Perrin et Cie (p. 277-333).

VI

LA NUIT DU 10

Un incident inaperçu, mais comique, marqua cette séance fameuse. On a vu, que vers midi, le Comité de salut public expédiait l’huissier Courvol à l’Hôtel de ville pour y transmettre au général Hanriot et à l’agent national Payan, l’ordre de venir sur-le-champ à la Convention, afin d’y rendre compte de la situation de Paris. Courvol, huissier des Assemblées depuis les premiers jours des États généraux, était un fonctionnaire expérimenté. Ayant servi la Constituante, la Législative, la Convention, il ne s’étonnait évidemment plus de rien. Pourtant cette journée du 9 thermidor devait laisser en son esprit un souvenir ineffaçable : parvenu à l’Hôtel de ville, il se présenta bravement à Hanriot, lui remit la convocation dont il était porteur, et réclama un reçu. Un reçu ! Hanriot, déjà ivre, rugit de colère : « Je t’en fous ! On n’en donne point dans un moment comme celui-ci. Va dire à tes Jean-f… de scélérats que nous sommes ici à délibérer pour les purger, qu’ils ne tarderont pas à nous voir… » Comme Courvol n’insistait pas et s’esquivait prudemment, le général en chef de l’armée parisienne reprit, s’adressant à ses gendarmes d’ordonnance : « Gardez-moi ce drôle-là ! Vous m’en répondez sur votre tête. » Hanriot aimait à boire ; mais il n’avait pas « le vin mauvais » ; vers trois heures de l’après-midi, il s’attendrit, libéra son prisonnier et lui adressa ces recommandations : « N’oublie pas de dire à Robespierre qu’il soit ferme, et à tous les bons députés qu’ils n’aient pas peur ; nous allons les délivrer de tous les foutus traîtres qui siègent parmi eux. » Courvol reprit donc le chemin des Tuileries : en arrivant à la Convention, au plus fort de la bataille, il crut devoir aviser de l’insuccès de sa mission le président, – c’était Thuriot, – qui, aux premiers mots de l’huissier, et tout en secouant sa sonnette, éclata en fureur : « Allez vous faire f… ! Laissez-moi tranquille ! Tant pis pour vous[1] ! » L’huissier dut regretter les jours lointains des États généraux et les façons mignardes du marquis de Dreux-Brézé.

À l’heure même où Courvol recevait ce deuxième camouflet, Héron partait du Comité de sûreté générale pour s’assurer de la personne d’Hanriot dont l’arrestation venait d’être décrétée[2]. Héron était accompagné de deux agents sûrs, Rigogne et Pillé, celui-là même que son diable-gardien protégeait contre tous les risques. Sur la place de Grève, un piquet de cavalerie et une batterie de canons ; dans les escaliers et les couloirs de l’état-major, une foule d’officiers de tous grades et de toutes armes. Héron se faufila parmi cette cohue, parvint jusqu’à Hanriot qui pérorait dans un salon encombré de militaires, et, à haute voix, il communiqua les décisions du Comité au général qui, pour toute réponse, désignant « d’un geste de sultan » aux braves qui l’entouraient, l’audacieux émissaire de la Convention et ses compagnons : « Je vous ordonne de tuer ce scélérat dans l’instant, et la Patrie sera encore une fois sauvée. C’est aujourd’hui que… trois cents scélérats de la Convention doivent être exterminés. Il y a assez longtemps que les patriotes sont dans l’oppression et que les coquins les font incarcérer pour protéger les nobles et les prêtres !… » Sa péroraison fut frénétique : « Poignardez-le ! Poignardez-les tous les trois ! Que je sois délivré dans l’instant ! » Les aides de camp, sabres au clair, se précipitaient ; mais Hanriot s’était jeté sur Héron, lui serrant la main en vieil ami et l’embrassant tendrement, désirant qu’on ne se quittât plus[3] ; puis, réprimant sa sensibilité, il passa dans la pièce voisine et reparut un papier à la main : « Tu mérites la mort, décréta-t-il ; je t’envoie en prison ; ton jugement sera rendu demain. » Héron et ses deux acolytes furent conduits sous bonne garde au violon de la rue du Bouloi.

C’est, sans conteste, à ce moment que Hanriot apprend l’arrestation de Robespierre, car il monte à cheval, et, suivi de quelques aides de camp, au nombre desquels le marchand de bas Deschamps, l’éphémère châtelain de Maisons-Alfort, il se lance à l’assaut de la Convention. Par malheur, dans l’emportement de sa vaillance, il se trompe de direction et se rue, en une galopade effrénée, vers le faubourg Saint-Antoine, quartier parfaitement paisible, d’ailleurs, et dans l’ignorance absolue des événements ; aussi l’ébahissement des habitants du faubourg est grand à la vue de ces cavaliers qui semblent être en déroute et fuir à bride abattue vers Vincennes, tout en criant : « Aux armes ! Les coquins, les scélérats triomphent ! » Les gens rentrent chez eux, plus effrayés qu’enhardis par cette façon d’enflammer les courages. Ils revoient passer Hanriot qui, remis enfin dans la bonne voie, retourne à la place de Grève, entraîne les gendarmes postés devant la Maison commune et, toujours courant, criant, jurant, jetant l’alarme, se dirige par la rue Saint-Honoré vers le Comité de sûreté générale.

Le siège de ce Comité n’était pas aux Tuileries même, mais dans un grand hôtel tout voisin du château et communiquant avec lui par un couloir en planches[4]. C’est là qu’avaient été conduits, au sortir de la Convention, Robespierre et ses quatre compagnons ; ils y dînaient quand, soudain, vers cinq heures et demie, – un grand tumulte, une ruée dans l’escalier, des bruits de sabres cognant les marches, – la porte est brutalement poussée : Hanriot apparaît. Avec une impétuosité qui fait plus d’honneur à sa fougue qu’à sa stratégie, laissant ses gendarmes dans la rue, il s’est précipité, suivi de Deschamps et d’un autre, et, bousculant huissiers, employés, garçons de bureau éperdus, a foncé jusqu’au salon où quelques agents gardent ceux qu’il vient délivrer. Mais la porte se referme derrière lui ; il est saisi, lié de cordes, désarmé, ainsi que ses deux acolytes. On le traîne, écumant mais immobilisé, au Comité de salut public.

La foule grossit autour des Tuileries, s’attroupant dans les cours, sur la terrasse, au pied du grand amphithéâtre élevé pour la cérémonie de l’Être suprême ; on l’a conservé en vue de la fête de Bara et Viala qui devait être célébrée le lendemain et qu’un vote de la Convention vient de reporter, en raison des événements, à une date ultérieure. Les groupes, curieux des nouvelles, piétinent sous l’écrasante chaleur, dans les remous d’air brûlant et les nuages de poussière. Tout est très calme autour du palais ; la Convention a suspendu sa séance. Un peu avant six heures, Le Bas est emmené par des agents de la Sûreté générale, jusqu’à son domicile pour assister à l’apposition des scellés[5]. Vers sept heures, Hanriot, toujours lié de cordes, traverse les cours, escorté de gendarmes qui le reconduisent au Comité de sûreté ; il est hué au passage. Peu après on apprend que l’Assemblée est rentrée en séance : début lugubre : les nouvelles sont désastreuses : la Commune est en insurrection ; les Jacobins pactisent avec elle ; le tocsin tinte à l’Hôtel de ville ; le rappel bat dans les sections et les quartiers populeux se lèvent. Une force armée considérable se masse à la place de Grève. Les municipaux mettent en liberté Payan, Nicolas, Taschereau et autres, tous ceux dont le Comité de salut public a ordonné l’arrestation. La situation est tragique : d’un moment à l’autre, la Convention peut être assaillie dans son palais par l’armée révolutionnaire ; elle n’a pour défenseurs que ses postes de grenadiers et cent cinquante invalides indisciplinés[6].

Par prudence, le Comité de sûreté générale se débarrasse de ses prisonniers : sauf Hanriot, gardé à vue, tous les autres sont évacués : Couthon est conduit, en fiacre, à la prison de Port-Libre[7] ; Saint-Just à celle des Écossais ; Robespierre, escorté de l’huissier Filleul et des deux gendarmes Chanlaire et Lemoine[8], est emmené, en fiacre également[9], à la prison du Luxembourg ; son frère et Le Bas sont dirigés vers la Force. La malheureuse Élisabeth Le Bas, anxieuse, le cœur tremblant, s’y rend deux heures plus tard ; elle a entassé sur une voiture du linge, un matelas, un lit de sangle, une couverture, pour épargner à son cher Philippe le sordide coucher du cachot. Devant la prison, un rassemblement de braillards ; des délégués de la Commune délivrent les détenus : Élisabeth voit de loin sortir son mari ; il se rend à l’Hôtel de ville où on l’appelle. Il prend le bras d’Élisabeth, la réconforte, l’exhorte à rentrer chez eux… Tout en marchant, « il lui fait mille recommandations au sujet de leur petit Philippe qui vient de naître : – « Nourris-le de ton lait ; inspire-lui l’amour de la Patrie ; dis-lui bien que son père est mort pour elle… » Il était ferme et sombre ; elle pleurait, se serrant contre lui, sanglotant à chaque adieu de son bien-aimé. Enfin, par la rue du Martroi, ils arrivent à la place de Grève ; un dernier baiser ; « Vis pour notre fils ; inspire-lui de nobles sentiments, tu en es digne… Adieu, mon Élisabeth ! Adieu[10]… ». Il s’arracha, gravit les marches du perron, et disparut dans la cohue qui obstruait l’entrée de la Maison commune. Elle dut rester longtemps[11], parmi les canons et les chevaux des troupes amassées devant le vieux palais municipal qu’illuminait, comme aux jours de fête, un cordon de lampions fumant sur la corniche du premier étage[12]. Avec son étroite porte centrale, ses deux grandes arches béantes sous les gros pavillons à hautes toitures chargées de monumentales cheminées, qui flanquaient son élégante façade toute bossuée de sculptures et de statues, ses longues lucarnes, ses gargouilles et son mince campanile dont la cloche battait le tocsin[13] comme le pouls fébrile de la ville en émeute, l’Hôtel de ville, merveilleuse masure du XVIe siècle, s’élevait, dans sa vétusté fluette, au fond de la place exiguë et irrégulière, encadré de maisons à pignons, penchées, vermoulues, tendant le ventre. De l’enfoncement des rues tortueuses débouchaient continuellement des bandes armées qui acclamaient les municipaux, à l’aspect des sept fenêtres éclairées de la grande salle où ceux-ci tenaient séance.


L’ANCIEN HOTEL DE VILLE
Aquarelle de Raffet.
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.

Depuis six heures du soir[14], la Commune, en effet, légifère dans le tumulte, mal informée, d’ailleurs, des événements : où sont les députés proscrits, où est Hanriot, l’homme indispensable ? Prisonniers du Comité de sûreté, dit-on. Coffinhal, vice-président du Tribunal révolutionnaire, énergique robespierriste, s’offre à les aller chercher. Vers huit heures, il part, entraîne quelques artilleurs, court à l’hôtel du Comité de sûreté générale, traverse la cour en trombe, enfonce les portes, ne trouve qu’Hanriot, délivre le général ahuri et qui, à peine débarrassé de ses liens, se met à traiter de Jean-f… les gendarmes qui l’ont laissé prendre[15]. Il monte à cheval, se rend au Carrousel où ses canonniers attendent depuis trois heures des ordres précis. Il n’a qu’à faire un geste, la Convention est perdue ; l’Assemblée percluse d’émoi, tend la gorge aux massacreurs. Sauf Carnot, que rien ne trouble, et qui travaille solitaire[16], tous les membres des Comités ont déserté leur poste pour se réfugier dans la salle des séances[17]. Collot préside : il avertit ses collègues que les locaux de la Sûreté générale sont au pouvoir des scélérats et que « voici l’instant de mourir[18] ». L’heure est solennelle et sinistre ; dans cette sombre et profonde salle qu’éclairent quelques quinquets, deux lustres pendant du plafond de papier peint et les hauts lampadaires à quatre foyers qui s’élèvent de chaque côté de la tribune[19], parviennent assourdies les rumeurs du dehors. Les députés se groupent ou se promènent en causant ; plusieurs dorment[20] ; nulle délibération ; d’instants en instants, soit par un citoyen surgi dans l’ombre de la barre, soit par un collègue qui s’est risqué jusqu’aux anti-salles, ils sont avisés des péripéties de l’attaque imminente : Hanriot harangue ses troupes ; le nombre des assaillants grossit ; les canons chargés à mitraille sont braqués sur le palais[21], et la Convention dont les seules armes sont ses décrets, met « hors la loi » les insurgés et leurs complices. Hors la loi ! c’est la suppression sans phrase, la condamnation à mort, soustraite à l’aléa du procès. Hors la loi Hanriot, Robespierre, Le Bas, Saint-Just, toute la Commune rebelle… Mais que peuvent ces sanctions contre l’émeute déchaînée ?

