Éditions Édouard Garand (13p. 10-11).

CHAPITRE V

LES PEUPLIERS


Roxane pénétra dans un vaste corridor, orné de candélabres, supportés par des statues de marbre et de bronze. Sur le plancher en bois franc verni, étaient de splendides peaux de buffles. Ce corridor s’étendait sur toute la profondeur de la maison et se terminait par une porte, qui devait s’ouvrir sur une galerie ou portique ayant vue sur le lac des Cris.

Deux autres corridors s’ouvraient, l’un à droite, l’autre à gauche, sur le corridor principal. C’est celui de droite que prit Roxane, précédée d’Adrien, puis on parvint dans une pièce d’assez grande dimension ; cette pièce, qui précédait la chambre à coucher de M. de Vilnoble, était meublée comme une étude.

— Mademoiselle, dit Adrien à Roxane veuillez vous asseoir un instant tandis que je vais préparer M. de Vilnoble à vous recevoir. Dans l’état où il est…

— C’est bien, répondit Roxane, allez !!

Adrien ne fut absent que quelques minutes.

— Ayez la bonté de me suivre, s’il vous plaît Mademoiselle, dit-il quand il fut de retour dans l’étude. Mon maître… combien il lui tarde d’avoir des nouvelles de M. Hugues !

Roxane pénétra dans la chambre de M. de Vilnoble. Couché sur un lit surmonté d’un ciel, elle vit un homme très grand et qui avait dû être fort corpulent : c’était M. de Vilnoble, père de Hugues. Il était évident qu’il n’en avait plus que pour peu d’heures à vivre. Son visage couleur de cire, ses yeux étranges, ses lèvres pâles disaient assez que la mort n’était pas bien éloignée.

— M. de Vilnoble, dit Adrien, en se penchant sur le malade, voici Mademoiselle…

— Monthy, ajouta Roxane.

Mlle Monthy… Elle vous apporte des nouvelles de M. Hugues. Puis le domestique se retira discrètement.

— Mon fils… dit le malade. Hugues…

— M. de Vilnoble, dit Roxane, M. Hugues, votre fils est chez moi dans le moment. Il accourait aux Peupliers, quand un accident…

— Un accident !

— Oui, un accident… qui n’aura pas de suites graves, je l’espère, j’en suis même convaincue. Il est tombé de cheval et il s’est blessé à la tête ; il s’est fait, aussi, une entorse au pied droit.

— Pauvre Hugues ! murmura M. de Vilnoble.

— Si vous saviez, M. de Vilnoble, comme il voulait continuer son chemin ! Je ne sais combien de fois il a essayé de se lever du canapé où mon domestique l’avait couché… Il désirait tant vous voir, car il craignait que vous n’eussiez l’impression qu’il vous gardait rancune, à propos d’un certain malentendu…

— D’où venez-vous, jeune fille ? demanda le malade.

— Je demeure aux Barrières-de-Péage, répondit Roxane.

— Aux Barrières-de-Péage ! Mais, la barrière est à quinze milles d’ici et il fait un temps épouvantable, me dit Adrien !

— Que m’importe, Monsieur ! Pouvais-je voir votre fils dans une situation aussi pénible et ne pas m’offrir pour lui venir en aide ?

Mlle Monthy, balbutia le malade, vous êtes une héroïne !

Roxane sourit. Ces mêmes paroles lui avaient été dites, il y avait trois heures à peine, par Hugues de Vilnoble.

— J’ai sur moi, dit-elle, les preuves que je viens bien de la part de votre fils M. de Vilnoble. Cette lettre, puis cette bague…

— Cette bague !… Ah ! elle appartenait à ma femme, la mère de Hugues. Cette pierre dont elle est surmontée est une escarboucle d’une grande valeur, dit M. de Vilnoble. Mais, ciel ! s’écria-t-il tout à coup, il faut que je… répare… une injustice, une grave injustice. Un notaire ! Vite, un notaire !… J’ai déshérité mon fils, mon unique enfant ! Le mois dernier, j’ai fait mon testament et… Un notaire ! Un notaire !

— Monsieur, dit Roxane, qui avait pâli légèrement, dites-moi où demeure le notaire, et j’irai le chercher, sans retard.

— Oui ! Oui ! Vite ! Vite ! Adrien…

— Adrien ! appela Roxane.

Quand le domestique fut arrivé, M. de Vilnoble lui dit :

— Adrien, un notaire !… Mon testament… il faut que je le fasse… cette nuit même, immédiatement… Mlle Monthy…

— J’irai chercher le notaire, dit Roxane à Adrien. Si vous voulez bien me donner les renseignements voulus et vite me seller un cheval… Pas Bianco, car il est bien fatigué.

— Bien, Mademoiselle ! répondit Adrien. Je vais seller Jupiter, une excellente bête, qui enlèvera les six milles d’ici chez le notaire Champvert en peu de temps.

— Allons, alors ! fit Roxane. M. de Vilnoble, ajouta-t-elle, je ramènerai le notaire, soyez-en assuré, et le plus tôt possible.

— Merci ! Merci ! soupira le malade. Et que Dieu vous bénisse pour votre sublime dévouement, votre exquise bonté !