XVII

LE PLUS GRAND CHANTAGE DU MONDE

Chose singulière, devant ces clameurs, le monarque d’Essen ne se troubla ni ne manifesta de colère.

Il désigna d’un doigt impérieux la porte derrière laquelle Fulber continuait de se démener et de hurler, et Hans ouvrit cette porte. Aussitôt Fulber se rua et puis s’arrêta brusquement sur ses jambes flageolantes… Ainsi, la bête fauve sort en bondissant de sa cage pour entrer dans le cirque et suspend soudain son élan devant les visages inattendus des spectateurs…

Fulber regarda, comme hébété, ces officiers, ces diplomates, ces ingénieurs, ces journalistes, toute cette troupe chamarrée qui entourait le dompteur ; sans doute se demandait-il, dans sa pensée confuse, pour quel dessein obscur on le produisait tout à coup en liberté devant une aussi exceptionnelle escorte !…

Mais le lion en fureur ne saurait réfléchir longtemps et Fulber, secouant sa crinière chenue, se reprit à rugir :

« Assassin ! Assassin ! Assassin ! »

Déjà des gardiens s’élançaient, mais l’Empereur, d’un geste terrible, les immobilisa :

« Laissez parler cet homme ! » fit-il.

Or, « cet homme » parla. Il dit :

« Voilà l’assassin du monde ! Prenez garde ! si vous ne tuez pas le monstre, le monstre vous tuera !… Et, surtout, prenez bien toutes vos précautions ! Ne vous laissez pas prendre comme moi ! Comme il a pris ma fille ! comme il a pris mon gendre ! Sa Majesté a le bras long et la main sournoise ! Vous vous croirez, en vérité, dans un coin caché aux autres hommes, mais c’est là justement qu’il ira vous chercher et il vous amènera ici, pieds et poings liés, dans sa forge, et il vous fera travailler pour lui, nuit et jour, de gré ou de force !… et si vous refusez il inventera des supplices auxquels vous ne pourrez peut-être pas résister !

« Prenez garde ! Prenez garde !… Si vous avez une fille, il torturera votre fille ! Et si vous avez le courage maudit de laisser martyriser votre enfant, sous vos yeux, sans livrer votre secret, il fera descendre le fiancé de votre fille dans le cachot où la malheureuse agonise et alors, le fiancé parlera et travaillera pour cet homme ! Et le monde pourra trembler, car le secret aura été livré ; le secret qui doit tuer la guerre, parce que lorsqu’on possède un secret pareil, il n’y a plus de guerre possible !…

« Oui ! moi ! c’est moi ! Théodore Fulber (vous avez bien entendu parler, n’est-ce pas, de Théodore Fulbert un savant innocent qui était l’ami de tous les hommes !) c’est moi qui avais trouvé un engin… un engin formidable… Eh bien ! le monstre me l’a volé !… j’ai tué la guerre, mais au profit du monstre !… Si vous ne le tuez pas, tremblez !… Car je vous le dis, je vous le dis ! il vous tuera ou vous serez réduits en servitude !… Comment peut-il encore exister ?… Il vous dévorera !… Je vous dis qu’il vous dévorera !… Arrachez-lui donc le cœur, et jetez-le aux chiens !… Assassin ! Assassin ! Assassin !… »

L’Empereur avait-il souri ? haussé les épaules ? ricané ? Il suffit d’un tout petit geste de l’adversaire détesté pour décupler soudain la rage d’un animal dont le sang, déjà, bouillonne. Toujours est-il que Fulber, perdant tout aspect humain, se précipita tout à coup sur l’Empereur avec l’élan furieux d’une bête bavante, à la mâchoire altérée de sang et aux ongles meurtriers… Cette fois, il ne fut que temps d’intervenir et deux gardiens ne furent point de trop pour maintenir le vieillard enragé, le rejeter dans son cabinet de travail et refermer à clef la porte sur lui.