Pourtant, il est neuf heures et demie ; la nuit est tout à fait tombée, aussi brûlante que le jour. Hanriot n’attaque point ; à ses côtés titube Damour, l’officier de paix de la section des Arcis, ivre à ne point se tenir debout et serrant sur son cœur les cordes qui ont lié son général : « Les voici, ces cordes, elle valent pour moi une couronne civique ; je ne les donnerais pas pour un million[22]. » De son côté Hanriot pérore toujours. Le vrai, c’est que lui, ni personne, n’ose rien d’irrémédiable. L’insurrection est sans chef ; nul ne veut assumer la responsabilité du premier coup de feu, et la bataille se passera en discours, en jurons, en galopades. Et, tout à coup, Hanriot commande demi-tour et emmène toute sa troupe vers l’Hôtel de ville, où il est reçu en triomphateur. Robespierre jeune et Le Bas sont là ; mais Maximilien ? Qu’est-il devenu ? On le sait maintenant : à la prison du Luxembourg, où il est arrivé vers sept heures et demie, suivi « d’environ deux à trois mille badauds[23] », le concierge a refusé d’ouvrir sa porte ; l’ordre de la Commune est « de ne recevoir aucun détenu[24] ». Maximilien s’est fait conduire par ses deux gendarmes à la Mairie, située dans l’enceinte du Palais de justice, à l’ancien hôtel du premier président. Il y parvint vers neuf heures du soir ; la servante de la citoyenne Lescot-Fleuriot s’apercevait depuis le matin « qu’il y avait bien du train » ; mais elle en ignorait le motif ; elle entendit, à la tombée de la nuit, dans la rue de Jérusalem, qui donnait accès à la Mairie, « des applaudissements et des cris de Vive Robespierre[25] ! ». Les administrateurs de police accoururent à l’arrivée du fiacre et en ouvrirent la portière : Robespierre « bondit hors de la voiture, sans toucher au marchepied », comme un homme égaré ; « il tenait un mouchoir blanc collé sur sa bouche, et s’élança dans la cour » ; il était « blême et tout abattu ». Les administrateurs l’accueillirent avec les plus vives démonstrations d’amitié ; l’ayant pressé dans leurs bras, ils l’entraînèrent en le soutenant vers leur bureau. Un employé qui s’était mis à la fenêtre entendit l’un d’eux dire : « Rassure-toi donc ; n’es-tu pas avec tes amis[26] ? » Les gendarmes qui l’avaient accompagné furent aussitôt emprisonnés, coupables d’avoir « porté la main sur l’ami du peuple ».

Robespierre ne veut plus maintenant quitter cet asile sûr ; en vain la Commune lui envoie-t-elle une députation chargée d’une invitation pressante : « On a besoin de tes conseils. Viens sur-le-champ[27]. » Il refuse de bouger : c’est pour sa cause qu’on a soulevé Paris, et il prétend attendre, loin du danger, l’issue légale de l’événement. La commune insiste[28] ; il est manifeste que le grand désir de tous est de répartir les responsabilités et de se compromettre personnellement le moins possible. Aussi a-t-on expédié un fort détachement de cavalerie pour tirer Saint-Just de la prison des Écossais[29] ; il vient d’entrer à l’Hôtel de ville. C’est Robespierre maintenant qu’on y veut avoir : le matamore Hanriot, infatigable, remonte à cheval, galope jusqu’à la Mairie, enlève l’Incorruptible et le ramène à la Commune où son entrée suscite des acclamations délirantes et « des embrassements réitérés[30] ». Il ne manque plus que Couthon qui, lui aussi, tranquille à la prison de Port-Libre, ne demanderait qu’à être oublié ; Robespierre le fait chercher par les gendarmes qui doivent parlementer un bon quart d’heure avec l’infirme avant de le décider ; enfin on l’apporte, très ennuyé, à l’Hôtel de ville, vers une heure et demie du matin[31].

Piètres dictateurs ; dès qu’ils sont là, l’énergie du corps municipal, si hardi au début de la lutte semble faiblir ; ce serait le cas « d’improviser la foudre », et on ne fait rien. Robespierre prononce un discours ; trônant au fauteuil, à côté du maire Lescot-Fleuriot, il reçoit le serment de diverses députations de sections ; prétexte à nombreuses harangues. On échange aussi quelques horions : un fripier qui est là, Juneau, s’étant permis d’insinuer que la Convention n’est pas uniquement composée de scélérats, est fortement houspillé ; on lui prend son chapeau, on lui déchire son habit, on l’amène à Robespierre qui le juge sommairement : « Assommez-le ! Assommez-le[32] ! » On écrit aux armées, qui sont loin et ne s’intéressent guère, par bonheur, à ce qui se passe à Paris. Puis, fatigué du bruit, Robespierre demande à se retirer dans le salon voisin avec ses amis. Ils y tiennent conseil, sans se résoudre à rien. Attendent-ils le jour pour marcher sur la Convention ? Espèrent-ils qu’elle ne pourra se passer d’eux et se dissoudra d’elle-même, ou que le peuple fera seul la besogne ? Le peuple ; il est comme la servante de la citoyenne Lescot : il voit bien « qu’il y a du train », mais il n’en démêle point les causes. Comment choisirait-il entre deux partis dont chacun l’invite « à combattre les factieux, les tyrans, les ennemis de la liberté », mots usés par l’abus et qui n’émeuvent plus. Et puis rien ne se décide : ce piétinement sans but depuis le Carrousel jusqu’à la Grève, cette interminable station devant l’Hôtel de ville, déconcertent les plus résolus. Qu’est-ce qu’on attend ? On a essayé de les retenir par des distributions de vin[33] ; les canonniers boivent aux frais d’Hanriot, chez le traiteur de la rue du Mouton[34], mais on est las ; il n’y aura rien avant le jour, et, peu à peu, individuellement d’abord, puis par groupes, bientôt par pelotons, la plupart des soldats-citoyens regagnent leurs quartiers. À une heure du matin, Hanriot, étant sorti de l’Hôtel de ville pour encourager ses troupes, trouve la place à peu près déserte, lâche quelques bordées de jurons et rentre à la Maison commune sans parer à la désertion de « ses braves frères d’armes[35] ».

En voyant l’armée révolutionnaire se retirer, la citoyenne Le Bas qui, vraisemblablement, est restée à la Grève espérant revoir son mari, juge qu’il ne se passera rien de décisif avant le matin ; en retournant chez elle, elle rencontre, sur le quai de Gesvres, un cortège qui la terrifie : trois députés à cheval proclament la mise hors la loi des conspirateurs[36]. La Convention, en effet, s’est ressaisie depuis qu’Hanriot ne l’assiège plus ; elle a nommé Barras, l’un de ses membres, commandant général de la force armée, et celui-ci, aussitôt muni d’un plumet et d’une écharpe[37], s’est mis en campagne. Il ne dispose que de 4.000 hommes, tous citoyens réactionnaires ou modérés, et projette seulement de protéger la retraite de l’Assemblée « vers les hauteurs de Meudon[38] ». En même temps, une douzaine de députés se sont offerts à parcourir les rues pour ramener le peuple égaré : chacun d’eux s’arme d’un sabre, se ceint, comme Barras, d’une écharpe tricolore ; précédés de tambours et d’huissiers porteurs de torches, entourés de policiers, d’agents des Comités, de gendarmes, ils s’arrêtent aux carrefours, donnent lecture d’une proclamation et du décret de mise hors la loi. L’effet est théâtral ; de halte en halte, ils se rapprochent de l’Hôtel de ville, et ce sont eux qu’a rencontrés sur le quai Élisabeth Le Bas[39]. Soutenus par la troupe de Barras qui, en deux colonnes, se dirige aussi vers la Grève, ils arrivent enfin un peu avant deux heures et demie du matin sur la place… Elle est absolument déserte[40] ; un certain nombre de sectionnaires est groupé sous les deux arcades de la Maison commune, comme pour en garder l’accès, et la porte centrale est obstruée d’une foule que l’encombrement du porche empêche de refluer à l’intérieur. De défenseurs point, en apparence du moins. Seulement, les sept hautes fenêtres de la grande salle, et les deux fenêtres du salon du Secrétariat[41] qui lui fait suite, découpent dans la nuit leurs rectangles lumineux. La Commune n’a donc pas levé sa séance ; elle reçoit en ce moment une députation des Jacobins, au nombre desquels le menuisier Duplay[42], et le serrurier Didiée, deux intimes de Robespierre.

Le cortège des conventionnels, débouchant du quai sur la place, s’arrête à distance respectueuse ; l’Hôtel de ville est peut-être miné ; ses occupants vont le défendre énergiquement. Tandis que les émissaires de la Convention délibèrent, on aperçoit, à trente pieds du sol, un homme sorti d’une des fenêtres du Secrétariat, debout sur l’étroite corniche du premier étage, parmi les lampions qui s’éteignent ; il tient ses souliers à la main ; il semble hésiter, va et vient d’un bout à l’autre de la périlleuse tablette ; il s’arrête : la voix d’un crieur proclame la mise hors la loi des rebelles. Alors l’homme prend son élan, et se jette… Il tombe sur les gens massés au perron, en renverse deux[43] et reste, brisé, sur les marches. C’est Robespierre jeune, – Bonbon[44]. L’un des agents du Comité de salut public, Dulac, qui fait partie de l’escorte des conventionnels, l’a vu tomber ; comprenant à ce tragique suicide que l’insurrection est en détresse, il joue des coudes, fonce dans la foule, se glisse, gagne le grand escalier ; quelques hommes déterminés le suivent, bousculant les gens empilés sur les marches et dans les vestibules du premier étage. Une cohue infranchissable bouche la porte de la salle où siège la Commune. Le concierge Bochard, qui, sur l’appel d’un gendarme, est monté en hâte, entre à ce moment dans le salon du Secrétariat par une porte de derrière moins encombrée : il aperçoit Le Bas étendu mort sur le parquet et, tout aussitôt Robespierre se tire un coup de pistolet dont la charge lui perce la joue et passe à trois lignes de Bochard, sur lequel le blessé tombe, éclaboussé de sang, « dans l’embrasure même de la porte ». Au bruit de ce coup de feu, Lescot-Fleuriot, qui préside la Commune, a sauté de son fauteuil, couru jusqu’à la porte du Secrétariat et il reparaît pâle et tremblant ; aussitôt « on entend crier de toutes parts : “Robespierre s’est brûlé la cervelle !” ». C’est à ce moment que Dulac et ses hommes, sabre en main, sont parvenus à fendre la presse et à pénétrer dans la salle de la Commune : une trentaine de municipaux y sont encore, « médusés », et se laissent prendre sans résistance[45]. Dulac poursuit jusqu’au Secrétariat par le couloir anfractueux qui y conduit, engorgé d’un entassement humain, mêlée confuse de cris, de bourrades, de coups, de poussées. Du seuil du salon, il voit Robespierre gisant, « près de la table », sous laquelle est caché Dumas qui roule entre ses doigts un flacon d’eau de mélisse.

L’Hôtel de ville est au pouvoir des hommes de la Convention. Dans toutes les galeries la chasse aux rebelles se poursuit en une indescriptible confusion : on ne sait qui est pris et qui échappe : Saint-Just, toujours impassible, à peine décoiffé, se livre sans un mot[46]. Hanriot a disparu ; un certain Laroche, compagnon peintre, escaladant le grand escalier, voit un homme qu’un autre emporte sur son dos et abandonne en haut des marches, comme un paquet compromettant : c’est Couthon. Laroche l’interpelle : « Tue-moi », dit l’infirme. L’ouvrier refuse : « Alors, supplie Couthon, mets-moi dans le petit escalier qui est là… » Laroche l’y pousse et reste auprès de lui : « Monte-moi un étage plus haut », gémit Couthon. Il fait très sombre dans le réduit où l’a traîné Laroche et celui-ci ne quitte pas son prisonnier. Durant une heure, le podagre angoissé guette tous les bruits : il voudrait savoir center|500px ce qui se passe dans la salle de la Commune ; à une grande clameur de Vive la Convention ! il frissonne : « Je suis perdu ! » Comme on emmène des municipaux arrêtés, il répète : « Je suis perdu ! Donne-moi ton couteau… » Alors Laroche, certain que la victoire n’est plus indécise, appelle : « À moi, camarades ! Je tiens Couthon !… – Malheureux, tu me livres ?… » Mais Laroche est impitoyable : « Il n’y a pas de bon Dieu, il faut que tu y passes !… » Des hommes accourent, apportant des lumières ; l’un d’eux décharge son pistolet sur le paralytique accroupi ; la balle l’atteint au front ; son sang jaillit sur la culotte de Laroche, qui s’esquive[47].


L’HOTEL DE VILLE NUIT DU 9 AU 10 THERMIDOR[48].

