Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/2/03

RIVALITE
DE CHARLES-QUINT
ET
DE FRANCOIS Ier

LE CONNETABLE DE BOURBON
SI7GE DE MARSEILLE. - BATAILLE DE PAVIE.



I

À son arrivée devant Marseille, le duc de Bourbon occupa les hauteurs qui entouraient la ville de l’est à l’ouest : il y dressa son camp ; les lansquenets furent placés non loin du rivage de la mer, les Espagnols eurent leur quartier vers la plaine Saint-Michel et le chemin d’Aubagne, et les Italiens se postèrent entre les lansquenets et les Espagnols. Le point d’attaque fut pris au nord. Depuis le couvent franciscain de l’Observance jusqu’à la porte d’Aix, sur un espace d’environ mille pas, la place paraissait moins forte. Dans cet espace étaient compris la tour de Sainte-Paule, qui flanquait les remparts au dehors, l’évêché et la vieille église de Saint-Cannat, qui y adhéraient au dedans. C’est par là que les impériaux résolurent de canonner la ville et de l’assaillir. De la chapelle de Saint-Lazare, où s’établit Pescara, le duc de Bourbon en fit les approches avec prudence. Pendant la nuit, couverts par des gabions, logés dans des tranchées, ses soldats se livrèrent aux travaux de cheminement, qu’on essaya de troubler soit de la ville, soit de la flotte, par des sorties et des descentes ; mais ni les unes ni les autres ne réussirent. Les assiégés durent regagner leurs murailles, et les marins remonter sur leurs navires, après avoir perdu du monde et laissé des prisonniers entre les mains des ennemis.

Le duc de Bourbon plaça sur une hauteur une batterie qui obligea la flotte française, venue vers la plage d’Arenc pour inquiéter le flanc droit de l’armée impériale, à reprendre le large[1]. Il s’avança ensuite de plus en plus, et au bout de quatre jours il se crut assez près de la ville pour la battre en brèche[2]. Le 23, ses canons tirèrent sur les murailles du côté où se trouvait le couvent de l’Observance ; dans la journée même, ils les entamèrent et y firent une ouverture qui, à la partie supérieure, avait une trentaine de pieds d’étendue, mais n’en offrait pas au-delà de six à la base[3]. Les troupes, pleines d’ardeur et rendues confiantes par les succès qu’elles avaient obtenus sur les assiégés, repoussés dans les tentatives qu’ils avaient faites pour troubler les opérations du siège, demandèrent à monter à l’assaut. On s’y attendait dans la ville. Renzo da Ceri, Brion et les capitaines des Marseillais, à la tête des troupes et des habitans armés, étaient en bataille sur les remparts, dans les tranchées, au débouché des rues, prêts à recevoir vigoureusement les impériaux, s’ils paraissaient ; mais ceux-ci trouvèrent la brèche insuffisante, et n’attaquèrent point. Peut-être, en montant à l’assaut avec une impétuosité hardie, eussent-ils abattu toute résistance et emporté la ville. Le lendemain, il n’était plus temps. Dans la nuit du 23 au 24, le vigilant Renzo da Ceri, sans perdre un moment et à force de bras, avait fermé la brèche à l’intérieur avec des tonneaux remplis de terre, des fascines, des pierres, des poutres, et élevé un arrière-rempart à la place où la vieille muraille avait été ouverte.

Bourbon et Pescara, croyant leurs canons trop petits ou leur poudre trop faible pour faire de loin une brèche à travers laquelle ils pussent pénétrer dans Marseille, résolurent de s’en approcher davantage. Ils avaient d’ailleurs besoin de ménager leurs munitions, qui n’étaient pas abondantes. Ils cessèrent presque de tirer, et par des tranchées obliques ils s’avancèrent vers la ville avec l’intention d’en saper les murailles et de les renverser par la mine[4]. En même temps, Bourbon envoya Beaurain devant la tour de Toulon, où étaient des pièces d’un plus fort calibre et un grand amas de poudre et de boulets. Beaurain par terre et Ugo de Moncada par mer devaient assiéger cette forteresse, que ne défendrait point la flotte française, chargée de protéger Marseille à l’ouest et de maintenir libre l’accès du port.

La suspension du feu et le cheminement des impériaux du côté des murailles menacées par la sape et la mine avertirent les Marseillais du nouveau danger auquel ils étaient exposés. On prit aussitôt les mesures les plus propres à y faire face. Deux édifices, l’un antique et vénéré, l’église de Saint-Cannat, l’autre vaste et agréable, la résidence de l’évêque, touchaient à la partie des murailles vers laquelle marchaient souterrainement les impériaux[5]. Ils furent abattus sans hésitation, comme l’avaient été les faubourgs et les maisons des champs des Marseillais, de peur que l’ennemi n’y parvînt et ne s’y logeât. Après avoir ainsi déblayé les remparts de ce qui pouvait mettre obstacle à la défense, Renzo da Ceri pratiqua au dedans comme au dehors des tranchées longitudinales très profondes qui devaient arrêter les travaux des assiégeans. En même temps il ouvrit dans cette direction des contre-mines. Tout le monde mit la main aux nouvelles tranchées ; les femmes elles-mêmes y travaillèrent avec une ardeur non moins patriotique qu’intéressée : elles se croyaient menacées des derniers outrages par Bourbon, aussi redouté qu’exécré dans Marseille, où on l’accusait de vouloir livrer les personnes à la brutalité comme les maisons au pillage de ses soldats, si la ville était prise de vive force. Les plus riches d’entre elles et les plus délicates, ainsi que les plus pauvres et les mieux endurcies à la fatigue, aidèrent à creuser, à déblayer, à fortifier ces tranchées, qui furent achevées en trois jours, et qui, en leur honneur, reçurent le nom de tranchées des dames[6]. Renzo da Ceri les rempara par de hautes levées de terre formant de larges parapets percés de meurtrières, et derrières lesquels étaient placés et abrités de nombreux et habiles tireurs. Ces moyens de défense s’étendaient du couvent de l’Observance et de la tour de Sainte-Paule à la porte d’Aix. Tout en se livrant à ces travaux, les assiégés, par de vives et fréquentes sorties, troublaient les impériaux dans leurs manœuvres et allaient les inquiéter jusque dans leur camp. Jour et nuit, ils veillaient à la garde de la ville, dont les rues étaient éclairées par des torches et des lanternes qu’on allumait aux fenêtres des maisons de peur des surprises.

Le duc de Bourbon, malgré son peu de progrès devant Marseille, qu’il n’avait pu ni intimider ni forcer, ne se découragea point ; mais la confiance qu’il avait d’abord inspirée autour de lui commençait à fléchir, et les chefs de ses troupes doutaient beaucoup de la reddition ou de la prise d’une ville qui opposait une résistance aussi opiniâtre. Bourbon, dans l’orgueilleuse opinion où il était de son irrésistible ascendant, avait annoncé que Marseille ne tarderait pas à lui ouvrir ses portes, ainsi que l’avaient fait les autres villes de Provence. Pescara le lui rappela avec un ironique à-propos. Le 10 du mois de septembre, vingt-deux jours depuis l’ouverture du siège, un coup de canon tiré de la tour de l’Horloge tua, non loin de lui, dans le quartier de Saint-Lazare un prêtre qui disait la messe et deux gentilshommes. Au mouvement qui se fit, Bourbon, alors dans le voisinage, s’approcha de Pescara et lui demanda ce que signifiait ce bruit. « Sans doute, répondit l’Espagnol en raillant, ce sont les consuls de Marseille qui vous apportent les clefs de la ville[7]. »

Le duc ne s’opiniâtra pas moins à s’en rendre maître. Il la serra de plus près. Il avait reçu pour la solde de son armée cent mille ducats que lui avait apportés sir John Russell de la part d’Henri VIII. Il fut rejoint par une partie des troupes qu’il avait laissées en Piémont. Trois fortes pièces d’artillerie et six canons moyens lui furent amenés, avec une grande quantité de munitions, de la tour de Toulon, qu’avaient prise le 2 septembre Beaurain et Ugo de Moncada. Les nouvelles le plus impatiemment attendues lui arrivèrent coup sur coup d’Espagne et d’Angleterre, et l’entretinrent dans toutes ses espérances. L’empereur lui avait envoyé le comte de Montfort pour lui annoncer la venue prochaine de l’armée de Catalogne, à laquelle il avait prescrit d’entrer en France, et Gregorio Casale, revenu de Londres, lui donna, au nom de Henri VIII et de Wolsey, l’assurance que les troupes anglaises étaient prêtes à descendre en Picardie[8]. Bourbon avait déjà dépêché deux jours auparavant vers l’empereur le capitaine Loquinghan[9], en le conjurant de hâter la marche du corps auxiliaire, sans lequel il ne pouvait rien entreprendre de décisif, et de fortifier sa flotte pour la rendre, maîtresse de la mer. Il lui écrivit de nouveau en insistant de plus en plus : « Votre affaire, lui disait-il, n’en peut que bien aller, et serons suffisans pour donner la bataille au roi de France. Si nous la gagnons, ce que j’espère Dieu aidant, vous vous en allez le plus grand homme qui oncques fut, et pourrez donner la loi à toute la chrétienté[10]. »