« Cet homme est fou ! proclamèrent tous ceux qui accompagnaient l’Empereur, mais l’Empereur dit :

« Non ! il n’est point fou ! il n’est point fou, mais simplement furieux du bon tour que je lui ai joué et que je vais vous faire connaître… »

Il entraîna, sur ces paroles, encore énigmatiques pour beaucoup, tout son monde dans la salle où l’on avait pénétré en premier et où l’on se trouvait à l’abri des clameurs, des gémissements et des malédictions de Fulber…

Et là, ayant allumé en souriant une cigarette, il commença :

« Messieurs, Fulber est si peu fou qu’il ne se vante nullement lorsqu’il dit avoir trouvé un engin tel qu’il n’y a pas de guerre possible contre celui qui le possède !… Lorsque je me suis emparé de Fulber et de ceux qui travaillaient avec lui, c’est-à-dire de sa fille, et du fiancé de sa fille, Fulber, comme il vous l’a fait entendre dans son langage inspiré par la plus basse haine, était sur le point de déchaîner contre moi et contre l’Allemagne la foudre la plus cruelle qu’un cerveau humain ait jamais pu concevoir !… Cette foudre, je la lui ai ravie !… et c’est à moi qu’elle va servir !… N’est-ce pas de bonne guerre ? »

Aussitôt, ceux qui étaient là ne trouvèrent plus de termes pour exprimer leur admiration ; mais l’Empereur, d’un geste, rétablit le silence et continua :

« L’engin ! c’est moi qui l’ai, et je vais vous le montrer !… et vous allez comprendre la fureur de Fulber !… et mon calme à moi, et mon pardon !… car je pardonne à cet homme qui a voulu détruire mon pays, mais qui a fourni finalement le moyen à la Kultur allemande de répandre ses bienfaits sur le monde !… Comme l’a voulu Fulber, messieurs, son engin sera un engin de paix, mais de paix dictée par l’Allemagne, pour le plus grand bonheur de l’humanité !… Encore un mot, messieurs, avant de continuer notre chemin… Fulber n’est pas un fou ! mais c’est un menteur !… Pour avoir son secret, nous n’avons torturé personne !… Sa fille, qui n’a jamais eu une très bonne santé, se porte aujourd’hui aussi bien que possible et est traitée en amie, par la fille même de l’ingénieur Hans, nièce du général von Berg ! En même temps que l’on vous fera voir la machine infernale qui va nous faire les maîtres de la terre, on vous présentera celui qui a livré le secret de Fulber. C’est son aide, le Polonais Serge Kaniewsky, cet anarchiste qui a été condamné par les tribunaux français à cinq ans de prison pour avoir simplement tenu des propos qu’il a niés. Vous comprendrez que Kaniewsky ne porte point la France dans son cœur et qu’il ne nous a fallu aucun effort pour le déterminer, moyennant une petite fortune, à nous aider à détruire Paris !…

Détruire Paris !… Votre Majesté va détruire Paris !… firent entendre des voix frémissantes…

Je détruirai tout ce qui me résistera ! Venez, messieurs !… »

Pendant que l’Empereur parlait ainsi, Fulber, à l’autre bout du laboratoire, écroulé, la tête dans les mains, sur les carreaux du vaste fourneau du laboratoire, pleurait !… Oui, maintenant, il gémissait comme un enfant !… et ces sanglots, après la fureur insensée qui avait secoué sa vieille carcasse, étaient un bienfait. Ils le sauvaient, en le soulageant. Aussi, y trouvait-il une douceur inusitée, et s’attardait-il à ces larmes comme à une onde rafraîchissante.

Or, il fut tiré de cette torpeur douloureuse et salutaire par le bruit que fit près de lui une petite pierre qui arrivait par la cheminée… et certainement elle ne s’en était pas détachée toute seule, car elle était enveloppée d’un papier sur lequel l’inventeur se jeta sournoisement et qu’il déploya d’une main tremblante, après avoir constaté qu’il était bien seul et que nul ne pouvait le surprendre. Le malheureux savant lut : Espérez ! vous n’êtes pas abandonné ! Soyez au travail ici toutes les nuits à 4 heures du matin et faites exactement tout ce qui vous sera ordonné par celui qui signe : Titania…

Le cortège retraversait maintenant toute l’usine. La Candeur, qui venait d’être rejoint par Rouletabille, ne quittait plus des yeux certain personnage qui se rapprochait insensiblement de nos deux pompiers. C’était Nelpas Pacha, lequel devait être un peu fatigué par toutes ces tribulations infernales, car il traînait visiblement la jambe. Un instant même, il laissa passer devant lui tous ses collègues et les officiers qui les accompagnaient, s’arrêtant comme s’il prêtait une attention spéciale à quelque travail qui n’avait cependant rien de bien spécial, puis il reprit son chemin, mais, pour regagner son groupe, il dut passer auprès de Rouletabille et il eut le temps d’entendre ces mots prononcés nettement, quoique d’une voix sourde : Tout va bien ! Il faut que tu sois au déjeuner des fiançailles de la nièce de von Berg !