Au tout petit jour, on fit « le tableau » : – le cadavre de Le Bas, transféré au cimetière Saint-Paul où on l’inhuma dès sept heures du matin ; les deux fossoyeurs Quatremain père et fils signèrent seuls l’acte de décès[49] ; – Robespierre jeune, relevé « presque sans vie » après sa chute sur le perron de l’Hôtel de ville, et porté sur une chaise par plusieurs citoyens jusqu’au Comité de la section de la Commune, rue des Barres ; quatre chirurgiens constatèrent, outre une fracture du bassin et plusieurs contusions graves à la tête, un inquiétant état « de faiblesse et d’anxiété ». Pourtant on l’interrogea : il protesta « qu’il n’avait cessé de bien faire son devoir à la Convention », qu’il était « pur comme la nature, ainsi que son frère » ; il dénonça comme ennemis du peuple et conspirateurs Collot d’Herbois et Carnot. On trouva dans ses poches sa carte de député, quelques papiers, une petite clef et 16 livres 5 sous en assignats[50]. Quoique les médecins déclarassent qu’il était près de rendre l’âme, le mourant fut porté au Comité de sûreté générale ; – Couthon, évanoui, attendait sur une civière qu’on le dirigeât vers l’Hôtel-Dieu pour y être pansé[51] ; – Maximilien Robespierre, la face en sang, était transporté, étendu sur une planche, jusqu’aux Tuileries[52]. Le blessé parvint au Carrousel

vers deux heures et demie du matin. La Convention siégeait en permanence depuis la veille, avant midi : Charlier présidait[53] par occasion, remplaçant Collot exténué : « Le lâche Robespierre est là, dit-il ; voulez-vous qu’il entre ? – Non ! non ! » cria l’Assemblée, soudain réveillée de sa torpeur ; ainsi apprit-elle que sa victoire était complète. L’ordre fut donné de déposer le tyran au Comité de salut public ; ses porteurs l’étendirent dans l’antichambre « sur une table d’acajou[54] » ; on appuya sa tête vacillante contre une boîte de sapin. Au salon voisin, ses anciens collègues, revenus de leurs transes, se restauraient et buvaient copieusement[55].

Dans l’antichambre encombrée de gens venus pour le voir, Robespierre, couché sur la table, est immobile et livide comme un mort, les yeux clos, sans chapeau, sans cravate, sa chemise ouverte, tachée de sang ainsi que son habit bleu violacé et sa culotte de nankin ; ses bas de coton blanc sont rabattus sur ses talons.


ROBESPIERRE BLESSÉ
Exposé dans l’anti-salle du Comité de Salut-public.
Œuvre originale de Chaudet (1763-1810).
Collection de M. Henri Lavedan, de l’Académie Française.


Au bout d’une heure, il rouvre les yeux ; sa blessure saigne abondamment ; il l’étanche de temps à autre au moyen d’un petit sac de peau blanche qu’il avait gardé dans sa main, – l’étui de son pistolet, bien probablement[56]. Autour de la table, où il repose comme un objet de curiosité, une foule sarcastique, – ses courtisans d’hier, – observe ses moindres mouvements. Beaucoup l’injurient ou le raillent. Il les regarde fixement, surtout les employés du Comité qu’il reconnaît. Quelques-uns, pris de pitié, lui mettent entre les doigts du papier, faute de linge, pour qu’il essuie sa blessure ; parfois, agité de secousses convulsives, il lève les yeux vers le plafond. Le jour paraît, éclairant la splendeur des jardins qui ont vu sa gloire ; l’aube embrasée présage une journée plus chaude que la précédente. Vers cinq heures du matin, un médecin militaire, qui passait, fut invité à panser le blessé ; il s’adjoignit le chirurgien major des grenadiers de la Convention ; tous deux lavèrent le visage, très enflé et meurtri jusqu’aux yeux ; la joue gauche était percée, à un pouce de la commissure des lèvres ; ils retirèrent de la bouche plusieurs dents et des fragments de la mâchoire brisée, ne découvrirent « ni la balle, ni trace de sa sortie » et, « vu la petitesse de la plaie conclurent que le pistolet n’avait été chargé qu’à plombs[57] ».

Atroce agonie. Lui qui a si douloureusement souffert des tristesses de son enfance et des humiliations de ses débuts, qui s’est tant efforcé à s’en revancher, dans l’espoir peut-être d’abolir, en son esprit qu’elles ont aigri, leur lancinant souvenir, il se retrouve là, piétiné, bafoué, honni, misérable, distillant goutte à goutte l’affront suprême d’être définitivement vaincu, l’amertume affreuse de sa vie manquée, la honte de sa dernière aventure, où il n’a montré, – lui, si sûr de son génie, – ni prévoyance, ni habileté, ni énergie, ni clairvoyance, ni pénétration politique. Il n’aura été grand qu’aux yeux du vulgaire, redouté que par les timides, louangé que par des hypocrites, et son nom passera dans l’histoire comme celui d’un médiocre ambitieux, d’un sectaire brouillon, hargneux et jaloux. Une heure, une seule heure rayonnante en compensation de si cruels déboires, celle où il a vu Paris à ses pieds, parmi les mélodies et les fanfares ; et cette Fête, à laquelle il mêlait Dieu, et dont Dieu, décidément, était absent, a marqué le premier pas vers sa déchéance. Quelle énigme qu’une telle existence, à la fois si néfaste et si torturée, sans joies, toute d’âpres luttes et de haine ! Quel but mystérieux sous cette prétention de ramener l’âge d’or par la Terreur et l’échafaud ? Maintenant, il ne parlera plus ; on ne saura jamais quelle fut sa chimère et l’on pourra discuter indéfiniment sans découvrir s’il fut l’instrument d’un parti occulte, un utopiste, un monomane, ou simplement un envieux atrabilaire, victime d’un fiel atavique. Qui le considère comme un précurseur, un bienfaiteur du peuple, fait penser à ce mot d’un démocrate, désabusé : « Le peuple serait bien heureux s’il n’avait pas tant d’amis ! »

La fin tragique a été contée mille fois : le transport sur un fauteuil[58], depuis les Tuileries jusqu’à la Conciergerie ; un enfant qui sortait de l’école rencontra sur le Pont-Neuf l’effrayant cortège : les porteurs, pour souffler, avaient déposé leur fardeau à l’entrée du quai des Lunettes, vis-à-vis l’esplanade où se trouve la statue d’Henri IV. La foule huait le blessé qui, la tête enveloppée d’une serviette tachée de sang, à chacune des vociférations, tournait les yeux vers l’endroit d’où partaient les cris et y répondait par un haussement d’épaules[59]. À la vieille prison, où son entrée apportait l’espérance et le salut, on le jeta dans un cachot en attendant le jugement ; « les guichetiers le foulaient aux pieds[60] ». Il parut se réveiller d’un long rêve[61] ; fit signe, dit-on, qu’il voulait écrire ; un geôlier riposta par un sarcasme[62]. Quelle confidence aurait-il faite ? Quel secret tenait-il à révéler ? Voulait-il gagner du temps, maudire une dernière fois ses ennemis, ou, qui sait ? implorer l’absolution d’un prêtre ?…

Au tribunal, l’audience fut dramatique mais courte. On n’avait encore sous la main que vingt-deux des conjurés ; tous étant hors la loi, il suffisait de constater leur identité : deux employés du tribunal remplirent cette formalité. On apporta dans le prétoire quatre civières : sur l’une gisait Robespierre, sur l’autre son frère, les reins brisés, presque mourant ; sur la troisième, Couthon ; sur la dernière, Hanriot, enfin retrouvé dans une petite cour de l’Hôtel de ville, où il s’était jeté d’une fenêtre sur un tas de fumier[63]. Les autres étaient Saint-Just, Payan, Dumas, arrêté la veille à ce même tribunal sur son siège de président, le cordonnier Simon, plusieurs autres membres de la Commune rebelle et Lescot-Fleuriot, le maire de Paris. Quand celui-ci parut, Fouquier-Tinville, qui était son ami, eut un geste théâtral et digne : il déposa son écharpe et sortit de l’audience, laissant à Liendon, son substitut, le soin de requérir[64]. L’appel terminé, sans aucun débat, les vingt-deux furent livrés au bourreau. Nul détail sur leur attitude, à ce moment terrible où on dépouillait les condamnés de leurs bijoux et de leur argent et où on les parait pour la mort. Trois charrettes attendaient dans la cour du Palais ; quand, vers six heures, on commença à y charger les moribonds, éclata dans la foule, pressée, un grand bruit d’applaudissements et de clameurs joyeuses, qu’ils ne devaient plus cesser d’entendre ; sur tout le parcours, en effet, depuis la Conciergerie jusqu’à la place de la Révolution, – car un décret de la Convention ordonnait que, pour plus de solennité, l’exécution aurait lieu sur cet emplacement, où l’échafaud n’avait pas été dressé depuis la Fête de l’Être suprême, – les bravos, les chants, les lazzis, les cris d’allégresse, les malédictions, montaient de la cohue en formidable tumulte.

Jamais, même à la fête des Victoires, Paris n’avait vu pareille affluence ; à toutes les fenêtres ouvertes, les têtes rieuses ; sur tous les balcons, des groupes réjouis ; dans les rues, tous les chapeaux en l’air, des mines rayonnantes, des félicitations échangées, une communauté, une expansion de contentement qui épanouissait tous les visages. Pas un mouvement de pitié pour ces malheureux qui allaient mourir ; leur aspect affreux exaltait, au contraire, l’impitoyable enthousiasme. Hanriot, les joues balafrées, un œil hors de l’orbite, était dans la première charrette, à côté de Robespierre jeune, étendu comme un cadavre ; dans la seconde, Maximilien, assis à côté de Dumas, baissait sa tête, couverte d’un bonnet et enveloppée de linges sanglants ; Couthon, couché dans la troisième charrette, était piétiné par les autres ; tous, mornes et consternés, se taisaient, souffletés par la joie populaire. La presse était si grande que les voitures durent s’arrêter plusieurs fois ; leur trajet se prolongea durant une heure : elles firent halte à la maison Duplay ; des femmes, devant la porte, dansaient une ronde[65], un gamin, trempant un balai dans un seau de boucher, aspergea de sang les volets fermés[66]. Sur la place fatale, une multitude turbulente ; l’arrêt, enfin, au pied de l’échafaud. Couthon fut le premier porté sous le couteau ; puis les autres ; ce fut long ; une demi-heure au moins, plus peut-être, d’horrifiante attente. Tandis qu’on guillotinait ses compagnons, on coucha Maximilien à même le sol, son bel habit bleu noué sur ses épaules nues ; il monta l’avant-dernier ; quand, pour dégager sa nuque, les bourreaux arrachèrent le bandage qui emmaillotait toute sa tête, on entendit un rugissement de douleur si strident qu’il porta l’épouvante jusqu’aux extrémités de la place, et Robespierre apparut une dernière fois, tout en sang, la bouche béante, la mâchoire pendante. Lescot-Fleuriot mourut le dernier[67].

Quelques instants plus tard, à la Convention, toujours en permanence, Tallien annonçait : « La tête des conspirateurs vient de tomber… » Un tonnerre d’applaudissements l’empêcha de poursuivre. Quand il put reprendre la parole, ce fut avec le ton du deus ex machina des tragédies de collège : « Allons, dit-il, nous joindre à nos concitoyens ; allons partager l’allégresse commune. Le jour de la mort d’un tyran est une fête à la fraternité. » Et, sur sa proposition, la séance fut levée « au bruit des applaudissements et des cris de joie[68] ».

La répression ne s’arrêta pas à la mort des chefs ; le lendemain, soixante-dix membres de la Commune, pris à l’Hôtel de ville, au matin du 10, furent exécutés sans jugement. Depuis l’origine du Tribunal révolutionnaire, on n’avait jamais vu fournée si nombreuse ; le 12, on guillotina ceux des municipaux, – une douzaine, – qui étaient parvenus à se soustraire aux premières recherches. Dans ces hécatombes figuraient plusieurs « séides » de Robespierre, entre autres Boullanger, Lubin, Lumière, Desboisseaux, le peintre Cietty, l’imprimeur Nicolas, dont les noms ont paru au cours de ce récit. On n’eut Coffinhal que cinq jours plus tard ; il s’était échappé de l’Hôtel de ville et dérobé aux poursuites ; travesti en batelier, il se réfugia dans l’île des Cygnes, où il demeura deux jours et deux nuits, n’ayant rien à manger que des écorces d’arbres. Poussé par la faim, il alla demander asile à un homme qu’il avait obligé : celui-ci le reçut, l’enferma sous clef, et courut chercher la garde[69]. Un membre de la Commune, un artiste, Beauvallet sauva sa tête en se cachant sous les combles de l’Hôtel de ville, où il vécut plusieurs jours du suif de vieux lampions remisés là, et de l’eau croupie amassée dans un sabot de rémouleur[70]. Deschamps, « le courrier » de Robespierre et son hôte à Maisons-Alfort, fut pris aux environs de Chartres[71], ramené à Paris et guillotiné sur la place de la Révolution[72].

