Rose et Vert-Pomme/La Flamme éteinte

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Rose et Vert-PommePaul Ollendorff. (p. 217-222).

LA FLAMME ÉTEINTE


Dans les temps où j’étais un tout petit jeune homme, j’eus l’occasion de venir habiter dans un hôtel de la rue Oberkampf.

— Pourquoi la rue Oberkampf ? me direz-vous.

— Pourquoi pas la rue Oberkampf ? vous répondrai-je froidement. La rue Oberkampf ne vaut-elle point telle ou telle autre artère ?

Et puis, d’ailleurs, je crois bien que ce n’était pas la rue Oberkampf que j’habitais alors, mais bien la rue Notre-Dame-de-Nazareth.

Il y a longtemps !

Mon humble chambrette me revenait, — ô temps bénis de ma jouvence — à quelque chose comme vingt-cinq francs par mois.

Elle ne comportait pas, je l’avoue, ni l’eau, ni le gaz, ni le reste. (Ne me contraignez point à insister.)

Pour le reste, je devais enfiler, dans toute sa longueur, un noir corridor se terminant par une porte peinte en brun sur laquelle, en bleu, s’enlevait cette inscription lapidaire : ICI.

J’ai oublié de vous dire, mais peut-être en est-il temps encore, qu’à ces époques reculées j’étais timide comme un jabiru.

Un hanneton, dans la campagne, me regardant un peu fixement, me faisait piquer un fard éblouissant.

Quant aux femmes, la seule idée de frôler une de ces créatures me mettait au cœur des tombereaux d’angoisses.

Pauvre petit moi que j’étais alors ! Et comme la pratique constante du proxénétisme change un homme, tout de même !

Le premier jour de mon installation dans ce susdit hôtel de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, l’envie bien naturelle me vint d’aller… ICI.

J’enfilai le noir corridor.

Une porte, à droite, était ouverte.

Je jetai dans la chambre un œil machinal et j’aperçus, cousant à la fenêtre, une jeune fille belle comme le jour.

Nos regards se croisèrent. Une sueur froide m’inonda tout.

Le coup de foudre !

Je dormis mal, et, le lendemain, je me levai tôt, à l’espoir de contempler les traits de la déjà tant chérie.

Mais ma timidité ! Ma chameau de timidité !

L’amour me disait : Vas-y, imbécile ! Va la voir, ta chérie !

La timidité objectait : Tu n’iras pas ! tu n’iras pas !

L’amour fut génial : Ah ! tu ne veux pas y aller ? Eh ! bien, nous verrons !

Et pour me contraindre à aller ICI et voir ma belle, l’amour me fit acheter une bouteille d’eau de Sedlitz d’une force de trente chevaux, au bas mot.

Ah ! cette fois, la timidité s’avoua vaincue.

J’allai ICI et j’y retournai, et j’y revins encore, et, chaque fois, je m’enchantais à la vue de l’adorée.

Que comprit-elle à ce manège ? que je l’aimais ? Eh, parbleu !

Et voici que ses regards se firent gentils comme tout, pleins d’accortises, avec, au fond, un peu de rigolade.

Le lendemain, nouvelle et irrésistible bouteille d’eau de Sedlitz.

Les regards de la petite devinrent sourires engageants, puis mines impatientes : Quand vous voudrez !

Et le soir de ce jour, sans que j’aie jamais su comment cela se fit, j’entrais chez l’idole, bien décidé à faire couronner ma flamme.

Pauvre flamme !

Elle eut piteuse allure, ma flamme, ou plutôt, elle n’eut point lieu !

Noyée, éteinte sous l’eau de Sedlitz, ma flamme !

Je m’étais trop purgé !