Nelpas Pacha hocha la tête d’une façon où il n’y avait pas à se méprendre. Il n’aurait pas fourni de réponse plu » catégorique s’il avait pu prononcer ces mots : « C’est entendu ! »

Et il hâta le pas.

« Il ne m’a même pas regardé ! soupira La Candeur.

— Mais, toi, tu le regardes trop, gros imbécile !…

— Merci pour la langouste !…

— Ferme !… »

Les deux compagnons ne se dirent plus un mot jusqu’à l’entrée du fameux mur de bois qui clôturait l’espace réservé à la construction de ce que l’on avait cru jusqu’alors être un nouveau modèle de zeppelin.

Arrivé là, Rouletabille ne fut pas maître de dissimuler un mouvement de satisfaction.

« Chouette ! On entre par la porte B… »

L’Empereur et sa suite avaient déjà franchi ce seuil redoutable. Les deux pompiers, leurs grenades à la ceinture, le passèrent à leur tour.

Sur la gauche, se dressait immédiatement une bâtisse en planches comme il y en avait à toutes les portes et qui servait de logement au portier, ainsi que de poste militaire et de poste de secours.

La porte de cette maisonnette était ouverte et on apercevait une grande salle commune où, après le passage du cortège, des soldats reprenaient leurs places sur les bancs ou s’asseyaient sur les tables, rallumant leurs pipes.

Un pompier, reconnaissable à sa capote et à sa casquette rouge, était penché sur un pupitre appuyé contre le mur, et rédigeait quelque rapport. Devant ce pupitre, attachée au mur, était pendue une glace. Un peu à gauche de la table, il y avait une petite fenêtre ou plutôt un carreau qui donnait sur le dehors et qui devait permettre au concierge, avant d’ouvrir sa porte, d’examiner de chez lui, les gens qui voulaient pénétrer dans l’enceinte, en dehors des heures d’entrée et de sortie des ouvriers.

C’était dans cette pièce également que se faisait la distribution des jetons ou que l’on recevait les jetons d’identité quand passaient les équipes.

Rouletabille, d’un coup d’œil aigu, s’était rendu compte de la disposition des lieux et de la place occupée par les personnages qui s’y trouvaient. Il dit à La Candeur :

« Tu vas me suivre, et quoi qu’il arrive, fais le sourd et ne te démonte pas !… »

À leur entrée dans la salle, les soldats qui s’étaient mis à fumer et à bavarder ne leur prêtèrent aucune attention. Seul, le pompier qui avait fini son rapport et qui s’était retourné les dévisagea assez curieusement.

L’air redoutable de La Candeur lui en imposa immédiatement, mais, comme Rouletabille se dirigeait vers le pupitre qu’il venait de laisser, le pompier ne put résister à l’envie de lui demander :

« Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Votre section n’a rien à faire ici. »

Rouletabille lui montra d’un clignement d’œil le terrifiant La Candeur et prononça ce simple mot : Polizei ! (police)…

Aussitôt, l’autre, qui venait de voir passer l’Empereur et son cortège, imagina qu’il avait en face de lui de hauts personnages de la police occulte, et rectifia la position…

« Pas un mot ! lui souffla encore Rouletabille et laisse-moi faire mon rapport. »

Le pompier salua et Rouletabille se mit à écrire sur les feuilles de papier blanc qui se trouvaient là.

Chose singulière, lui qui avait plutôt une écriture petite et brouillonne, s’appliquait, cette nuit-là, à des caractères très nets, et, sans doute, craignait-il de faire des pâtés, car il n’avait pas plutôt tracé quelques mots qu’il prenait grand soin de les faire sécher sur le buvard qui garnissait le pupitre.

Il resta bien là dix minutes, pendant lesquelles La Candeur fronçait de plus en plus les sourcils, car il avait de plus en plus peur, et après lesquelles le reporter plia tranquillement la feuille de papier et la mit dans sa poche. Puis, avec la mine satisfaite d’un homme qui a achevé une corvée, il rejoignit La Candeur et lui dit :

« Sortons !

