Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Ma nourrice Calliope

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 186-190).
ODE VI.



MA nourrice Calliope,
Qui du Luth Muſicien
Deſſus la iumelle crope
D'Helicon guide la trope
Du ſainct chœur Parnaßien:
Et vous ſes Sœurs qui recrues
D'auoir trop mené le bal,
Toute nuict vous baignez nues
Deſſous les riues herbues
De la fontaine au cheual:
Puis treſſans dans quelque prée
Vos cheueux delicieux,
Chantez d'vne voix ſacrée
Vne chanſon qui recrée
Et les hommes & les Dieux:
Laiſſez vos Antres ſauuages,
(Doux ſeiour de vos esbas)
Vos foreſts, & vos riuages,
Vos roches, & vos bocages,
Et venez ſuiure mes pas.
Vous ſçauez pucelles cheres,
Que libre onques ie n'appris
De vous faire mercenaires,
Ny chetiues priſonnieres,

Vous vendant pour quelque pris:
Mais ſans estre marchandées,
Vous ſçauez que librement
Ie vous ay touſiours guidées
Aux maiſons recommandées
Pour leurs vertus ſeulement.
Comme ores Nymphes tres-belles
Ie vous meine auecques moy
En ces maiſons immortelles,
Pour celebrer trois pucelles
Comme vous filles de Roy:
Qui deſſous leur mere croiſſent
Ainſi que trois arbriſſeaux,
Et ja grandes apparoiſſent
Comme trois beaux Liz qui naiſſent
A la freſcheur des ruiſſeaux,
Quand quelque future eſpouſe
Aimant leur chef nouuelet
Soir & matin les arrouſe,
Et à ſes nopces propouſe
De s'en faire vn chapelet.
Mais de quel vers plein de grace
Vous iray-ie decorant ?
Chanteray-ie voſtre race,
Ou l'honneur de voſtre face
D'vn teint brun ſe colorant ?
Diuin eſt voſtre lignage,
Et le brun que vous voyez
Rougir en voſtre viſage,
En rien ne vous endommage
Que trois Graces ne ſoyez.
Les Charistes ſont brunettes,

Bruns les Muſes ont les yeux,
Toutefois belles & nettes
Reluiſent comme planettes
Parmy la troupe des Dieux.
Mais que ſert d'eſtre les filles
D'vn grand Roy, ſi vous tenez
Les Muſes comme inutiles,
Et leurs ſciences gentiles
Dés le berceau n'apprenez ?
Ne craignez pour mieux reuiure,
D'aſſembler d'egal compas
Les aiguilles & le liure,
Et de doublement enſuiure
Les deux meſtiers de Pallas.
» Peu de temps la beauté dure,
» Et le ſang qui des Rois ſort,
» Si de l'eſprit on n'a cure:
» Autant vaut quelque peinture
» Qui n'eſt viue qu'en ſon mort.
» Ces richeſſes orgueilleuſes,
» Ces gros diamans luiſans,
» Ces robes voluptueuſes,
» Ces dorures ſomptueuſes
» Periront auec les ans.
» Mais le ſçauoir de la Muſe
» Plus que la richeſſe eſt fort:
» Car iamais rouillé ne s'vſe,
» Et maugré les ans refuſe
» De donner place à la mort.
Si toſt que ſerez appriſes
A la danſe des neuf Sœurs,
Et que vous aurez compriſes

Les doctrines plus exquiſes
A former vos ieunes mœurs:
Tout außi toſt la Deeſſe
Qui trompette les renoms,
De ſa bouche parlereſſe
Par tout eſpandra ſans ceſſe
Les louanges de vos noms.
Lors s'vn Roy pour ſa defence
A vos freres repouſſez
De ſa terre auec ſa lance:
Refroidiſſant la vaillance
De ſes peuples courrouſſez,
Au bruit de la renommée
Eſpris de voſtre ſçauoir
Aura ſon ame enflamée,
Et en quittant ſon armée,
Pour mary vous viendra voir.
Voyla comment en deux ſortes
Tous Rois ſeront combatus,
Soit qu'ils ſentent les mains fortes
De nos Françoiſes cohortes,
Soit qu'ils aiment vos vertus.
Là donq Princeſſes diuines,
Race ancienne des Dieux,
Ne ſouffrez que vos poitrines
Des vertus ſoient orfelines:
C'eſt le vray chemin des Cieux.
Par tel chemin Polyxene
D'vn beau renom a iouy:
Par tel meſtier la Romaine
De chaſteté toute pleine
Vit encores auiourd'huy:

Qui de ſa trenchante eſpée
Sa vie aux ombres ieta,
Et par ſoy-meſme frapée,
Ayant la honte trompée,
Vn beau renom s'acheta.