RymesTournes (p. 61-70).

la nuict.

La nuict estoit obscure, triste, & sombre,
Toute tranquille, & preste a malefice,
Tous animaulx reposantz soubz son umbre :
Mais mon esprit, tresprompt a son office,
Ne permettoit au corps de sommeiller
Un tant soit peu pour chose, que je feisse.
Parquoy contraincte en mon lict de veiller,
Entray si fort en contemplation,
Qu’on ne m’eust sceu en veillant resveiller :
Lors travaillant l’imagination
Je discourois plus avant, que les Cieulx,
Avecques doulce, & longue passion.
Advis m’estoit qu’en lieu délicieux
Je me trouvois avec un si grand aise,
Que souhaicter je n’eusse sceu de mieulx.
Car en ce lieu tout bruict, tout cry s’appaise,
Et n’oit on rien, dont fort je m’esbahis,
Qui me donna quelque peu de malaise.
Pour m’enquerir descouvrois le pais,
Et ne voyois que figures horribles,
Monstres du monde & de mon Jour hais.

Comment, ô Dieux, ces beste tant terribles
Peuvent, disois je, icy vivre en silence ?
Choses de croire a moy trop impossibles.
Car elles sont aptes a violence,
Et a les veoir ennemyes de paix
Les jugeriez par leur impatience.
Ainsi long temps d’envie je me pais,
Et de desir d’entendre un peu leur estre,
Dont a present, pour un peu, je me tais.
Car je voy là venir a main fenestre
Une grand Dame, a qui font reverence
Maint Laboureur, Noble, Marchant & Prebstre.
Car elle estoit de si belle apparence,
Que, pour pouvoir a elle parvenir,
L’un ne faisoit a l’autre difference.
Mais bien voyou de tous costez venir
Un si grand peuple, & gentz a si grand nombre,
Que de leurs noms ne me puis souvenir.
Et tant estoient, qu’ilz se faisoient encombre
Pour celle Dame attoucher, & puis suyvre,
Comme captifz, & joyeux de son umbre.
Plus la suyvoient, plus la vouloient pour suyvre,
Son seul regard si fort les delectoit,
Qu’ilz ne pouvoient, sans elle, une heure vivre.
Une grand Royne a son costé estoit

(Deux, ou trois pas toutes fois plus arriere)
Qui sceptre d’or, & couronne portoit.
Mais elle alloit d’une mode si fiere,
Et d’un orgueil si roguement enflee,
Que de parler d’elle donnoit matiere.
Et toutes fois la plus part alemblee
Des poursuyvantz a la Dame adressoit :
Parquoy vers elle accouroit l’assemblee.
Le plus souvent pour eulx elle oppressoit
Tous ceulx, qui d’elle au fort ne faisoient compte,
Et au besoing appart les delaissoit.
Mais au contraire elle estoit si tresprompte,
Pour avancer tous ses favorisez,
Qu’elle faisoit a tous les autres honte.
Parquoy les siens, estans ainsi prisez,
Ne craignoyent point souvent a repoulser
Ceulx, qui n’estoyent par elle autorisez.
Dont en peu dheure elle vint a haulser,
Et tellement son grand pouvoir estendre,
Que les plus loings craignoyent la courroucer.
Et mesmement qu’elle faisoit entendre
A la grand Dame, a croire trop facile,
Qu’elle pouvoit sur les Roys entreprendre.
Et qu’il n’estoit chose tant difficile,
N’engin si dur reduict soubz son pouvoir,
Qui ne devint incontinent docile.

Or la grand Dame (a parler au devoir)
Estoit aveugle en sa mescongnoissance,
Et ne vouloit ses faultes point sçavoir :
Et pour autant en sa grande puissance
Se reposoit sur ceste avare Royne,
Remettant toute en elle sa fiance :
Qui par sa face attrayante, & seraine
Dessus la terre, & la ronde Machine
En peu de temps la rendit souveraine :
Veu qu’une Vieille hydeuse, & qui rechine
Tousjours des dentz de ses mains embridez.
Seche, & jaulnatre, a courbe, & longue eschine,
Joue enfoncee, yeulx rouges tous ridez,
Ce neantmoins songneuse, & diligente
A appeller les plus oultrecuydez,
Pour sa moytié estoit demy Regente
Pour ceste Royne au besoing soulager,
Car a servir ne fut onc negligente.
Ceste en ce point venoit accourager
Ceulx de sa sorte, & si bien leur aydoit,
Qu’ilz venoient tous de haine a enrager.
Tout chascun (presque) a les ensuyvre ardoit :
Mais a l’escart seoit une autre Dame,
Qui les mieulx nez gentement retardoit.
La face avoit rouge, comme une flamme,