Tout ce qui approcha Robespierre est traqué : les Duplay sont emprisonnés, le 10, à Sainte-Pélagie. Sûre qu’elle irait, le lendemain, à l’échafaud, madame Duplay se tua dans son cachot : on la trouva, le 11 au matin, pendue à l’un des barreaux de sa fenêtre, en chemise, un mouchoir rouge sur la tête, les pieds liés d’un ruban noir. On retira de ses doigts crispés un anneau d’or, une bague de rubis ; des poches de sa robe jetée sur son lit, on sortit deux paires de lunettes, quelques pièces d’argent et des sous, ainsi que « des mémoires de dépenses ». Madame Duplay était restée jusqu’à son dernier souffle bonne ménagère[73]. Si grande était, en ces jours de délivrance, l’animosité contre les complices de Robespierre que les aristocrates détenus à « Pélagie » ne virent dans la fin de cette malheureuse qu’un motif à facéties ; l’un d’eux colportait la nouvelle en ces termes : « Citoyens, je vous annonce que la reine douairière vient de se porter à un excès un peu fâcheux. – Quoi donc ? Qu’est-il arrivé ? » s’écriaient Duplay père et fils, qui n’étaient informés de rien. « Citoyens, c’est un grand jour de deuil pour la France ; nous n’avons plus de princesse ! » Le menuisier ne comprit pas ; et le chroniqueur ajoute : « Ce qui nous amusa le plus dans tout ceci, c’est que, le soir même, Duplay fils donna dix francs à un guichetier pour aller s’informer de la situation de sa mère, qu’il croyait en liberté[74]. » Le fait est que les filles de madame Duplay tout au moins, ignorèrent longtemps, non point le décès, mais le suicide de leur mère, puisque trois mois plus tard, l’une d’elles, réclamant sa liberté, écrivait au Comité de sûreté générale : « Ma mère est morte de chagrin[75]… »

La plus affligée fut la pauvre Élisabeth : après avoir quitté son mari sur la place de l’Hôtel de ville, dans la nuit du 9 thermidor, elle rentra chez elle « presque folle », resta deux jours « étendue sur le parquet, sans forces ni connaissance ». Au matin du 10, une femme vêtue de noir et couverte d’un grand voile demanda à lui parler, à elle seule ; elle venait, disait-elle, de la part de Le Bas. On ne la laissa pas entrer. Le 12 reparut Schillichem le chien de Philippe : depuis le 9, il avait quitté la maison ; il y revint haletant, la langue pendante ; « cette pauvre bête avait passé ce temps sur la tombe de son maître ». Puis se présentèrent les agents du Comité de sûreté ; ils emmenèrent Élisabeth avec son petit garçon, âgé de cinq semaines, à la prison Talaru, où sa sœur Éléonore vint la rejoindre. Toutes deux étaient sans argent, confinées dans une mansarde n’ayant de jour que par une « tabatière » ; la nuit, Élisabeth descendait de son grenier et, munie d’une petite lanterne, lavait à l’abreuvoir de la geôle les langes de son enfant ; pour les sécher, elle les plaçait sous son matelas. On la changea de prison ; en brumaire an III, elle se trouvait à Saint-Lazare ; Éléonore ne la quittait pas : « Jamais, ma bonne sœur, écrivait quarante ans plus tard Élisabeth, jamais je n’oublierai de ma vie ton dévouement pour moi et pour ton petit neveu ; ma reconnaissance sera éternelle. » Ces deux femmes restèrent héroïques : on ne trouve pas dans leur dossier un mot d’abaissement devant les vainqueurs ; jamais elles ne renièrent le passé. La veuve de Le Bas porta noblement le nom de son mari et ne voulut pas le changer contre un autre : plus tard, elle épousera l’un des frères de son cher Philippe, Charles Le Bas, qui mourut en 1829, et elle fut ainsi, fièrement, jusqu’en 1859, date de sa mort, – elle avait quatre-vingt-neuf ans, – « la veuve Le Bas ».

Duplay, lui, sut se faire oublier. Promené de prison en prison, avec son jeune fils Maurice et son neveu Simon, – l’homme à la jambe de bois, – il ne récrimina point, garda un silence opportun, laissant passer le terrible orage. Au bout de cinq mois, on tira le menuisier de son cachot pour procéder à l’inventaire des meubles et effets de son associé, l’imprimeur Nicolas, et de Maximilien Robespierre, son locataire. Duplay, brisé par tant d’écroulements, revit ainsi, vide d’habitants, bouleversée par les perquisitions, cette maison où il avait vécu entouré des siens maintenant dispersés et où le moindre meuble évoquait dans son souvenir tant de bonheur et de fantômes. Il dut assister à la saisie des vêtements, linge et livres de Robespierre, qui furent portés « au dépôt commun à tous les effets des condamnés[76] ». Il existe un répertoire de ce dépôt, document macabre et qu’on ne peut feuilleter sans horreur ; mais, sauf d’importantes exceptions, les objets sont mentionnés en bloc : « 90 gilets de toute espèce ; 23 pantalons tant bons que mauvais ; 42 culottes ; 12 houppelandes dont une de vi de chourat » (vitchoura) et sans attribution personnelle[77]. On sait seulement, par un renseignement de seconde main, que la vente de la défroque de Robespierre, le 15 pluviôse an III, produisit 39.400 livres : son portrait seul aurait atteint 15.000 livres[78]. D’après une note extraite d’un « procès-verbal de vente d’effets provenant du Tribunal révolutionnaire, le 25 thermidor an IV » et mis aux enchères dans l’une des salles de la « Maison Soubise », – le palais actuel des Archives nationales, – « deux habits de drap, l’un bleu, l’autre marron… provenant des deux Robespierre, condamnés, criés à 100 francs, furent adjugés à 855 livres ». On retira de cette vente « un fusil saisi chez Robespierre et appartenant à Duplay qui parvint à établir son droit de propriété[79] ». Était-ce le fusil que Maximilien se préparait à emporter à Choisy, le 10 thermidor, pour chasser le lièvre que lui tenaient en réserve les Vaugeois ? Quant à l’habit bleu, c’était certainement le bel habit de la Fête de l’Être suprême, rapporté du cimetière de Monceau où l’on avait procédé au dépouillement et à l’inhumation des suppliciés. Le transport de leurs corps et l’enfouissement coûta 193 livres, plus 7 livres données comme pourboire aux fossoyeurs, « y compris l’acquisition de chaux vive dont une couche fut étendue sur les corps des tyrans, pour empêcher de les diviniser un jour[80] ».

Englobé dans le procès de Fouquier-Tinville et des jurés du Tribunal révolutionnaire, Duplay eut la prudence de ne point parler : des témoignages favorables lui valurent l’acquittement ; mais on le retint en prison[81]. Vaguement compromis plus tard dans l’affaire Babeuf, il sortit indemne encore du long procès de Vendôme. Libre alors, il se remit au travail ; appauvri par ses longues détentions, il réussit, à force d’économies, à rétablir ses affaires et se rendit acquéreur de la maison qu’il tenait à bail depuis si longtemps ; il possédait d’autres immeubles dans Paris et des terrains dans divers quartiers[82]. Il mourut en 1820, âgé de 84 ans[83].

Sa fille, Sophie, mariée depuis 1789, ainsi qu’on l’a dit, à un avocat d’Issoire, nommé Auzat, se trouvait, à l’époque du 9 thermidor, en Belgique où Auzat exerçait, par le crédit de Robespierre, les fonctions de directeur des transports militaires de l’armée du Nord. On les arrêta tous les deux et, avec eux, Victoire Duplay qui les avait rejoints en voyage de plaisir. Ils furent conduits à Paris : Auzat protesta chaudement, reniant sans vergogne Maximilien, auquel il devait son lucratif emploi ; il imprima une Pétition à la Convention nationale[84], où il traitait le despote abattu selon le goût du moment : « Telle était l’influence du génie malfaisant de ce tyran qu’il devait après sa mort faire arrêter presque autant d’innocents qu’il en avait fait périr pendant sa vie. » Il renie même, pour plus de sûreté, la famille de sa femme : « Auzat et son épouse… étaient mal vus de tout ce qui entourait Robespierre et de Robespierre lui-même. » En dépit de ces cajoleries aux thermidoriens triomphants, Auzat resta longtemps détenu. En brumaire an IV il réclamait encore sa liberté et sa femme implorait toujours le Comité de sûreté générale près de résigner sa mission[85].

On avait arrêté à Bruxelles, en même temps qu’eux, un personnage dont le nom a été cité déjà et qui mérite une mention spéciale : Calandini, ce savetier amené d’Arras, en 1791, par Robespierre et qui, au dire de Guffroy, était le chien de garde de l’Incorruptible. Nommé officier à l’armée du Nord, il ne s’attardait point dans les grades inférieurs ; l’Almanach national de l’an II le mentionne, en effet, parmi les adjudants généraux[86] : il était chef d’état-major de la 3e division. Calandini comptait certainement au nombre des intimes de la maison Duplay, car on voit, en août 1793, Le Bas écrivant d’Hazebrouck à sa fiancée : « Ne m’oublie pas auprès de la citoyenne Chalabre, de Calandini, de Robespierre. » On l’arrête donc le 16 thermidor, il reste à Lille jusqu’au 30 du même mois, arrive au Comité de sûreté le 7 fructidor. Interrogé, il est remis en liberté, le 10[87]. Mais sa carrière militaire est compromise et l’on n’aperçoit pas qu’il ait gagné des batailles. Réformé par le Directoire, il se fixe avec sa femme et son enfant à Paris où il vit tranquille, durant plusieurs années, d’une pension de 1.200 francs. La police impériale a l’œil sur lui : il fréquente des gens « mal pensants » ; en 1807 il est même emprisonné à la suite d’un déjeuner entre anciens militaires de l’an II accusés de propos séditieux. On perquisitionne chez lui : on y découvre « des emblèmes révolutionnaires et le portrait de Robespierre » ; on l’envoie en surveillance à Auxerre où, durant trois ans, il paraît s’assagir ; sa pension de réforme est réduite à 600 francs : le voilà exaspéré ; il fomente une émeute, qui avorte et l’ex-général, robespierriste impénitent, est envoyé au château d’If comme prisonnier d’État. En décembre 1811, devançant Mallet qui, un an plus tard, se contentera de le copier, il annonce, par voie d’affiche manuscrite, à la petite garnison de la forteresse que l’Empereur « est déchu au nom de la Nation », et qu’il est nommé, lui, Calandini, dictateur et gouverneur provisoire de France, chargé « par la consulte extraordinaire et secrète des électeurs du peuple français, de remettre en vigueur les Constitutions de 1789, 90 et 91[88] » ! Longtemps détenu au secret, il devient fou. Sous la Restauration il accablait encore les ministres de ténébreuses divagations libertaires : les conversations entendues naguère autour de la table des Duplay où s’asseyaient les jacobins fameux, hantaient l’esprit troublé de ce pauvre homme. Au temps de Louis XVIII, il vivait à Marseille où sa femme, Marie-Thérèse Govinelle, complètement illettrée, le surveillait de près, assurant qu’il n’était ni méchant, ni dangereux.

Simon Duplay, le neveu du menuisier, menuisier lui-même, s’était bravement enrôlé, à dix-huit ans, le 1er novembre 1791. Après Valmy, ainsi qu’on l’a vu, il rentrait rue Saint-Honoré avec une jambe de bois et une pension de 15 sous par jour. Intelligent, « ardent, plein d’esprit[89] », il servait de secrétaire à Robespierre, qu’il dut renier, comme le faisaient tant d’autres, après thermidor[90]. Il n’en fut pas moins incarcéré avec toute sa famille ; étroitement surveillé dans la prison des Madelonnettes, il ne fut libéré qu’au bout d’un an. On le retrouve en l’an VII, employé au ministère de la Police générale où il avait pour collègues deux des frères de Le Bas[91]. Il y rendit, sous l’Empire, de signalés services et y resta, en qualité de sous-chef de bureau, jusqu’en 1827, date de sa mort. De sa femme, Marie-Louise Auvray, il avait eu deux enfants dont l’un fut le père de l’éminent professeur Simon Duplay, membre de l’Académie de médecine, récemment disparu[92].

Il convient de signaler combien fut remarquable, à divers titres, la descendance du menuisier Duplay : son fils Maurice, le collégien de l’an II, mourut, en 1847, administrateur des hospices de Paris ; une petite-fille d’Auzat épousa l’associé de la plus célèbre maison d’édition française, et nul n’ignore que Philippe Le Bas, l’orphelin de thermidor, élevé à Juilly, soldat de la garde impériale, historien et latiniste éminent, dut à ses travaux d’épigraphie la renommée et un fauteuil à l’Institut. Il fut, sous la Restauration, le précepteur d’un jeune Français, alors exilé, qui se nommait Louis-Napoléon Bonaparte. Ainsi le fils d’un conventionnel robespierriste forma l’esprit du futur Napoléon III. Éléonore Duplay, elle, demeura volontairement sans descendance et sans histoire ; celle qu’on avait appelée la fiancée de Robespierre, celle que Dubois-Crancé surnommait, à la grande joie de Danton, Cornélie-Copeau, se considéra-t-elle comme liée, par ses pesants souvenirs, à la mémoire de Maximilien ? Elle y demeura obstinément fidèle et ne se maria jamais. Elle cherchait manifestement à se faire oublier, car son nom ne se rencontre nulle part, – que sur une tombe, au cimetière du Père-Lachaise, où on lit : Françoise-Éléonore Duplay décédée à Paris, le 26 juillet 1832, à l’âge de 64 ans. Quel regret qu’une telle femme, qu’on dit avoir été supérieurement intelligente et artiste, – le peintre Regnault l’avait eue pour élève, – n’ait pas écrit, comme sa sœur Élisabeth, un mémorial de famille ! Il est vrai que les confidences de ce genre n’ont de valeur que par leur sincérité, qualité difficilement exigible de témoins si enclins à l’apologie.