Lorsqu’il avait touché l’argent apporté par sir John Russell, il en avait remercié Henri VIII et lui avait écrit : « Monsieur, je vous supplie très humblement faire avancer votre armée par-deçà, et je mettrai peine de ce côté de vous aller voir en tirant de Lyon à Paris[11]. » Croyant alors à la diversion de l’armée anglaise et désirant pour la sienne un nouvel envoi d’argent, il écrivit à Wolsey que dans huit ou dix jours il aurait pris Marseille, et que, dans quinze au plus tard, il comptait être joint par les troupes de Catalogne. « Notre délibération, ajouta-t-il, est d’aller trouver le roi François, qui est par-deçà le Rosne avec son armée. S’il ne se renforce plus qu’il n’est à présent, j’espère que ferons un très bon service à l’empereur et au roi[12]. »

Avant de mettre en batterie les gros canons amenés de Toulon dans son camp, le duc de Bourbon proposa une conférence à Renzo da Ceri et à Brion, dans l’intention sans doute de leur persuader que toute résistance serait bientôt inutile et de leur offrir une capitulation avantageuse, alors qu’il en était encore temps ; mais Renzo et Brion refusèrent de s’aboucher avec lui : ils répondirent qu’ils n’entendaient traiter qu’à coups d’arquebuse et de canon. Cependant les Marseillais n’étaient pas sans inquiétude. Malgré l’opiniâtreté heureuse de leur défense et la vigueur persistante de leur résolution, ils craignirent à la longue d’être forcés, s’ils n’étaient pas secourus. Ils envoyèrent en députation auprès du roi deux d’entre eux, Pierre Cépède et Jean Bègue, pour l’informer de ce qu’ils avaient fait jusqu’alors, l’instruire de la reddition de Toulon, lui annoncer que la grosse artillerie destinée à protéger cette place avait été transportée au camp impérial, d’où elle allait battre Marseille et pouvait servir à la prendre, s’il n’accourait pas la dégager. Embarqués dans le port, les deux ambassadeurs de la ville assiégée prirent terre un peu avant l’embouchure du Rhône et s’acheminèrent vers François Ier. Ils le trouvèrent au milieu de son camp à Caderousse, un peu au-dessus d’Avignon.

Après des retards inévitables, et non sans de grandes difficultés, François Ier était parvenu à refaire une armée. Il avait déployé une activité soutenue et habile en pourvoyant à la défense de Marseille et en rassemblant les troupes à la tête desquelles il se proposait de descendre en Provence. La conspiration du rebelle qu’il allait combattre et le procès de ses complices n’avaient cessé de l’occuper. Ainsi qu’il en avait menacé le parlement de Paris, il avait quelque temps auparavant adjoint à ses membres deux présidens du parlement de Toulouse, deux présidens du parlement de Bordeaux, deux présidens du parlement de Rouen, le président du parlement de Bretagne et un conseiller du grand conseil, afin qu’ils prononçassent de concert sur les adhérens de messire Charles de Bourbon[13]. Il avait désigné surtout à leur rigueur Aymard de Prie, d’Escars, le chancelier de Bourbonnais Popillon, Desguières et Brion. Les juges procédèrent à de nouveaux interrogatoires, sans faire usage de la torture pour arracher aux accusés des aveux plus étendus. Leur sentence, qu’ils ne prononcèrent pas aussi vite que le recommandait François Ier, avait tout l’air d’un acquittement. Sans rien changer au jugement de Brion et de Desguières, ils décidèrent qu’Aymard de Prie, Pierre Popillon et d’Escars seraient élargis et relégués dans telle ville du royaume qu’il plairait au roi de leur assigner[14].

François Ier, en apprenant cette décision, se montra aussi surpris qu’irrité. Il allait partir de Blois pour marcher contre le connétable, qui venait de pénétrer en Provence ; aussi écrivit-il au parlement du ton de la défiance, du commandement et de la menace, comme s’il le suspectait de n’être pas défavorable à sa rébellion. « Nous avons trouvé vos arrêts fort étranges, vu le temps où nous sommes. Pour ce, nous vous mandons et expressément enjoignons de n’élargir aucunement les prisonniers, mais de les tenir en bonne et seule garde, en sorte qu’ils ne puissent échapper, et n’y faites faute sur vos vies. Au demeurant, vous avisons que nous allons à Lyon pour empescher que Charles de Bourbon et aultres nos ennemis n’entrent dans notre royaume, ce que il nous sera facile de faire, et à notre retour vous ferons savoir de nos nouvelles, vous assurant que ledit Charles de Bourbon n’est pas encore en France[15]. »

Le parlement lui ayant aussitôt répondu qu’il ne passerait outre à l’élargissement, mais qu’il voulait prononcer les arrêts de peur que le peuple ne murmurât et ne l’accusât de refuser justice, François Ier éclata de plus en plus. « À ce que nous voyons, lui écrivit-il de la route, vous estes délibérés persévérer dans votre erreur et préférer vos volontés particulières à notre honneur, service, et au bien de tout le royaume, voulant déclarer que vous avez fait justice et que nous voulons l’empêcher ; nous ne saurions le souffrir ni permettre, et pour ce nous vous mandons et défendons que vous n’ayez à autrement prononcer les dits arrests, ni élargir les dits prisonniers d’où ils sont, et n’y veuillez faire faute sur tant que craignez à nous désobéir et déplaire, autrement nous en ferons telle démonstration que en sera exemple aux autres[16]. » Il continua sa marche, et comme des trois citations exigées pour procéder au jugement régulier du connétable contumace, les deux premières avaient été faites dans ses états, François Ier écrivit sept jours après de Bourges de donner contre lui le troisième défaut, sans épuiser les délais et sans attendre son assistance[17]. Il voulait que le parlement se mît en mesure de le condamner comme rebelle, tandis qu’il allait le combattre comme ennemi public.

L’armée qu’il avait réunie dans la vallée du Rhône était considérable. Bien que les Suisses fussent mécontens de l’inexécution de ses promesses, qu’il eût à se plaindre de leur indiscipline croissante et de leur récent abandon, il avait demandé aux cantons et il avait obtenu d’eux une levée de plus de six mille hommes. Deux corps de lansquenets venus des bords de la Moselle et du pays de Gueldre, et placés sous le commandement de François de Lorraine et de Richard de la Poole, avaient fortifié son infanterie, à laquelle se joignirent plusieurs troupes d’aventuriers français. Ne voyant pas opérer de descente sur la côte de Picardie, il crut, la saison étant déjà avancée, qu’il ne serait attaqué ni par les Anglais ni par les Flamands, et il fit acheminer vers le sud du royaume la plus grande partie des hommes d’armes, avec La Trémouille, le comte de Guise et tous les vaillans chefs qui avaient défendu la frontière du nord-ouest contre l’invasion de l’année précédente. Il appela même auprès de lui le jeune roi Henri de Navarre, que le retour volontaire et le séjour prolongé de Charles-Quint au-delà des Pyrénées après la prise de Fontarabie laissaient sans inquiétude pour ses propres états, et qui vint le joindre avec une troupe de belliqueux Gascons. Réunissant ainsi de divers points une armée considérable, que les lenteurs des confédérés lui avaient donné le temps de former, et que leur inaction du côté de l’Angleterre, des Pays-Bas et de l’Espagne lui permettait de concentrer vers le sud, il se rendit plein de confiance au milieu d’elle. Sa vaillante ardeur s’exprimait dans ses lettres avec un accent aussi patriotique que spirituel. Il marchait à la délivrance de son royaume comme à une fête. Il écrivait même le 11 août, de Vienne en Dauphiné, au maréchal de Montmorency, d’un ton peut-être un peu trop dégagé pour un prince dont le territoire était envahi, le pressant d’accourir auprès de lui et d’amener tous les hommes d’armes qui ne l’avaient pas encore rejoint. « Je vous advise, lui disait-il, que je pars demain de cette ville pour aller droit en mon camp, que je fais dresser à trois lieues d’Avignon. Et pour autant que je ne scais si l’on parle de la guerre à Blois ou là où vous estes, je vous veux bien advertir qu’il en est ici très grand bruit, et me semble que, si vous en voulez avoir votre part, vous ferez bien de vous hâter et mettre diligence à faire marcher toute la gendarmerie que vous trouverez en chemin[18]. »

