Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/O Terre, ô Mer

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 194-195).
ODE X.



OTerre, ô Mer, ô Ciel eſpars
Ie ſuis en feu de toute pars:
Dedans & dehors mes entrailles
Vne ardente chaleur me poind
Plus fort qu'vn mareſchal ne ioint
Le fer tout rouge en ſes tenailles.
La chemiſe que eſcorcha
Hercul' ſi toſt qu'il la toucha,
N'egale point la flamme mienne,
Ny de Veſuue tout le chaud,
Ny tout le feu que rote en hault
La fournaiſe Sicilienne.
Le iour les ſoucis preſidans
Condamnent ma coulpe au dedans,
Et la genne apres on me donne:
La peur ſans intermißion
Sergent de leur commißion
Me poind, me pique, & m'eguillonne.
La nuict les fantômes volans
Claquetans à becs gromelans
En ſiflant mon ame eſpouuantent,
Et les Furies qui ont ſoing
Venger le mal, tiennent au poing
Les Couleuures qui me tourmentent.
Il me ſemble que ie te voy
Murmurer des charmes ſur moy,
Tant que d'effroy le poil me dreſſe:
Et que mon chef tu vas lauant

D'vne eau bourbeuſe bien auant
Puiſée au fleuue de triſteſſe.
Que veux-tu plus ? dy, que veux-tu ?
Ne m'as-tu pas aſſes batu ?
Veux-tu qu'en ceſt âge ie meure !
Me veux-tu bruſler foudroyer,
Et tellement me poudroyer
Qu'vn ſeul oſſet ne me demeure ?
Ie ſuis appreſté ſi tu veux,
De te ſacrifier cent bœufs
A fin de deſenfler ton ire:
Ou ſi tu veux auec les Dieux
Ie t'enuoyray là haut aux Cieux
Par le ſon menteur de ma Lyre.
Les freres d'Helene faſchez
Pour les Iambes delaſchez
Contre leur ſœur par Steſichore,
A la fin luy ont pardonné,
Et pleins de pitié redonné
L'vſage de la veuë encore.
Tu peux helas (Deniſe) außi
Rompre la teſte à mon ſouci,
Te flechiſſant par ma priere:
Rechantes tes vers & les traits
De ma face en cire portraits
Iette au vent trois fois par derriere.
L'ardeur du courroux que lon ſent
Au premier âge adoleſcent,
Me fiſt trop nicement t'eſcrire:
Maintenant humble & repentant,
D'œil non feint ie vay lamentant
La iuſte fureur de ton ire.