Charlotte Robespierre en est un frappant exemple : elle a laissé des Mémoires souvent cités ; elle y couvre de fleurs la mémoire de son frère Maximilien ; elle lui attribue toutes les vertus. Elle dit son désespoir à la nouvelle des événements de thermidor : « Je m’élance dans les rues… Je cherche mes frères ; j’apprends qu’ils sont à la Conciergerie ; j’y cours, je demande à les voir ; je le demande à mains jointes ; je me traîne à genoux devant les soldats… Ils me repoussent… » etc. Ce tableau navrant ressemble peu à la réalité, car, loin de réclamer Maximilien et Bonbon, Charlotte, à l’annonce de leur arrestation, avait fui son logement de la rue Saint-Florentin et gagné, rue du Four-Honoré, la maison d’une citoyenne Béguin, chez qui elle se cacha sous le nom de Carrault, celui de son grand-père, le brasseur d’Arras. On l’arrêta là, le 13, et tout de suite elle protesta que « chassée par ses frères, elle avait failli être leur victime » ; si elle se fût doutée « du complot infâme qui se tramait, elle l’eût dénoncé plutôt que de voir perdre son pays ». Et la femme Béguin dévoile sans ménagement tout ce que Charlotte lui a conté, de la maison des « infâmes Duplay », des visites fréquentes de Fouquier-Tinville, de la façon dont s’y dressaient les listes de condamnés[93]. On s’est étonné que le Directoire, le gouvernement impérial, celui de la Restauration gratifiassent d’une pension Charlotte Robespierre : ils payaient son reniement : faire attester par la sœur de l’Incorruptible que celui-ci était un monstre, voilà qui valait bien une rente de 2.000 francs que Charlotte toucha jusqu’à sa mort, survenue en 1834. C’était, dans ses dernières années, une vieille personne « bien conservée, se tenant très droite, vêtue à peu près comme sous le Directoire, sans aucun luxe, mais d’une propreté recherchée. Elle parlait peu, avec gravité[94]… » Elle habitait, toujours sous le nom de Madame Carrault, le quartier perdu du Jardin des plantes. À sa vente après décès, vente qui produisit 328 francs, un portrait de Robespierre fut estimé 40 sous ; un amateur paya 20 sous le portrait de l’Impératrice Joséphine[95].

Que devaient-ils éprouver, les survivants de l’affreuse épopée, lorsque vieillis, cassés, revenus de leurs rêves, obligés de cacher leur nom, le hasard d’une rencontre dans Paris les mettait inopinément en présence ? Si Charlotte revit, par exemple, – ne fût-ce que dans le cortège d’une des fêtes impériales, – Fouché devenu duc d’Otrante, coiffé de plumes et cravaté de décorations, ne songea-t-elle pas au temps où il lui faisait la cour et lui proposait le mariage ? Ne croisa-t-elle jamais, dans les rues, Éléonore ou le vieux Duplay auxquels elle ne pardonnait pas, ou simplement un ancien familier du menuisier, tel que Taschereau qui, en 1823, âgé de 81 ans, vivait solitaire dans un appartement mesquin du quai des Orfèvres ; la police le surveillait comme « ancien secrétaire de Robespierre » et notait qu’il « lisait de mauvais journaux[96] ». En raison de ces dramatiques contrastes, on s’attarderait trop volontiers à conter la fin de ces gens qui avaient traversé l’ouragan et à rechercher leur attitude alors que, refroidis par l’âge, ils scrutaient le passé lointain. Mais une telle enquête serait hors de propos : pour terminer avec l’entourage immédiat de Robespierre, il suffit de revenir un instant à Choisy-le-Roi et de signaler brièvement la tempête de colères qui se déchaîna contre les Vaugeois et leurs créatures dès le lendemain du 9 thermidor. Tous furent mis en arrestation : Jean-Pierre Vaugeois, frère de madame Duplay, ci-devant maire du bourg, sa femme, son fils, ses trois filles ; les dénonciations contre eux pleuvaient au Comité de sûreté générale ; il dut envoyer à Choisy l’un de ses meilleurs agents, Blache, pour y recueillir les dépositions des habitants enfin délivrés de la tyrannie de ces arrogants qui, forts de leur parenté avec l’hôte de Robespierre, avaient traité Choisy en pays conquis. On expédia aux geôles parisiennes jusqu’à Louveau, le cuisinier dont Vaugeois réclamait le concours lorsqu’il traitait Robespierre ; jusqu’à Simon, le joueur de violon qui faisait danser les demoiselles Duplay dans les salons de la marquise de Pompadour. On arrêta Fauvelle ; on alla même à Créteil, capturer les frères Laviron, cousins de madame Duplay ; les paysans de l’endroit les accusaient d’être les satellistes du tirran. On apprit là certaines choses non dénuées d’intérêt. Le Bas « et autres » étaient venus plusieurs fois rendre visite à la mère Laviron : le 10 thermidor, Laviron l’aîné avait préparé chez lui un grand repas auquel devait assister Robespierre en personne qu’on attendit en vain toute la journée, on sait pourquoi. Laviron, ne pouvant nier qu’on eût, ce jour-là, chez lui, cuisiné opulemment[97], s’excusa piteusement en alléguant que le 10 thermidor coïncidait avec la fête de sainte Anne et qu’il voulait célébrer, non le triomphe éventuel de Robespierre, mais la ci-devant patronne de la corporation des menuisiers. L’excuse, peu vraisemblable, ne fut pas admise, car, près d’un an plus tard, on retrouve Laviron, toujours détenu, transféré de la prison du Luxembourg à la citadelle de Cambrai[98].

On s’étonne que, dans les deux volumineux rapports qui lui furent commandés par les thermidoriens victorieux, Courtois, énumérant tous les crimes de la faction robespierriste, n’eût point tiré parti des conciliabules tenus chez Fauvelle et chez Vaugeois par les conspirateurs. Mais Courtois était dantoniste, et peut-être préférait-il ne point parler des « orgies de Choisy », à l’origine desquelles on retrouvait Danton et quelques spéculateurs de son entourage, – sujet scabreux. Il est surprenant également que Vadier n’ait point bruyamment triomphé en apprenant l’arrestation de la sœur de Vaugeois, la femme Duchange, sexagénaire paralysée depuis quinze ans et si faible qu’on dut l’emprisonner à l’hospice de l’Évêché. L’occasion s’offrait pourtant belle à Vadier d’engraisser son fameux rapport : car c’était cette femme Duchange qui avait, on se le rappelle, hébergé à Choisy la Mère de Dieu et son prophète dom Gerle : c’était par son intermédiaire que la Nouvelle Ève avait imposé à Robespierre, au dire de certains témoins, les sept dons du Saint-Esprit.

La sibylle de la rue Contrescarpe, écrouée depuis plus de deux mois à la prison du Plessis et sauvée de l’échafaud par Robespierre, qui, on l’a vu, s’était opposé à ce qu’elle passât en jugement, risquait par cela même, maintenant que son protecteur était abattu, d’être immolée comme complice du tyran. Mais, dans le grand embrassement qui suivit thermidor, Paris n’aurait pas supporté de voir traîner à la guillotine cette pauvre octogénaire et ses obscures compagnes. Car la Terreur avait pris fin subitement, non point par la volonté des thermidoriens, mais sous une irrésistible poussée de la répugnance publique. La loi du 22 prairial était abolie, le Tribunal révolutionnaire réformé ; les prisons s’ouvraient et se vidaient. Pourtant Catherine Théot et ses adeptes demeuraient détenus, Vadier ne pouvant, sans se discréditer, avouer que la grande conspiration déjouée, grâce à son flair, était une farce grotesque, au dénouement de laquelle devaient périr une trentaine d’innocents. La Mère de Dieu restait donc en prison, ne se plaignait pas et ne réclamait rien, soit que sa raison fût décidément troublée, soit plutôt qu’elle considérât comme une faveur du ciel cette captivité conforme à ses prophéties. Elle avait prédit, en effet, que « le grand coup », annonciateur de son rajeunissement et de sa transformation en immortelle, la frapperait « sur la colline du Panthéon, dans une maison voisine de l’École de droit ». Or Le Plessis réunissait ces deux conditions : cette prison se composait de l’ancien collège de ce nom, agrandi d’une notable partie du ci-devant collège Louis-le-Grand ; on l’avait aménagée au printemps de l’an II pour servir de déversoir à la Conciergerie trop pleine ; c’était une annexe du « garde-manger » de Fouquier-Tinville et, avant même que les travaux fussent terminés, elle regorgeait déjà de détenus. Les femmes occupaient Le Plessis, Louis-le-Grand renfermait les hommes, et la direction de cette immense geôle était confiée au concierge Haly, marié à la charmante fille de Lebeau, le geôlier chef de la Conciergerie, – celle-là même qui fut la dernière femme de chambre de la reine Marie-Antoinette[99]. Un monde de porte-clefs, de guichetiers, de surveillants obéissait à ce couple sinistre.

Héron et ses sbires avaient amené au Plessis la Mère de Dieu et ses dévotes dans la soirée du 17 mai. Les détenues que contenait le bâtiment des femmes, déjà verrouillées dans leurs cellules, entendirent « un étrange vacarme » ; on étendit pour les arrivantes des couvertures sur le carreau des corridors et elles couchèrent là. Le matin suivant, à l’heure où l’on tirait les verrous, les prisonnières, curieuses de savoir qui étaient les nouvelles venues, se mirent à leur recherche ; elles les trouvèrent tranquillement assises dans la chambre des gardiens et « groupées autour d’une vieille fille sèche, pâle, silencieuse », dont « un tremblement continu et de nombreuses plaies attestaient les souffrances ». Elle encourageait ses compagnes en leur serrant affectueusement la main ; celles-ci la regardaient avec attendrissement et respect. Toutes répondaient par oui ou par non, avec la plus parfaite indifférence, aux questions que les détenues leur posaient ; l’une d’elles cependant, plus communicative, se mit à déblatérer contre les prêtres, les couvents, le culte catholique, et, désignant la Mère, conclut : « Elle ne croit pas à ces momeries ; mais elle connaît le passé et l’avenir… » Parmi cet essaim de pauvres femmes, pour la plupart âgées et sans attraits, tranchait la jeune et jolie colombe, « fraîche comme la rose dont elle portait le nom[100] ».

Le concierge Haly se montra plein d’égards pour Catherine Théot et ses adeptes : il les logea dans le bâtiment appelé la Police où, isolées, elles pouvaient pratiquer en commun leur singulier culte. Pourtant elles communiquaient avec les autres prisonnières, s’exprimant « en termes concis, ambigus et prophétiques ». En prairial, l’une de ces femmes dit à la comtesse de Vassy, fille du marquis René de Girardin, emprisonnée comme agitatrice : « Dans deux mois, nous ne serons pas ici. – Je le crois, répliqua la comtesse ; Fouquier-Tinville abrégera notre captivité. – Non ! Lui, son tribunal, ses jurés, ses juges n’existeront plus. Tout changera en France. – Le trône sera donc rétabli ? – Non. – Les étrangers s’empareront du royaume ? – Ni l’un ni l’autre. » La vieille Catherine elle-même retrouvait la parole pour vaticiner « d’un ton sentencieux et exalté » ; elle débitait ses oracles à tout venant, à Haly, au cuisinier, au marchand de vin et même aux guichetiers, qui se moquaient d’elle et la maltraitaient sans vaincre sa patience ni sa fureur prophétique. « Je ne périrai pas sur un échafaud, comme vous l’espériez, disait-elle ; un événement qui jettera l’épouvante dans Paris annoncera ma mort. » Ces incrédules ricanaient : « Voilà une belle péronnelle pour faire tant de bruit en disparaissant[101] ! »

Les jours passaient et la prédiction semblait se réaliser. À la fin de prairial, quand fut connu le rapport de Vadier concluant à la mise en accusation de la prophétesse, on put croire que la menaçante réalité allait apporter à ces prédictions un démenti. Il n’en fut rien.

Les voitures du Tribunal venaient, chaque jour chercher au Plessis un « assortiment » de victimes[102] ; les huissiers appelaient de la cour les détenus désignés ; l’angoisse, à ce moment, étreignait tous les cœurs ; on écoutait, dans quelles transes ! Jamais la mère Catherine ne perdit sa sérénité et ne parut se douter qu’elle était promise à l’échafaud. L’ignorait-elle ? Lui avait-on lu le fameux rapport répandu avec profusion dans Paris et qui lui conférait la célébrité ? Savait-elle seulement que son humble nom de servante avait enrayé l’ascension du puissant tribun et que, depuis lors, il reculait ? Quand vint thermidor l’événement formidable ne sembla pas émouvoir sa contemplative placidité ; si on lui eût appris qu’elle y était pour quelque chose, elle n’aurait même pas compris. D’ailleurs, absorbée par les voix qu’elle entendait, rien d’autre ne paraissait l’intéresser et l’attitude de ses compagnes témoignait d’une égale insouciance.

