Perrin et Cie (p. 223-276).

V

LA SÉQUELLE DE ROBESPIERRE

Elle n’avait pas bon renom, dans les derniers mois de l’an II, la séquelle de l’Incorruptible, bien qu’on en connût fort imparfaitement le mystérieux embauchage et le véritable effectif. On en savait assez, néanmoins, pour redouter l’éventuelle entrée en scène de cette obscure racaille, recrutée parmi ce que la France révolutionnaire comptait de plus convoiteux ou de plus dégradé. « Les âmes viles qui t’entourent… », écrivait à Robespierre la pauvre Lucile Desmoulins, renseignée par les confidences de son Camille[1]. D’autres, également informés, s’effrayaient de ces « sicaires » que collectionnait le sombre tribun : « Quelle espérance d’avoir un gouvernement avec des satellites hors de toute instruction et de toute morale[2] ? » D’autres encore constataient, non sans joie, que « Robespierre et ses complices se perdaient par la bassesse de leurs agents[3] ». Certains, enfin, supposaient que, « en s’environnant de gens qui avaient de graves reproches à se faire », il s’assurait astucieusement le concours de séides d’autant plus sûrs que, « d’un mot, il pouvait les placer sous le glaive[4] ». Les contemporains s’en sont tenus, pour la plupart, à ces généralités et s’il est malaisé de déterminer aujourd’hui le contingent de cette méprisable cohorte, il est plus difficile encore de comprendre comment Robespierre, si vaniteux, si distant, apologiste de la vertu, infatué de son éducation et de son mérite, a pu se plier à de tels compagnonnages et associer à sa partie de si grossiers partenaires. Peut-être son maladif besoin de domination, exaspéré par l’aversion que lui portaient ses collègues, trouvait-il à se satisfaire pleinement au commandement de cette phalange de flibustiers, momentanément dociles et soumis dans l’expectative des grands profits imminents.

On voit, dans une vitrine du Musée des Archives, une liste d’une centaine de noms, griffonnée de la main de Robespierre, ayant pour titre : Patriotes ayant des talents plus ou moins. La plupart de ces noms ne rappellent rien aux visiteurs du palais Soubise ; leur nomenclature présente un grand intérêt cependant, car c’est dans ce répertoire que puisait Maximilien pour fournir de fonctionnaires à lui dévoués les administrations et les tribunaux. Certains, par son crédit, furent vite et bien nantis : à côté des Hermann, des Payan, la majorité des patriotes inscrits là sont des inconnus : ouvriers, petits commerçants, artisans, paysans même ; mais tous doués d’éminents mérites, évidemment, car ils sont pourvus de bonnes places : on y trouve Lubin, le boucher du faubourg Saint-Honoré : il deviendra secrétaire de la Commune ; Raisson, un limonadier : il sera promu commissaire aux subsistances ; le menuisier Ragot, – bientôt membre de la sanguinaire Commission d’Orange ; Lambert, le berger d’Étoges, complètement illettré, pas méchant, d’ailleurs : en qualité de commissaire du pouvoir exécutif, il mettra au pas toute la Champagne… Il fait bon être sur la liste de Robespierre : il serait précieux de connaître sur quels renseignements ou sur quelles recommandations, à la suite de quelles enquêtes il les y consignait. L’indiscrétion des dossiers d’archives permet d’en identifier quelques-uns.

On a déjà nommé, au cours de ce récit, l’imprimeur Nicolas, qui avait installé ses presses dans le voisinage immédiat de la maison Duplay et auquel la clientèle du gouvernement procurait de très lucratifs travaux. Il imprime pour les Jacobins[5], pour la Convention[6], pour le département[7], ses presses ne suffisent pas aux commandes : dans un carnet de l’ami Payan, agent national de la Commune de Paris, on lit : « Quel moyen employer pour procurer au citoyen Nicolas, au prix d’estimation, six presses que l’on prendrait parmi celles des émigrés ou des guillotinés[8] ? » Le moyen fut vite trouvé : on incarcéra « comme complice des assassins de Robespierre », l’imprimeur Pottier, on le guillotina[9], et l’on porta chez Nicolas cinq de ses neuf presses avec leurs accessoires, casses et caractères compris ; quant à l’estimation, on négligea de l’établir[10]. Ceci explique la prospérité de l’atelier Nicolas : l’affaire était montée en grand et avait trois commanditaires : Lazowski, le fameux terroriste, entraîneur de foules, quelque peu septembriseur ; le menuisier Duplay, soit pour son compte, soit comme prête-nom de Robespierre ; et Pierre-François Deschamps, qui, placé sur la liste des citoyens ayant des talents, cumulait à ce titre les fonctions d’agent de la Commission de commerce et approvisionnements de la République[11], avec le grade d’aide de camp du général Hanriot, commandant en chef l’armée parisienne[12]. On ne s’étonne donc pas que Deschamps se soit rapidement enrichi : simple marchand de bas, rue Béthisy, au début de la Révolution, il s’est logé, depuis ses grandeurs, rue des Petits-Augustins, avec sa jeune femme et son premier-né qui est le filleul de Robespierre[13] ; il passe la saison d’été à Maisons-Alfort, dans une belle maison d’émigré louée 2.000 livres et qui comporte un parc de 14 arpents. Il apporte là pour plus de 30.000 francs de linge, « entre autres des draps très fins et très étendus qu’on présume provenir de la ci-devant reine Marie-Antoinette ». Deschamps se propose même d’acheter à Maisons-Alfort, la maison de l’émigré Le Chanteur et compte « la pousser jusqu’à 400.000 livres[14] ».

Il faut dire que, outre ses fonctions officielles, Deschamps remplissait auprès de Robespierre un emploi de confiance ; non seulement il ne refusait pas, à l’occasion, d’aller dans les départements arrêter les suspects[15], mais il s’occupait de porter en province « la bonne parole » : c’est ainsi que, en messidor, il est à Boulogne-sur-Mer, muni d’un pouvoir signé de Robespierre et de Couthon, le chargeant d’une mission secrète. Elle consiste à visiter les autorités locales, à chanter les louanges de Maximilien, et à dénigrer Carnot, « un f… gueux qui reste la nuit au Comité pour être à portée d’ouvrir tous les paquets » et qui a failli compromettre la victoire de nos armées ; Legendre, Tallien, sont aussi « des gueux » ; Bourdon de l’Oise ne vaut pas mieux[16]… Le plus piquant est que Robespierre paie sur les fonds du Comité de salut public cette propagande contre son collègue du dit Comité[17].

Cette manne de places et d’avantages, l’espoir de prochains bénéfices, plus importants encore, encourageaient à se rallier au parti de l’Incorruptible, car on savait que sa générosité envers ses fidèles ne connaissait pas de limites, d’autant plus qu’elle s’exerçait aux frais de la nation. On a déjà cité le cas de Calandini, le savetier promu général, de Duplay, de Cietty, chargés de travaux par le gouvernement, du serrurier Didiée, de Nicolas, des cousins de madame Duplay, nommés jurés à dix-huit francs par jour, de Garnier-Launay, de l’épicier Lohier devenus juges au Tribunal révolutionnaire. On pourrait citer bien d’autres traits de la sollicitude de Robespierre envers ses bons serviteurs. Le compagnon joaillier Boullanger est, comme Deschamps, aide de camp d’Hanriot ; lui aussi se trouve sur la liste des citoyens ayant des talents ; il y voisine avec Mathon[18], qui est administrateur des charrois, avec Fleuriot-Lescot, qui est maire de Paris, avec Lasne qui est secrétaire général de la Commission des administrations civiles, police et tribunaux, avec Moënne, substitut de l’agent national Payan, avec Garnerin, chargé d’importantes missions en Alsace. Les moins doués sont casés en masse dans le jury du tribunal de Fouquier où le travail n’exige aucune aptitude. Les créatures de Robespierre y foisonnent : le charpentier Trinchard, « l’homme de la nature », qui finira policier du Directoire, et qui s’est immortalisé par la lettre fameuse où il se vante d’avoir été l’un de ceux qui on juge la bete feroche qui a devoré une grande partie de la république, celle que l’on califiait de ci deven reine[19] ; Sempronius Gracchus Vilate, l’espion de tout le monde, qui, en récompense de ses services éminents, occupe l’appartement de la princesse de Lamballe au pavillon de Flore ; le musicien Lumière ; le perruquier Ganney ; le sabotier Desboisseaux dont l’échoppe est « sous les voûtes de l’église Saint-Louis-en-l’Île[20] » ; le cafetier Chrétien ; le luthier Renaudin qui passe pour être « le meneur du jury[21] » ; l’ancien laquais Pigeot qui a l’honneur d’être le coiffeur de Robespierre[22] ; l’ex-gardien de bureau Brochet « ami intime et espion » de Maximilien[23]. Mais l’un des plus intéressants est Villers, qui figure au Moniteur parmi les jurés nommés par Robespierre au 22 prairial, sans indication de profession, ce qui s’explique, car ce Villers n’est autre que le domestique commun à Saint-Just et à Le Bas. Inscrit sur la liste des patriotes à employer, – et l’on ne peut nier qu’il ait des talents, car il est bon cuisinier et sait soigner les chevaux, – complètement illettré, d’ailleurs, il siège rarement au Tribunal, et « seulement pour compléter le nombre des jurés » ; il est néanmoins un personnage : Payan se sert de lui pour des besognes mystérieuses[24] et, quand Villers voyage, il est, sur son passeport, qualifié d’« agent du pouvoir exécutif ». Saint-Just ne le paye pas : il lui emprunte, au contraire, de l’argent, et lui doit 2.386 livres, qu’il a promis de lui rendre « pour le 10 ou 12 thermidor[25] ».

Tous spéculent sur l’avenir de Robespierre : tous, en attendant mieux, lui doivent leur salaire quotidien ; aussi le servent-ils aveuglément et tiennent tant à sa vie qu’ils se sont constitués ses gardes du corps. Il ne sort pas sans être entouré de sept à huit gaillards, solides, armés de gros bâtons ; s’il vient au Comité de salut public, ces satellites restent dans l’antichambre[26]. Garnier-Launay, Didiée, Taschereau, Boullanger, Nicolas font ordinairement partie de cette escorte, et l’on s’étonne que la chose ait pu être mise en doute, car plusieurs d’entre eux l’ont avouée. On sait même par Girard, – autre juré, – que cette petite cohorte de protecteurs n’était pas composée que de volontaires : « Je fus sensiblement invité, dit-il, pour accompagner Robespierre quand il n’avait pas assez de monde[27]… » Et on a le témoignage d’un citoyen qui suivit un jour, par curiosité, le grand homme, encadré de cette garde d’honneur : « Ils étaient douze à quinze ; arrivés devant la maison, l’un d’eux se porta en avant, ouvrit la porte et la tint ouverte jusqu’à ce que Robespierre, qui avait l’air important, fût entré. » Tous pénétrèrent dans la maison à sa suite et le même cérémonial se reproduisait « après chaque séance des Jacobins[28] ».

Et puis, Robespierre a ses Lyonnais, des solides, ceux-là, et dont le centre de réunion est chez le vinaigrier Gravier, logé, on l’a dit déjà, dans la maison mitoyenne à celle des Duplay. Gravier est juré de fondation au Tribunal ; il a piloté dans Paris ses trois concitoyens de renfort, appelés en vertu de la loi de prairial, et dont il a signalé lui-même à Robespierre la vigueur patriotique[29] : le cordonnier Maçon[30], le chapelier Émery[31], et Fillion, qualifié « fabricant », un pur qui, en 1793, s’est proposé comme bourreau, pour le plaisir de débarrasser des aristocrates le chef-lieu du Rhône[32]. Ils avaient laissé des amis à Lyon, entre autres Achard, receveur du district, et Pilot, directeur des Postes et président des Jacobins locaux, auxquels ils écrivaient fréquemment.