Et toutesfois d’une masque couverte,
Se tenant loing de celle gent infame :
En faictz discrete, & en parler diserte,
Sur la grand Dame ayant tousjours l’œil droict,
Maulgré la Royne a l’avarice experte :
Ceulx, qui fuyoient le faulx, aymant le droict,
La fuyoient tous, & la tenoient de pres,
Dont ilz estoient louez en maint endroit :
Bien que souvent par les malings d’aupres
Fussent mocquez, secrettement apart,
Et en public par motz & signe expres :
Mais la grand Dame allant en mainte part,
Tousjours tournoit sa veue çà, & là,
Dont ilz avoient maulgré la Royne, part.
Et tellement, qu’elle, voyant celà,
Pour les ouyr les faisoit approcher :
Car onc a nul elle ne se cela.
Quand quelqu’un d’eulx la pouvoit attoucher,
Et bien au long son vouloir luy deduire,
Elle l’avoit plus, que les autres, cher :
Tant qu’ilz venoient par sa clarté a luyre
Par dessus tous, veu qu’elle les voyoit
Ne la vouloir par les autres seduire.
Aussi desjà trop elle s’ennuyoit
Des importuns, & de leur grand audace,

Parquoy le plus elle les r’envoyoit.
Lors voyoit on chascun leur faire place,
Bien que par fois les plus malicieux
Les empescheoient par faict, ou par menace :
Et çà, & là couroient ambitieux,
Qui machinantz d’un accord se rangeoient,
Contre les bons, avec les enuyeux :
Mais a la fin de despit enrageoient :
Car ou la Dame honteuse s’approuchoit,
Comme confus, par les siens s’estrangeoient.
La Vieille alors ses cheveulx arrachoit
De grand douleur, & de fine destresse,
Et a gaigner contre eulx elle tachoit.
En telle foule, & si confuse presse
D’elles chascune a son prouffit regarde,
Mais complaisant tousjours a sa Maistresse.
Tant les suyvis, qu’en fin je me pris garde
De Monstres maintz horribles, & difformes,
Que la grand Dame avoit là pour sa garde :
Lesquelz, combien que de diverses formes
Ils sussent tous, & sans estre semblables,
Si estoient ilz a malfaire conformes.
Mesbahyssant que ces gentz miserables
N’avoient horreur pour un si vain desir,
De frequenter a l’entour de ces Dyables.

Si m’en enquis au long, & a loisir,
D’un poursuyvant, qui d’ardeur perissoit
Pour parvenir au but de son plaisir.
Mais la clarté, qui tant plaisante yssoit
(Ce me dit il) des yeulx de la Princesse,
Tous poursuyvantz en sorte esblouissoit,
Que plus suoyent, & travailloient sans cesse,
Plus ce travail leur estoit grand repos,
Et tout tourment leur servoit de lyesse :
Encor que point n’eussent a tous propos
Si bon aspect d’elle, qu’ilz esperoient,
Si n’estoient ilz pour celà moins dispos :
Ains que tousjours apres ilz tascheroient,
Sans regarder que leur destruction,
Et temps perdu les desespereroient.
Parquoy, voyant leur grand confusion,
Je ne me peux tenir alors de rire,
Bien que sentisse estre une illusion :
Et d’une joye entremeslee d’ire
Non seulement me prins a detester
Ces Monstres vains, mais tresbien les mauldire :
Veu qu’ilz venoient le monde inquieter,
Et si ne sont d’eulx mesmes moins, qu’une umbre,
Qui le cerveau nous vient a hebeter,
Au libre arbitre estant fascheux encombre

Pour coulourer nostre concupiscence,
Noz vains desirs, & folies sans nombre.
Et nonobstant qu’ilz n’ayent aucune essence,
Par une folle imagination
Nous en faisons nostre vraye science.
Ò miserable est la condition
De nous humains, laquelle est tousjours prompte
A inventer nostre perdition.
Mais sur ce point je voy l’aulbe, qui monte
Chassant bien loing ceste tourbe nuisante
De Vaine gloire, Ambition, & Honte :
Si m’esjouys en la clarté plaisante
De mon cler Jour, que je veis apparoistre,
Pour esclarcir ma nuict tres mal plaisante,
Comme il se faict assez de soy congnoistre.