CHAPITRE XX.

Après être sorti du couloir, Laurens envoya un messager à Maximus et à Duroquois pour leur rendre compte de la découverte et leur dire de se maintenir au poste au cas où les assiégés tenteraient une sortie.

Le détachement de Laurens se composait de vingt hommes.

Il en laissa cinq sous le fourré pour garder l’entrée du puits, et s’engagea dans le couloir avec les quinze autres.

Ils étaient pourvus de munitions abondantes, et chacun portait une longue corde enroulée au bras, pour opérer la descente dans la caverne, s’il y avait lieu.

La marche fut moins pénible que la première fois, à cause de la connaissance des lieux que Landeau et Laurens avaient déjà.

En peu de temps la petite troupe fut à vingt pas de l’ouverture, où Laurens ordonna qu’on fît halte et recommanda le silence le plus absolu, dans la crainte d’attirer l’attention des assiégés.

Il s’avança ensuite avec Landeau pour reconnaître l’intérieur.

Évidemment, on n’avait pas découvert leur présence, car la grande caverne était maintenant déserte et il ne s’y faisait pas le moindre bruit, excepté que de temps à autre on entendait l’écho d’un ordre répété dans les cavernes adjoignantes.

En face de ce silence, Laurens eut une idée, extravagante à première vue, mais qu’il communiqua de suite à Landau.

— Nous sommes seize, dit-il, et bien armés ; nos ennemis ne doivent pas être beaucoup plus nombreux que nous. Ils ne soupçonnent pas notre approche. Que diriez-vous d’une descente ? Cette caverne est la plus vaste de toutes et si la description que vous m’avez faite des autres est exacte, nous aurons l’avantage de la position et je crois que nous aurons raison d’eux.

Landau réfléchit un instant. Ce n’est pas qu’il fût lâche ; mais le plan de Laurens était tellement hardi qu’il l’étonna tout d’abord.

— À la fin, dit-il, je crois que vous avez raison. Fichtre ! ce sera un beau coup, et pourvu que vous puissiez compter sur vos hommes !…

— Quant à cela, j’en réponds, dit Gustave, il me suivront partout ; ce sont de solides gaillards choisis dans le bataillon d’un officier de mes amis.

— Dans ce cas-là, tope ! ça y est.

Laurens retourna vers les hommes et leur communiqua son plan qui fut reçu avec enthousiasme.

Il s’agissait maintenant d’opérer une descente sans éveiller l’attention des assiégés ; situation difficile, si l’on considère qu’un seul homme pouvait s’y glisser à la fois et qu’il suffisait du moindre bruit pour attirer quelqu’un de ce côté et les mettre dans un péril presqu’imminent.

Heureusement que l’une des fissures, au sommet de laquelle se trouvait l’ouverture, s’étendait jusqu’en bas et produisait une demi-obscurité propre à les dissimuler un peu.

Quoi qu’il en soit, l’affaire fut résolue. Deux cordes furent déroulées et Laurens descendit le premier. En moins de cinq minutes les quinze autres le suivirent.

Ils étaient à se ranger en demi-cercle sur le flanc de la caverne entre les deux issues latérales lorsque le coutelas d’un des hommes, en frappant sur le roc, rendit un bruit sec.

La longue figure de Gilles se montra immédiatement dans le couloir.

Il se rejeta vivement en arrière et poussa le cri d’alarme.

Aussitôt Pétrini qui était dans la seconde grotte s’élança en avant suivi de cinq ou six bandits, pendant que ceux qui étaient dans le couloir, avertis par Gilles, se portaient vivement vers l’ouverture intérieure.

À l’aspect de Laurens et de ses hommes, le fusil à l’épaule, Pétrini resta un instant comme frappé de stupeur. Il crut d’abord à une trahison ; mais voyant ses propres soldats avec Gilles occuper l’entrée du couloir, il fut tenté de croire au miracle.

La voix de Laurens cependant le tira bien vite de cet état.

— Nous ne sommes pas venus pour vous égorger, dit ce dernier, en s’adressant à Pétrini ; rendez-vous et remettez-nous la jeune fille que vous avez enlevée ; il ne vous sera fait aucun mal ; bien plus, nous vous laisserons partir et échapper à la loi qui vous attend.

Pétrini se redressa de toute sa hauteur. — Et qui êtes-vous donc, cria-t-il, pour venir m’humilier ainsi ?

Vous nous parlez de nous rendre, et vous nous offrez même un généreux pardon ! Eh ! bien voici ma réponse : Feu partout ! vous autres !

En disant ces mots, il leva son pistolet et pressa la détente ; la balle vint s’aplatir sur le roc à deux pouces de la tête de Laurens.

Ceux de ses hommes qui étaient en position déchargèrent en même temps leurs armes, pendant que la petite troupe de Laurens en faisait autant. Ce fut le signal de la bataille. Ils se ruèrent pêle-mêle les uns sur les autres avec des cris épouvantables.

