des cartouches. Trois médaillons représentent:

1° Le sacrifice d’Abraham.

2° Le sacre du jeune David par le prophète Samuel qui verse sur sa tête une corne d’huile.

3° Un ange apparaissant pour annoncer à David par l’organe de Gad, le prophète, les trois fléaux dont il est menacé par le Seigneur et entre lesquels il peut choisir. L’ange, pour figurer ces trois fléaux, lient dans ses mains une tête de mort, une épée et un fouet (II Reg., xxiv).

Suivant le plan primitif tout devait être en bas-relief dans le rétable et pourtant la fabrique dut payer à un peintre nommé Coupery la somme de 160 livres « pour un tableau qu’il avait placé mal à propos dans le milieu du rettable du maître autel, parce qu’au lieu du dit tableau, le tout devoit estre en bar lieff suivant le desain, mais il a été falsifié [5]. »

Ce tableau fut placé au fond du chœur, devant le grand vitrail, et c’est probablement celui qui se trouve aujourd’hui au fond de l’église. Le rétable du maître-autel, la chaise du célébrant et le lambris jusqu’au crucifix furent peints et dorés en 1738.

Parmi les trois concurrents qui se présentèrent, le sieur François de Launay de Recouvrance (Brest) fut choisi à l’exclusion de Joseph Baïc de Lannion et d’un peintre de Morlaix. Le 22 mars 1739 eut lieu une délibération du conseil de la fabrique « au sujet des ouvrages de dorure tant à l’huile qu’en or bruny, peintures et ornements du grand hôtel et dépendances de notre église paroissiale, en présence de Mr Barral et de La Mothe choisis comme experts. » Le travail de François de Launay fut approuvé et payé 5.500 livres.

Ce rétable ainsi que ceux des autels latéraux reçurent une nouvelle dorure en 1834.



§ III.


Rétable du Saint-Sacrement.


Le rétable qui se trouve actuellement sur l’autel du Sacré-Cœur, autrefois autel du Saint-Sacrement, fut, jusqu’en 1724, le rétable du maître-autel. Il avait été construit en 1662 par Gabriel Carquain, maître menuisier. Suivant différentes quittances, en particulier celle du 29 juin 1664, ce travail fut payé 438 livres. La peinture et la dorure montèrent à un prix plus élevé. Elles furent payées 888 livres à Guillaume Bourriquen de Morlaix.

La mise eu place de ce rétable en 1724 occasionna à la fabrique un procès de la part de Madame de Lézerdot, Charlotte de Rogon, veuve de Messire Charles Du Parc. L’ancien rétable permettait de voir la lisière de la seigneurie du Herlan et de Lézerdot située le long du mur de cette chapelle ; mais le rétable du maître-autel qui était plus élevé cachait cette lisière. D’où violation de ses droits honorifiques et mécontentement de la douairière. Ici encore, la fabrique ne se départit pas de ses anciens procédés. C’était d’exécuter son projet tout en se présentant devant les tribunaux.

On fit cependant quelques additions au vieux rétable du maître-autel. D’après une quittance du 14 septembre 1726, la fabrique reconnaît avoir payé 75 livres en planches de sapin, « pour accommoder le rétable sur l’autel dans la chapelle du Herlan, » et le 14 septembre 1732, elle verse la somme de 350 livres pour les différents travaux exécutés dans le but « de rendre ce rétable parfait. »

Le sujet du rétable est l’adoration de Jésus-Hostie par les Anges. Le tableau du milieu représente la Nativité, et debout, dans les coins de l’autel, se trouvent la Vierge et saint Thégonnec.

§ IV.


Rétable de l’autel de Notre-Dame de « Vray-Secours. »


Le plus ancien retable est celui de l’autel de Notre-Dame de Vrai-Secours. Il est situé dans la nef latérale, au-dessous de la chapelle du Rosaire. L’image de Notre-Dame fut peinte et dorée en 1688 par Guillaume Bourriquen de Morlaix. Ce rétable reçut une nouvelle dorure en 1832.

La statue de la Vierge qui se trouve au-dessus de l’autel était très vénérée dans le pays et l’on venait des différents paroisses prier devant cette statue. Voici ce que nous dit à ce sujet Albert Le Grand :

« En la paroisse de Pleiber Saint-Tégonnec, vous avez la belle dévotion de Nostre-Dame de Vray-Secours ; ceste église est dignement entretenue et sainctement fréquentée de grand nombre de pélerins de divers endroits ; et principalement des mariniers à l’arrivée de leurs voyages de mer, qui, ont ressenty dans les grands dangers les effects merveilleux de la protection de celle à qui toute l’Église donne le titre d’estre l’estoelle luisante de la mer. »

En 1693, la fabrique reconnaît avoir payé 12 livres 9 sols « pour donner la collation à Messieurs les prêtres des paroisses de Guimiliau, Guiclan, Pleiber-Christ et de Saint-Mathieu-de-Morlaix, qui étoient venus en procession visiter l’église de cette paroisse pour demander à Dieu, par l’entremise de Notre-Dame de Vrai-Secours, le temps favorable pour ramasser les biens de la terre durant le mois d’août. »

Aujourd’hui les ex-voto supendus aux murs de la chapelle attestent que cette dévotion n’est pas encore tombée en désuétude.

Cette chapelle est due à Messire Kéronyant, seigneur de Coasvout, et elle fut construite en vertu d’une autorisation du roi Henri II, en date du 31 mai 1559 [6].



§ V.


Rétable de l’autel de saint Jean-Baptiste.


Ce rétable est situé devant la chapelle du Herlan ou chapelle du Sacré-Cœur. Il est postérieur

à celui de Notre-Dame de Vrai-Secours qui lui fait pendant du côté de l’Evangile. Ces deux petits rétables, avec leurs colonnes torses recouvertes de feuilles de vigne et d’escargots finement sculptés sont du plus gracieux effet.

Un autel, aujourd’hui disparu, était celui de la Sainte-Trinité. Il était adossé au premier pilier, au haut de l’église, du côté de l’évangile. En 1612, le seigneur de Kergournadech, allié au seigneur du Herlan, avait une tombe près de ce pilier.

Nous ne pouvons mieux terminer cette étude historique des rétables que par cette réflexion si judicieuse de M. le chanoine Abgrall :

« Toutes ces magistrales sculptures sont peintes de couleurs harmonieuses et largement dorées. Et qu’on ne veuille pas se récrier ; la couleur naturelle du vieux chêne est sans doute fort belle, mais avouez que sur un déploiement de 300 mètres superficiels, elle serait froide et monotone, tandis que ces couleurs adoucies, ces ors un peu éteints, avec reflets brillants, donnent à ce fond d’église une richesse, une harmonie, une splendeur que vous ne trouverez pas dans les basiliques de marbre de la classique Italie [7]. »

  1. La quittance est du 30 janvier 1699.
  2. Ses quittances des 26 décembre 1699, 20 février, 20 juin et décembre 1700, portent la somme de 915 livres.
  3. Cahier des comptes de la fabrique.
  4. Les quittances sont datées du 18 mars et du 15 octobre 1724 ; du 13 mai et du 8 octobre 1725.
  5. Cahier des comptes.
  6. Voir cette autorisation dans la Monographie de Saint-Thégonnec, p. 124.
  7. Architecture bretonne, p. 185.