RymesTournes (p. 72-77).

confort.

Si lon pouvoit par un repentir cher
Donner remede, & quelque exploict chercher
Aux maulx receuz, & dommages passez,

Certainement j’en demourrois assez,
Au dict de ceulx, qui sont perseverantz
En leur amour, sans sortir hors des rancz :
Et qui (vrayement) sont de telle excellence,
Qu’en eulx vertu par longue patience
S’esvertuant plus fort se glorifie :
Nature aussi du tout s’y fortifie,
Et tellement, que dessus eulx Fortune
N’à nul pouvoir, & n’a puissance aucune,
Sinon d’autant, que le veult, & commande
L’injuste Amour, qui raison ne demande.
Mais que te vault ? Tu descharges ta Dame
En l’accusant : & en luy donnant blasme
L’honores mieulx : Vituperant la loues :
La denyant plus fort tu la te advoues.
Et si tu veulx, comme dure, & cruelle
La blasonner, par raison naturelle
Tu la viendras, comme juste, adorer,
Et en ton cueur sa vertu odorer.
Car ce, qui deubt le noud lyer, le soult :
Ce, qui devroit bien fort contraindre, absoult :
Et ce, que plus on destrainct, & deslye,
C’est ce, qui plus éternellement lye.
La haulteur sienne, ou son cueur se pourmaine,
(Qui la demonstre estre doulce, & humaine)

La contrainct estre en voulenté tres rude,
Comme confite en toute ingratitude :
Mais elle fainct, contre le sien vouloir,
D’avoir d’amour un constant nonchalloir :
Car son desir, & la crainte d’injure
Vainct ton servir, qui a t’aymer l’adjure.
Parquoy ces partz, qui en toy sont amables
D’honnesteté, se font desraisonnables.
Et son amour tres saige contredict
A ton vouloir de raison interdict.
Son sens aigu, son meur entendement
Congnoit assez valeur apertement,
Et qui l’incite, & jour & nuict convie
A te vouloir bien, & heureuse vie,
Et s’il n’estoit honte, qui la revocque,
Elle useroit d’une amour reciproque,
Mais quoy ? Raison à sus elle pouvoir,
La destournant de faire son debvoir,
Et la retient a non te satisfaire
Combien qu’elle eust voulenté de ce faire.
Ainsi tu peulx en ton ardeur choisir
Et joye, & dueil, plaisir, & desplaisir,
Doulx, & amer, faveur, & desfaveur,
Desapetit, revoquee faveur,
Donc, ô Amant, prens en toy reconfort,

Et contre Amour vueilles toy monstrer fort.
Ne permetz point que desespoir dispute
Contre ton sens : Mais a guerdon repute,
Voire a tres grande, & juste recompense,
Qu’il luy desplait toutes fois qu’elle pense,
Que tu n’as mal, que pour luy vouloir bien,
Dont tu ne peulx guérir sans son moyen.
Resjouys toy, & vueilles t’estimer,
Veu que de toy elle se souffre aymer,
T’ayant tousjours au devant de ses yeulx,
Et que de cueur plus triste, que joyeux,
Tes plainctes voit, & sans desdain les lise,
D’elles aussi les piteux mots eslise,
Et que pour toy elle à daigné mouvoir
La sienne main a te faire sçavoir
Sa tendre en toy, & grand compassion,
Te declarant par son affection
Chose a autruy non jamais accordée,
Ny par fortune en discord recordee.
Or confidere en oultre, que depuis,
Que tu as mis sus elle tes appuyz
Et desdié ta totale fortune,
Tu es venu trop plus hault, que la Lune,
En loz, & bruict, & honorable fame,
Et tu te veulx laisser cheoir en diffame !

Va, remercie, & te prosterne en face
Devant les Cieulx, qui t’ont faict cette grace
D’estre venu en ce temps pour la veoir
Telle, ou Nature à mis tout son sçavoir :
Telle pour qui, pour non la veoir, plaindront
Tous Siecles sainctz, qui apres toy viendront.
Ne cherche point remede a prendre fin,
N’a te priver de sa presence, afin
Que de ta mort la nouvelle piteuse
Ne luy causast douleur, & vie honteuse.
S’elle te veult avec pitié pourveoir,
Ne dois tu point plus tost desirer veoir
La tienne mort avec le sien honneur,
Que veoir sa coulpe, & ta vie en bonheur ?
Et si elle est pour ta douleur en peine,
Ou en soucy, tien pour chose certaine,
Que son vouloir raisonnable conteste
A satisfaire a ton vouloir moleste.
Ayes douleur de sa peine & misere,
La deschargeant de coulpe si legere :
Prefere aussi sa saincte renommee
A vie estant de toy tant peu aymee.
Conforte toy, qu’elle est seule la cause
De ton travail, qui ne peult trouver pause.
Conforte toy par propos immortel,

Que de ton mal le fondement est tel,
Que seulement pour avoir mis si hault
Le tien desir, & l’espoir, qui te fault,
Celà te donne assez de recompence
De ton travail. Pour autant doncques pence
Qu’en ceste soif, & alteration,
Tu peulx avoir refrigeration.
Car le tourment, que tu souffres pour elle,
Estre te doit joye continuelle
A ton esprit, & doulx contentement,
Et au travail tres grand allegement.
Car il n’est rien, tant soit grand, en ce monde,
Qui vaille autant, que ce mal, qui te abonde.
Or te soit donc triomphante victoire
D’estre vaincu d’elle, qui est ta gloire.
S’elle te tient, & vainc pour son captif,
Son cueur sera au tien plus intentif.
S’elle te tient soubz condition serve,
A quelque fin, peult estre, te reserve.
Laisse luy donc, toy estant sien, la cure
De ce, qu’elle à, & a soy se procure :
Laisse luy donc le soing, & pensement
De ce, qu’est sien : Car naturellement
On ne veult point veoir la perdition
De ce, qu’on à en sa possession.


fin.