Précieuses, ces lettres ; tous sont en relations suivies avec Robespierre, Duplay, Renaudin, Nicolas et autres, car cette correspondance implique avec ceux-ci une grande intimité et une parfaite conformité de vues. Achard tient Gravier au courant des travaux du tribunal lyonnais : « Qu’il est grand ! Qu’il est sublime ! Tous les jours il en passe, tant fusillés que guillotinés, au moins une cinquantaine… » Pilot donne des nouvelles de sa santé, fort atteinte, mais « qui se rétablit chaque jour par l’effet de la destruction des ennemis de notre commune patrie… Mon ami ! Je t’assure que cela va on ne peut mieux… Tu apprendras sous peu des expéditions de deux ou trois cents à la fois… » – « La fusillade ne va pas mal : soixante, quatre-vingts, deux cents à la fois… et tous les jours on a le plus grand soin d’en mettre de suite en état d’arrestation pour ne pas laisser de vide aux prisons. » Et Achard renchérit : « Encore des têtes et chaque jour des têtes tombent. Quelle majesté ! Quel ton imposant ! Tout édifiait ! Quel ciment pour la République !… En voilà cependant déjà plus de cinq cents : encore deux fois autant, et puis ça ira ! »

Quelques aperçus pessimistes sur les démolitions de la ville de Lyon qui, par ordre de la Convention, devait, comme l’on sait, être détruite ; mais ça n’avance pas et Achard s’en désole : « Quatre cent mille livres se dépensent par décade… Encore si l’ouvrage paraissait ! Mais l’indolence des démolisseurs démontre que leurs bras ne sont pas propres à bâtir une république. » – Évidemment ! – La plupart de ces lettres se terminent par un cordial « bonjour à Robespierre, Duplay et Nicolas ». La formule varie peu ; elle est très familière : « … le bonjour de ma part, ainsi qu’à Robespierre, Collot, Duplay, Renaudin, Nicolas, à tous les amis[33]. » On est entre intimes ; on échange des commissions. Gravier a invité sa femme à venir de Lyon passer quelques jours à Paris ; celle de Pilot l’accompagnera et celui-ci en prévient son ami : « Sous huit jours, ma citoyenne partira ; elle emportera les objets de commission pour le citoyen Duplay[34] » ; et, en réponse, sans doute, à une demande formulée par son correspondant, Pilot écrit : « Du moment où j’aurai pu me procurer les bas pour Robespierre, je te les ferai passer[35]. » S’il veut que sa femme fasse un tour dans la capitale, c’est pour qu’elle y puise de bons exemples : « Tache qu’elle voie les Jacobins le plus souvent possible… C’est surtout dans ce lieu où une mère peut se procurer les grandes dispositions qui doivent servir de base à l’éducation des enfants[36]… »

Des fous ? Non. Des gens très pratiques, au contraire. Le conventionnel Reverchon les a nettement jugés, les qualifiant « d’énergumènes » ayant entrepris « un commerce infâme de dénonciations, pour tenir sous séquestre plus de quatre mille ménages »… Ces meneurs, « dont les chefs sont à Paris, ne voulaient la République que pour eux ; environ trois mille devaient se partager toute la fortune lyonnaise » ; et il cite Achard, l’un des plus rapaces de ces odieux spéculateurs[37], signalés à Robespierre « comme des candidats incorruptibles et n’ayant d’autre ambition que l’extirpation de tous les traîtres[38] ». On est stupéfait de voir l’homme le plus important du gouvernement lié avec de tels forbans et leur confier des magistratures redoutables. Partout où il y a une hécatombe, se retrouve son ingérence secrète : deux Tribunaux révolutionnaires sévissent en France : l’un à Paris, l’autre à Arras où Robespierre a des vengeances à exercer. Un troisième, sous le nom de Commission populaire, fut créé à Orange, le 11 floréal ; il eut pour accusateur public Viot, un Ardennais, dont le nom est porté sur la liste des Patriotes ayant des talents ; deux des juges de cette Commission, Roman-Fonrosa et Fernex, y figurent également. L’autre juge est Ragot, menuisier à Lyon, et le greffier sera Benet. Or, Benet est un ami de Payan[39] ; Ragot et Fernex sont recommandés par Gravier à Robespierre[40], avec lequel ils entretiennent une correspondance suivie et qu’ils traitent en camarade[41]. Lui-même écrit à Fernex pour s’informer du bon travail que fournit la Commission, et Fernex répond plaisamment : « Tu me témoignes un vif désir de connaître ceux qui cherchent leur tête… » et il signe : « Très fraternellement, ton ami. » Sa lettre est, du reste, tout à fait rassurante et la Commission d’Orange ne chôme pas : elle égorgea en six semaines, dans cette petite ville, 332 victimes. Si, comme on l’assure, Robespierre, à cette même époque, s’efforçait « d’enrayer la Terreur », il s’y prenait bien maladroitement.

On voit quel genre de talents il recherchait et sur quels hommes s’arrêtait sa prédilection. Tout en dirigeant cet état-major, il ne perdait pas de vue ceux de ses collègues de la Convention dont il voulait la mort : sur un des carnets où il inscrivait la besogne urgente, on trouve : « Poursuivre les députés chefs de la conspiration et les atteindre à quelque prix que ce soit[42]. »

Il avait mis aux trousses de chacun d’eux un policier ; cette escouade de onze hommes, commandée par un nommé Guérin, lui adressait des rapports détaillés : Bourdon de l’Oise, Tallien, Legendre, Thuriot, Léonard Bourdon, ne pouvaient faire un pas sans que leur ennemi fût informé : les bulletins des espions de Robespierre sont des modèles de « filature ». – « B. d. L…, au sortir de la Convention, s’est promené avec plusieurs citoyens dans le jardin national et a été dîner rue Honoré, n° 58, avec l’un de ces citoyens, y est resté depuis deux heures et demie jusqu’à quatre heures trois quarts ; à la sortie de ladite maison, il est allé jusqu’au coin de la rue Florentin et s’est arrêté un moment à réfléchir, apparemment où il devait aller ; il a rétrogradé jusqu’à la rue neuve de Luxembourg où nous n’avons pas pu voir où il est entré… » – « Hier, le citoyen Ta…[43] est sorti de chez lui à une heure et demie après midi, a passé rue des Quatre-Fils, rue du Temple, rue de la Réunion, ci-devant Montmorency, rue Martin, rue Grenétat, rue Montorgueil, passage du Saumon, rue des Fossés-Montmartre ; s’est amusé plus d’une heure à marchander des livres ; est entré au Palais Égalité, toujours regardant de côté et d’autre, d’un air inquiet. Il est entré à la Convention…, a parlé avec un ou deux députés et est ressorti par l’escalier où était la chapelle[44] ; est allé comme pour sortir par les cours ; mais il s’est ravisé, a pris par le jardin national, a remonté par le bas de la terrasse des Feuillants et est retourné sur ses pas ; a remonté ladite terrasse par l’escalier qui fait face au café Hotto ; s’est encore amusé à marchander des livres un grand quart d’heure ; de là, a pris la porte du Manège et est entré chez Venua, restaurateur, n° 75. Nous l’avons quitté à six heures sans avoir pu savoir où il s’en est allé[45]… » Si les représentants échappent ainsi à la pourchasse continuelle des mouchards de Maximilien, c’est qu’ils se savent traqués et ne couchent plus chez eux, se terrant « dans les tanières les plus inaccessibles de la ville[46] ».

On est saturé de Terreur. Le sémillant Barère est résolu à mourir ; d’autres, également décidés à en finir, mais moins résignés, complotent d’assassiner leur persécuteur. Berryer le père raconte que Bourdon de l’Oise lui montra « un coutelas qu’il repassait depuis près d’un mois » et dont il se proposait de percer, à la première occasion, le cœur de Robespierre[47]. La peur n’étreignait pas seulement l’Assemblée ; toute la France haletait dans la torpeur de l’agonie ; partout circulaient des inconnus, munis de pouvoirs émanant du Comité de salut public et qui se disaient « agents de Robespierre ». Curieuse galerie de personnages inquiétants, subitement sortis de l’ombre où ils rentrent, ignorés et insaisissables : Villambre, ex-adjudant au 4e bataillon d’Ille-et-Vilaine[48] ; Vielle, naguère camarade de Saint-Just au collège de Soissons[49] ; Ève Demaillot, originaire du Jura, « admirateur et ami de Maximilien[50] », bohème lettré, vivant des petits spectacles du boulevard en qualité de « versificateur à gages[51] », promu commissaire du pouvoir exécutif pour la région qui s’étend de Paris à Blois, allant de ville en ville, pérorant, visitant les prisons, rimant des couplets, et prônant les bienfaits de la dépopulation. Un jour, à Beaugency, comme il parlait à la tribune du club, la mémoire vint à lui manquer ; sans se déconcerter, il saisit un violon et se mit à jouer un air de contredanse à l’hilarité générale[52]. Le médecin Tranche-la-Hausse fait la liaison entre la maison Duplay et Le Bas lorsque celui-ci est aux armées[53] ; Duplay lui-même ne refuse pas une mission pressée, si l’on en croit cette mention inscrite par Robespierre sur l’un de ses carnets de poche : « Envoyer Duplay à Calandini[54]. »

Aventuriers, ratés de toutes les professions, espions, énergumènes lyonnais, jurés au Tribunal, fournisseurs de guillotine, quel entourage pour l’homme qui parle en maître à la Convention et se flatte de régenter les Comités de gouvernement ! Si Robespierre se complaît en cette société, c’est que parmi ces gens qui lui doivent tout, il n’a pas un rival à redouter ; il leur impose par sa supériorité manifeste, et nul ne discute ses ordres ou ses conseils. Il veut autour de lui des subalternes, pas d’égaux. D’amis, il n’en a pas un ; Saint-Just et Couthon ont avec lui partie liée, mais l’affection n’est pour rien dans leur assiduité. Le premier évite de s’asseoir à la table de Robespierre ; quand il vient rue Saint-Honoré, il monte au cabinet de son compère « sans communiquer avec personne[55] ». Couthon, lui, a quitté depuis plusieurs mois la maison[56]. « Je n’y suis pas en sûreté, disait-il à ses collègues du Puy-de-Dôme. Chaque jour on voit entrer chez Robespierre une douzaine de coupe-jarrets auxquels il donne à dîner. » Et il s’étonnait que l’Incorruptible pût subvenir à pareilles dépenses. « Mes indemnités, ajoutait Couthon, me suffisent à peine pour subsister avec les miens. »

Charlotte Robespierre qui, dès la fin de 1792, a vécu chez les Duplay, est brouillée avec ses deux frères qui lui ont voué « la haine la plus implacable[57] ». Elle écoute les galanteries de Fouché qui lui propose le mariage, à ce qu’elle assure, quoiqu’il soit déjà l’époux d’une compagne aussi laide que fidèle. Buissart, lui-même, l’avocat d’Arras, qui a soutenu les débuts de Maximilien et auquel on a juré, jadis, une éternelle reconnaissance, Buissart n’est plus en crédit : malgré son ardent civisme, épouvanté de ce qui se passe à Arras, il ne cesse de morigéner son ancien protégé. « Voilà plus de quatre mois que je ne cesse de t’avertir…, il me paraît que tu dors et que tu laisses égorger les patriotes[58]… » Point de réponse. Outrée de ce silence, madame Buissart part pour Paris, se présente chez Duplay en suppliante : « Vous préconisez la vertu ; nous sommes, depuis six mois, gouvernés par tous les vices… Nos maux sont bien grands, mais notre sort est entre vos mains[59]… » Fut-elle reçue ? On peut en douter. Fut-elle écoutée ? Certainement non.

Quant à Robespierre jeune, – Bonbon, – si dévoué, il n’existe que par son aîné ; on le considère comme parfaitement nul, « une franche bête, une cruche qui résonne quand son frère frappe dessus[60] ». Lui non plus n’a pu supporter l’atmosphère saturée d’encens frelaté qu’on respire chez les Duplay ; depuis son retour de l’armée, il habite rue Saint-Florentin[61].