Dans les semaines qui suivirent, chacun, au Plessis, espérait et réclamait la délivrance. Haly laissant, pour ainsi dire, sa porte ouverte, tous les jours un grand nombre de détenus quittaient la prison. Catherine Théot ne s’en préoccupait point : nul n’intercéda pour elle et, comme elle était pauvre, nul non plus n’eut profit à s’entremettre en sa faveur. Cette vieille qui n’avait plus que le souffle, ne comptait d’autres amis que ses dévôts. Un matin, – c’était le 14 fructidor, 31 août 1794, – la vieille visionnaire, étendue sur son grabat, paraissait être à bout de forces ; ses fidèles l’entouraient, attendant, anxieuses, le grand événement qui allait signaler l’entrée de leur mère dans l’immortalité ; un peu avant sept heures et demie, elle s’éteignait doucement. À ce moment précis, une effroyable secousse ébranle toute la maison du Plessis, tout le quartier, toute la ville, en même temps qu’une épouvantable détonation déchire l’air, se répercutant en échos si assourdissants que « chaque citoyen croit que la foudre écrase sa maison[103] ». D’un bout à l’autre de Paris les vitres sont fracassées, les tuiles pleuvent et s’émiettent sur le pavé, les cloisons se fendent ; au Luxembourg, prison voisine, toutes les portes s’ouvrent[104] ; aucun détenu ne cherche à s’échapper ; partout l’épouvante glace les plus intrépides ; chacun se terre, affolé, s’abritant contre la pluie noire qui tombe du ciel obscurci, pluie de fragments de bois, de lambeaux de vêtements roussis, qui s’abat jusque sur la chaussée d’Antin, jusqu’au Temple, jusque sur la route de Saint-Denis… Les geôliers du Plessis qui se sont tant gaussés des prophéties de la mère Catherine, accourent, terrifiés, au cachot où elle gît inanimée, s’attendant à la voir se dresser sur sa couche, renaître belle, jeune et désormais immortelle, ainsi qu’elle l’a prédit. Pleins de respect, ils emportent pieusement son corps dans une salle basse, le déposent « sur une espèce de lit de parade et allument autour de la morte un grand nombre de bougies ». Ils la veillent en commun, dans l’espoir d’assister à sa résurrection et prêts, bien certainement, à l’adorer et à se confondre en dévotions dès son premier signe de vie[105].

Cet accès de ferveur mystique ne dura point. Bientôt ils apprenaient qu’il n’y avait pas miracle mais coïncidence : la poudrière de Grenelle venait de sauter : on comptait les morts par centaines[106], d’autres disaient « par milliers », et certains imputaient déjà la responsabilité de la catastrophe « aux aristocrates sortis des prisons ». Quoi qu’il en fût, la dépouille de Catherine Théot n’était plus digne de vénération ; on la jeta à quelque fosse commune et l’on porta à l’évêché, dépôt des effets ayant appartenu aux condamnés et aux détenus décédés, sa misérable défroque de prisonnière : « un jupon d’indienne, une camisole rouge, une paire de poches, une cornette, une paire de vieux bas. » Le commis, – jovial ou croyant, – qui consigna sur le registre la mention de ces objets, écrivit en marge au lieu du nom de leur défunte propriétaire : Mère de Christ[107].

Chez elle, en revanche, lors de l’inventaire, on trouva une garde-robe des plus complètes ; le linge le plus luxueux, « des chemises de batiste sans prix pour la finesse, des draps de coton de toute beauté, sans coutures, des mouchoirs des Indes et autres objets précieux[108] », qu’elle devait, sans doute, à la générosité de sa protectrice, la duchesse de Bourbon ; dix-huit chemises de femme en toile très fine et neuves ; des bonnets montés en valenciennes, en dentelle de Paris, en point d’Angleterre ; douze corsets ; des bas de soie gris ; une vingtaine de fichus en mousseline, tant unie que brodée ; un déshabillé de soie brochée ; plusieurs autres en toile à fleurs ou à rayures ; un jupon de soie blanche ; un mantelet et un tablier de taffetas noir, un châle des Indes en poil de chameau, un parapluie de taffetas cramoisi ; deux parasols en soie, l’un rouge, l’autre vert. La prisée mentionne encore le fauteuil bleu et blanc où la pythonisse rendait ses oracles et le marchepied de velours d’Utrecht cramoisi qui surélevait son trône ; un grand nombre d’objets de lingerie de couleur bleue et blanche, – les traditionnelles couleurs de la Sainte Vierge, – beaucoup portant comme marque l’initiale M Marie ? Mais ce que l’on s’étonne de rencontrer chez une femme qui se disait la Mère de Dieu, c’est « un chapelet en ivoire »… La pauvre folle s’adressait-elle donc à elle-même la salutation angélique[109] ? Le citoyen abbé Théot, vicaire à « Roch », s’était jeté sur cette riche succession à titre de neveu de la défunte et comme mandataire de sa sœur Louise Cohendier ; il proposait d’emporter chez lui les effets de valeur, et notamment l’argenterie ; il s’offrait même à être le gardien des scellés. Mais les administrateurs du Domaine rabattirent ses prétentions ; des ayants droit surgissaient de tous côtés ; Catherine Théot avait eu sept frères ou sœurs ; le bruit fait autour de son nom réveilla les sentiments de famille chez une quantité de neveux et de nièces qui se partagèrent la succession[110].

La fin de dom Gerle, le mystique défroqué, fut sans éclat : après sept mois de prison, dont six semaines « dans les transes de l’agonie[111] », il se retrouva sur le pavé de Paris, libre mais sans ressources, et, – par surcroît, – très amoureux. Il avait, en 1795, cinquante-neuf ans. Sans doute avait-il été attiré dans le taudis de la rue Contrescarpe moins pour la satisfaction de baiser le menton de la vieille Catherine que par le plaisir d’y rencontrer les jolies colombes. À peine sorti de prison, il épousa l’une d’elles, l’aînée des deux sœurs Raffet[112], puis il sollicita un emploi sous le nom de Chaligny[113]. On le nomma, le 8 nivôse an VI, commis d’ordre à la troisième division au ministère de l’Intérieur, aux appointements de 2.500 francs[114], il y végéta pendant quelques années, se rendant tous les jours de la rue Saint-Dominique-d’Enfer, qu’il habitait, à la rue de Grenelle où était situé son bureau. Ces indications sont précises, mais fort sommaires ; on voudrait pénétrer dans l’intimité du ménage de ces deux époux qui s’étaient connus en des circonstances si extraordinaires ; savoir les impressions qu’ils échangeaient lorsqu’ils se remémoraient l’un l’autre leur étrange passé ; connaître surtout ce qu’était l’examen de conscience du vieux prêtre dévoyé qui avait senti se briser toutes les branches auxquelles il essayait de raccrocher sa foi chancelante. Il avait révélé solennellement la prophétesse Suzette Labrousse qui, partie pour Rome afin d’éclairer le pape de ses prédictions, enfermée comme folle au château Saint-Ange, annonçait qu’elle s’en évaderait à son gré « et s’élèverait au ciel en présence de toute la population ». Or, prosaïquement délivrée par l’invasion française, rentrée piteusement à Paris, en 1798, elle vivait recluse dans le quartier Montparnasse, aigrie par la faillite de ses prophéties et cherchant le secret de la pierre philosophale[115]. Tout meurtri encore de cette première erreur, l’ancien Chartreux s’était affilié à Catherine Théot qui, se flattant d’être immortelle, décéda très authentiquement, à l’amère déception de ses initiés auxquels elle avait promis que, comme elle, ils ne mourraient point. Quel pouvait être l’état moral de Gerle revenu de deux aberrations si grossières, et son désespoir secret d’être en même temps privé de la foi et assoiffé de croyances ? Il mourut en l’an X, le 27 brumaire[116], laissant toute sa fortune, – c’est-à-dire son petit mobilier et 270 francs, fruit de ses économies[117], – à sa veuve qui lui survécut jusqu’en 1827[118].

Des trois hommes auxquels il doit de n’être pas oublié, Vadier, Héron et Sénar, ces deux derniers étaient morts avant lui. Héron, arrêté cinq jours après l’exécution de Robespierre, eut le temps de détruire ses papiers compromettants ; il fut déféré, en prairial an III[119], au Tribunal criminel d’Eure-et-Loir. Se sentant perdu, il fit une belle défense, publiant placards sur brochures, en appelant à la Convention nationale, au peuple souverain, à tous les Français, protestant de la pureté de son âme, dénonçant à jet continu[120]. Il gagna de la sorte l’amnistie que la Convention proclama dans sa dernière séance du 4 brumaire an IV. Ayant ainsi frustré l’échafaud, Héron se fixa à Versailles ; il y décédait quatre mois plus tard, à son domicile, 1, rue des Réservoirs[121]. Sa femme, qu’il voulait faire guillotiner, lui survécut près d’un demi-siècle[122].

Sénar connut autant de geôles que son terrifiant compère[123], implorant son renvoi à Tours et écrivant ses effarants Mémoires, si précieux, sur certains de ses collègues du Comité de sûreté générale, au sujet desquels sa véracité est manifeste, puisque subsistent les dossiers d’archives où l’on peut contrôler ses assertions. À la fin de 1795, il rentrait à Tours, objet de mépris et d’horreur pour tous les honnêtes gens de cette ville dont il avait été le premier magistrat. Il se logea dans une maison de la rue de la Riche, à l’angle de la rue des Fossés-Saint-Martin ; il avait là un salon au rez-de-chaussée, deux chambres au premier étage et quelques débarras[124]. Fourbu, désœuvré, farouche, « oppressé d’affreux souvenirs », il n’eut ni le goût ni le temps de s’installer, si l’on s’en rapporte à la description de son logement où, d’après l’inventaire, tout est pêle-mêle, enfourné sans choix ni ordre. Le 11 germinal an IV, six semaines après la mort de Héron, deux citoyennes, les sœurs Philippe, – des servantes sans doute, – déclaraient le décès de Sénar survenu la veille à six heures du matin. D’après la tradition locale[125], sa fin fut émouvante : il réclama l’assistance d’un prêtre insermenté et voulut que sa contrition fût publique : en présence de voisins, de passants même, dit-on, il confessa à haute voix ses fautes et proclama son repentir. Il mourait à trente-six ans ; sa femme, – divorcée, – qui s’était fixée à Poitiers, sous le nom de Félicité Desrosiers, dite Monville, avec son petit garçon, Mucius Scævola Sénar, ne se dérangea point, se bornant à envoyer sa procuration[126].

Vadier qui, dans la comédie de la Mère de Dieu, avait distribué à Sénar et à Héron les rôles en se réservant la tâche de librettiste, survécut longtemps à ses deux acolytes. Traqué par les polices thermidorienne et directoriale, réduit, à son tour, aux caches, aux travestissements, aux longues randonnées sur les routes, emprisonné et jugé comme complice de Babeuf, il eut l’aplomb de retourner dans son pays où il fut mal reçu : on y gardait le souvenir de certaines querelles de voisinage réglées à coups de guillotine : tout ce qui lui déplaisait dans l’Ariège avait fini sur l’échafaud. Enfin l’oubli venu, avec l’Empire, Vadier se fixa à Paris où, pour mieux les surveiller, Fouché tolérait la présence de ses anciens collègues. Veuf, Vadier avait épousé sa servante, belle personne dont l’opulence des formes contrastait avec la sécheresse parcheminée de son mari. Celui-ci, « grand comme Saturne, osseux et décharné comme lui », le nez crochu, le menton pointu, l’œil scintillant dans son orbite, avait conservé sa vivacité pétulante, mais une vivacité silencieuse ; entouré de tisanes de toutes les espèces, courbé en deux, il relevait de temps à autre sa tête où pendillaient quelques rares cheveux blancs, et il ricanait tout bas avec un bruit sec et strident qui vibrait sans retentir.

L’enfant[127] qui, plus tard, devait tracer du vieil incrédule ce croquis magistral, était lui-même le fils d’un régicide ; il vivait parmi les invalides de la Convention qui, la nuit venue, se glissaient chez son père, rasant les murs, tremblants d’être reconnus : Amar, Lindet, d’autres survivants des grands Comités, venaient là. Vadier surtout étonnait l’enfant : le vieillard ne prononçait que des mots, et, la plupart du temps, des mots d’une syllabe ; mais ses gestes, ses réticences, ses ricanements muets témoignaient d’une ironie froide et inexorable. C’était le négateur, l’irréconciliable ennemi de tout culte, de toute religion, de toute croyance. Sur un seul point il se révélait prolixe : c’était la journée du 27 prairial de l’an II, sa journée de triomphe, la grande victoire de son sarcasme sur le fanatisme : « Quand je découvris le pot aux roses de la mère Théos… », dit-il un jour. Sur ce début, Amar prit son chapeau et s’en alla. « Tu te sauves ! » cria de sa voix fêlée le persécuteur des mystiques. Amar avait refermé doucement la porte ; Vadier, continuant, racontait comment Robespierre tournait au cagotisme et voulait se faire grand prêtre. « Nous le savons bien ; tu nous l’as déjà dit cent fois ! » interrompait Lindet exaspéré. Mais rien n’arrêtait le vieux voltairien ; il se redressait, malgré sa goutte : « Quand ze leur ai fait mon rapport… voyez-vous !… le fanatisme il a été abattu du coup… il en avait pour longtemps à se relever… Et Rovespierre ! anéanti ! fini ! Ze l’ai abîmé ! » Et il se replongeait dans son fauteuil avec une indicible joie.