— C’est fini ? implora La Candeur, sitôt qu’ils furent hors du poste…

— Bah ! mon vieux ! ça ne fait que commencer !…

— Bonsoir de bonsoir !…

— Maintenant, il faut se trotter pour rattraper le cortège… mais d’abord, attends un peu !… »

Comme ils se trouvaient alors isolés dans un coin d’ombre envahi par toutes sortes de détritus que l’on avait poussés là, Rouletabille déchira méticuleusement les papiers qu’il venait de couvrir d’une écriture magnifique et en jeta les morceaux sous un tas de cendres.

« Vrai ! fit La Candeur, c’était bien la peine de me faire passer à t’attendre les plus mauvaises minutes de ma vie ! T’as jamais été aussi long à écrire un article ! Et v’là que tu le fiches au panier !… »

Rouletabille lui ferma la bouche et lui montra le cortège qui revenait de leur côté.

Ils le rejoignirent, au moment où il pénétrait dans le monstrueux bâtiment dont la silhouette fantastique dominait l’usine et la ville, et qui faisait l’objet de toutes les conversations de Dusseldorf à Duisburg, et dans toute la plaine d’enfer entre le Rhin et la Ruhle…

La première impression, lorsqu’on entrait dans ce prodigieux vaisseau, était faite de deux choses : d’écrasement et d’étourdissement. Les dimensions vraiment colossales de ce berceau dont la longueur atteignait presque un demi-kilomètre et qui était capable de contenir dans sa résille de bois et de fer titanesque le plus monstrueux des léviathans, avec son tube de lancement, allongé, à son extrémité la plus élevée, d’une « cuiller » formidable ; la hauteur inappréciable au premier abord des échafaudages, des passerelles, des ponts d’acier volants, roulant sur leurs galets, d’une extrémité à l’autre de cette voûte de fer dont l’arc allait bientôt se refermer à plus de 40 mètres au-dessus du sol… et transportant des équipes d’ouvriers qui, à cette distance, paraissaient grands comme des porte-plumes… Oui, tout écrasait, et aussi tout étourdissait en raison du tumulte formidable frémissant aux flancs martelés de la Titania !

Écrasé, étourdi, et aussi ébloui par les nappes de lumière électrique déversées par mille étoiles suspendues à un ciel de bois qui ne devait plus s’ouvrir que pour laisser s’échapper le redoutable vaisseau de l’air, Rouletabille s’arrêta un instant, le cœur battant, l’âme pleine d’une angoisse telle que des gouttes de sueur perlèrent à ses tempes. Il saisit d’un geste nerveux, presque inconscient, le bras de son compagnon :

« Eh bien ! lui dit-il, tu le vois, le canon de 300 mètres !… Tu vois que ce n’était pas un rêve !… »

Ce n’était pas un rêve : ce canon, qui était un tube lance-torpille, avait 400 mètres de long !

Elle était là, presque entièrement réalisée, la Titania née dans le cerveau en flammes de Fulber ! Et cependant, si Fulber avait pu la voir, il en serait mort de douleur !

Elle ne tournait point son cône menaçant vers la cité maudite des hommes, mais elle s’apprêtait à partir pour Paris, voué, par l’Empereur du feu, à la mort et à la destruction !…

Cette pensée terrible rendit à Rouletabille toute sa présence d’esprit et tout son sang-froid…

« Suivons l’Empereur ! » souffla-t-il à La Candeur qui Paraissait complètement hébété, anéanti par la vision kolossale. Et il l’entraîna.