Restent les Duplay eux-mêmes et ceux-ci demeurent les associés fidèles, les thuriféraires obstinés de Maximilien. Ont-ils chambré leur hôte, timide, craintif, et soupçonneux ? Est-ce lui qui s’est volontairement recoquillé dans cet étroit milieu au point d’y borner son horizon ? Imagine-t-il, par cette réclusion chez les ouvriers, se poser en symbole et proclamer tacitement son mépris pour les jouisseurs de la Révolution, ceux qu’il appelle « les corrompus », ceux qui font bombance, courent les filles ou s’enrichissent ? Tout a bien changé dans l’allure du menuisier depuis le soir de juillet 1791 où, cédant à un mouvement charitable, il a introduit chez lui le petit député à la Constituante. Duplay est devenu un personnage : les plus influents le ménagent et le flattent ; beaucoup l’envient. Collot d’Herbois lui adresse « l’assurance de son amitié franche, inaltérable, pour sa républicaine famille… ». – « Bon citoyen, heureux père, ton fils, déjà fort des principes dont il est nourri, recueillera un bel héritage et saura le conserver[62]… » Madame Duplay ne se renferme plus exclusivement dans les soins de son ménage et dévoile, à table, les intrigues qui se trament dans son entourage[63]. Simon Duplay, le secrétaire à la jambe de bois, a pris tant d’importance au service de Robespierre qu’on le soupçonne d’avoir pénétré, de nuit, sur l’ordre de son patron, dans les locaux des Comités pour y soustraire plusieurs cartons d’archives[64]. Les filles du menuisier elles-mêmes sont en vedette : en ce messidor de l’an II, la tendre Élisabeth, mariée à Le Bas, vient d’être mère ; Sophie, femme du citoyen Auzat, a suivi en Belgique son mari, pourvu d’un gros emploi dans les fournitures de l’armée : il semble bien que madame Auzat fût d’un caractère assez léger ; son « inconstance de cœur » paraît avoir causé quelque tintouin à son entourage. Nous ne connaîtrons jamais les communications « tout à fait confidentielles » faites, bien longtemps plus tard, sur ce sujet délicat, par Élisabeth Le Bas à Lamartine et qui conduisirent le poétique historien à confondre Sophie avec Éléonore.

Celle-ci, tout au contraire, était de réputation inattaquable ; on lui attribuait toutes les vertus de la mère des Gracques ; aussi Dubois-Crancé l’avait-il affublée d’un sobriquet dont s’amusait fort Danton ; rafraîchissant une vieille plaisanterie de Voltaire qui avait baptisé la descendante de Corneille, par lui recueillie, Cornélie-Chiffon[65], les ennemis de l’Incorruptible surnommaient Éléonore, par allusion à l’atelier de menuiserie où elle était née, Cornélie Copeau. Elle passait pour être « la promise » de Robespierre. Il est probable que les parents Duplay envisageaient, non sans orgueil, la possibilité d’avoir pour gendre leur illustre locataire ; elle-même, sans doute, souhaitait de s’unir à cet homme dont elle était « fanatique[66] » ; mais, sauf un mot d’Élisabeth Le Bas[67], rien n’indique que Robespierre eût ce projet : « il n’aimait pas les femmes », a dit un de ses collègues ; « ses vues abstraites, ses discours métaphysiques, ses gardes, sa sûreté personnelle, toutes choses incompatibles avec l’amour, ne donnaient chez lui aucune prise à cette passion[68] ».

Dans ses touchants souvenirs de jeunesse, Élisabeth Le Bas rapporte qu’elle allait souvent, avec ses parents et ses sœurs, se promener aux Champs-Élysées : « Nous choisissions ordinairement les allées les plus retirées ; Robespierre nous accompagnait… Nous passions ainsi d’heureux instants ensemble. Nous étions toujours entourés de petits Savoyards que Robespierre se plaisait à voir danser ; il leur donnait de l’argent ; il était si bon !… Il avait un chien, nommé Brount, qu’il aimait beaucoup ; la pauvre bête lui était très attachée[69]. » Louis Blanc, s’emparant de ce thème idyllique, a précisé : seulement les promenades de Robespierre deviennent, sous sa plume, « solitaires » ; les petits Savoyards ne dansent plus ; « ils jouent de la vielle et chantent quelques airs des montagnes », et Maximilien les traite « avec une munificence si assidue » qu’ils l’appellent « le bon Monsieur ». Ainsi progressent et s’embellissent les légendes ; outre que cet épisode semble un peu trop copié des Rêveries d’un promeneur solitaire, où J.-J. Rousseau conte ses largesses envers les petits Savoyards de la Chevrette[70], Robespierre, on n’en doit plus douter, entreprenait des promenades moins bucoliques. Depuis qu’il boudait le Comité de salut public et n’y passait que de temps à autre, tard dans la soirée, après le départ de ses collègues, il trouvait le loisir de quitter parfois Paris. Il disposait, on le sait, d’une voiture, ce qui facilitait ses déplacements[71] et les invitations ne lui manquaient pas. C’est ainsi qu’il se rendait chez son ami Jean-Jacques Arthur, membre de la Commune, fameux pour avoir, disait-on, mangé le cœur d’un suisse tué au 10 août. La farouche démagogie d’Arthur s’accommodait cependant des royales splendeurs de la terre seigneuriale de Bercy qu’il avait louée pour son propre usage avec son château et son parc, – le plus beau des environs de Paris. Là, Robespierre se plaisait à pêcher les poissons du bassin et les jardiniers s’étonnaient, lorsqu’une belle carpe, prise à sa ligne et tirée hors de l’eau, faisait des sauts dans l’herbe du bord, de le voir s’apitoyer très sincèrement sur l’agonie de sa capture. D’autre part, les habitants d’Issy se disaient persuadés, en l’été de l’an II, que Maximilien venait souvent dîner dans leur commune, avec Couthon, Hanriot et d’autres, « chez un citoyen Auvray, couvreur du ci-devant roi » ; après le repas, il allait se promener dans le parc de la ci-devant princesse de Chimay, alors emprisonnée à Paris. On citait Deschamps et Didiée comme ayant été chargés « d’enlever l’argenterie de la Chimay » ; tous les habitants « se plaignaient du ton arrogant et méprisant dont ces messieurs se comportaient à Issy[72] ». Même à la fin de messidor, l’épicier Lohier y aurait, un jour, amené deux femmes pour égayer la fête[73]. À Vanves, village voisin, on croyait l’Incorruptible possesseur d’un ancien couvent acheté pour son compte sous le nom d’une citoyenne qu’on disait être sa maîtresse. De tous ces bruits, on n’a rien pu contrôler, sinon que Robespierre ne fut jamais propriétaire à Vanves ; mais madame de Chalabre y possédait une maison de campagne, ce qui rend bien probables les visites de son ami. Madame de Chalabre était, en effet, la fervente admiratrice de Maximilien ; pour ne point s’éloigner de lui, – on ne l’a pas oublié, peut-être, – elle logeait chez l’imprimeur Nicolas, dans une dépendance de la Conception, attenante à la maison Duplay[74]. Elle montait la garde dans la cour du menuisier et se révélait, dans cet emploi, l’un des plus vigilants cerbères de l’Incorruptible.

D’autre part, on a vu, en ventôse, Robespierre dîner avec Danton, à Charenton, chez Humbert. Bien avant cette date, une partie du Comité de salut public, désertant les Tuileries, avait tenu là des conciliabules clandestins où l’on admettait Robespierre, qui n’était pas alors membre du Comité, et aussi Pache, Hébert et autres personnages influents de la Commune de Paris[75] ; et ceci confère une extrême importance aux rapports adressés à lord Granville par un espion au service du cabinet britannique qui se flattait d’assister aux séances secrètes du grand Comité[76]. On ne pouvait admettre qu’il se fût introduit dans le local, si bien gardé, des Tuileries ; mais rien de plus vraisemblable que, à Charenton et ailleurs, dans une maison particulière où la présence des conjurés apportait nécessairement le désarroi et nécessitait un renfort de serviteurs, l’espion anglais, travesti en domestique ou autrement, eût surpris les conversations. Il est certain qu’il parvint à suivre les conciliabules secrets dans leurs déplacements, car ce n’était pas toujours à Charenton que les dissidents du Comité se réunissaient aux membres de la Commune ; il paraît très probable que certaines de ces séances se tinrent chez Deschamps, à Maisons-Alfort ; on se rappelle avec quel luxe cet ami de Robespierre avait meublé sa maison de campagne, les draps si fins de Marie-Antoinette garnissant les lits, et l’on songe à « l’argenterie de la Chimay », enlevée d’Issy par ce même Deschamps, peut-être pour en faire honneur à ses convives.

À Maisons-Alfort on était sur le chemin de Choisy, et c’est là que, décidément, on résolut de se retrouver. Le 17 mars 1793, un certain Nicolas Fauvelle, simple employé à la fabrication des assignats[77], se rendait acquéreur d’une grande maison située à Choisy sur le bord de la Seine et agrémentée d’un parc magnifique. On disait dans le pays que Fauvelle n’achetait pas cette propriété pour son compte, mais comme prête-nom de Danton, et, de fait, celui-ci s’y installait aussitôt et s’y meublait agréablement. Dès lors, les témoignages abondent : celui de la maison, d’abord, qui, menacée d’une prochaine destruction par l’élargissement de la voie ferrée, est encore debout, fort délabrée, habitée par des ménages d’ouvriers, mais non dépourvue de tout vestige de splendeur, avec son grand salon à huit fenêtres, son balcon en encorbellement dominant le cours de la Seine et ses charmilles au bord de la rivière. En 1908, fut apposée sur cette maison, en présence de M. Clemenceau, alors président du Conseil des ministres, une plaque commémorant le séjour de Danton, séjour qui fut court, puisque le tribun mourut un an après son installation à Choisy ; mais ce bourg présentait des avantages et Robespierre continua d’y fréquenter, pour s’y concerter avec certains acolytes loin des regards indiscrets.


LA MAISON DITE DE ROBESPIERRE
à Maison-Alfort

Le maire de l’endroit était, au début de 1793, Pierre-Jean Vaugeois, frère de madame Duplay : soixante-deux ans, perruque blonde, nez long, visage mince marqué d’une tache bleue au-dessus de l’œil droit[78]. Sa parenté avec l’hôte de Robespierre lui donnait de l’importance ; il en prenait davantage encore du titre de premier magistrat d’une bourgade où les splendeurs du château royal mises à l’encan attiraient quelques avisés spéculateurs. Un certain Benoit, se disant ancien orfèvre du clergé, grand ami de l’évêque intrus Gobel, acheta les écuries du ci-devant tyran et se tailla un beau jardin anglais sur les terrasses de la Pompadour[79]. Le grand château, dont l’acquéreur se déclara insolvable, fut transformé, partie en hôpital militaire, partie en salles de bal pour les citoyens du village ; le petit château, élevé pour Louis XV par l’architecte Gabriel[80], devint la propriété d’un certain Bonardot, ami du général Hanriot qui souvent y faisait bombance avec ses aides de camp[81]. Vaugeois se créait donc de belles relations : ayant acquis, concurremment avec Fauvelle et Danton, les vins du ci-devant duc de Coigny, il put se permettre de recevoir, lui aussi, Hanriot, grand amateur de bons crus, et ses officiers d’ordonnance, dont plusieurs étaient également fins connaisseurs. Après le repas,

on allait souffler sur la terrasse et visiter le château. Certain décadi on y trouva les jeunes gens du bourg qui dansaient ; les militaires, sortant de table, en compagnie du serrurier Didiée, de Vaugeois fils, d’Éléonore Duplay et de son frère Maurice, expulsèrent brutalement les danseurs, « ces fainéants » et, scandalisés du luxe de cette demeure royale, brisèrent les glaces du grand salon. Même la sévère Éléonore déclara « qu’il fallait une guillotine à Choisy[82] ». On peut presque sûrement dater cette scène de l’automne de 1793, car le procureur de la commune de Choisy, Beausire, ayant réclamé à Hanriot 50 francs en réparation du dommage causé par ses officiers, fut arrêté pour ce trait d’audace et resta en prison plus d’un an. Ce Beausire, personnage très peu recommandable, était le mari de cette fille Oliva, qui avait naguère joué le rôle de Marie-Antoinette dans l’escroquerie du collier de la Reine ; il avait à Choisy de nombreux partisans et, le lendemain de son arrestation, douze de ceux-ci venaient à Paris pour le réclamer au Comité de sûreté générale ; mais Didiée et Hanriot veillaient ; les solliciteurs furent tous coffrés avant d’avoir rempli leur mission[83].