C’est dans ce camp que François Ier reçut les députés de Marseille. Il les accueillit avec grand honneur, loua leur courage comme leur fidélité, et les exhorta à défendre leurs murailles jusqu’à ce qu’il parût devant elles pour en chasser l’ennemi. Il promit de délivrer bientôt leur ville, où fut alors introduit un secours de quinze cents hommes, venus par mer du côté d’Arles et des Martigues avec toute une flottille de bateaux chargés de farine, de vins, de bestiaux[19]. Il remit aux députés, pour leurs compatriotes, une lettre bien propre à les entretenir dans leur valeureuse résistance. « Nous vous prions, y disait-il, estre de bonne volonté et continuer à faire votre devoir comme très bien et loyalement l’avez fait jusques ici, de quoi vous en sçavons très bon gré, et croyez que nous reconnoîtrons ci-après les services que nous aurez rendus. De votre loyale fidélité il sera mémoire perpétuelle, et elle servira d’exemple aux autres[20]. « Au retour de Pierre Cepède et de Jean Bègue du camp royal, les principaux habitans de Marseille furent convoqués à son de trompe pour savoir le résultat de leur mission et entendre lire la lettre de François Ier. Animés par les louanges et les remercîmens du roi, confians dans ses assurances, les Marseillais s’apprêtèrent à soutenir l’effort de l’ennemi et à repousser l’assaut dont ils étaient menacés.

Bourbon s’était rapproché de la ville par ses tranchées, et il avait mis en batterie les grosses pièces venues de Toulon. Cette artillerie avait tiré avec furie et sans interruption du côté de l’ancienne brèche, entre le couvent de l’Observance et la porte d’Aix. Le 24 septembre, après avoir essuyé plus de huit cents coups de canon[21], le rempart avait été abattu sur une étendue de cinquante pieds vers le haut, mais de beaucoup moins vers le bas. Dix hommes de front pouvaient pénétrer par cette large ouverture et se précipiter dans la ville. Bourbon, l’ayant trouvée plus que suffisante, fit taire ses canons et mit son armée en bataille pour monter à l’assaut. Les Marseillais étaient prêts à la bien recevoir. Ils occupaient en bon ordre les fortes positions et les ouvrages défensifs qui s’élevaient aux abords et sur les derrières de la brèche. Près de six mille soldats de toutes armes avaient été distribués dans ces divers postes. Les arquebusiers et les escopettiers, du fond des tranchées et du haut des bastions, devaient par leurs décharges jeter le désordre parmi les assaillans, tandis que les piquiers et les hommes d’armes, tout resplendissans sous leur armure impénétrable, devaient les repousser avec le tranchant des hallebardes et la pointe des lances, si le feu ne les arrêtait pas. Le fossé profond qui avait été creusé entre la brèche et la ville était rempli de poudre, de matières inflammables, de machines à explosion, et le bord intérieur de ce fossé était flanqué d’un rempart large et haut, aussi aisé à défendre que rude à escalader. Outre les nombreuses troupes de la garnison, les habitans de Marseille en armes gardaient les ouvertures des rues barricadées et en occupaient les principales places[22].

C’est contre cette ville précédée de tranchées qu’il fallait franchir, couverte d’ouvrages qu’il fallait enlever, hérissée de défenseurs qu’il fallait vaincre, que s’avança hardiment le duc de Bourbon avec les impériaux, moins résolus que lui. Le feu qu’ils essuyèrent à leur approche les arrêta. Ayant su que derrière la brèche étaient des fossés remplis de poudre, de résine, de pétards, de pointes de fer, et par-delà les fossés un nouveau rempart, ils ne voulurent pas poursuivre l’attaque. L’armée tout entière recula devant le danger d’un assaut qui serait aussi sanglant, et qu’on jugeait devoir être inutile. Les lansquenets, désignés les premiers pour tenter l’escalade de la brèche, s’y refusèrent. Les Espagnols, pressés par Bourbon, n’y consentirent pas davantage. Pescara, qui croyait l’entreprise plus que téméraire, les en détourna lui-même avec sa verve familière. — « Les Marseillais, leur dit-il, ont apprêté une table bien couverte pour traiter ceux qui les iront visiter. Si vous avez envie d’aller souper aujourd’hui en paradis, courez-y. Si vous n’y songez nullement, ainsi que je le crois et que je le fais, suivez-moi en Italie, qui est dépourvue de gens de guerre et va être menacée[23]. » Sollicités à leur tour, les Italiens refusèrent comme les Espagnols et les Allemands. Bourbon, désespéré et désobéi, dut ramener l’armée dans ses quartiers en renonçait à emporter la ville de vive force ce jour-là.

S’obstinerait-il à camper devant Marseille, si difficile à prendre ? Marcherait-il contre l’armée française, qui approchait sous le commandement du roi, et dont l’avant-garde, conduite par le maréchal de La Palisse, n’était pas éloignée ? Il n’était plus maître de ses troupes découragées, qui ne se croyaient ni en mesure d’enlever une place ainsi défendue, ni en état de résister à une armée nombreuse et enhardie. Rien de ce qu’il avait demandé avec tant d’insistance et de ce qui lui avait été plusieurs fois annoncé n’avait été fait par le vice-roi de Naples, par l’empereur, par le roi d’Angleterre. Il était presque abandonné en pays ennemi sans les forces suffisantes pour s’y avancer et même pour s’y soutenir. Lannoy, soit mauvaise volonté comme on l’en accusait, soit impossibilité comme il le mandait plus tard à Charles-Quint, ne lui avait pas envoyé tous les hommes de pied[24] et tous les hommes d’armes qui devaient le rejoindre. C’est ainsi qu’une portion de l’infanterie et de la cavalerie qu’attendait Bourbon lui manqua pendant toute la campagne.

De son côté, Charles-Quint, qui avait donné l’ordre de faire marcher par la frontière de Roussillon les Espagnols et les Allemands[25] qu’il avait en Catalogne, ne pourvut pas avec assez de promptitude et de précision à leur passage ; il le promit de bonne heure, le commanda tard et ne le fit pas exécuter du tout. La lenteur espagnole s’étant ajoutée à la lenteur impériale, ces troupes, tant de fois réclamées et si absolument nécessaires, ne s’étaient pas encore mises en mouvement vers l’automne. Charles-Quint les contremanda, et crut que leur assistance serait utilement remplacée par l’envoi d’une nouvelle somme d’argent[26]. Après avoir tenu les cortès de Castille afin de se procurer une somme considérable, il avait le projet de se faire accorder aussi des subsides par les Aragonais, les Catalans et les Valenciens. Les Espagnols des divers royaumes s’intéressaient peu à ses entreprises extérieures, mais ils cédaient à ses volontés. La défaite des comuneros, les avait disposés à la soumission. Bien qu’ils ne comprissent point l’importance politique et qu’ils n’ambitionnassent pas la gloire onéreuse d’agrandissemens lointains, inutiles à leur sûreté et funestes à leurs droits, ils ne se refusaient pas à y concourir de leurs deniers et de leurs soldats.

Quant à Charles-Quint, il visait moins à déposséder François Ier de son royaume qu’à l’abattre sous des revers assez grands, pour le contraindre à la paix en renonçant à l’Italie et en cédant la Bourgogne. C’était en ce moment le but où tendaient ses efforts. Il avait dépêché à Rome, comme négociateur de la paix sous la médiation du pape, le seigneur de La Roche, qui y portait neuf projets aboutissant presque tous, par des combinaisons diverses, à rendre le duché de Milan indépendant de la France, et à faire rentrer le duché de Bourgogne sous la domination espagnole[27]. Il crut sans doute alors que le duc de Bourbon, en recevant l’argent nécessaire au paiement de l’armée, serait en état de s’emparer de Marseille, et, après avoir pris cette importante ville, de se maintenir dans sa conquête, d’où François Ier ne pourrait le débusquer que par une bataille qu’il ne livrerait point de peur d’y hasarder son royaume. L’échange postérieur de la Provence avec la Bourgogne l’aurait conduit à ses fins. Heureusement il négligea les moyens qui seuls lui auraient permis d’y parvenir.