Ils furent encore une fois derrière le cortège, comme s’ils étaient de service commandé, et ils assistèrent à tout, se glissant pour mieux voir, entre des poutrelles épaisses comme des piliers de cathédrale, courant sur des madriers à l’équilibre chancelant, et sans éveiller l’attention de quiconque, se rapprochant assez de la parole impériale pour l’entendre donner ses brèves explications qui, dans le tumulte, devaient être criées…

Ainsi firent-ils le tour des choses et se trouvèrent-ils avec les autres dans le tube et dans la torpille elle-même, cylindre d’acier comme il n’y en eut encore jamais et dans lequel on voyait déjà le cloisonnement de fer destiné à porter les autres petits cylindres comme une mère porte ses petits…

L’Empereur expliquait tout, donnait des détails sur les divisions principales de l’engin, s’arrêtait aux vérins hydrauliques qui, au moyen d’aussières en acier, ouvraient et fermaient la porte de chargement… faisait admirer les dimensions inouïes des accumulateurs d’air comprimé pour le lancement initial de la torpille qui, aussitôt sortie du tube, ne marchait plus que par ses propres moyens…

Enfin, il s’attachait à donner toute sa signification à l’orientation de l’appareil… nord-est-sud-ouest… sur Paris !…

Et il ajouta :

« Sur Paris, d’abord !… car le tube pourra resservir et contenir à nouveau d’autres Titanias, si c’est nécessaire !… et nous en dirigeront le tube vers tous les points de la terre qu’il faudra !… car le tube, comme vous allez le constater, peut pivoter sur une prodigieuse plate-forme circulaire !… plate-forme qui peut servir encore à la dernière minute (quand les bâtiments provisoires qui nous entourent auront été abattus), à préciser mathématiquement la direction ou à la modifier !… Par exemple, nous pourrions aussi bien envoyer la Titania sur Londres ?… Si nous ne le faisons pas, c’est qu’il y a chez nous des gens qui n’aiment pas Londres !… tandis que tout le monde aime Paris !… et le Monde entier pleurera !… »

Ainsi parlait le monarque des pleurs.

Et pour qu’il fût mieux entendu, un ordre subit venait de suspendre le retentissant travail…

Aussi, c’est dans un silence d’autant plus impressionnant qu’il succédait à un bruit infernal, que l’Empereur continua, cependant que tous les journalistes, neutres et alliés, avaient tiré les bloc-notes et sténographiaient la parole sacrée :

« Excellences, messieurs, vous avez vu l’œuvre ! Elle sera terminée dans deux mois. Dans deux mois, si Paris n’a pas entendu notre voix d’amitié et de pardon, Paris aura vécu ! Nous ne sommes pas des barbares !… Nous ferons connaître nos conditions de paix. Nous la voulons durable et telle que la Kultur allemande ne coure plus aucun danger dans le monde ! Nous n’avons pas voulu cette guerre, mais puisqu’on nous l’a faite, il est juste que nous en profitions pour exiger tout au moins la place nécessaire au développement de notre génie sur tous les continents !… Le Monde comprendra cela ou le Monde mourra !… Allez ! et répétez notre parole !… De tout notre cœur ému par tant de misères présentes et par la prévision des catastrophes futures, nous souhaitons d’être entendus par nos pires ennemis !… Ceux-ci connaissent la puissance de l’œuvre qu’ils avaient imaginée contre nous et que nous retournons contre eux !… Vous pourrez leur dire que vous avez vu travailler, en toute liberté, à l’achèvement du plus terrible engin qui soit sorti de la pensée de l’homme, celui qui, avec Fulber, en a tracé les premiers plans, en a expérimenté en Angleterre les premiers effets, et qui consent aujourd’hui à faire servir sa vengeance contre une ville et un peuple (qui l’ont condamné et qu’il maudit), à la réalisation de nos desseins sur l’avenir et le bonheur de l’humanité !… »

En même temps qu’il prononçait ces dernières paroles, l’Empereur montrait, quasi suspendue au-dessus du vide, singulièrement accrochée à l’extrémité d’une passerelle d’où l’on dominait tous les travaux de la Titania, la silhouette tourmentée d’un homme qui avait la tête dans ses mains et qui regardait ce qui se passait sous lui avec des yeux de fou. C’était le Polonais. C’était Serge Kaniewsky. C’était le fiancé de Nicole. Entendit-il les derniers mots de l’Empereur ? Se trouva-t-il gêné par tous ces regards tournés vers lui ?… Toujours est-il qu’il se releva, et s’en alla d’une démarche lente vers d’autres points et d’autres passerelles… Au coin de l’une d’elles, il se croisa avec un pompier qui semblait faire une tournée d’inspection, et qui prit le temps de lui dire rapidement en passant : Les promenades vont reprendre, soulevez le couvercle du pupitre, près du carreau de la porte B, et regardez le buvard dans la glace !