Ainsi débuta la Terreur à Choisy ; elle allait refléter comme en un microcosme ce qui se passait à Paris : Vaugeois, fort de sa parenté, sera le Tibère de l’endroit : tantôt maire, tantôt, suivant sa fantaisie ou son intérêt du moment, président de la société populaire locale, il case son fils à la direction de l’hôpital militaire et distribue tous les emplois à ses fournisseurs ; son ami Lenoir, un étranger à la commune, est nommé agent national ; son épicier Lionnais, – qu’il signale à Robespierre comme « un patriote ayant des talents » et que l’Incorruptible consigne sur sa liste, – l’épicier Lionnais est directeur de la fabrique d’armes ; Simon, ancien palefrenier du tyran et joueur de violon public, devient concierge de l’hôpital ; l’ancien cuisinier Louveau est promu garde-magasin des effets militaires ; c’est alors que Bodement, jardinier à Thiais, – celui qui exige 70.000 têtes, – sera l’un des quatre d’une commission populaire, avec le cousin Laviron, de Créteil, dont le frère aîné, déjà nommé, est juré au Tribunal révolutionnaire[84].

Quand Vaugeois cède la présidence du Comité, c’est toujours à son fils, ou à l’ami Fauvelle, ou au violoneux Simon, ou au compère Benoit[85], et, de la sorte, Choisy est soigneusement tenu sous la férule. Que deviennent, en proie à cette bande, les admirables meubles, les tableaux de prix, les tentures précieuses, les mille richesses dont regorge le château ? On ne l’aperçoit pas : à peine quelques indices des voyages du voiturier Mollé, conduisant à Paris des commodes, secrétaires, tables de marbre, etc.[86] Mais ce qui caractérise surtout la Révolution à Choisy, c’est la fréquence des visites des grandes vedettes parisiennes. Les convives de Danton et Fauvelle ont donné le ton et, depuis que le premier a disparu, c’est chez Vaugeois que se perpétue la fête : on y a vu naguère Hébert, le Père Duchesne ; on y voit maintenant Le Bas, Dumas, président du Tribunal révolutionnaire, Duplay, son fils et ses filles, Couthon, Saint-Just, Fouquier-Tinville[87]… On y voit surtout Hanriot qui vient « presque tous les jours de décade avec ses aides de camp », et revient même « dans le cours de la décade ». Ils arrivent à cheval et ainsi s’expliquent ces cavalcades désordonnées dont se plaignent les habitants de Maisons-Alfort, déplorant les accidents causés dans la traversée de leur village, par l’état-major du général, emporté dans un galop furieux[88].

Quand Robespierre était de la partie, on ne manquait pas d’inviter son garde du corps Didiée ; armé d’un sabre, bonnet rouge en tête[89], pour faire, aux yeux de ses concitoyens qui l’avaient connu aide-serrurier, ostentation de sa familiarité avec Maximilien, il lui « sautait au cou », le serrait dans ses bras[90], comme un ami très cher perdu depuis dix ans, encore qu’il se flattât de ne point le quitter d’un pas et de coucher même près de lui.

Les banquets avaient lieu, soit chez Fauvelle, bien que, depuis la mort de Danton, il eût mis en vente sa maison, soit chez Vaugeois où Robespierre passait quelquefois la nuit : le fils du citoyen Lebègue l’y vit un matin, « venant de se lever et se chauffant près du feu ». En pareil cas, l’ex-cuisinier Louveau était commandé pour faire le dîner ; on lavait la rue pour que l’illustre invité ne fût pas incommodé par la mauvaise odeur et même on avait apporté des orangers tirés des serres du château, afin de donner bon air à la maison. Les repas étaient bruyants. Didiée qui, lui non plus, ne méprisait pas les bons vins[91], vantait, après boire, son inflexibilité au Tribunal : « Il n’avait jamais voté que pour la mort », et Fouquier-Tinville, toujours arrangeant, soufflait à Vaugeois, pour le remercier de sa plantureuse hospitalité : « Si quelqu’un te déplaît dans ta commune, tu n’as qu’à me l’envoyer[92]. » – « On n’entendait parler que de têtes qu’il fallait couper », disait plus tard un nommé Piot.

Révélations déroutantes où se modifie la traditionnelle figure de Robespierre, ennemi de la table et du bruit, se plaisant à promener seul ses sombres rêveries. Un de ses contemporains, historien pénétrant, discernait que, sur la fin de sa tumultueuse carrière, Maximilien, « énervé, désabusé », se livrait « à des vices nouveaux, étrangers à son tempérament », nés du « trouble intolérable » de son âme et qui achevèrent d’égarer sa résolution[93]. Il est vrai aussi que les « orgies » de Choisy ne l’empêchaient pas de suivre ses goûts solitaires, puisque, « huit jours avant thermidor », Bosc, un ami des Roland, caché dans les bois depuis près d’un an, et qui ne se risquait à en sortir que sous un déguisement, se trouva, dans les vignes de Puteaux, nez à nez avec l’Incorruptible : celui-ci le reconnut et murmura : « Je le croyais mort », tant il s’étonnait qu’on pût vivre encore après avoir pactisé avec ses ennemis[94]. Ce trait est plus conforme au caractère du portrait classique du personnage que l’avilissement des beuveries de Choisy. Néanmoins on ne peut récuser les témoignages concordants de cinquante habitants d’une commune, ni les aveux mitigés des compagnons de table de Robespierre[95].

Quelle pouvait être son attitude en ces réunions auxquelles prenaient part des paysans tels que le jardinier Baudement ou le violoneux Simon ? Comment abdiquait-il sa raideur habituelle pour ne point glacer l’entrain des convives de Fauvelle ou de Vaugeois ? Il détestait la trivialité, étant aristocrate dans l’âme : on l’avait vu, un jour, aux Jacobins, arracher de son front le bonnet rouge, dont un enthousiaste maladroit le coiffait, et l’on sait, d’ailleurs, que seul de ses contemporains, il n’adopta jamais les vêtements simples et amples, le pantalon, les bottes, la houppelande flottante que portaient ses collègues. Toujours guindé dans un costume à la mode de l’époque de Louis XVI, culotte courte, bas de fil ou de soie, il avait l’air, suivant les uns, « d’un maître à danser de l’Ancien Régime » ; selon d’autres, « d’un loup-cervier en toilette de bal ». Cela le distinguait, le mettait à part, l’isolait encore ; et peut-être jouissait-il d’un inconscient sentiment de revanche en s’habillant comme les élégants, enviés naguère, du temps où il portait, lui, des vestes râpées et des habits percés au coude.

De toutes les surprises réservées par l’enquête à Choisy, la plus inattendue, la plus troublante, est de trouver chez les Vaugeois dom Gerle et Catherine Théot. Tous deux fréquentaient chez la sœur de Vaugeois, la femme Duchange, « ci-devant nourrice du duc d’Aquitaine », maintenant sexagénaire, paralysée depuis quinze ans. De son aveu même, de l’aveu de ses deux nièces, Agathe et Mélanie Vaugeois, l’ancien chartreux et la Mère de Dieu « faisaient des séjours » chez la citoyenne Duchange. Vaugeois nia les avoir reçus ; mais sa sœur, avec la candeur des adeptes de la Nouvelle Ève, assura que « c’était chez lui qu’elle avait connu dom Gerle ». Elle protesta que la mère Catherine n’avait pas, chez Vaugeois, « consulté les cartes », ni tiré l’horoscope de toute la famille ; ces rites, en effet, n’étaient point de ceux qui se pratiquaient rue Contrescarpe ; mais il est bien probable que la Mère de Dieu procéda, durant son séjour, à quelque initiation. Des personnes dignes de foi[96] attestèrent que Robespierre et Vaugeois reçurent les sept dons du Saint-Esprit, en ayant « l’honneur de baiser le menton » de la prophétesse[97]. Louveau, le cuisinier, et Simon, le joueur de violon, déposèrent également que « Robespierre et autres, y compris Gerle et Catherine Théot », dînèrent plusieurs fois chez Vaugeois ; Simon avait été invité un jour[98].

Ah ! si Vadier l’avait su ! Quel coup de massue asséné au grand prêtre de l’Être suprême !

Les bombances de Choisy se prolongèrent jusqu’à la fin de messidor. La dernière visite d’Hanriot eut lieu dans la troisième décade du mois. Pour le décadi 10 thermidor, Robespierre était attendu ; on lui réservait même un plaisir inédit : les Vaugeois tenaient en réserve un lièvre vivant que son chien Brount devait chasser « à courre ».

À cette date du 10 thermidor était fixée la fête funèbre en mémoire des jeunes républicains Joseph Barra et Agricole Viala ; le programme de la cérémonie, confié à David, promettait plus de symboles encore que celui de la cérémonie de l’Être suprême : le corps de ballet de l’Opéra y était inscrit ; on allait voir les ballerines « former des danses représentant la plus profonde tristesse », et répandant des cyprès sur les urnes contenant « les cendres » (?) des deux héroïques enfants[99]. En s’invitant à Choisy, chez Vaugeois, pour ce jour solennel, Robespierre prenait-il un prétexte de se dispenser d’assister à la fête ? Sans doute sa présence n’y était pas indispensable, puisqu’il n’était plus président de l’Assemblée, et, depuis cinq décades, il affectait de se séparer de ses collègues. D’autre part, suivant certains pronostics, assez hasardeux, à la vérité, cette fête n’était organisée que pour offrir à ses partisans l’occasion de grouper la Convention et d’atteindre, au moyen d’un mouvement populaire, ceux de ses membres dont il voulait se débarrasser[100]. L’Assemblée, dissoute par ce coup de force, aurait été remplacée par une nouvelle Constituante composée de la Commune de Paris et de l’élite des Jacobins, l’une et l’autre robespierristes fanatiques.