Henri VIII avait été tenu jusque-là dans l’inaction par de timides conseils et de faux calculs que son ministre Wolsey avait crus profonds. Il n’avait rien voulu exposer à moins d’être certain d’un succès qui dépendait surtout de sa coopération. Pour qu’une armée anglaise descendît en Picardie, il exigeait que le duc de Bourbon eût pénétré dans l’intérieur de la France, que son arrivée y eût produit une révolution, ou que la défaite de François Ier eût facilité la conquête du royaume, resté sans défense[28]. La promesse d’une diversion n’avait été faite au duc de Bourbon que pour l’encourager dans son entreprise. Aussi Wolsey avait très mal accueilli les instances de Richard Pace, qui n’avait pas craint de lui écrire qu’il lui attribuerait les revers de l’expédition, s’il négligeait de prendre les mesures propres à en assurer la réussite, et l’accuserait d’avoir fait perdre au roi leur maître la couronne de France. Il lui avait reproché avec une amère moquerie la témérité offensante de ses conseils. « Vous demandez, lui disait-il, que le roi, avec toute la célérité possible, profitant de l’opportunité qu’il a de recouvrer sa couronne de France, s’avance dans ce royaume avec son armée, soit en personne, soit par lieutenant, et, pour faciliter l’entreprise, vous voudriez que je misse en gage mon chapeau de cardinal, mes croix, mes masses et moi-même[29]. » Au lieu d’envoyer des troupes, il avait transmis un plan de campagne.

Il répondait à l’ambassadeur de Henri VIII qu’on avait débattu en conseil ce qu’il convenait de faire : que le duc de Bourbon devait s’emparer d’abord des villes de Marseille et d’Arles, et s’engager ensuite dans l’intérieur du pays ; que tant qu’il resterait en Provence, le roi d’Angleterre ne pouvait s’exposer, ni exposer une armée anglaise à une attaque où le roi François Ier aurait l’avantage ; qu’aussitôt qu’il aurait pris Marseille et Arles, il devait passer le Rhône, se diriger vers Lyon et s’enfoncer dans les entrailles de la France ; qu’en apprenant sa marche, François Ier, ou irait au-devant de lui pour l’arrêter, ou se retirerait sans oser lui livrer bataille ; que si le roi se hasardait à combattre, le duc le vaincrait ; que s’il s’enfermait dans Lyon pour défendre cette place, très faible, le duc l’y prendrait ; que s’il se retirait en fuyant, le duc le poursuivrait. À la nouvelle des progrès du duc, ajoutait-il, Henri VIII ne manquerait pas d’opérer en Picardie la descente dont il faisait les préparatifs : il assemblait déjà quatorze mille Anglais, avait ordonné de lever en Allemagne cinq mille hommes de pied et six mille chevaux, et dépêché vers la gouvernante des Pays-Bas Jerningham, pour requérir le corps auxiliaire que l’empereur s’était engagé, par le dernier traité, à joindre à l’armée anglaise. Il assurait enfin que les troupes, les charrois, les vivres, les munitions, les attelages de l’artillerie, tout serait prêt dans les derniers jours de septembre, et qu’alors le roi d’Angleterre se porterait sur Paris ou sûr Rouen, selon que le duc de Bourbon le désirerait[30]. En apportant si peu de concert et tant de lenteur dans l’exécution d’une entreprise qui exigeait de la part de tous les confédérés la promptitude et l’accord, Wolsey empêchait qu’elle ne réussît. Déjà compromise en ce moment par les retards que le vice-roi de Naples avait mis à fortifier l’armée d’invasion en la complétant, par l’imprévoyante incurie de l’empereur, qui n’avait pas envoyé en Languedoc les troupes de Catalogne, par l’inaction trop circonspecte du roi d’Angleterre, qui n’avait pas opéré sa descente en Picardie, cette entreprise, dont l’issue aurait pu être si funeste à la France, était totalement ruinée à la fin de septembre.

Après avoir voulu donner l’assaut à Marseille et ne l’avoir pu, le duc de Bourbon avait tenu conseil avec les chefs de ses troupes. Ceux-ci avaient trouvé qu’il serait peu sage et fort dangereux de rester plus longtemps devant une ville que le roi de France venait délivrer à la tête d’une puissante armée ; ils furent d’avis de lever le siège. Bourbon, dont l’orgueil entretenait l’opiniâtreté, et que la passion portait à l’audace, voulait tout au moins, en abandonnant Marseille, marcher à la rencontre du roi, lui livrer bataille, et rétablir par une victoire l’honneur de l’armée qu’il commandait et les affaires des souverains qu’il représentait ; mais il rencontra pour la bataille la même opposition que pour l’assaut. Ses capitaines dirent que le roi de France n’accepterait pas le combat et ne pourrait pas y être forcé ; qu’il aimerait mieux gagner du temps, les retenir jusqu’à l’hiver en Provence, où les vivres et l’argent leur manqueraient également, les attaquer alors et les détruire ; que leurs soldats, qui n’étaient pas entièrement payés, ne consentiraient ni à se battre ni à rester, et qu’ils commençaient à se mutiner[31]. Ils conclurent qu’il fallait non-seulement lever le siège de Marseille, mais évacuer la Provence et reprendre en toute hâte le chemin de l’Italie. Entraîné malgré lui par les résistances des capitaines et les dispositions des soldats, il se décida à la retraite. Pendant deux jours, il en fit les préparatifs avec lenteur et comme à regret. Il jeta dans la mer des amas de boulets qu’il ne pouvait pas emporter, il enterra quatre gros canons, et envoya, traînées par des chevaux, d’autres pièces à Toulon, d’où elles devaient être embarquées pour Gênes. Les petits canons de campagne furent placés sur des mulets, et le 29 septembre l’armée leva le camp en se dirigeant vers les Alpes maritimes.

François Ier s’était rapproché des impériaux pendant les derniers jours du siège de Marseille. Quoique ses forces fussent supérieures aux leurs, il ne chercha point à les jeter dans une position semblable à celle où il fut placé lui-même cinq mois après à Pavie, en les pressant entre son armée et la valeureuse garnison qui s’était si bien défendue. Avec une prudence louable, il n’avait rien voulu hasarder, aimant mieux demeurer en observation devant des troupes aguerries que de les pousser au désespoir par une attaque inconsidérée et de s’exposer à les rendre victorieuses. Il était assuré que Marseille ne laisserait pas forcer ses murailles, et que les impériaux, bientôt réduits à évacuer la Provence, regagneraient l’Italie, sinon en désordre, du moins dans l’affaiblissement d’une retraite. Aussi, dès qu’il sut qu’ils avaient levé leur camp, il lança sur leurs derrières le maréchal de Montmorency à la tête de quelques compagnies d’hommes d’armes, d’une grande partie de la cavalerie légère et d’une bande d’arquebusiers. Il lui ordonna d’inquiéter leur marche, de les assaillir sans s’exposer, de les accompagner ainsi jusqu’au-delà du Var[32], et dépasser ensuite les montagnes à gauche par le col de Tende, afin de le joindre en Italie, où il se rendrait lui-même, avec le gros de son armée, par le col de Suze, après avoir remonté la vallée de la Durance.

La retraite des impériaux se fit sans désordre. Leur armée s’achemina vers le Piémont en marchant de nuit et de jour. Le vigilant Pescara en dirigeait l’arrière-garde, qui remplaçait dans les mêmes logemens l’avant-garde aussitôt que celle-ci avait achevé sa halte et pris un peu de repos. Il tenait à ne laisser tomber personne des siens entre les mains des paysans, ameutés déjà sur les flancs de l’armée impériale, de peur qu’ils ne prissent goût à les poursuivre et à les tuer. Une fois il ne put pas réveiller du sommeil dans lequel ils étaient plongés quelques lansquenets qui avaient trop bu du vin du pays. Les chevau-légers du roi de France paraissaient à l’horizon, et les gens de la campagne n’attendaient que son départ pour égorger les Allemands endormis. Il les fit brûler dans la grange d’où il ne parvenait pas à les faire sortir, et il continua sa retraite avec une inexorable régularité[33]. Les soldats avaient leurs vêtemens en lambeaux et manquaient de souliers. Aussi, lorsqu’on tuait des bœufs ou des moutons pour leur nourriture, ils en prenaient plus avidement encore la peau que la chair, pour la couper en lanières et s’en faire des chaussures (abarcas). Ils disaient en murmurant contre Bourbon que c’étaient là les chaussures de brocart qu’il leur avait promises en les conduisant en France.

Tandis que les impériaux précipitaient leur retraite, poursuivis par le maréchal de Montmorency, François Ier s’était rendu à Aix afin d’y reprendre possession de la Provence. Il y parut le 1er octobre en maître irrité. Il y fit décapiter le consul de Prat, qui avait prêté serment de fidélité au duc de Bourbon, et avait accepté de lui la charge de viguier. Après avoir rétabli l’autorité royale dans la capitale de la province recouvrée, avoir transmis à la fidèle et courageuse ville de Marseille les témoignages d’une gratitude qu’il promit d’aller lui exprimer plus tard, il partit pour l’Italie.