C’était un spectacle sublime et horrible à la fois que cette poignée d’hommes s’attaquant, se meurtrissant, se déchirant à cent pieds sous terre dans une caverne de pierre éclairée seulement par la lueur fantastique des torches qui fumaient sur les murailles.

Ils se battaient comme des déchaînés. Quand toutes les armes à feu furent déchargées, les uns s’en servirent en guise de massue, les autres tirèrent leurs coutelas et ce fut alors une mêlée terrible où les chairs se taillaient, où le sang coulait dans l’ombre ; un combat de tigres plutôt qu’un combat d’êtres humains, entrecoupé par des exclamations de rage, des cris de douleur et des râlements de mort.

Cela durait depuis longtemps. Assiégeants et assiégés roulaient les uns sur les autres, se frappant aux murailles, se tordant sur le sable et s’étreignant dans les crevasses.

À la fin Pétrini, se sentant fortement pressé par Laurens, se mit à reculer vers la dernière caverne. Il avait reçu plusieurs blessures et se sentait faiblir. Le sang de Laurens coulait aussi ; mais son ardeur l’emportait et une soif de vengeance qui s’était tout-à-coup développée chez lui, le mettait au-dessus de toute autre sensation.

— « Viens la prendre ! » m’as-tu dit, criait-il à Giacomo, eh ! bien, je viens ! je viens !!

C’était un beau combat que celui de ces deux hommes. La noblesse des instincts, la sainteté du dévouement d’un côté ; de l’autre les appétits sanguinaires surexcités par une lubrique passion.

Ils allaient se saisir corps à corps quand, tout-à coup la tenture qui fermait la porte de la troisième caverne se souleva et la figure d’Ernestine, pâle, défaite, presque mourante se dressa devant eux.

Laurens, qui avait la figure tournée de ce côté, fut le premier à l’apercevoir. Il resta frappé comme devant l’apparition d’un spectre, mais son saisissement ne fut pas de longue durée. Il se rua avec une violence fébrile sur Pétrini qui fut renversé du choc.

En s’écrasant l’Italien aperçut Ernestine que ses dernières forces venaient d’abandonner et qui tombait lourdement en arrière.

Il eut comme une crispation de rage, et, d’un effort prodigieux, il se dégagea de l’étreinte de Laurens, saisit son coutelas et le brandissant d’un air égaré.

— Puisque tu veux l’avoir, dit-il, viens donc prendre son cadavre ! Et, prompt comme la pensée, il abaissa son coutelas qu’il plongea jusqu’au manche dans le sein de la jeune fille.

Ce fut son dernier crime. Laurens tomba sur lui en rugissant, et d’un coup terrible il lui ouvrit le crâne.

À ce moment le combat faisait rage dans la grande caverne et les chances se balançaient également, quand, tout-à-coup, un incident inattendu vint changer la face des choses.

De la fissure qui servait de cheminée retentit un coup de feu qui fit rouler sur le sable un des brigands de Pétrini. C’était le brave Duroquois qui entendant la fusillade, et inquiet sur le sort de ses amis, avait entrepris avec deux de ses hommes, la descente de l’entonnoir, pour venir voir ce qui se passait.

De ce moment, la victoire ne fut plus douteuse. Ceux des brigands qui restaient, écrasés par ce renfort inattendu, cessèrent de se défendre et demandèrent quartier.

On les lia solidement et les vainqueurs se comptèrent. Six étaient morts et tous les autres plus ou moins blessés.

De l’autre côté, il y avait dix morts et le reste était fort maltraité.

Gilles Peyron, horriblement mutilé, dormait de son dernier sommeil dans un coin de la caverne, pendant que Beppo, fidèle à son caractère jusqu’au dernier moment, était écrasé sous un baril d’eau de vie.

Laurens était évanoui près du cadavre de Pétrini.

Landau poussa un cri de douleur à la vue d’Ernestine, dont la figure décolorée, présentait toutes les apparences de la mort.

Il s’approcha d’elle, cependant, et reconnut avec bonheur qu’elle n’était qu’évanouie.

Le poignard de Pétrini avait glissé sur une médaille en argent que la jeune fille portait constamment sur elle et n’avait fait qu’une blessure sans gravité dans les chairs extérieures.

Au moment où Landau déposait Ernestine sur le lit dans la grotte du fond, la vieille Régine qui pendant toute la bataille avait fumé tranquillement sa pipe dans une crevasse du roc, se présenta à lui.

— Laisse-moi faire, Jacques dit-elle, j’entends mieux cela que toi et je me charge de la faire revenir.

Landau qui connaissait la vieille de longue date, s’éloigna aussitôt, et, après avoir laissé Laurens au soins de l’un des soldats, il s’élança vers la plateforme pour aller annoncer la nouvelle à Maximus.