Si l’on ne peut établir que Maximilien eût concerté ce coup d’État, on ne peut s’empêcher de juger singulière sa préméditation de ne point assister à la cérémonie patriotique du 10 thermidor. Voulait-il, suivant la tactique qui lui avait souvent réussi, disparaître au moment de l’action, afin de se ménager un alibi, en cas d’échec ; car, à coup sûr, il préparait quelque chose, et le Comité de salut public, renseigné ou simplement méfiant, se mettait sur la défensive en expédiant à l’armée des frontières la moitié des 48 compagnies de canonniers formant « l’artillerie de Robespierre », – mesure inopinée qui indignait les Jacobins[101] ; le Comité avait aussi interdit une réunion des membres de toutes les sections de Paris, illégalement convoquées, pour le 8 thermidor, à l’Hôtel de ville, comme afin d’y recevoir, avant la bataille, le mot d’ordre suprême[102]. Et si l’on néglige les indices de nature politique, toujours sujets à interprétation et peu convaincants par cela même, pour ne s’attacher qu’aux prodromes de caractère intime, beaucoup plus probants, que signifie cette note inscrite par Robespierre sur l’un de ses carnets : « Tenir l’armée révolutionnaire prête ; en rappeler les détachements à Paris pour déjouer la conspiration[103] » ? – À quoi fait allusion cette lettre adressée, le 25 messidor, par Hanriot au maire Lescot-Fleuriot : « Tu seras content de moi et de la façon dont je m’y prendrai… J’aurais voulu et voudrais que le secret de l’opération fût dans nos deux têtes ; les méchants n’en sauraient rien[104] » ? – La citoyenne Lescot-Fleuriot disait « son mari fort triste depuis quelques jours et refusant avec dureté de lui faire connaître le sujet de ses préoccupations[105] ». – Le 2 thermidor, Hanriot, Fouquier-Tinville et une douzaine d’autres viennent dîner chez Fleuriot, à la Mairie, installée dans l’ancien hôtel du premier président du Parlement ; ils sortent de table pour se promener dans le jardin et y causer à l’aise ; ils ont l’air « fort affairés[106] ». – L’ami Deschamps sait ce qui se mijote et ne dit rien ; mais sa femme n’a pas caché aux commères de Maisons-Alfort que « tels qui se promenaient tranquillement dans Paris seraient sous peu guillotinés sans s’y attendre », et que de ce nombre étaient « beaucoup de députés[107] ». – Le fougueux Achard écrit de Lyon à son compère Gravier : « Nous sommes ici dans de vives inquiétudes ; nous ne doutons pas de la victoire… mais, il ne faudra pas se ralentir… point de pitié, du sang, du sang[108] ! » – Pourquoi Saint-Just, qui a emprunté 2.000 et quelques livres à son cuisinier Villers, promet-il de les lui rembourser « le 10 ou le 12 thermidor[109]  » ? – Pourquoi, au jardin Marbeuf, « cinq ou six jours avant le 9 thermidor », Le Bas dit-il à sa jeune femme : – « Si ce n’était pas un crime, je te brûlerais la cervelle et me tuerais ; au moins, nous mourrions ensemble… ! Mais non ! Il y a ce pauvre enfant[110] » ? Évidemment, les familiers de Robespierre attendent un événement dont l’issue leur paraît incertaine et, en ce 10 thermidor, qui approche, ils savent qu’interviendra la crise décisive.

Le 8, la situation se dessine : Robespierre qui, depuis plus d’un mois, s’est montré très rarement à la Convention, y vient ce jour-là : on dit qu’il va parler. À cette nouvelle, la salle, d’ordinaire assez vide, s’est remplie comme aux grands jours ; le public qui se presse dans les tribunes, dans le salon de la Liberté, dans la galerie des pétitionnaires, à la barre, reflue jusque sur les gradins réservés aux députés. Telle est la coutume : en dépit du règlement, les solliciteurs qui cherchent un représentant, ou même les simples curieux, pénètrent dans l’hémicycle et prennent place sur les banquettes. On circule là comme dans la rue, sans se découvrir et les députés eux-mêmes ôtent leur chapeau seulement quand, dans un moment de tumulte, le président qui, lui, est tête nue, se couvre pour ramener le calme[111].

Elle est très grande, cette salle de la Convention, beaucoup plus longue que large[112] et surtout singulièrement haute[113]. Vue des tribunes publiques, elle offre l’aspect d’une fosse étroite et profonde, toujours en rumeur. Dix rangs de banquettes, recouvertes de basane maroquinée verte[114], s’échelonnent sur des gradins s’incurvant aux angles et que coupe, dans leur milieu, un large passage : c’est « la barre » ; là s’arrêtent les députations. Vis-à-vis la barre s’élève, face aux gradins, la tribune, assez basse : au balcon d’où parlent les orateurs on monte, de chaque côté, par cinq marches ; derrière est le bureau du président, un peu plus élevé, et, sur le même plan, à droite et à gauche, les bureaux des secrétaires. Toute cette construction est élégante, en bois de tilleul et d’érable, ornée de chimères, de rosaces et de couronnes bronzées se détachant sur un fond vert antique ; les marches de la tribune sont d’acajou[115]. Le pourtour de la salle est revêtu, jusqu’à une certaine hauteur, d’une draperie verte bordée de rouge, tombant à grands plis ; plus haut, sur un fond ocre, huit grandes figures des Sages de l’Antiquité, peints à la détrempe[116]. Un opulent trophée de drapeaux pris à l’ennemi fait un dôme de glorieuses loques au fauteuil présidentiel, beau meuble, drapé « à la romaine », d’après les dessins de David[117].

C’est, ce jour-là, Collot d’Herbois qui l’occupe : Robespierre est à la tribune et lit depuis près d’une heure ; sa voix monotone, sèche et cassante, tombe dans un impressionnant silence, gros d’attente et de préventions. À quoi tendent ces périodes pompeuses ? Est-ce un manifeste de clémence ? Est-ce un acte de contrition, l’aveu des erreurs commises, un appel à la concorde, une attaque perfide, une déclaration de guerre, un aveu d’impuissance ? C’est tout cela, pêle-mêle, avec des retours, des redites, des réticences et, par endroits, des accents sincères de superbe mélancolie : ce discours, laborieusement écrit, manque de plan, plus encore de netteté. Tantôt une apologie personnelle : l’orateur insiste sur ses longs services et sur les dangers incessants dont il est menacé, sur l’ingratitude et la mauvaise foi de ses collègues : « C’est nous qu’on assassine et c’est nous que l’on peint redoutable ! » Il a « le cœur flétri par l’expérience de tant de trahisons » ; il n’est « qu’un faible individu en butte aux outrages de toutes les factions » et auquel les méchants, pour le perdre, ont attribué « une importance gigantesque et ridicule ». Il dénonce « les monstres qui ont plongé dans les cachots les patriotes et porté la terreur dans toutes les conditions » ; il parle de la liste, la fameuse liste des têtes qu’on prétend qu’il réclame ; à peine peut-il croire à une si effroyable perfidie : « Est-il vrai qu’on a persuadé à un certain nombre de députés irréprochables que leur perte est résolue ? Est-il vrai que l’imposture a été répandue avec tant d’art et d’audace qu’un grand nombre de nos collègues n’osent plus habiter la nuit leur domicile ? » On l’a donc calomnié ? On respire ; mais voilà que, dans cette macédoine de haute éloquence et de ragots, reviennent des allusions inquiétantes à « quelques scélérats, auteurs de tous nos maux », aux « députés perfides », à « la ligue des fripons qui a des complices dans le Comité de sûreté générale » et à laquelle sont affiliés « des membres du Comité de salut public ». Il ne renonce donc pas à frapper ses ennemis ? Que croire ? Il passe, sans préciser, et s’attaque maintenant à « l’affreux système de la Terreur », à la perversité des agents subalternes qui recrutent pour l’échafaud et rançonnent les citoyens : « Épurons la surveillance nationale, au lieu d’employer les vices ; les armes de la liberté ne doivent être touchées que par des mains pures. » Ça, c’est pour les Héron, les Sénar et leur bande, pour Vadier qui les emploie ; et les honnêtes gens de l’Assemblée sont près d’applaudir, ce dont ils s’abstiennent, car déjà l’orateur entame l’éloge du système qu’il vient de flétrir : « Sans le gouvernement révolutionnaire, la République ne peut s’affermir… Qu’il soit détruit aujourd’hui, demain la liberté n’est plus… Dans la carrière où nous sommes, s’arrêter avant le terme, c’est périr… » Eh ! quoi, il ne réprouve donc plus les excès commis ? Au contraire : « Non, nous n’avons pas été trop sévères… On parle de notre rigueur et la Patrie nous reproche notre faiblesse ! »

À lire cette étonnante harangue, on comprend qu’elle produisit, sur ceux qui l’entendirent, un effet de « stupeur ». Cet extravagant procédé de « bascule », destiné à rassurer les uns en menaçant les autres, sans désigner personne, amène une sorte d’ahurissement. Il y a de tout dans ce discours, sauf un point où s’accrocher : Robespierre y déverse sa bile contre les hommes qui, le jour de l’Être suprême, « au sein de l’allégresse publique » ont insulté le président de la Convention nationale parlant au peuple assemblé. « Ah ! je n’ose les nommer dans ce moment, ni dans ce lieu ! » Il ne nomme pas davantage celui qui, « pour multiplier les mécontents », offrit à la malveillance le récit d’une soi-disant conspiration de « quelques dévotes imbéciles », et y trouva « un sujet inépuisable de sarcasmes indécents et puérils ». Après Vadier visé, il met en joue Carnot et Prieur, sans toutefois prononcer leurs noms : « l’Administration militaire s’enveloppe d’une autorité suspecte » ; il insinue même qu’elle pactise avec l’ennemi : « l’Angleterre, tant maltraitée dans nos discours, est ménagée par nos armes. » La France, objectera-t-on, est victorieuse ; Robespierre dénigre la victoire : « elle ne fait qu’armer l’ambition, endormir le patriotisme, éveiller l’orgueil et creuser de ses mains brillantes le tombeau de la République ! » Et ces maximes consternantes sont coupées d’apostrophes idéalistes : « Non, Chaumette ; non, Fouché, la mort n’est pas un sommeil éternel ! » ou d’épanchements révélant toute l’amertume d’un cœur qui se croit tendre et n’est qu’ulcéré : « Ils sont arrivés à me charger de toutes leurs iniquités, de toutes les rigueurs commandées par le salut de la Patrie… ! » « Tout homme qui s’élèvera pour défendre la morale publique sera accablé d’avanies et proscrit par les fripons. » Conclusion : secouer le joug des Comités, les épurer, c’est-à-dire en exclure tous les scélérats hostiles à Robespierre, et « constituer l’unité de gouvernement sous l’autorité suprême de la Convention[118] ».

Ce que la postérité doit retenir de ce discours, c’est le tableau lamentable qu’on y trouve de la situation du pays après trois ans de Révolution : « l’intrigue et l’intérêt triomphants » ; « tous les vices émancipés » ; la Patrie « partagée comme un butin » ; le monde « peuplé de dupes et de fripons » ; la vertu « suspecte et dénigrée » ; l’Administration « fomentant l’agiotage », dépouillant le peuple, le peuple « que l’on craint, que l’on flatte et que l’on méprise » ; l’indignité des agents du gouvernement ; « la perfidie, l’imprévoyance, la corruption, la scélératesse et la trahison maîtresses du pouvoir » ; « le corps législatif avili »… Si quelque historien de nos jours osait tracer de l’œuvre de la Convention une image aussi noire, il serait anathématisé, conspué, traité de renégat, de blasphémateur et d’anti-français ; il n’aurait fait, pourtant, que reproduire l’opinion de Robespierre qui ne passait pas pour un rétrograde.