Ce qu’ignorait l’écrivain qui, enfant, avait entendu ces choses, c’est que, dès la Restauration venue, l’irréductible athée, rentré dans son grand domaine de l’Ariège, et rédigeant son testament, commençait : « Après avoir adoré le souverain Créateur de tous les êtres, imploré sa miséricorde pour le salut de mon âme… » ; et il terminait le long énoncé de ses dernières volontés par une prière[128]. Quand, exilé comme régicide, il mourut pieusement à Bruxelles, le 14 décembre 1828, son corps fut présenté à la cathédrale Sainte-Gudule, où le clergé métropolitain célébra un service solennel pour le repos de son âme[129].


  1. Déclaration de Courvol, huissier de la Convention nationale, 2e rapport de Courtois, p. 199. Pièce justificative XXXV2.
  2. « Vers les trois heures et demie de l’après-midi, je me suis présenté au secrétariat de l’état-major de la Commune… » Rapport au Comité de sûreté générale par le citoyen Héron, chargé de l’arrestation d’Hanriot. B. N. LB41 1182.
  3. « Tu resteras avec nous ; je te mets sous la sauvegarde de la force armée ici présente. » Rapport de Héron.
  4. L’hôtel de Brionne, telle était l’ancienne désignation de ce bâtiment, touchait presque au pavillon de Marsan et empiétait sur l’une des cours des Tuileries, à peu près là où se trouve aujourd’hui le Musée des Arts décoratifs. On aperçoit très nettement l’hôtel de Brionne dans la célèbre estampe de Mécou, d’après Carle Vernet et Isabey, La Revue du quintidi.
  5. « Ils nous prirent… une correspondance qu’ils ont trouvée dans les papiers de mon pauvre mari, concernant les vols et les rapines faits en Belgique par ces misérables Danton, Bourdon de l’Oise, Léonard Bourdon et d’autres. Jamais on n’en a parlé ; ils ont tout fait disparaître… » Récit de madame Le Bas.
  6. Sur l’indiscipline des invalides chargés de la surveillance de la Convention, v. Archives nationales, C 354, 1848. La pièce est de fructidor.
  7. L’Hôpital de la Maternité actuel.
  8. Déclaration du gendarme Chanlaire, 2e rapport de Courtois, 113.
  9. Déclaration de Guiard, concierge de la prison du Luxembourg, WIA 79.
  10. Récit de madame Le Bas, Stéphane Pol, ouvrage cité, 138.
  11. D’après son récit, rapproché des documents officiels, c’est vers neuf heures et demie du soir, – au plus tard dix heures, – que se place cette séparation ; or c’est seulement vers minuit que madame Le Bas reprit le chemin de sa maison puisque, en revenant par les quais, elle rencontra les conventionnels à cheval, parcourant les rues pour proclamer la mise hors la loi des insurgés.
  12. Déclaration de Brochard, concierge de la Maison commune : – « À dix heures on m’a ordonné de mettre des lampions pour éclairer la place. » 2e rapport de Courtois, 201.
  13. La cloche du beffroi de l’Hôtel de ville pesait 5.500 livres et datait de 1609. Elle devait sonner un ton plus bas que la cloche du Palais de justice, cloche royale. Elle fut détruite en 1871. Louis Lambeau, L’Hôtel de ville de Paris, 21.
  14. Déclaration du concierge Brochard.
  15. Sur la délivrance d’Hanriot, v. Déclarations de Vitou, de Dulac, employé au Comité de salut public, de Laforgue. 2e rapport de Courtois. Pièces justificatives XXXI, XXXIX et XLIII.
  16. Merlin de Thionville cite de Carnot un mémoire sur l’artillerie légère daté du 9 thermidor. Correspondance de Merlin, publiée par Jean Reynaud.
  17. Mémoires de Barras, I, 189.
  18. Moniteur, réimpression, XXI, 339.
  19. Archives nationales, F13 2782 et C 354, n° 1853. L’éclairage de la Convention et des Comités, dirigé par le citoyen Lange, « illuminateur, rue Avoye », coûtait environ 15.000 livres par trimestre pendant l’hiver. Le Comité de salut public dépensait à lui seul 480 livres de mèches en trois mois.
  20. Mémoires de Fievée.
  21. Archives nationales, WIA 80. Rapport de Carlier lieutenant en second commandant la deuxième pièce de la section Mutius Scævola.
  22. Archives nationales, WIA 80.
  23. Déclaration de Guiard, concierge du Luxembourg. Archives nationales, WIA 79.
  24. Archives nationales, WIA 80. – « Commune de Paris, Département de Police (minute) – le 9 thermidor, au concierge de la maison d’arrêt de ……… (sic). Nous t’enjoignons, citoyen, sous ta responsabilité, de porter la plus grande attention à ce qu’aucune lettre ni autre papier ne puisse entrer dans ni sortir de la maison dont la garde t’est confiée… Il t’est pareillement défendu de recevoir aucun détenu, ni de donner aucune liberté que par les ordres de l’Administration de police. Les Administrateurs de police du Département. – Signatures. »
  25. Déclaration de Louise Picard, âgée de 14 ans et demi, demeurant chez la citoyenne Fleuriot où elle faisait un service salarié. 2e rapport de Courtois, pièce justificative XXXII, p. 193.
  26. La Mort de Robespierre, tragédie en trois actes, en vers, avec des notes où se trouvent des particularités inconnues, par *** (Sérieys).
  27. Archives nationales, F7 4436, cité par Wallon, Tribunal révolutionnaire, V, 235-236.
  28. Extrait du procès-verbal de la Commune : – « Le citoyen Maire demande qu’une députation soit chargée d’aller chercher Robespierre l’aîné et de lui observer qu’il ne s’appartient pas, mais qu’il doit être tout entier à sa patrie et au peuple. » 2e rapport de Courtois, 196.
  29. É. Fleury, Saint-Just et la Terreur, II, 361.
  30. Archives nationales, F7 4432.
  31. Déclaration de Petit, concierge de la prison de Port-Libre, 2e rapport de Courtois, pièce XXXV, p. 198.
  32. D’Héricault, La Révolution de thermidor, 461. Juneau réclama le prix de sa redingote – 120 livres – et de son chapeau – 20 livres.
  33. Archives nationales, F7 4432. Déclaration de Robert et de Melin sur une distribution de vin faite à la Mairie, vers dix heures du soir. Ils ont reçu une bouteille pour leur nuit.
  34. Archives nationales, WIA 80. Déclaration du citoyen Dinanceau, lieutenant de la compagnie de Mucius Scævola.
  35. On attribua généralement à un orage, la défection des sections. La majorité des récits de la nuit du 9 au 10 thermidor, parlent d’une pluie, – et même d’une « pluie torrentielle », – tombée vers minuit. Il avait plu un peu, le 9 au matin, à neuf heures un quart, mais il ne tomba pas une goutte d’eau le reste de la journée ni de toute la nuit. Voici le bulletin de l’Observatoire pour ces deux jours : – « Le 9 thermidor : – 3 heures 15. Ciel entièrement couvert, calme ; 5 heures, même temps ; 9 heures, petite pluie à 9 heures 15 ; midi, quelques éclaircies ; 4 heures, temps couvert ; 10 heures 15, même temps. – Le 10 thermidor : – 3 heures et demie. Temps couvert, calme ; 9 heures, bruine ; midi, soleil faible par intervalles, calme ; 3 heures, couvert, calme. » Le 9 la température maxima fut, à midi, de 19 degrés 7 (Réaumur) ; elle s’abaissa jusqu’à 12 degrés 7 vers trois heures du matin, et s’éleva le 10, à 3 heures de l’après-midi, jusqu’à 20 degrés 4. Registre manuscrit d’observations météorologiques. Bibliothèque de l’Observatoire, AFI 14, VI. Un observateur particulier, qui notait avec grand soin, mais sans précisions scientifiques, la température de chaque jour, indique, pour le 9 : il a plu un peu le matin – pour le 10 : il a plu un peu l’après-midi. Le premier orage qu’il signale est du 12 thermidor, après une journée d’écrasante chaleur. Journal inédit de Célestin Guitard, demeurant place Saint-Sulpice, à l’Académie de Vaudeuil.
  36. Récit d’Élisabeth Le Bas.
  37. Archives nationales, AFII 47, 365, pièce 26.
  38. Mémoires de Barras, I, 194.
  39. Elle écrit avoir reconnu Barère et Bourdon. Il ne semble pas que Barère ait été du nombre de ces orateurs ambulants.
  40. Déclaration de Dulac. 2e rapport de Courtois, 211.
  41. Ou salle de l’Égalité. Déclaration de Bochard, concierge de l’Hôtel de ville. 2e rapport de Courtois, XXXVI, 201.
  42. 2e rapport de Courtois, 123.
  43. Dont un citoyen Chabru qui restera estropié pour la vie. Archives nationales, D XXXVc2.
  44. Commune de Paris. 2e rapport de Courtois. Pièce justificative XXXVIII, 203.
  45. Anecdotes relatives au 9 thermidor. Déclaration de Dulac.
  46. Éd. Fleury, Saint-Just et la Terreur, II, 364, et Anecdotes de Dulac, citées plus haut.
  47. Archives nationales, F7 4766. Déclaration du citoyen Laroche, compagnon peintre.
    • A. Grand escalier.
    • B. Vestibule.
    • C. Grande salle où siégeait la Commune.
    • D. E. Couloir sombre communiquant avec l’ancienne salle de la Reine (F.).
    • G. Grand salon de l’Égalité ou du Secrétariat, dit aussi salle du Zodiaque en raison de sa décoration comportant les douze mois de l’année, sculptés par Jean Goujon.
    • H. Couloir anfractueux.
    • K. Emplacement probable de la table et des sièges.
    • L. Porte donnant accès à la petite salle du Secrétariat.
    • N. Petite salle du Secrétariat.
    • M. Porte communiquant de la petite salle du Secrétariat au « Passage ».
    • O. Petit escalier. Celui qu’aurait monté Bochard, Concierge de l’Hôtel de Ville. C’est à la porte M. (ou peut-être à la porte L.) que Robespierre serait tombé sur lui, après s’être
    tiré un coup de pistolet dans la bouche : — « En quittant la salle de l’Égalité, au passage », dit Bochard.
    • S. Est un cabinet d’aisance. Serait-ce là que, d’après Barras, se réfugia d’abord Hanriot,
    avant de se jeter dans la petite cour R. où on le retrouva blessé ? Le trajet de Dulac serait donc jalonné sur ce plan par les lettres A. X. C. V. H. J. G. Celui de Bochard par O. M. L. K. Le plan qui a servi de base à cet essai de reconstitution a été dressé antérieurement à la Révolution à l’occasion d’une fête offerte par la Ville au Roi et à sa famille (Archives Nationales N Seine). On n’en a pas rencontré se rapprochant davantage de l’époque révolutionnaire.
  48. Stéphane Pol, Autour de Robespierre, 317.
  49. Les papiers et objets trouvés sur Robespierre jeune sont aux Archives nationales, F7 4433. L’une des lettres est de Buissart.
  50. Archives nationales, AFII 47, plaquette 363.
  51. Il est indispensable d’exposer pour quelles raisons on adopte ici la version du suicide de Robespierre, version contraire à la tradition, généralement répandue, d’un coup de pistolet tiré par le gendarme Méda.

    Outre la déclaration de Bochard, concierge de l’Hôtel de ville, de Dulac, agent du Comité de salut public, on possède le récit écrit « d’après les renseignements fournis par les employés du Secrétariat de la Commune », et où on trouve ces mots : « Robespierre s’est brûlé la cervelle. » (Journal de Perlet, n° 487, du 24 thermidor, p. 87.) On doit ajouter à ces témoignages celui de l’orateur de la députation de la section des Gravilliers, reçue par la Convention, le 16 thermidor : « Robespierre l’aîné se donne un coup de pistolet dans la bouche, et en reçoit en même temps un d’un gendarme. » (Moniteur, réimpression, XXI, 385.) Tout en appréciant l’intention louable de ce citoyen soucieux de concilier les deux versions, le premier terme de sa déclaration est seul à retenir, puisque l’on sait, par le procès-verbal des chirurgiens, que Robespierre ne portait trace d’autres blessures que celle qu’il s’était faite à la bouche et n’avait, par conséquent, reçu d’aucun gendarme aucun coup de feu.