L’invasion de la France avait échoué deux fois, la première fois au nord, la deuxième au sud. Heureusement les confédérés l’avaient moins bien exécutée que conçue ; ils avaient été arrêtés par l’insuffisance de leurs moyens d’attaque et leur défaut de concert, tout comme par la vigueur de la résistance qu’ils avaient rencontrée et qu’ils n’avaient pas prévue. En 1523, Paris, couvert par les places de Picardie, n’avait pas eu besoin de se défendre contre eux ; en 1524, Marseille seule avait suffi à les repousser. La France était de nouveau délivrée, et le théâtre de la guerre allait être transporté encore une fois en Lombardie.


II

Au moment où sa situation était des plus dangereuses, où son armée d’Italie avait été détruite, où la plus méridionale des provinces de son royaume était envahie, François Ier avait chargé un camérier de Clément VII, qui traversait la France en revenant d’Espagne, de dire au pape qu’à la tête de trente mille hommes il passerait en personne les Alpes à l’automne. « Si je ne le fais pas, avait-il ajouté, je permets à sa sainteté de ne jamais plus me croire et de ne m’estimer ni comme un roi ni comme un chrétien[34]. » Il put exécuter au mois d’octobre ce projet, qui semblait si chimérique lorsqu’il l’annonçait au mois de juin, et tenter encore une fois la conquête de la Haute-Italie. D’Aix, où il était resté quatre jours, il se dirigea en toute hâte vers les Alpes. Il remonta la vallée de la Durance par Manosque, Sisteron, Chorges, Briançon, impatient de déboucher à Pignerol, dans la plaine de Piémont, où il voulait précéder l’ennemi. En se retrouvant dans ces montagnes qu’il avait traversées au début de son règne pour descendre en Lombardie et gagner la bataille de Marignan, il était transporté d’espérance et de joie. On montrait moins d’ardeur et de confiance autour de lui. Ses capitaines les plus expérimentés trouvaient la saison trop avancée et n’étaient pas d’avis d’entreprendre une campagne d’hiver. Ils commençaient d’ailleurs à redouter l’Italie comme l’écueil permanent de nos armes, et à n’y voir qu’un tombeau où ils allaient tour à tour s’engloutir.

Mais François Ier ne souffrit de leur part ni objection, ni retard. Il était décidé à réparer l’affront de l’invasion à laquelle venait d’être exposé son royaume par l’éclat d’une conquête qu’il croyait indubitable, et qu’il supposait devoir être définitive. Afin d’animer les siens de ses sentimens belliqueux, il leur exposa vivement la nécessité et l’utilité de cette expédition. « Soldats et amis, leur dit-il, puisque la fortune nous a conduits en ce lieu, secondons ses volontés par notre honnête résolution. Que la hauteur de ces grandes montagnes ne vous effraye ni rebute ! Je vous assure sur ma foi que, si nous sommes les premiers en Italie, la guerre est terminée sans combat. Courage donc. Sachons nous commander par vertu, oublions plaisirs et maisons, et au prix d’un peu de fatigue affermissons à jamais le repos de la France[35]. »

Il mena rapidement son armée et son artillerie jusqu’au sommet des Alpes sans se laisser arrêter par les obstacles permanens des lieux et sans rencontrer les obstacles ordinaires de la saison. Le temps semblait le favoriser. Les pluies n’étaient pas encore tombées dans les vallées, et les neiges n’avaient pas couvert les flancs des montagnes, dont les cimes seules étaient blanchies par les glaciers éternels. Les rivières étaient guéables et les passages libres. François Ier les franchit heureusement. Il arriva avec ses troupes à Verceil le jour même où l’armée impériale, partie de Finale, avait traversé les Alpes maritimes en se portant à Alba, comme pour défendre l’accès du Piémont. Réduite en nombre, épuisée de fatigue, ayant laissé une partie de ses bagages et de son artillerie dans les âpres chemins qu’elle avait parcourus et où elle avait été poursuivie, découragée par la mauvaise issue d’une entreprise avortée, cette armée était hors d’état d’empêcher l’invasion de la Lombardie, après avoir échoué elle-même dans l’invasion de la France. Demeuré à Asti, sur les revers italiens des montagnes, avec une partie des fantassins et des hommes d’armes qu’avait si instamment réclamés et si vainement attendus le duc de Bourbon pendant qu’il était devant Marseille, le vice-roi de Naples avait espéré néanmoins qu’en les réunissant aux débris de l’armée impériale qui revenait de Provence, il pourrait arrêter la marche des Français et empêcher leur entrée dans le Milanais[36], mais il perdit cette espérance lorsque, s’étant replié d’Asti à Alba, il eut conféré avec le marquis de Pescara et le duc de Bourbon. Il vit bien que des troupes affaiblies et découragées étaient dans l’impossibilité de s’opposer à une armée fraîche, nombreuse, puissante, que commandait un roi valeureux et entreprenant.

Les chefs impériaux renoncèrent même à garder la ligne du Tessin. Ils comprirent qu’ils devaient se borner à occuper les points qui pouvaient être défendus afin de ne pas livrer la totalité du duché de Milan. Ils résolurent de conserver Alexandrie sur le Tanaro, où ils laissèrent deux mille hommes, Como sur le lac de ce nom, Pavie sur le Tessin, Lodi et Pizzighitone sur l’Adda, enfin Crémone sur le Pô. Ils essayèrent même de tenir dans Milan, dont l’imprenable citadelle restait entre leurs mains. En un jour, Pescara fit plus de trente milles, et alla, par Voghera, jeter une forte garnison de cinq mille Allemands, cinq cents Espagnols et trois cents hommes d’armes dans Pavie. La défense de cette ville, la seconde du duché, fut confiée à Antonio de Leyva, soldat de fortune formé dans les guerres d’Italie, que désignaient à un commandement aussi important et aussi difficile la plus rare vigueur et l’habileté la plus attentive. Le reste de l’armée remonta vers Milan avec l’espérance d’y entrer avant les Français et de s’y soutenir en attendant l’arrivée de dix mille lansquenets[37], que le vice-roi fit lever en Allemagne.

Mais cette ville, dans laquelle dominait le parti de l’indépendance italienne sincèrement dévoué à un chef national, Francesco Sforza, venait d’être ravagée par la peste ; elle avait perdu une grande partie de ses habitans, et, ouverte sur plusieurs points, elle n’avait pas le moyen de se défendre. Sur le conseil même de Girolamo Morone, ministre du duc, elle s’était décidée à ouvrir ses portes à François Ier et à prévenir sa ruine par sa soumission. Une députation avait porté les clefs de la ville au roi, qui était arrivé dans le voisinage, à Abbiate-Grasso, après avoir franchi le Tessin. Néanmoins le lendemain le capitaine Alarcon, à la tête de deux cents chevaux, ayant pénétré dans Milan, y annonça la venue du duc de Bourbon, du vice-roi de Naples et du marquis de Pescara, qui approchaient avec le reste des troupes. Ils y entrèrent en effet au milieu des transports de joie des Milanais qui, revenus à leurs sentimens naturels, crièrent : Vive le duc ! vive l’empire !

Déjà trois cents hommes d’armes et six mille hommes de pied détachés de l’armée française s’avançaient, sous Théodore Trivulzi, pour occuper Milan. Craignant que ce corps insuffisant ne fût repoussé par les impériaux, qui s’étaient introduits dans la ville, François Ier se mit en marche pendant la nuit avec toute l’armée, afin de le soutenir et de se rendre maître de Milan de vive force[38] ; mais les impériaux ne l’y attendirent point. Ayant promptement vu que la ville était trop dépeuplée et dans un trop pauvre état de défense pour qu’il fût prudent de s’y renfermer, Bourbon, Lannoy et Pescara aimèrent mieux la livrer sans combat que la faire prendre après avoir essuyé une défaite ; ils en sortirent donc par la porte de Como et par la porte de Rome au moment où les Français y entraient par la porte de Verceil. Ils se retirèrent vers Lodi et allèrent s’établir sur l’Adda.

François Ier prit possession de Milan, dont il confia la garde au seigneur de La Trémouille, qu’il y laissa avec trois cents hommes d’armes et huit mille hommes de pied. La supériorité de ses forces était si grande, qu’on le croyait prêt à redevenir le dominateur de l’Italie. En agissant vite, en portant à ses ennemis dispersés des coups sûrs en même temps que rapides, il pouvait s’emparer du Milanais et envahir ensuite le royaume de Naples. Les généraux de l’empereur ne semblaient point en mesure de s’y opposer. La belle armée qui avait fait en 1523 et en 1524 la double campagne de Lombardie et de Provence, qui avait battu Bonnivet et assiégé Marseille, était fondue ; les débris en étaient disséminées dans quelques places. On regardait les impériaux comme réduits à une complète impuissance. On avait plaisamment affiché sur la statue de Pasquin à Rome : « Il s’est perdu une armée dans les montagnes de Gênes ; si quelqu’un sait ce qu’elle est devenue, qu’il vienne le dire ! il lui sera donné une bonne récompense[39]. » La plupart des états italiens, y compris le pape, la seigneurie de Florence, la république de Venise, étaient prêts à délaisser l’alliance de Charles-Quint.