En la circonstance, il commettait une maladresse irréparable : il avait cru habile de faire « patte de velours », tout en laissant deviner ses griffes, de rejeter sur d’autres, anonymes, la responsabilité de la Terreur, à laquelle, oubliant sa loi de prairial, il se déclarait « complètement étranger ». Mais la méfiance de ses auditeurs était trop en éveil pour qu’ils se laissassent prendre à cette tactique, et quand, repliant ses papiers, il descendit de la tribune, l’effet produit par son ténébreux discours était tout différent de ce qu’il attendait. L’Assemblée hésitait : que faire ? Va-t-elle s’aplatir encore, ou exiger des éclaircissements ? Au lieu de calmer les angoisses, il vient de les aviver, et beaucoup se reconnaissent aux portraits qu’il a tracés ; faut-il tenter de l’amadouer, ou se poser tout de suite en adversaire déterminé ? Lecointre et Barère essaient du premier moyen et demandent « l’impression du discours ». La motion est froidement accueillie ; Couthon renchérit ; il propose non seulement l’impression, mais encore l’envoi aux quarante-quatre mille communes de la République, sanction ordinaire de l’approbation unanime. La Convention cède et obéit, manifestement sans enthousiasme. Mais Vadier ne tient plus en place depuis qu’il a entendu Robespierre traiter de puéril et d’indécent son rapport sur la Mère de Dieu : il surgit à la tribune, long, mince, grave et comique, et, d’un ton pénétré, fait part à ses collègues de son étonnement douloureux. Comment ! ce fameux rapport concernant Catherine Théos « ne se rattacherait qu’à une farce ridicule… » ? Cette grande conspiratrice ne serait « qu’une femme à mépriser » ! – « Je n’ai pas dit cela !… » interrompit Robespierre qui, pour la première fois depuis bien longtemps, semble, devant la contradiction, battre en retraite, et il est remarquable que cette reculade, qui doit coûter à son orgueil, se produise à propos de la prophétesse… Vadier, dédaigneux, poursuit : il défend son rapport composé « sur ce ton d’ironie propre à dérouter le fanatisme » ; mais il promet mieux encore : « J’ai recueilli depuis, dit-il, des documents immenses ; je ferai rentrer cette conspiration dans un cadre plus imposant… Vous verrez… vous verrez y figurer tous les conspirateurs anciens et modernes[119]. »

Voilà Cambon qui, encouragé par l’exemple de Vadier, prend à son tour la parole : « Il est temps de dire la vérité tout entière : un seul homme paralyse la Convention, et cet homme c’est Robespierre !… » Les applaudissements éclatent. Maximilien ergote, réclamant la liberté de dire son opinion. Un même cri part de tous les points de la salle : « C’est ce que nous réclamons tous ! » Panis, à bout de peur, supplie qu’on lui apprenne si sa tête est menacée ; Billaud-Varenne intervient : « Que le discours qu’on vient d’entendre soit soumis aux Comités avant d’être imprimé… » – Eh ! quoi ! gémit Robespierre, on enverrait mon discours à l’examen des membres que « j’accuse » ! Dans les murmures qui grondent, un cri s’élève : « Nommez-les donc ! – Oui ! oui ! nommez-les ! » insistent plusieurs voix. Mais Maximilien est buté. La révolte de cette assemblée, qu’il a menée naguère à la baguette, l’irrite et le déconcerte. Soit soumission, soit colère, soit mépris, il proteste qu’il ne veut prendre aucune part à ce que l’on décidera « pour empêcher l’envoi de son discours ». Tandis qu’il quitte la tribune et va s’asseoir à côté de Couthon, avec lequel il cause « d’un air inquiet[120] », les représentants s’échauffent. Il semble que la Convention se réveille ; tous ceux qui parlent contre Robespierre, contre les exigences de « son amour-propre blessé », sont applaudis. Le décret est rapporté : le discours ne sera pas envoyé aux départements. C’est l’échec. L’Incorruptible, qui s’est dressé au moment du vote, « se laisse tomber assis sur son banc », et le tremblant Mailhe, qui est tout près de lui, l’entend soupirer : « Je suis perdu[121] !  »

À cinq heures[122], il sort, vaincu, des Tuileries, et rentre chez Duplay où il dîne. On dit qu’il alla ensuite, avec les filles du menuisier, prendre l’air aux Champs-Élysées. La veille, déjà, il avait fait, en leur compagnie, la même promenade, et s’était montré joyeux au point de donner la chasse aux hannetons, comme un écolier débridé[123]. Quand l’heure vint de rentrer en ville pour se rendre aux Jacobins, le jour baissait ; Maximilien s’arrêta pour contempler le coucher du soleil. C’était un de ces beaux soirs du torride été de l’an II. Le ciel, au-dessus des collines de Chaillot, s’étendait très pur, tout d’or et de pourpre. Éléonore Duplay voulut y voir un présage : « C’est du beau temps pour demain », fit-elle[124].

Aux Jacobins, ça sent la poudre. L’église où se tient le club est bondée. Robespierre y est accueilli par « des acclamations effrénées[125] ». On sait les affronts que lui a infligés la Convention ; on jure de le venger, de vaincre ou de périr avec lui. Il donne lecture de son discours, écouté avec des trépignements d’enthousiasme. Quand il a terminé, il impose silence aux applaudissements et, du ton d’un homme harassé de la vie : « Ce discours, dit-il, est mon testament de mort. La ligue des méchants est si forte que je ne puis espérer lui échapper. Je succombe sans regrets ; je vous laisse ma mémoire et vous la défendrez[126]. » Aux cris de l’assistance, à l’émotion qui la soulève, il discerne de quelle force il dispose et lance un appel à l’insurrection : « Délivrez la Convention des scélérats qui l’oppriment !… Marchez ! Sauvez encore la liberté[127] !  » Dans le tumulte des bravos, on vote l’exclusion de tous les députés qui ont repoussé l’impression du discours : deux sont là, Collot et Billaud ; on se jette sur eux, on les arrache de leur banc. « À la guillotine ! » Ils sont houspillés, frappés, poussés dehors par les épaules. Fumants de fureur, ils regagnent le Comité de salut public. Dans la chambre aux colonnes, leurs collègues sont réunis en séance secrète ; quelques lampes, des quinquets blancs rechampis d’or, éclairent les tables. Il est minuit, chacun travaille en silence. Carnot, à l’écart, étudie des plans. Sur un bureau isolé, Saint-Just écrit ; sa présence gêne les autres, qui auraient des mesures à prendre dans la prévision du lendemain, gros d’orage. En voyant entrer Collot, soufflant de colère, et Billaud, blême de rage, Saint-Just les interpelle du ton le plus calme, narquois, impénétrable : « Que se passe-t-il aux Jacobins ? » Collot arpente à grands pas le tapis, comme pour se calmer. Tout à coup, il se précipite sur le « morveux », lui saisit le bras : « Tu rédiges notre acte d’accusation ? » Saint-Just, interdit, balbutie. Collot le secoue, répétant : « Tu rédiges notre acte d’accusation ? – Eh bien ! oui, Collot, tu ne te trompes pas, j’écris ton acte d’accusation. » Et, se tournant vers Carnot : « Tu n’y es pas oublié non plus. » Une lutte s’engage. Va-t-on arrêter ce révolté ? Il n’a pas le droit de parler à la Convention sans avoir soumis son rapport au Comité ; qu’il en donne lecture, on verra… Il s’y engage, se remet à écrire, affectant la quiétude. Jusqu’à l’aube il ne quittera pas la place, écrivant toujours, guettant ce qui se dit, tâchant de surprendre ce que l’on prépare.

Toute la nuit, dans les antichambres, les députés viennent aux nouvelles ; la porte est bien gardée ; personne n’entre[128]. Aucun des membres du Comité ne quitte la salle à colonnes. Ils surveillent Saint-Just qui ne cesse d’écrire : on attend la communication qu’il a promise. Au petit jour, on s’aperçoit qu’il a disparu. Vite, on profite de son absence pour rédiger une proclamation au peuple, pour discuter l’arrestation du général Hanriot. Couthon paraît sur le dos de son gendarme. Il s’informe. Que fait-on ? Nouvelles querelles : « Arrêter Hanriot ! le plus pur des patriotes ! A-t-on juré de déchaîner la contre-révolution ? » Le temps passe en disputes oiseuses. Saint-Just ne reparaît pas et l’heure de se rendre à l’Assemblée est proche ; la séance va bientôt commencer. La porte s’ouvre. Saint-Just, enfin ? – Non. Un huissier ; il présente un papier : c’est de Saint-Just : « L’injustice a fermé mon cœur, je vais l’ouvrir tout entier à la Convention[129]. »

À l’heure où on l’attendait au Comité, Saint-Just, en homme qui a pleine confiance en l’issue de la journée, se promenait, à son habitude, dans les allées du Bois de Boulogne, sur l’un des beaux chevaux qu’il avait en réquisition[130]. Même sécurité chez Robespierre. Il sortit de sa maison après le déjeuner pris « en famille[131] » ; au conseil de Duplay lui recommandant de se méfier il répondit qu’il était tranquille : « la masse de la Convention est pure[132] » Mieux frisé et plus pomponné encore qu’à l’ordinaire[133], il avait revêtu son bel habit de drap de soie violet et sa culotte de nankin du jour de l’Être suprême. Encadré de ses gardes du corps à gourdins, il gagna les Tuileries où la presse était grande : les tribunes regorgeaient depuis cinq heures du matin[134], les anti-salles, les couloirs, la barre, l’enceinte même des députés, obstrués par une foule turbulente où figuraient bon nombre des aides de camp d’Hanriot et de Jacobins en renom. Le bruyant public des tribunes, empressé de manifester, applaudit l’entrée de Robespierre qui se plaça, comme il le faisait d’habitude, au premier rang de la Montagne, tout près de la tribune.

À onze heures, les députés étaient à leur poste : Thuriot occupait le fauteuil[135] en attendant le président Collot d’Herbois, retenu au Comité. Dans le bruit des conversations et l’inattention de tous, les secrétaires donnent lecture de la correspondance et du procès-verbal de la veille. Tout à coup le drame commence. Saint-Just monte à la tribune : visage sévère enfoui dans une large cravate au nœud prétentieux ; habit couleur chamois, culotte de drap gris clair, gilet blanc[136], des anneaux d’or aux oreilles[137]. Aussitôt les huissiers se dépêchent vers les Comités pour avertir les retardataires ; les flâneurs des galeries refluent vers la salle. Du Comité de salut public tous les membres, sauf Carnot, accourent ; ils viennent d’expédier à la Commune l’huissier Courvol, porteur d’un arrêté sommant Hanriot et Payan de comparaître devant la Convention. Il a même été question d’emprisonner tous les Duplay pour isoler Robespierre de son quartier général[138].

Saint-Just parle : son début est solennel. Soudain, Tallien saute à la tribune, repousse l’orateur et prend sa place : on comprend qu’il attaque Robespierre et l’on applaudit chaudement ; Billaud lui succède : de sa phrase puissante et sonore, il excite l’Assemblée à la résistance et au courage : « Elle périra si elle est faible. – Non ! Non ! » Tous les représentants sont debout, agitant leurs chapeaux à bras levés ; Le Bas se révolte, veut protester ; les cris : À l’ordre ! le font taire, mais comme il insiste : « À l’Abbaye ! » Dès lors, la Convention depuis tant de mois cataleptiques, bouillonne ; de ses rangs tumultueux monte le grondement menaçant du volcan dont le feu intérieur se ranime[139]. Les apostrophes haletantes de Billaud sont hachées de battements de mains, de clameurs semblables à des cris de délivrance. Fouetté par ce succès, il redouble ses coups ; tous ses mots portent, et, quand Robespierre, écumant, se jette sur la tribune pour s’en emparer, une grande huée le cloue sur place : « À bas ! À bas le tyran ! » Tallien relève Billaud qui, à bout de souffle, reste pourtant à ses côtés pour l’épauler au besoin. Robespierre est parvenu à monter les marches ; il se tient contre eux, coude à coude, prêt à profiter du premier arrêt pour prendre la parole ; mais Tallien est lancé ; il brandit un poignard pour frapper « le nouveau Cromwell », exige le châtiment « des hommes crapuleux et perdus de débauche qui le servent ». La Convention acclame ; elle se sent renaître ; les décrets pleuvent : arrestation d’Hanriot et de ses aides de camp, de Dumas, président de l’odieux Tribunal, de Boullanger, de Nicolas, de Payan, de tout l’état-major, de tous les adjudants des conspirateurs. Si, quand l’autre reprend haleine, Robespierre fait mine d’interrompre, la sonnette du président couvre sa voix, déjà brisée, et un ouragan d’imprécations déferle : « À bas ! tu n’as pas la parole, tyran ! » Et on réclame Barère qui monte à la tribune.

