Traduction par Mme Daring.
s. n. (p. 223-236).

CHAPITRE XV.

O knight thow lackst a cup of Canary.
When I did see thee so put down ?

Le Jour des Rois.

« Ô chevalier ! tu as besoin d’un bon
coup de vin de Canaries ! Je te croyais
moins bête. »

On entendait frapper à la porte de la chaumière des coups qui semblaient donnés par un gant de fer. Une voix parvint à se faire entendre au milieu du tumulte de l’ouragan ; elle était suppliante, et annonçait un voyageur qui avait perdu son chemin. Robin se leva, et alla se placer contre la porte.

« Vous qui frappez ainsi, dit-il, qui êtes-vous ?

— Un soldat, un infortuné qui fuit la vengeance du prince Jean, répondit la voix.

— Êtes-vous seul ?

— Oui. La nuit est bien terrible ! Bons paysans, je vous supplie, accordez-moi l’hospitalité. Sans la tempête, je ne vous importunerais point. Je voudrais être resté dans les bois.

— Vous ne prévoyiez donc pas la tempête, quand vous êtes descendu dans la vallée ? Savez-vous que dans cet endroit il y a des brigands ?

— Je le sais, répondit-on encore.

— Et moi aussi je le sais, ajouta Robin. »

Le silence succéda à cette conversation entre des discoureurs l’un à l’autre invisibles.

Robin et ses amis, l’oreille appliquée sur la porte, écoutaient attentivement. Ils crurent entendre le son confus de plusieurs voix qui parlaient bas ensemble.

Robin et la voix reprirent leur conversation.

« Vous n’êtes pas seul, dit Robin, quels sont vos compagnons ?

— Hélas ! je n’en ai point d’autres que le vent et la pluie, et je vous assure que je voudrais bien ne point les avoir.

— Je sais bien, dit Robin, que les poètes donnent une voix aux vents et aux tempêtes ; mais, jusqu’à cette heure, ils ne les ont pas fait causer ensemble ; ils ne leur ont pas fait dire ce que je viens d’entendre très distinctement : Hé ! bien, qu’allons-nous faire ? »

Un silence d’une ou deux minutes suivit cette conversation.

Une voix forte fit entendre bientôt ces mots :

« Monsieur le manant, si vous ne nous ouvrez pas, nous allons briser la porte.

— Oh ! oh ! monsieur le soldat, victime du prince Jean, cria le baron, tu t’es donc multiplié ? Combien y a-t-il là de coquins ? Croyez-vous, misérables, avoir à faire à de pauvres gens faibles et sans défense, et pouvoir aisément les voler et les assassiner ? Vous pensez, peut-être, que vous ne trouverez ni armes, ni résistance ? Grace à nos bâtons et à nos longues épées que, grâce à Dieu, nous savons manier, vous serez battus, mes drôles, si vous insistez davantage, et vous recevrez tant de coups que vos peaux en deviendront des cribles. »

On ne fit plus aucune réponse ; mais de vigoureux coups résonnaient en dehors sur la porte de la maison.

Robin, Marian et le baron se dépouillèrent promptement de leurs habits de pèlerins, et prirent des cottes de mailles, des casques et des boucliers que le paysan leur présenta. Tous les lieux où Robin trouvait un asile en étaient secrètement pourvus. Ils laissèrent toutefois leurs épées dans leurs fourreaux. Le plan de défense n’en fut pas moins formidable.

Le baron tenait une longue lance, dont il dirigea la pointe contre la porte, et dont il s’apprêtait à percer le premier ennemi qui se présenterait. Robin et Marian avaient à la main de grands arcs armés de flèches, dont la porte était le point de mire. Le mari portait un bâton gros et court, dont il se glorifiait de savoir se servir avec force et prestesse, tandis que sa femme se saisit d’une broche, et la plaça comme la lance du baron.

Le vent et la pluie continuaient d’ébranler le toit et les fenêtres, tandis que les coups des assiégeans ébranlaient la porte de la cabane qui fut enfin brisée, et à cet instant elle parut encombrée par une douzaine d’hommes bien armés.

Derrière ces soldats roulait à grand bruit le ruisseau de la vallée, dont l’orage avait fait un torrent impétueux. Ses vagues jaunes étaient faiblement éclairées, en face de la cabane, par la lumière qui sortait de la porte enfoncée. Les pierres sur lesquelles les assaillans avaient dû passer, étaient ensevelis sous les eaux, et la clarté sortie de la chaumière allait mourir sur le sombre feuillage d’un vieux chêne enraciné sur le penchant de la colline, et que faisait mugir le vent.

Au moment où la porte fut brisée, Robin et Marian décochèrent leurs flèches. Celle de Robin frappa un des assaillans à l’épaule, et lui rendit son bras droit inutile, tandis que celle de Marian atteignit un autre homme d’armes au genou, ce qui le contraignit à rester dans une position, sinon agréable, du moins très religieuse.

D’un seul coup, la lance du baron perça de part en part, et retint comme des trophées, le bouclier et le casque d’un guerrier, que le choc enleva et renversa à une grande distance, et les ombres des ancêtres du baron durent applaudir à ce noble coup.

Le brave paysan étendit un autre ennemi sur la place ; mais sa femme fut moins heureuse : l’arme de l’amazone ne rencontra d’autre victime que la porte. Alors les ennemis entrèrent avec fureur dans la chaumière, et il s’ensuivit un combat terrible, mais inégal. Robin et ses gens firent des prodiges de valeur.