Le roi de France suivrait-il les impériaux vers Lodi pour les empêcher d’y attendre des renforts et de se refaire ? S’il poursuivait le dernier noyau de l’armée impériale sur l’Adda, s’il en rejetait les restes dans les états vénitiens, les places qui tenaient encore pour Sforza et que gardaient les soldats de Charles-Quint, perdant l’espérance d’un prochain secours, se rendaient, et l’empereur, abandonné par les princes italiens, était réduit à faire la paix en cédant le duché de Milan afin de conserver le royaume de Naples. Cette marche vers Lodi fut conseillée à François Ier par plusieurs de ses capitaines[40] ; mais Bonnivet fut d’un avis différent. Malgré les revers qu’il avait essuyés naguère, il avait conservé la faveur de François Ier, qui avait toujours en lui la plus grande confiance. Il prétendit que la place de Lodi, successivement fortifiée par Francesco Sforza et par Federico da Bozzolo, et défendue par les troupes encore nombreuses de l’empereur, ne serait pas facile à emporter et qu’en l’attaquant on s’exposerait à échouer devant ses murailles. Il soutint qu’au contraire il serait aisé de s’emparer de Pavie ou de force ou par la défection des lansquenets, qu’on savait mal payés, qu’on disait mécontens, et sur lesquels Antonio de Leyva ne pouvait pas avoir beaucoup d’autorité. Selon lui, les Allemands réduits ou gagnés, il deviendrait impossible aux Espagnols, privés de leur grosse infanterie, de se maintenir dans le Milanais, et ils se retireraient en toute hâte au royaume de Naples. François Ier le crut et se transporta devant Pavie avec toute l’armée, espérant qu’après avoir battu ou séduit la garnison de six mille hommes qui était enfermée dans cette importante ville, il serait le maître du Milanais tout entier et pourrait même entreprendre l’invasion de Naples. En ce moment, Pescara mettait en état de défense Lodi, qu’il avait trouvé mal fortifié, sans vivres et sans munitions. Il craignait d’y être attaqué avant d’être en mesure de s’y soutenir. Aussi, en apprenant que le roi de France, au lieu de marcher sur l’Adda, était allé camper vers le Bas-Tessin, il dit avec une joie prévoyante et une confiance fondée : « Nous étions vaincus, avant peu nous serons vainqueurs[41]. »

François Ier ne différa pas son attaque, s’il la dirigea du mauvais côté. Dès le 26 octobre, vingt jours après être parti d’Aix, il parut en vue de Pavie. Il l’investit aussitôt, en attendant la grosse artillerie dont il devait se servir pour battre ses murailles. Seconde ville du duché de Milan, Pavie avait été autrefois la capitale du royaume d’Italie. Attachée de tout temps à la cause de l’empire, elle s’était conservée gibeline avec une opiniâtre fidélité. Elle était grande et riche, couverte de monumens et d’églises, célèbre par son université comme par son histoire. Elle avait une vaste enceinte de murailles, garnies de tours, précédées de fossés, flanquées de bastions, défendues du côté qui faisait face à Milan par une citadelle, et l’on n’y pénétrait que par des portes fortifiées. Assise pour ainsi dire sur les bords du Tessin, elle voyait couler à l’ouest cette rapide rivière sortie du Lac-Majeur, qui, changeant de direction à une lieue de ses murailles, venait la baigner au sud et tombait un peu plus bas dans le Pô. Vers le point où il coulait au sud, le Tessin se divisait en deux bras, dont le principal longeait Pavie, et dont le moindre, le Gravalono, décrivait une courbe assez spacieuse. Entre leur séparation au-dessus de la ville et leur jonction au-dessous, ces deux bras formaient une île où se trouvait le faubourg Saint-Antoine, qu’unissait à Pavie un pont de pierre couvert d’une galerie et défendu par une tour. Au nord de la place, en face de la citadelle et du côté de Milan, s’étendait le fameux parc de Mirabello, dont le nom même indiquait le site et l’agrément. Le parc de Mirabello, embrassant un espace d’environ dix mille carrés, entouré d’une épaisse muraille qui le fermait des quatre côtés et dans laquelle étaient pratiquées des portes à pont-levis, descendait presque jusqu’à Pavie. C’était un magnifique lieu où les anciens ducs de Milan allaient demeurer dans la belle saison et prendre les plaisirs de la chasse. La résidence ducale de Mirabello était ornée comme un palais, fortifiée comme un château, et son vaste parc, rempli de bois, couvert de prairies, traversé de cours d’eau, et où se livra quatre mois après la fameuse bataille du 24 février, offrait une certaine variété d’aspects et divers accidens de terrain.

Pavie, qui avait au sud les deux bras du Tessin et au nord la citadelle confinant presque au parc de Mirabello, était moins bien protégée du côté de l’ouest, tourné vers Alexandrie. Le Tessin, avant de se courber et de diviser ses eaux, y coulait à une assez grande distance de son enceinte. Entre les rives du fleuve et ses murailles s’élevaient, en s’échelonnant, la belle abbaye de San-Lanfranco, l’église de San-Salvator, entourée d’habitations, et le Borgaretto. L’armée française pouvait attaquer par là Pavie commodément et avec avantage, en ayant, il est vrai, le Tessin à dos, mais longtemps sans danger. Du côté de l’est, au-delà de la muraille du parc et des fortifications de la ville, s’étendaient des monticules et des vallons qu’occupaient les abbayes et les églises de San-Paolo, Santo-Spirito, San-Giacomo, San-Pietro-in-Verzolo, Sant’Appollinari, et descendaient à peu de distance les uns des autres des cours d’eau plus ou moins profonds, tels que la Vernavola, l’Olona et le Lambro, qui couraient se jeter dans le Tessin ou dans le Pô.

La ville devant laquelle allait se décider le sort de l’Italie[42] était défendue par un capitaine déjà éprouvé, et que ses fortes qualités militaires réservaient à une plus haute fortune. Antonio de Leyva s’y était enfermé avec cinq mille lansquenets allemands, cinq cents arquebusiers espagnols, trois cents hommes d’armes et deux cents chevau-légers, que devaient seconder le zèle soutenu et le dévouement courageux des habitans de Pavie. Diligent et prévoyant, avisé en même temps qu’intrépide, il joignait à une vigilance que personne ne devait surprendre une fermeté que rien ne pouvait abattre. Antonio de Leyva pourvut d’abord à la défense de la ville, releva les murailles là où des pierres en étaient tombées, rempara ce qui menaçait de fléchir, creusa des tranchées intérieures sur les points les plus menacés d’être battus en brèche et d’être ensuite emportés d’assaut. Il distribua les quartiers à ceux qui devaient les garder, et après avoir réglé la subsistance comme la défense de la place, il se tint prêt à repousser l’attaque de l’armée française.

François Ier, gardant auprès de lui l’amiral Bonnivet et le bâtard de Savoie, s’établit avec la plus grande partie des troupes vers l’abbaye de San-Lanfranco et l’église de San-Salvator, à l’ouest de Pavie. Le maréchal de La Palisse se porta avec l’avant-garde, dont son ancienneté lui donnait le commandement, sur les hauteurs qui longeaient la ville du côté de l’est. Le duc d’Alençon et le grand-écuyer San-Severino occupèrent le parc de Mirabello à la tête d’un corps considérable[43], et le maréchal de Montmorency, suivi de trois mille lansquenets, de deux mille Italiens, de mille Corses et de deux cents hommes d’armes, se logea de force dans l’île que formaient au sud les deux bras du Tessin. Après avoir pris la tour qui fermait l’entrée du pont de pierre conduisant de l’île dans Pavie, et en avoir fait pendre tous les défenseurs pour avoir osé résister, disait-il, à une armée du roi dans un tel poulailler[44], il se trouva en face de la ville. Antonio de Leyva ordonna aussitôt de rompre le pont de communication, et le maréchal de Montmorency, qu’il menaça de meurtrières représailles[45], se vit arrêté aux bords du Tessin. Les troupes françaises cernèrent alors la place de tous les côtés.