Ils y sont quatre maintenant, encombrant l’étroit espace ; Maximilien refoulé, essayant de se cramponner, est obligé de quitter la place ; mais il reste au bas des marches, le chapeau à la main, tout près de Couthon que, tantôt, son gendarme a déposé là, et de Saint-Just, impassible, les bras croisés, pareil à une figure de marbre appuyée contre la boiserie de la tribune. Après Barère, c’est Vadier, qui ressasse son thème favori : pour la dixième fois, il répète l’histoire de la Mère de Dieu. Plus de précautions oratoires : il la truffe d’allusions « au personnage astucieux qui sait prendre tous les masques… au tyran qui a usurpé les attributions du Comité de sûreté générale ». « Si ce tyran s’adresse particulièrement à moi, c’est que j’ai fait sur le fanatisme un rapport qui ne lui a pas plu ; en voici la raison : il y avait, sous le matelas de la Mère de Dieu, une lettre adressée à Robespierre. Cette lettre lui annonçait que sa mission était prédite dans Ézéchiel… Parmi les documents que j’ai reçus depuis, se trouve une autre lettre d’un nommé Chénon, notaire à Genève, qui est à la tête des illuminés ; il propose à Robespierre une Constitution surnaturelle !… » De tous les points de la salle, des tribunes en joie, les rires sarcastiques flagellent Robespierre qui trépigne, impuissant. Vadier ne s’arrête plus : il raille « la modestie de Maximilien », ce qui provoque une gaîté bruyante ; il dévoile l’espionnage exercé par l’Incorruptible sur ceux qu’il jalousait : « Pour ma part, il m’avait attaché un nommé Taschereau qui me suivait partout, jusqu’aux tables où j’étais invité… » L’hilarité redouble et le vieux pantin, ébaudi de son succès, irait ainsi indéfiniment si Tallien, sentant que les colères s’amollissent, n’interrompait ces gasconnades « pour ramener la discussion à son vrai point ».

Déjà Robespierre se rue sur la tribune : « Je saurai l’y ramener… », crie-t-il. La sonnette acharnée, les vociférations l’arrêtent ; il recule. Il ne parlera pas ; il ne faut pas qu’il parle. Tallien l’accable, le lancine, le harcèle, le soufflette d’apostrophes mortifiantes : « Cet homme dont la vertu et le patriotisme étaient tant vantés, cet homme s’est caché au 10 août et n’a paru que trois jours après la victoire… À l’époque où nos armées étaient dans une situation critique, cet homme, pour calomnier ses collègues, a déserté le Comité de salut public qui, sans lui, a sauvé la Patrie… » Pantelant, honni, acculé sous les injures et les malédictions, le malheureux rugit : on le voit, égaré, montant avec fureur les gradins, comme cherchant où se cacher et clamant : « La mort ! la mort[140] ! » Une voix s’élève[141] : « Tu l’as mérité mille fois ! » Et lui, répète, halluciné, implorant le coup de grâce : « La mort ! la mort ! »


EXTRAIT DE « LA RÉVOLUTION FRANÇAISE » AVRIL 1901
Communication de M. Noël Charavay.

Le décret d’accusation est proposé dans le tapage : toute l’Assemblée debout acclame la motion en un élan unanime. Maximilien, rassemblant ses forces, râle : « Président d’assassins !… Une dernière fois, donne-moi la parole[142]… – Vous l’avez entendu, citoyens ! » appuie Barère, s’adressant au public des tribunes dont l’attitude, d’abord favorable à Robespierre, se tourne contre lui à mesure que sa cause apparaît perdue. Des profondeurs aux combles, l’immense salle sonore retentit d’un assourdissant brouhaha ; l’atmosphère surchauffée en est suffocante.

Le tribun traqué, hors de lui, le poing tendu, profère des invectives qu’on n’entend pas ; le président se couvre, et, tout aussitôt la tempête s’apaise. Le décret ordonnant l’arrestation de Robespierre, mis aux voix, est adopté à l’unanimité dans un grand cri de Vive la République ! Vive la liberté ! anathème contre le paria dont pas un ne prend la défense. Si ! Son frère d’abord : Bonbon s’élance vers Maximilien, lui saisit la main, et demande de mourir avec lui. « Aux voix l’arrestation de Robespierre jeune ! » crie un implacable[143]. Le décret aussitôt applaudi est adopté. Dans un groupe, un grand mouvement, une lutte : c’est Le Bas que ses collègues retiennent par les basques de son habit et qui se débat : « Et moi aussi ! moi aussi ! Je ne veux pas partager l’opprobre de ce décret ! » Il se dégage, vient se ranger auprès de ses deux amis : l’arrestation de Le Bas est votée sans discussion : la Convention se revanche avec la frénésie d’un peureux rassuré. C’est Fréron, à présent, qui pérore : « il se félicite de voir enfin la Patrie et la liberté sortir de leurs ruines. » – « Oui, les brigands triomphent », ricane amèrement Robespierre qui semble avoir recouvré sa roideur insolente. Son frère, tout frémissant encore, menace l’orateur : « Avant la fin du jour, j’aurai percé le cœur d’un scélérat ! » Fréron le dédaigne : il prononce les noms de Couthon et de Saint-Just. Nouveau décret d’accusation, nouvelles clameurs de joie.

C’est fini : la bataille a duré trois heures. L’Assemblée, pour marquer que « l’incident » est clos, fait semblant d’écouter la lecture d’un rapport sur les secours attribués aux défenseurs de la Patrie ; elle juge « majestueux[144] », digne du Sénat romain, de reprendre ses travaux sans plus songer à ses transes abolies. Mais tous les regards se portaient sur les cinq proscrits qui ne quittaient pas le voisinage de la tribune. Maximilien était assis à sa place coutumière, et son frère à côté de lui ; on vit un huissier s’approcher et leur présenter l’ampliation du décret d’accusation. Maximilien prit le papier, le parcourut d’un coup d’œil, le posa sur son chapeau et se remit à causer avec Bonbon. Son seul aspect effrayait ses vainqueurs, car l’un d’eux réclama, alléguant que « les conspirateurs souillaient l’enceinte de la Convention ». Robespierre répliqua du ton le plus calme : « Nous attendions la fin du… » Un tollé formidable s’éleva : « À la barre ! Tyran ! À la barre ! » Ils avaient peur de l’entendre encore… La barre formait la limite fictive du prétoire sacré. Pour un député, passer la barre, c’était le symbole de l’exclusion, du retranchement définitif. Le président fait un signe aux huissiers ; mais les huissiers hésitent et n’osent : on ne sait ce que réserve le lendemain : traduit au Tribunal tout à sa dévotion, Robespierre peut être acquitté, comme naguère Marat, et rapporté triomphalement à son siège de député par la populace en délire. Les huissiers défaillant, il fallut quérir les gendarmes qui montrèrent plus d’audace ; ils s’approchèrent ; l’un d’eux chargea Couthon sur son dos : « Sortons, souffla Robespierre ; sortons en masse ; cela fera plus d’effet[145]. » Les soldats les poussèrent dehors et disparurent avec eux dans la galerie basse des pétitionnaires.

En voyant disparaître le tyran abattu, beaucoup, déjà, pressentaient que la Révolution s’en allait avec lui.


  1. En une lettre d’une émouvante éloquence qui ne fut ni terminée ni envoyée, et dont le texte a été publié par Mathon, Le Vieux Cordelier, p. 165.
  2. Baudot, Notes historiques, 41.
  3. Riouffe, Mémoires d’un détenu, 2e édition, VI.
  4. Courrier républicain, n° 274, 15 thermidor an II, pp. 255-256.
  5. Papiers inédits, III, 90.
  6. Archives nationales, AFII 33274. « Germinal an II : reçu 18.000 exemplaires du rapport de Saint-Just sur la faction de l’étranger, imprimé par Nicolas, rue Honoré, n° 755. »
  7. Répertoire Tuetey, IX, 1997.
  8. Papiers inédits, II, 389.
  9. Il fit partie de la fournée des « assassins de Robespierre ». Archives nationales, F7 477480.
  10. Archives nationales, F7 427480. Dossier Louis Pottier.
  11. Archives nationales WIA, 439, dossier 34.
  12. Archives nationales, F7 4674. Voir sur l’association Lazowski, Duplay, Deschamps avec Nicolas, Archives de la Seine, Bureau du domaine national, 1456, liasse 3441.
  13. Maximilien-François Deschamps, né le 2 février 1792, mort à Paris le 19 février 1859. Archives de la Seine, état civil.
  14. Dénonciation que fait l’assemblée populaire et républicaine de Maisons-Alfort au Comité de sûreté générale, 2e rapport de Courtois ; pièce justificative I. La maison Lechanteur est aujourd’hui la mairie de Maisons-Alfort.
  15. Aulard, Société des Jacobins, VI, 303, « Arrestations opérées par Deschamps à Orléans », et F7 4436, plaquette 8, f° 327, « arrestations à Rouen ».
  16. Archives nationales, WIA 79. Pièce relative aux nommés Deschamps et Filon.
  17. Archives nationales, F7 4436, plaquette 8, f° 340. – « 2 messidor : la trésorerie fera payer au citoyen Deschamps, aide de camp de la force armée de Paris, la somme de 1.200 livres qui sera prise sur le fond de 50 millions mis par décret à la disposition du Comité de salut public. Les membres du Comité de salut public, Billaud-Varenne, Robespierre, Couthon. »
  18. Archives nationales, F7 3822.
  19. Archives nationales, W 500, pièce 155. Le fac-similé de la lettre a été publié par M. A. Dunoyer, dans son livre sur Deux jurés du Tribunal révolutionnaire.
  20. Archives de la Seine. Domaines. Répertoire Lazare, I.
  21. Papiers de Ligier de Verdigny, président du tribunal lors du procès de Fouquier-Tinville. Communication particulière.
  22. Idem.
  23. Idem.
  24. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 389.
  25. Archives nationales, F7 477547. Dossiers de Guislin-François Villers.
  26. Baudot, Notes historiques, 183.
  27. Archives nationales, W 500, 1er dossier, 122, cité par Campardon, Tribunal révolutionnaire, I, 342.
  28. Déclaration de Foucault, juge au Tribunal révolutionnaire, Archives nationales, WIA 80, témoignage qui confirme les pièces justificatives LIXa et b du premier rapport de Courtois.
  29. Archives nationales, F7 4436, plaquette 3, pièces 85 et 87.
  30. Ou Masson ; sans nul doute celui qui est désigné Maçon sur la liste de Robespierre ; le même que le Musson de la réimpression du Moniteur, XX, 696.
  31. Archives nationales, W 501.
  32. Campardon, Tribunal révolutionnaire, I, 343, n.
  33. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 203, 208, 209, 211, 230, 233.
  34. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 209.
  35. Idem, 212.
  36. Idem, 213.
  37. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, III, 65, 66.
  38. Archives nationales, F7 4436, plaquette 3, n° 85.
  39. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 185.
  40. Archives nationales, F7 4436, plaquette 3, pièces 86 et 87.
  41. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 195.
  42. Rapport de Courtois, pièce justificative LIV, p. 212.
  43. Tallien.
  44. La chapelle des Tuileries devenue l’anti-salle, au haut du premier palier du grand escalier du château.
  45. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 374, 375.
  46. D’Héricault, La Révolution de thermidor, 280, et Baudot, Notes historiques, 323.
  47. Souvenirs de Berryer, I, 227, cité par d’Héricault.
  48. Archives nationales, F7 477546.
  49. Archives nationales, 477545 et AFii 47-363.
  50. E. Hamel, Les Deux conspirations du général Malet, 25.
  51. Mémoires de Dufort de Cheverny, publiés par Robert de Crèvecœur.
  52. Lottin, Histoire de Beaugency, I, 206.
  53. Stéphane Pol, Le Conventionnel Le Bas, 207 et 209.
  54. Carnet de Robespierre déjà cité.
  55. Archives Nationales, WIA 79. Interrogatoire de Jacques-Maurice Duplay, 12 nivôse an IIIe ; par contre, on invite Barère dont la tête est déjà marquée : – « Barère dîna dix, douze ou quinze jours avant le 9 thermidor. »
  56. Supplément aux crimes des anciens Comités, par Dulaure, 122-123. L’association de Couthon avec Robespierre demeure assez inexplicable : Couthon était arrivé à la Convention très modéré ; le même Dulaure raconte que, à la séance du 21 septembre 1792, dans le grand salon des Tuileries, assis dans l’embrasure d’une fenêtre, Couthon fut tout à coup entouré de certains membres de la députation de Paris. Marat lui frappa sur l’épaule en disant : – « C’est un bon patriote que Couthon ! » Couthon, qui ne pouvait bouger en raison de sa paralysie, tira Dulaure par l’habit en lui disant à l’oreille : – « Rendez-moi un service ; ôtez-moi du milieu de ces brigands. » Dulaure le prit dans ses bras et l’emporta. Même ouvrage, 121.
  57. Mémoires de Charlotte Robespierre, 139 et s.
  58. Lettre de Buissart, datée d’Arras, 10 messidor an II. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 247.
  59. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 254, 26 floréal an II.
  60. Baudot, Notes historiques, 144.
  61. Archives nationales, WIA 79, interrogatoire de Duplay père.
  62. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, I, 315.
  63. Idem, III, 90. – « La citoyenne Duplay nous a dit chez elle, à table, que Nicolas était à la tête de cette trame. »
  64. Archives nationales, WIA 79. Pièces relatives à l’affaire du citoyen Duplay et autres.
  65. Lettre du 21 novembre 1762.
  66. Baudot, Notes historiques, 242.
  67. « Ma sœur aînée était promise à Robespierre. » Stéphane Pol, ouvrage cité, 150.
  68. Baudot, Notes historiques, 242.
  69. Stéphane Pol, ouvrage cité. Récit de madame Le Bas, 107.
  70. Neuvième promenade.
  71. Archives nationales, W 79. – Ramoger, agent national de Choisy-le-Roi, venu à Paris avec Vaugeois qui le laisse dans un café où il le reprend longtemps après, disait « qu’il avait dîné avec Robespierre et était sorti avec lui dans sa voiture ».
  72. Archives nationales, F7 4432.
  73. Archives nationales, W 500.
  74. Archives nationales, F7 4432 et 477457.