    En présence de ces quatre relations, dont trois sont contemporaines de l’événement, – celle de Dulac a dû être écrite quelques mois plus tard, – faut-il tenir compte du récit de Méda, daté de septembre 1802 et qui contient presque autant de hâbleries et de bévues que de lignes ? Si l’on en croit son Précis historique des événements qui se sont passés dans la soirée du 9 thermidor, Méda fut le héros de la journée : c’est lui qui arrête Hanriot, son général, au Comité de sûreté ; – voyant les membres du Comité de salut public, « fort embarrassés », il « se mêle à leur séance » et les conseille si bien que, simple gendarme, il est nommé sur-le-champ commandant de toutes les forces dont dispose la Convention. Son premier exploit est de « se sauver en passant sous le ventre de plusieurs chevaux », car Hanriot, délivré, veut sa mort. Méda se réfugie à la Convention, puis marche vers l’Hôtel de ville avec Léonard Bourdon, qui le nomme « commandant de l’attaque… ». Il pénètre à la Maison commune, pousse jusqu’au Secrétariat, y trouve Robespierre, « assis dans un fauteuil, le coude gauche sur les genoux et la tête appuyée sur la main gauche ». Ici, il faut laisser la parole à Méda : « Je saute sur lui en lui présentant la pointe de mon sabre ; je lui dis : – Rends-toi, traître. Il relève la tête et me dit : – C’est toi qui es un traître et je vais te faire fusiller. À ces mots je prends de la main gauche un de mes pistolets et, faisant un à droite[sic], je le tire… Il tombe de son fauteuil ; l’explosion de mon pistolet surprend son frère, qui se jette par la fenêtre… Les conjurés se dispersent de tous les côtés ; je reste maître du champ de bataille… » Puis Méda montre l’Incorruptible « gisant aux pieds de la tribune » ; il le fouille, lui prend sa montre, son portefeuille, « contenant plus de 10.000 francs de bonnes valeurs ». Les grenadiers se précipitent sur le blessé, qu’ils croient mort, le traînent par les pieds jusqu’au quai Pelletier pour le jeter à la Seine ; Méda s’y oppose et fait conduire directement le moribond à la Conciergerie. Or tout cela est manifestement faux, car le suicide de Robespierre jeune a précédé et non suivi celui de son frère ; – il n’y avait pas de tribune dans le salon du Secrétariat ; – et l’Incorruptible ne fut pas porté à la Conciergerie, mais aux Tuileries. C’est à croire que Méda n’a rien vu, rien su, des péripéties de la nuit du 9 au 10 thermidor.

    Il fut, à la vérité, présenté à la Convention et reçut l’accolade du président. Mais non point pour avoir débarrassé du tyran la République : le texte du Moniteur dit seulement : « Ce brave gendarme a tué de sa main deux des conspirateurs. » (Moniteur, réimpression, XXI, 343.) De Robespierre, pas un mot. Un an plus tard, dans son rapport bourré de documents officiels, Courtois écrira : « Robespierre, qu’un gendarme croit avoir immolé, se tire un coup de pistolet. » (2e rapport de Courtois, p. 70 et suiv.) Ce disant, Courtois s’adressait aux conventionnels, bien renseignés, et dont beaucoup ne l’estimaient guère. Plus il leur était suspect, moins il aurait risqué de s’exposer à un démenti.

    p>Quant à tirer une indication du rapport des chirurgiens qui, aux Tuileries, pansèrent Robespierre, il n’y faut pas songer : consulté par M. Aulard, le docteur Paul Reclus estime « que l’on doit écarter comme insuffisants et contradictoires les termes du procès-verbal officiel sur lesquels s’appuient les historiens pour conclure à l’assassinat ».

    Le seul passage de la relation de Méda qui mérite peut-être quelque attention est celui-ci : « J’atteins un fuyard dans l’escalier : c’était Couthon que l’on sauvait. Le vent ayant éteint ma lumière, je le tire au hasard, je le manque, mais je blesse à la jambe celui qui le portait. » Il y a, dans ces quelques lignes, une corrélation assez frappante avec la déclaration du compagnon peintre Laroche, rapportée ci-dessus. C’est bien Couthon que « tira » Méda, et c’est, en effet, Couthon que « les grenadiers traînèrent par les pieds jusqu’au quai pour le jeter à la Seine ».

    Méda, simple gendarme à l’époque du 9 thermidor, réclama, comme récompense, le grade de général. On le promut sous-lieutenant. Il faut, d’ailleurs, lui rendre hommage : colonel, en 1812, du 1er régiment de chasseurs à cheval, il fut tué à la Moskova, au moment où l’Empereur, pour sa belle conduite, le nommait général de brigade.

  52. Moniteur, réimpression, XXI, 3422.
  53. 2e rapport de Courtois, 72, note. Suivant une tradition fort ancienne, cette table serait celle qui se trouve actuellement aux Archives nationales dans la chambre à coucher du prince de Soubise.
  54. Archives nationales, AFII 32, p. 363. Dépenses faites par les représentants du peuple, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, par Mathey, garçon de bureau de la section de la Guerre au Comité de salut public : – « 23 bouteilles de vin, dont treize à 40 sols et dix à 50 sols ; quatre pains de 4 livres, 3 livres ; un jambon, 18 livres ; 8 côtelettes, 6 livres ; pêches, abricots, prunes, 6 livres 15 sols. »
  55. Cet étui portait le nom et l’adresse d’un armurier de la rue Saint-Honoré.
  56. Rapport des officiers de santé sur le pansement des blessures de Robespierre. Deuxième rapport de Courtois, XXXVII, 120.
  57. Ce fauteuil serait aujourd’hui à la Comédie-Française. V. Le Figaro du 25 janvier 1891.
  58. Charles Maurice, Histoire anecdotique du théâtre et de la littérature.
  59. Riouffe, Mémoires d’un détenu, 2e édition, 76.
  60. Idem.
  61. Nougaret, Histoire des prisons, IV, 312.
  62. Moniteur, réimpression, XXI, 346, et deuxième rapport de Courtois, XXXI2 et XL.
  63. Wallon, Tribunal révolutionnaire, V, 252.
  64. Nougaret, Histoire des prisons, IV, 313.
  65. Wallon, Tribunal révolutionnaire, V, 254, d’après Louis Blanc.
  66. Voir sur l’exécution de Robespierre et de ses complices, Aulard, Réaction thermidorienne, I, 1 et suivantes.
  67. Moniteur, réimpression, XXI, 354.
  68. Wallon, Tribunal révolutionnaire, V, 268.
  69. Deuxième rapport de Courtois, 152.
  70. Archives nationales, WIA 439.
  71. Courrier républicain, du 6 fructidor.
  72. Procès-verbal du commissaire de police de la Section des Sans-Culottes. Stéphane Pol, Autour de Robespierre, 295 et s., note.
  73. Histoire des prisons de Paris et des départements, l’an V, II, 129.
  74. Archives nationales, F7 4583, lettre de la citoyenne Auzat, 9 brumaire an IV.
  75. Archives nationales, F7 6694, 1er ventôse an III.
  76. Archives nationales, F7 329919. Les registres du dépôt sont à W 534 et 535.
  77. Proussinalle, Histoire du Tribunal révolutionnaire, II, 319, note.
  78. Revue des conférences et des arts, 23 janvier 1879.
  79. Louis Lazare, Bibliothèque municipale, IV, 1re livraison. Cité par Dauban, Paris en 1794, 317.
  80. Archives nationales, F7 4694.
  81. Répertoire des Domaines, II, 1504-3229.
  82. D’après l’inscription gravée sur sa tombe au cimetière du Père-Lachaise.
  83. Archives nationales, WIA 79.
  84. Archives nationales, F7 4583.
  85. Almanach national pour l’an II, p. 272. Le nom est incorrectement imprimé : Calaudini.
  86. Archives nationales, WIA 79. – « Instructions pour les commissaires aux armées relatives aux citoyens… Calandiny (sic) et autres, détenus à Paris. » Calandini fut conduit à Lille où il reste jusqu’au 30 thermidor, arrive au Comité de sûreté générale le 7 fructidor ; interrogé, il est mis en liberté le 10. Il part de Paris le 11 pour regagner son poste ; apprend en route qu’un nouveau mandat d’arrestation est décerné contre lui, se constitue prisonnier à Arras, d’où il est ramené à la Conciergerie avec plusieurs autres officiers supérieurs. « L’accusateur public se déclare incapable de les juger : ils ont les certificats les plus flatteurs qui constatent la pureté de leur vie militaire et révolutionnaire. »
  87. Archives nationales, F7 6504.
  88. Baudot, Notes historiques, 40.
  89. Archives nationales, F7 4694. – « J’ai eu le malheur, à mon retour de l’armée, d’être accueilli par mon oncle chez qui logeait Robespierre. Il m’a trompé, comme tant d’autres ; voilà tout mon crime. »
  90. Léonce Grasilier, Simon Duplay et son mémoire sur les sociétés secrètes… Publié par la Revue des sociétés secrètes, 5 mars 1913.
  91. En janvier 1924. Chronique médicale du 1er mars 1924.
  92. Archives nationales, F7 477494.
  93. Jules Simon, Mon petit journal. Le Temps du 4 avril 1890. Je pense que les souvenirs de Jules Simon ont pu se trouver en défaut, et que la personne propre et grave qu’il vit chez Philippe Le Bas était non point Charlotte Robespierre, mais Éléonore Duplay. Charlotte Robespierre n’était pas reçue chez les Le Bas.
  94. Archives de l’étude de Me Dauchez, notaire à Paris.
  95. Archives nationales, F7 6901, dossier 7183.
  96. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, III, 305. Baraillon, député à la Convention, dénonce que, le 10 thermidor dernier, il devait y avoir à Créteil une fête en l’honneur de Robespierre. « Déjà la volaille, les agneaux étaient égorgés… »
  97. Archives nationales, F7 477448, dossier Horace Molin.
  98. Les Prisons en 1793, par la comtesse de Bohm, édition Lescure, 255.
  99. Rose Raffet, l’une des deux Colombes.
  100. Les Prisons en 1793, par la comtesse Bohm, 263.
  101. Haly disait un jour à la comtesse de Bohm : – « Je sors de chez Fouquier-Tinville ; je l’ai trouvé étendu sur le tapis, pâle, anéanti ; ses enfants le caressaient, essuyant la sueur de son front. Il me dit, quand je lui demandai ses ordres pour la liste du lendemain : – « Laissez-moi, Haly, je n’y suffis pas. Quel métier ! » Puis, comme par instinct, il ajouta : – « Voyez mon secrétaire ; il m’en faut soixante, n’importe lesquels, qu’il les “assortisse”. »
  102. « Catherine Théot mourut au moment même de l’explosion. » Comtesse de Bohm, ouvrage cité, 303. Cette indication concorde avec cette mention de l’inventaire chez Catherine Théot, « décédée à la maison du Plessis, le 14 fructidor an II ». Archives de l’étude de Me Simon, notaire à Paris.
  103. Archives nationales, ADI 110 ; Fic III Seine, 13 ; AFII 34, 286, et Aulard, Réaction thermidorienne, I, 70, 72, 77.
  104. Comtesse de Bohm, loc. cit.
  105. Aulard, Réaction thermidorienne, I, 72. – « Le nombre des morts transférés à l’École militaire monte à quatre cents. »
  106. Archives nationales, F7 329919.
  107. Archives nationales, F7 477527.
  108. Scellés après le décès de la citoyenne Théot, rue de la Contrescarpe, n° 12, 7 ventôse an III. Archives du Greffe de la Mairie du Ve arrondissement. – Inventaire chez Catherine Théot, 6 pluviôse an IV. Archives de l’étude de Me Simon, notaire à Paris.
  109. Héritiers Théot, notoriété, 6 vendémiaire an IV. – Succession Théot, procuration, 8 pluviôse an IV. – Héritiers Théot, partage et quittances, 17 prairial an IV. Archives de l’étude de Me Simon, notaire à Paris.
  110. Revue rétrospective, 2e série, tome IV, Mémoire pour dom Gerle.
  111. Le mariage dut se conclure au début de 1795, car, dans une lettre non datée, mais écrite évidemment en 1799 puisque, né en 1736, Gerle s’y déclare « âgé de 63 ans », il se dit « marié depuis cinq ans ». Archives nationales, FIB II G, carton 5.
  112. Ou Chalini. Dans une supplique, sans date encore, qu’il adresse au Directeur Rewbel, on trouve : – « Je me flatte que, mettant de côté et dans l’oubli même, toutes les infamies dont la jalousie et la malveillance ont couvert le nom que je portais, vous voudrez bien me reconnaître sous celui de ma mère, que j’ai adopté… » et il signe Gerle-Chalini. Auvergne historique, Varia. Or sa mère s’appelait Marie Goy. Même source. On n’aperçoit donc pas d’où l’ancien chartreux tira son pseudonyme.
  113. Archives nationales, FIB I, 5.
  114. Quand elle mourut, en 1821, on trouva dans sa cave une quantité considérable de cendres et de fioles remplies d’un liquide qu’on ne chercha pas à analyser. Une mystique révolutionnaire, Suzanne Labrousse, par l’abbé Christian Moreau, 236.
  115. Archives de la Seine. État civil.
  116. Plus une créance de 500 francs. Archives de la Seine, DQ2 1804, fos 16 verso et 25.
  117. Archives de la Seine. État civil.
  118. Avec Pache, Bouchotte et autres.
  119. Tourneux, Bibliographie, IV, nos 23051 à 23054.
  120. Le 27 pluviôse an IV, 16 février 1796. Archives de l’état civil de Versailles.
  121. Modeste Desbois, veuve de Héron, décéda en 1843.
  122. Archives, W 500 et F7 4775.
  123. Apposition des scellés au domicile de Sénar. Communication de M. Paul Albert.
  124. Recueillie par Carré de Busseroles, Curieuse histoire d’un procureur de la Commune de Tours.
  125. Signée des notaires de Poitiers Ribault et Bourbeau.
  126. Philarète Chasles, Mémoires, I, passim, particulièrement de 47 à 51.
  127. « C’est à la reconnaissance de mes enfants, à leur équité, que j’adresse ce dernier vœu ; je prie le ciel que ce ne soit pas en vain. » A. Tournier, Vadier, président du Comité de sûreté générale, 308 à 316.
  128. Archives de l’église Sainte-Gudule-de-Bruxelles.