Dès qu’il eut reçu ses gros canons, François Ier ouvrit des tranchées pour approcher de la ville. Les batteries furent assises le 6 novembre, et le feu commença. Des pièces de fort calibre battirent la place dans la partie orientale, et d’autres de dimension encore plus grande tirèrent contre la partie occidentale. Après trois jours de feu non interrompu, les murailles écroulées offrirent des brèches suffisantes, et l’assaut fut décidé. François Ier espéra enlever Pavie par une vive attaque, opérée simultanément sur les deux points ouverts. Les troupes, que conduisait d’un côté le maréchal de La Palisse, et qu’animait de l’autre la présence du roi, montèrent aux brèches : elles les escaladèrent en laissant sur la route beaucoup d’hommes abattus par les coups d’arquebuse des assiégés ; mais, arrivées au sommet, elles trouvèrent la résistance la plus vigoureuse et la plus opiniâtre. Antonio de Leyva avait habilement placé ses lansquenets et ses Espagnols sous le comte de Lodron pour faire face à l’attaque du maréchal de La Palisse, et sous le comte de Hohenzollern pour soutenir celle qui s’exécutait du côté du roi. Il s’était transporté lui-même sur le point le plus menacé. Les assaillans, dont le feu de la place avait éclairci les rangs, furent reçus vers le haut des brèches à coups de pique. Après une heure d’impétueuse agression et de ferme résistance, ils se retirèrent, ayant perdu beaucoup de monde. François Ier voulut recommencer le lendemain. Il fit mettre à pied ses hommes d’armes, qui, couverts de leur cuirasse et formant la tête de la colonne, devaient ouvrir la marche et forcer la brèche. Tout était prêt pour un second assaut, mais ayant appris que par-delà les murailles se trouvaient des tranchées profondes et bien flanquées, et que des arquebusiers étaient postés dans les maisons crénelées du voisinage, il renonça à une nouvelle attaque qui aurait été plus meurtrière sans être plus heureuse[46].

Ne pouvant pas pénétrer dans Pavie par les côtés trop bien défendus de l’est et de l’ouest, François Ier espéra s’en rendre maître du côté du sud, où la ville, que protégeaient les eaux du Tessin, n’avait ni tours ni remparts. Il fallait pour cela détourner le bras principal du fleuve, afin de rendre accessible l’abord méridional de la place et de s’y jeter, en partant de l’île qu’occupaient le maréchal de Montmorency et Federico da Bozzolo. C’était une œuvre des plus hasardeuses. François Ier la tenta. Au-dessus de Pavie, il fit creuser un autre lit au Tessin pour lui donner un autre cours[47]. Pendant que les Français travaillaient à ouvrir au fleuve un nouveau passage et se disposaient à barrer l’ancien avec des arbres, des pierres et des terres, les assiégés ne furent pas sans crainte. Aussi Antonio de Leyva, qui avait fait diligemment remparer les brèches de la ville, fortifia de son mieux la partie maintenant menacée et jusque-là totalement dégarnie. Ces précautions toutefois ne furent pas nécessaires. D’abondantes pluies grossirent soudainement les eaux du Tessin, qui, devenu plus impétueux et rendu plus profond, emporta les machines des Français et détruisit leurs travaux. Il fallut renoncer à changer la direction du fleuve comme à donner l’assaut à la ville, que François Ier ne parvint pas mieux à surprendre par le sud qu’à enlever par l’est et par l’ouest.

Il s’obstina cependant à rester sous ses murailles, et il ne désespéra point de s’en rendre maître. À défaut de la force, il compta sur le temps, et il disposa tout pour réduire Pavie à capituler. Sans abandonner des attaques plus propres à fatiguer la garnison qu’à conduire dans la place, il changea le siège en blocus. Il se retrancha dans les positions qu’il occupait autour de Pavie et il accrut son armée, qui était déjà très nombreuse. Il demanda aux cantons suisses des troupes de plus, fit venir cinq mille Grisons, et prit à sa solde l’un des hommes de guerre les plus entreprenans, le fameux Jean de Médicis, chef des bandes noires italiennes. Jean de Médicis était un valeureux condottiere, ayant sous ses ordres trois mille soldats aguerris. Dans les campagnes précédentes, il avait utilement servi l’empereur, dont les généraux, soit négligence, soit défaut d’argent, ne l’avaient pas enrôlé cette fois. Il passa du service de Charles-Quint au service de François Ier, qui ne l’établit pas loin de lui, au camp de Pavie.

Les diverses parties de ce camp communiquaient entre elles pour s’entendre et au besoin s’assister. Des ponts jetés sur le Tessin en dessus et en dessous de Pavie conduisaient de l’île, où était Montmorency, au quartier du roi à San-Lanfranco et à celui de La Palisse à San-Giacomo. Par-delà le Tessin, l’armée, en relation avec le comté d’Asti et la Lomelline, recevait les vivres qui lui venaient des riches plaines du Piémont. Il y avait comme un immense marché et une foire perpétuelle dans le parc de Mirabello. Les troupes de François Ier avaient tout en abondance. Logées dans des églises et des abbayes, établies sous des tentes, occupant des huttes souterraines, livrées à un mouvement animé pendant le jour, éclairant la plaine de leurs feux durant la nuit, elles semblaient former une ville qui en ceignait circulairement une autre[48]. Malgré les rigueurs d’une saison très froide, elles attendaient patiemment que la place de Pavie, qui manqua bientôt de bois, de vivres, d’argent et de munitions, se rendît, faute de pouvoir payer les lansquenets, trouver à subsister et continuer à se défendre. Le roi ne doutait pas de l’avoir assez promptement à sa merci, et, pour mieux s’assurer la possession du Milanais, il avait donné l’ordre à sa flotte dans la Méditerranée, sur laquelle était Renzo da Ceri avec la garnison de Marseille, de se diriger vers le sud de l’Italie, afin de prendre part à une expédition qu’il préparait contre le royaume de Naples. Il comptait ainsi devenir bientôt le dominateur de la péninsule.


III

Les Italiens le croyaient aussi. Ils regardaient François Ier comme prêt à ressaisir dans leur pays la prépondérance qu’il y avait exercée neuf années auparavant, après l’invasion de 1515 et la victoire de Marignan. Tous se tournaient vers lui avec les anciens empressemens. Le duc de Ferrare lui prêtait cinquante mille écus et lui envoyait cinquante chariots chargés de poudre et de boulets[49]. Les Vénitiens, qui avaient naguère quitté son alliance pour s’unir à Charles-Quint, sommés par le vice-roi de Naples de remplir les conditions de la ligue et de joindre leur armée aux troupes impériales, afin de soutenir en Lombardie le duc Francesco Sforza, à qui Charles-Quint envoyait l’investiture du duché de Milan, non-seulement ne se hâtaient pas de le faire, mais ils étaient en négociation avec François Ier[50]. Le pape Clément VII leur en avait donné l’exemple. Ayant sous sa main tout le centre de la péninsule, disposant des états de l’église comme souverain pontife, dirigeant la république de Florence comme chef de la maison de Médicis, Clément VII était recherché par les deux princes qui se disputaient l’Italie. Charles-Quint tâchait de le maintenir dans son alliance, François Ier n’oubliait rien pour l’amener à la sienne. Les tentatives qu’il avait faites, peu de temps après son élévation au pontificat, afin de rétablir entre eux un accord impossible, n’avaient eu aucun succès. Clément VII avait désapprouvé l’expédition de Provence. Avec une clairvoyance pénétrante, il avait prévu qu’elle échouerait, et il avait annoncé que l’invasion manquée de la France provoquerait une invasion nouvelle de l’Italie[51]. Lorsque. François Ier fut descendu dans les plaines de la Lombardie sans rencontrer devant lui d’autre obstacle que quelques villes où s’étaient retirés les restes de l’armée dissoute de l’empereur, Clément VII le considéra comme le maître certain du Milanais. Craignant sa puissance, il travailla à se concilier son amitié.

