Rymes/La fortune envieuse

RymesTournes (p. 22-26).

La fortune envieuse
Voyant mon Jour passer,
De la nuict est joyeuse
Pour me faire penser,
Vray ce, que le Ciel dict,
Pour se mettre en credit.

Mais sçavoir n’ay envie
Des Planettes le cours
Pour congnoistre ma vie,
Ayant autre discours :
Car tant que je verray

Mon Jour, je ne mourray.

Ne trouves point estrange,
Si, quand ne le puis veoir,
Je me trouble, & me change,
Tant, qu’il me fault douloir
Du mal, que mon cueur sent,
Quand de moy est absent.

Ce que j’y suis tenue,
Ne me faict tant l’aymer,
Que sa vertu congneue
Me contrainct l’estimer
Par son loz tant requis,
Qui m’est honneur acquis.

Sa grace accompaignee
Plus, qu’a nul, j’ay peu veoir :
Parquoy pour luy suis nee,
D’autre je n’ay vouloir :
Les Dieux pour moy l’ont mis
Au bout des vrays amys.

O amytié bien prise,
Que j’ay voulu choisir

Par vraye foy promise,
Qui mon cueur vint saisir,
Quand honneur s’allia,
Au bien, qui nous lia.

Ma fortune accomplie
En mon heureux sejour
De plaisir fut remplie,
Quand j’apperceu mon Jour:
Qui bien congneu l’aura,
Mon amy aymera.

Heureuse destinee
En mon heur apparoit,
Ne sçaichant femme nee,
Qui peult, ne qui sçauroit
Eviter la moytié
De sa noble amytié.

D’estre d’autres requise,
Ny vueillez point venir :
Car je suis tant apprise,
Que j’ay pour souvenir
La grandeur de son cueur
Estre du mien vainqueur.


Et si je n’ay la grâce
Pour meriter d’avoir
Ce bien, & qu’on pourchasse
De le me decevoir,
Ma fermeté fera,
Qu’il se contentera.