La femme, qui avait perdu sa lance, prit pour la remplacer tout ce qui tombait sous sa main : les pots, les plats, les poëles volèrent à la tête de l’ennemi. Le bâton du paysan tombait sur les têtes des assaillans, comme le fléau sur des gerbes, pendant que le baron rugissait comme un lion furieux.

Cependant Robin reçut un tel coup de sabre sur la tête, qu’il fut obligé de mettre un genou en terre, et que son épée s’échappa de sa main. Mais à l’instant où elle tomba par terre, le jeune garçon, que l’horrible tempête avait fait sortir de son lit, se présenta bravement dans la chambre, quoiqu’il ne fût qu’en chemise, et ramassa le glaive de notre héros. Celui-ci, déjà relevé, se ressaisit de son arme et pressa vivement deux adversaires qu’il avait en tête ; l’un d’eux lâcha le pied, et tomba à la renverse dans une cuve remplie d’eau : l’autre fut étendu sans mouvement aux pieds de Robin, qui se précipita alors au secours de Marian. Elle avait aussi deux adversaires à combattre. Son amant la débarrassa de l’un d’eux, et l’autre reçut un tel coup du bras formidable de notre héroïne, qu’il tomba tout de son long, son épée d’un côté et son casque de l’autre.

Il cria merci au vainqueur, et Marian reconnut son tendre chevalier, sir Ralph de Montfaucon.

Sa suite, qui restait encore, fut confondue par la chute de son chef, et elle posa les armes. On consentit à leur accorder la grâce qu’ils sollicitaient.

« Eh bien ! sir Ralph, dit Marian, vous êtes encore une fois à ma merci !

— J’y serai toujours, beauté cruelle, répondit le dolent chevalier.

— Par le ciel, beau sire, dit le baron, vous êtes un hôte bien reconnaissant ! Voilà donc vos remerciemens pour mon roast-beef et pour mon vin d’Espagne ! Vous regrettiez, disiez-vous, d’avoir troublé les épousailles de ma fille ; preux chevalier, vous baisiez sa main en signe de soumission et de repentir, et maintenant vous venez nous assaillir ici ! Apprenez, sir chevalier, que vous n’êtes qu’un sot, qu’un fat, et que je suis bien content que ma fille vous ait bien battu ! — Frappe, ma fille, frappe encore, et ensuite jette le dans le torrent.

— Confessez vos torts, dit Marian au chevalier ; dites le motif qui vous a conduit en ces lieux, et comment vous avez pu nous y découvrir.

— Je ne confesserai rien, répondit le chevalier.

— Alors, toi faquin, parle, dit le baron en mettant la pointe de son épée sur la gorge de l’écuyer.

— Ôtez d’abord l’épée, dit l’écuyer, elle est trop près de mon gosier, la voix ne pourrait en sortir, la peur l’y ferait rentrer ; ôtez l’épée, et je dirai tout ce que vous voudrez. »

Le baron consentit à cette demande ; mais il ne la remit pas dans le fourreau, et son œil suivait tous les mouvemens de l’écuyer, comme un chien d’arrêt qui guettle un lièvre timide.

« Le chevalier mon maître, dit l’écuyer, après vous avoir rencontrés lorsque vous quittiez le château de lady Falkland, se rendit auprès de cette dame, et lui apprit qui vous étiez. Il obtint d’elle les forces qu’il jugea nécessaires pour vous réduire et vous arrêter. Si le grand moine eût été avec vous, il en aurait demandé trois fois plus. Vous venez de lui prouver qu’il avait mal calculé son affaire.

« Quoi qu’il en soit, nous partîmes sans délai, et rencontrâmes un paysan qui nous mit sur vos traces en nous indiquant le sentier par lequel vous étiez entrés dans la forêt. Nous fûmes guidés dans la vallée par la lumière de la maison.

« Notre premier projet était de nous mettre en embuscade, afin de tomber sur vous à l’improviste demain matin, quand vous seriez sortis de la cabane ; mais, pour notre malheur, la tempête a changé notre plan de campagne, et nous avons voulu forcer la place. Quant à ce qui s’est passé depuis, vous le savez comme nous. Si vous en voulez un récit, chargez-vous de le faire ; car en guerre comme en amour, c’est un grand avantage de pouvoir parler en vainqueur.

— Tu es un joyeux personnage, dit le baron en frappant sur l’épaule de l’écuyer ; tiens, prends cette coupe de vin.

— Grand merci, dit l’écuyer, mieux vaut tard que jamais ; cependant il est malheureux que ce ne soit pas avant le combat que cette rasade m’ait été versée, j’aurais été dix fois plus vaillant !

— Sir Ralph, dit à son tour Marian, voici la troisième fois que vous attaquez mon noble lord et moi, et que vous menacez notre vie. Je dis notre vie ; car lui et moi ne faisons plus qu’un ; qui attaque l’un, attaque l’autre.

« Croyez-vous donc, sir chevalier, que je puisse jamais vous appartenir par la contrainte ? C’est me juger bien faible, et me connaître bien mal ! Détrompez-vous, sir Ralph, et soyez enfin convaincu qu’une nouvelle tentative, à cet égard, serait pour vous la dernière. Je consens à vous faire grâce encore aujourd’hui, moins par bonté que par mépris. J’y mets cependant une condition, c’est qu’à l’avenir vous cesserez de nous poursuivre. Si vous désirez vivre, prêtez-en le serment. »

Le chevalier n’avait point d’autre alternative que d’obéir à Marian son vainqueur. Il jura sur l’honneur de la chevalerie d’observer les lois qu’elle lui imposait.

Fut-il fidèle à ce serment ? c’est ce que nous ne pouvons dire : di lui la nostra istoria più non parla.