Troisième partie : Choses humaines
VI
Conclusion
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Avant la nuit dont nous venons de raconter les événements, Angéla avait confié à son père le véritable motif du départ de St-Denis.

Le vieillard avait écouté sa fille sans l’interrompre et lui avait répondu :

« Mon enfant, il y a des hommes dont on ne doit jamais suspecter la loyauté, quelles que soient les apparences : M. de St-Denis est de ceux-là. Tu l’as blessé au cœur en doutant de lui ; heureusement l’amour est la plus forte de toutes les passions et le retour de celui qui t’aime te le prouvera bientôt.

« Et puis, peux-tu comparer la Perle du Presidio, la fille d’un Vallescas, à une pauvre femme Indienne ! C’était vous abaisser tous les deux, le Chevalier et toi, que nourrir de tels soupçons.

— Vous avez raison, mon bon père ; je n’ai pas réfléchi à tout cela.

— L’amour ne réfléchit guère, ma fille, reprit le vieillard.

Angéla baissa la tête en rougissant :

— C’est vrai, répondit-elle doucement…mais tenez, mon père, voyez ce qu’il m’a écrit.

Don Pedro prit le papier que lui tendait sa fille et lut en souriant l’épître courte et franche où le caractère de St-Denis se peignait si bien.

— Eh bien, dit-il en rendant la lettre à Angéla, que te disais-je ? Il y a des hommes dont la loyauté doit être à l’abri de tout soupçon…. Que cette lettre soit pour toi un avertissement pour l’avenir…c’est un noble cœur que celui à qui tu as donné le tien !

Ces paroles de sagesse et d’espoir répandirent comme une douce rosée dans tout l’être de la jeune fille. Elle était heureuse de se sentir entourée d’un amour si grand, malgré la petite honte de sa coupable erreur et de ses soupçons injustes. La lettre du Chevalier était la preuve du degré de son amour.

Elle mit le billet chéri dans un petit sachet de soie et le suspendit à son cou pour ne s’en séparer jamais.

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Pendant les derniers événements de notre récit, St-Denis et ses compagnons avaient fait du chemin. Notre héros avait perdu de sa mélancolie en se mêlant aux auditeurs du troupier. Et puis, la cause principale du changement de ses pensées est le retour ; car en ce moment, nos voyageurs ont rebroussé chemin et notre chevalier ressent déjà, par anticipation, la douce influence de celle qu’il aime. Il sait — le cœur est si clairvoyant parfois — que sa belle fiancée doit avoir depuis longtems reconnu son erreur et qu’elle attend, avec l’impatience du bonheur, le moment de réparer ses injustes soupçons, par une noble franchise.

Le père la Langue a redoublé de verve en voyant le chef écouter ses récits. Il dépasse alors les bornes du possible pour faire plus d’effet. Ce ne sont qu’exclamations, qu’éclats de rire…et lui, toujours impassible, va son train.

— Pour lors, dit-il chaque fois que l’incrédulité éclate autour de lui, ce que je vous ai raconté est l’exacte vérité : je ne suis pas gascon, quoique mon estimable père soit né près des bords da la Garonne !

St-Denis a terminé heureusement les affaires qui étaient le prétexte de son voyage. Sauf la rencontre que nous avons vue précédemment, le voyage n’a été marqué par aucune contrariété majeure.

On est arrivé à quelques milles du Presidio.

Le jour vient de paraître.

St-Denis confie alors la conduite de la colonne à Deléry et prend les devants.

Le soleil s’est levé radieux. Les larmes de la rosée répandent une douce fraîcheur dans l’atmosphère. Les oiseaux s’éveillent en chantant. Tout semble verser à flots l’espoir et l’amour.

Depuis une heure à peu près, le cheval de St-Denis a tenu le galop sur la route qui se déroule entre un double bois au vert feuillage. Il aperçoit la maison où gît l’aimant de son cœur. Il poussa l’ardent coursier qui ne demande qu’à dévorer l’espace. Il arrive, il descend. Son cœur bat à rompre sa poitrine. La porte du salon est ouverte. St-Denis s’y est précipité ; mais soudain il s’arrête…. La pâleur est sur tous les visages. Don Pedro tient sa fille tremblante entre ses bras. Que s’est-il passé ?…

A l’aspect du Chevalier, Angéla a quitté les bras de son père.

— C’est vous ! s’écrie-t-elle, et St-Denis la reçoit dans ses bras.

— Qu’y a-t-il ? demande-t-il avec angoisse ? Angéla, vous me faites mourir !

— Il y a un cadavre dans ma chambre !…

— Un cadavre ?

— Oui, répond don Pedro, l’Indienne Fata s’est empoisonnée, et votre lettre était ouverte à ses côtés !

Si le premier élan de la joie était brisé, la nature même de la cause qui y mettait obstacle entraînait avec elle un bien pour l’avenir. Le bonheur du retour effaça vite la douloureuse impression du drame récent dont la jeune Indienne s’était faite la victime……………………………………………………………………………

A quelques jours de là, un autel était dressé dans la salle de réception du gouverneur du Presidio del Norte. Les officiers de la garnison avaient revêtu le grand uniforme des jours solennels. Les chefs indiens de la tribu étaient réunis autour de la demeure de celui à qui ils devaient leur tranquillité.

Tout à coup des cris de joie partis de toutes les bouches couvrirent quelques paroles d’amour qui s’échangeaient entre les nouveaux époux :

Le Chevalier Juchereau de St-Denis et Maria Angéla de Villescas venaient d’être solennellement unis, à la face de Dieu et des hommes.


FIN.






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