    D’après une tradition très vivante à Montmorency et si solidement enracinée que, à défaut d’un document péremptoire, il est bien difficile de ne point l’accepter, Robespierre, dans l’été de l’an II, aurait habité l’Ermitage de Jean-Jacques Rousseau. Cette petite maison, confisquée sur l’émigré Belzunce, gendre de madame d’Épinal, était devenue bien de la Nation. Elle fut louée un certain temps par Regnault de Saint-Jean-d’Angely, ex-député à la Constituante, qui, proscrit et caché, laissa l’Ermitage vacant. C’est alors que Robespierre l’aurait occupé, attiré là par son culte pour l’auteur du Contrat social et aussi par les citoyens Leturc et Carré, successivement maires de Montmorency pendant la Révolution. Leurs concordantes assertions sur ce point n’ont jamais varié, et, transmises à leur famille, admises par d’éminents érudits locaux, elles sont devenues articles de foi. (Voir, Revue illustrée des communes de France, Montmorency, 1909.) La tradition remonte donc à la Révolution ; elle précise même que Maximilien passa à l’Ermitage la nuit du 5 au 6 thermidor, nuit de recueillement à la veille du jour où son destin allait se décider et au cours de laquelle son âme mystique dut converser avec celle du philosophe bourru qu’il avait pris pour maître et pour modèle. Grétry posséda l’Ermitage dès 1798. Son neveu, Flamand-Grétry, qui a écrit une extraordinaire et compacte histoire de ses relations avec le compositeur – La Vallée de Montmorency – et qui lui-même hérita de la petite maison de Rousseau, consigne dans cet ouvrage le séjour qu’y aurait fait Robespierre.

  75. Sur cette question des séances secrètes du Comité de salut public à Charenton, Moniteur, réimpression, XXII, 139 et 304.
  76. Manuscripts of J. B. Fortescue, esq., preserved at Dropmore. Correspondance de l’espion anglais avec lord Grenville.
  77. Archives de l’étude de Me Bochet, notaire à Choisy-le-Roi.
  78. Archives nationales, F7 477541. Extrait des minutes du greffe de la justice de paix des commune et canton de Chantilly.
  79. Archives nationales, WIA 79.
  80. Comte de Fels, Ange Jacques Gabriel, premier architecte du roi, p. 185 et s. et planche XII.
  81. Archives nationales, WIA 79.
  82. Archives nationales, W 500. Dépositions de Jacques Nourry, de Choisy-sur-Seine, et de Alexandre Huet-Sourdon, peintre, demeurant à Choisy.
  83. Archives nationales, W 500. Justification de Beausire.
  84. Archives nationales, WIA 79 et F7 477541.
  85. Archives nationales, T 14942. Registre du Comité révolutionnaire de Choisy.
  86. Archives nationales, W 79.
  87. Il y venait aussi des personnages politiques qu’on s’étonne de rencontrer là. Le 15 mars 1794, l’espion anglais écrit à lord Grenville : – « Le 9 au soir, Robespierre, Sieyès et leurs partisans se réunirent à Choisy. Le 10 au matin, Hébert, Pache et Chaumette viennent les voir et obtiennent de faire payer 2.200.000 livres à la Commune… de prêter 100.000 écus à Hébert, etc. » Quelques jours plus tard, l’agent anglais écrivait : – « Il y eut une nouvelle assemblée à Choisy, le 12 mars ; Robespierre, Sieyès, Couthon, Barère, Saint-Just, Billaud-Varenne et Pache assistaient à la réunion. En sortant de la réunion le 13 à trois heures du matin, ils réunirent aussitôt le Comité de salut public… » Manuscripts of J. B. Fortescue, esq., preserved at Dropmore. Hébert fut arrêté le 13 mars et Chaumette le 17.
  88. Deuxième rapport de Courtois. Pièce justificative, n° 1.
  89. Archives nationales, F7 477541.
  90. Idem, enquête de Blache.
  91. Archives nationales, F7 477541. « Didiée n’était pas exempt d’ivrognerie. »
  92. Archives nationales, W 500. Déclaration de Jacques Nourry.
  93. Lacretelle, Précis historique de la Révolution française, cité par Dauban, Paris en 1794, 440.
  94. Fragment des Mémoires de Bosc conservé aux Archives du Muséum. Perroud, Mémoires de madame Roland, II, 527.
  95. Duplay, par exemple, reconnut qu’il était allé avec Robespierre chez Vaugeois, mais deux fois seulement. – « Le repas, dit-il, avait été de la plus grande sobriété. »
  96. La famille Guemin, dont le chef, directeur des messageries de Choisy, avait été maire du bourg avant Vaugeois.
  97. Archives nationales, WIA 79. Mission de Blache à Choisy, dénonciation contre les Vaugeois.
  98. Sur les faits de Choisy, v. WIA 79, 80 et 500, et F7 477541.
  99. Plan de la fête qui aura lieu le 10 thermidor… Moniteur, réimpression, XXI, 279 et s.
  100. « On devait égorger la Convention à jour fixe… et l’on aurait proclamé Robespierre dictateur, ou trionvire[sic], ou législateur, comme ayant été prédit par le prophète Ézéchiel et suivant la Mère de Dieu… » Archives nationales, F7 4583, plaquette 4, p. 28.
  101. Aulard, Société des Jacobins, V.
  102. Papiers inédits…, III, 291, 292, et Barère, Mémoires, II, 209.
  103. Idem.
  104. Archives nationales, F7 4433, cité par d’Héricault, 281.
  105. Archives nationales, F7 4432.
  106. Idem.
  107. Dénonciation que fait l’assemblée populaire et républicaine de Maisons-Alfort. Deuxième rapport de Courtois. Pièces justificatives, n° 1.
  108. Papiers inédits trouvés chez Robespierre, II, 226.
  109. Archives nationales, F7 477547.
  110. Stéphane Pol, Autour de Robespierre. Récit d’Élisabeth Duplay, 136.
  111. Moniteur, réimpression, XV, 74, et XIX, 13. – « Une députation se présente à la barre le chapeau sur la tête. Couthon proteste contre cette inconvenance. Robespierre dit que l’exemple de cet abus a été donné par les représentants eux-mêmes… Il demande qu’il soit défendu aux membres de l’Assemblée de parler couverts. » Séance du 30 décembre 1793.
  112. En mesures actuelles 45 mètres sur 15.
  113. 20 mètres.
  114. Archives nationales, F13 2782, Mémoires du citoyen Le Doyen, tapissier.
  115. Archives nationales, F13 2782, Mémoires du citoyen Roger, sculpteur.
  116. Archives nationales, F13 281a. – « Huit grandes figures en bronze de huit pieds de proportion, peintes par le citoyen Strabaux. »
  117. Archives nationales, F13 2782.
  118. Le discours prononcé, le 8 thermidor, par Robespierre, à la Convention, n’a pas été reproduit par le Moniteur ; il a été publié en brochure, un mois plus tard, d’après des brouillons trouvés chez Robespierre, brouillons couverts de ratures et de renvois, ce qui explique les répétitions qu’on y trouve.
  119. Moniteur, réimpression, XXI, 329.
  120. Le Républicain français, n° 614, p. 3521.
  121. Baudot, Notes historiques, 123.
  122. Moniteur, réimpression, XXI, 331.
  123. Renseignement fourni à E. Hamel par le docteur Duplay, fils de Simon.
  124. Esquiros, Histoire des Montagnards.
  125. Toulougeon, Histoire de France depuis la Révolution, IV, 256, cité par Aulard, Société des Jacobins, VI, 287.
  126. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, XXXIV, 2.
  127. Buchez et Roux, Histoire parlementaire.
  128. Lecointre, Conspiration formée…, 5. Archives nationales, ADi 108.
  129. Pour la nuit au Comité, on suit ici le récit de Prieur, témoin oculaire, reproduit dans les Mémoires sur Carnot, I, 545 et s.
  130. Journal de Perlet, 20 thermidor.
  131. Archives nationales, W 501, Déclaration de Didiée.
  132. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, XXXIV, 3.
  133. Barère, Mémoires, II, 220.
  134. Idem, 222.
  135. Le Républicain français, 10 thermidor, n° 614.
  136. É. Fleury, Saint-Just et la Terreur, II, 370.
  137. Archives nationales, WIB 53512.
  138. Lecointre, Robespierre peint par lui-même, cité par Wallon, Tribunal révolutionnaire, V, 220, n.
  139. Le Républicain français, n° 614.
  140. Le Républicain français, p. 2523.
  141. Celle d’André Dumont.
  142. Le mot n’est pas au Moniteur. On y trouve seulement cette mention : – « Robespierre apostrophe le président et les membres de l’Assemblée dans les termes les plus injurieux. » Le Républicain français du 10 (page 2523) cite l’apostrophe de Robespierre en ces termes : – « Président, comment faut-il que tu te trouves aujourd’hui à la tête des assassins ? » Aucun de ces deux journaux ne rapporte le mot fameux : – « C’est le sang de Danton qui t’étouffe ! » ni l’appel de Robespierre à la droite : – « C’est à vous, hommes purs, que je m’adresse. » Il est bien probable qu’elles[sic] n’ont pas été prononcées, du moins textuellement ; quelque arrangeur aura traduit par ces formules devenues légendaires, certaines bribes de dialogue, moins caractéristiques, échangées dans le tumulte entre Robespierre et ses collègues.
  143. Lozeau : – « Personne ne pensait à mettre Robespierre jeune en cause ; il voulut partager le sort de son frère. Il ne se trouva personne pour s’opposer à cet attentat. Croirait-on que la mise en arrestation de Robespierre jeune et de Le Bas excita une joie féroce… ? » Baudot, Notes historiques, 81.
  144. Deuxième rapport de Courtois, p. 46, note.
  145. Deuxième rapport de Courtois, p. 145.