Il avait repris les négociations vainement entamées naguère pour rétablir la paix ou ménager une suspension d’armes entre les deux souverains. Au lieu d’en charger cette fois l’archevêque de Capoue, qui était plus porté pour l’empereur que pour le roi de France, il confia cette mission au dataire Giovan Mattheo Giberto, qui, très favorable à François Ier, avait contribué à le détacher lui-même de Charles-Quint. Giberto possédait depuis longtemps toute la confiance de Clément VII et avait beaucoup de pouvoir sur son esprit. Il se rendit d’abord à Soncino, où se trouvait le vice-roi de Naples, un peu au-delà de l’Adda, dans la Lombardie vénitienne. Le vice-roi s’y occupait à refaire, tout près de Lodi, l’armée de l’empereur ; il avait instamment pressé le souverain pontife de fournir le contingent auquel le saint-siège était tenu pour la défense de l’Italie. Le dataire Giberto et le Florentin P. Vettori, envoyés peu de temps après au vice-roi par Clément VII, dirent à Lannoy que le pape, en sa qualité de pasteur suprême, devait s’employer à remettre d’accord les monarques chrétiens. Ils ajoutèrent que Clément VII, comme prince italien, redoutait la puissance du roi de France, dont l’armée, s’il se déclarait contre lui après avoir occupé le Milanais, que l’empereur n’était plus en état de lui disputer, renverserait sans peine les Médicis dans Florence et pénétrerait même sans obstacle sur le territoire de l’église. Ils prétendirent que le devoir et l’intérêt du souverain pontife l’obligeaient dès lors à procurer la paix entre l’empereur et le roi, que cette paix était d’ailleurs nécessaire à l’empereur, car elle sauverait le royaume de Naples de l’invasion qui le menaçait. Ils soutinrent que, François Ier ne voulant pas renoncer au Milanais et se trouvant assez fort pour en devenir à jamais le maître, il fallait prévoir ce résultat inévitable et le rendre le moins nuisible à l’Italie et le moins désavantageux à l’empereur, en obtenant que le Milanais fût détaché de la France sous un des fils puînés du roi à qui l’empereur en donnerait l’investiture, et qui y régnerait avec indépendance et en prince italien. Ils demandèrent donc que l’état de Milan fût laissé en dépôt au souverain pontife, que les impériaux évacuassent la citadelle de Milan et la forteresse de Pizzighitone, ainsi que les villes d’Alexandrie, de Como, de Pavie, de Lodi, de Crémone, et se retirassent dans le royaume de Naples, tandis que les troupes françaises repasseraient les Alpes. Le pape, entre les mains duquel serait remis le duché, conclurait une ligue armée avec les Vénitiens et les Florentins pour assurer le repos de la péninsule et protéger le royaume de Naples. Sans cela, le pape traiterait avec le roi de France dans le double intérêt du saint-siège et des Médicis, et il ne s’opposerait point au passage des troupes destinées à attaquer l’Italie inférieure[52].

Ces propositions furent repoussées avec hauteur par le vice-roi. Il répondit qu’il y aurait pour l’empereur trop de honte à mettre en séquestre l’état de Milan, et il déclara qu’il ne traiterait pas avec le roi de France tant que le roi de France conserverait une palme de terrain en Italie. Les offres de Clément VII, que Lannoy rejetait comme déshonorantes pour Charles-Quint, ne parurent pas même suffisantes à François Ier. Le dataire, qui passa plusieurs fois d’un camp à l’autre, s’était transporté auprès de lui. Il l’avait trouvé non moins exigeant qu’altier. Poussé par d’ambitieux désirs, croyant à sa force et comptant sur des succès, François Ier avait dit à l’envoyé du pape : « J’ai bon espoir d’occuper bientôt Pavie. Toutes mes mesures sont prises, mes provisions sont faites, et mes gens de guerre payés. J’attends le mois prochain 1,400,000 francs, et je fais venir de nouvelles troupes. Je n’ai point passé les Alpes de ma personne, et je ne suis pas de si petite prudence que d’être descendu en Italie avec trente mille bons piétons et d’être accompagné d’une flotte sur laquelle se trouvent six ou sept mille hommes de guerre pour m’arrêter. Je ne veux rien moins que tout l’état de Milan et le royaume de Naples[53]. »

L’incertain et embarrassé Clément VII, qui aspirait à devenir l’arbitre de l’Italie en réconciliant les deux adversaires et en obtenant le renvoi de leurs troupes, ne réussit ni auprès de l’un ni auprès de l’autre. Il ne parvint point à persuader Lannoy et à contenir François Ier. Lannoy essaya tout aussi vainement de ramener le pape à l’empereur en calmant ses craintes et en lui garantissant le maintien des Médicis dans Florence et l’inviolabilité des États-Romains. L’armée impériale, en ce moment affaiblie, allait, selon lui, redevenir puissante : dix mille lansquenets, qu’il avait demandés en Allemagne, étaient sur le point de la joindre. L’archiduc Ferdinand, venu tout exprès dans les gorges du Tyrol, préparait d’autres renforts, que devait accroître encore et conduire bientôt au camp impérial le duc de Bourbon, qui faisait des levées en Souabe. Clément VII ne croyait pas que l’armée de Charles-Quint fût en état de se soutenir dans la Haute-Italie, et il ne le désirait point. Ses victoires lui auraient encore moins convenu que ses revers, parce qu’elles auraient mis à la discrétion de l’empereur toute la péninsule, et l’auraient réduit lui-même à n’être que son chapelain. La politique et la crainte faisaient pencher Clément VII du côté de François Ier. Cependant, si le roi de France était en ce moment le plus fort en Italie, l’empereur pouvait le redevenir plus tard, et le cauteleux pontife avait intérêt à ne pas se brouiller irrévocablement avec lui. Il ménagea donc les deux adversaires qu’il n’avait pas convertis à ses projets : il resta l’allié inutile de l’un en devenant l’ami clandestin de l’autre. Il fit remettre mystérieusement 6,000 ducats au vice-roi de Naples[54], en assurant qu’il ne pouvait pas en donner davantage, et quelques jours après il conclut avec François Ier un traité très secret[55], dans lequel furent compris les Florentins et les Vénitiens. Ces anciens alliés de l’empereur se séparèrent de lui sans s’unir au roi de France. Ils s’engagèrent à n’accorder aucune assistance à Charles-Quint, et en retour François Ier promit de maintenir l’autorité des Médicis dans Florence, et plaça sous sa protection les inconstans Vénitiens et l’équivoque Clément VII.

Le pape ne s’opposa même plus à l’envoi d’une armée française du côté de Naples. L’établissement du roi de France dans la Basse-Italie ne lui aurait pas mieux convenu que la domination de l’empereur dans la haute ; mais il espérait qu’à la simple menace d’une semblable invasion, les troupes espagnoles quitteraient la Lombardie pour courir au secours de Naples, et par l’abandon du Milanais faciliteraient l’arrangement qui convenait à sa politique. Ce but fut sur le point d’être atteint. François Ier détacha, sous le duc d’Albany, un corps d’armée qui dut s’acheminer, par la Toscane et le territoire du saint-siège, vers le royaume dont la maison de France se regardait comme héritière, que Charles VIII avait conquis et perdu, que Louis XII avait repris et partagé avec le roi Ferdinand d’Aragon, et sur lequel François Ier avait cédé ses droits à Charles-Quint sous des conditions que Charles-Quint n’avait pas remplies. Il y restait un parti attaché à la France, que l’apparition d’une armée pouvait soulever et rendre redoutable à l’Espagne. Le corps chargé de cette expédition se composait de six mille hommes de pied, de six cents hommes d’armes, et devait se renforcer à Livourne de deux ou trois mille soldats descendus de la flotte avec Renzo da Ceri, et dans les États-Romains de quatre mille Italiens que les Orsini levaient sur leurs terres.

Par cette expédition, François Ier songeait moins encore à s’emparer du royaume de Naples qu’à opérer de ce côté une diversion[56]. Il s’imaginait, comme Clément VII, que les troupes espagnoles descendraient dans l’Italie inférieure et lui abandonneraient le Milanais, qui tomberait ainsi tout entier plus vite et plus aisément entre ses mains. Cette séparation de ses forces était une manœuvre habile ou une faute dangereuse, selon que les impériaux courraient défendre Naples ou resteraient sur l’Adda. Si elle ne lui donnait pas tout de suite la Lombardie, elle l’y affaiblissait et l’exposait plus tard à un grand revers. Lannoy fut très alarmé du péril qui menaçait un royaume sans chef et sans soldats. Il écrivit à Charles-Quint pour le dissuader de continuer une guerre qu’il était réduit à soutenir seul, et dont les charges devenaient de plus en plus accablantes. Il l’avertit qu’en s’obstinant à rétablir Francesco Sforza, il exposait sa propre puissance. « Prenez garde à vos affaires ! lui disait-il ; vous défaites une couronne pour radouber un chapeau de duc : c’est une chère marchandise[57]. » Lannoy eut un moment la pensée d’évacuer le Milanais et de se replier sur Naples ; mais le marquis de Pescara, qui seul était auprès de lui, le duc de Bourbon n’étant pas encore revenu d’Allemagne, lui montra fort habilement tout ce qu’avait de dangereux ce mouvement, si opportun en apparence. Il lui représenta que conduire les soldats impériaux au sud de l’Italie, c’était en abandonner le nord aux Français, qui ne manqueraient pas de le suivre dès qu’ils auraient occupé le Milanais, qu’il se trouverait alors placé sans des forces suffisantes entre l’armée grossie du duc d’Albany et l’armée victorieuse du roi de France, et qu’après avoir imprudemment délaissé le duché de Milan, il courait risque de perdre le royaume de Naples[58]. Il ajouta que le sort du royaume comme du duché devait se décider dans les plaines de la Lombardie, qu’il fallait attendre sur l’Adda les renforts sans lesquels on ne pouvait rien entreprendre, combattre le roi de France après les avoir reçus, bien certain qu’en gagnant la bataille, du même coup on sauverait Naples et acquerrait Milan.

Le vice-roi de Naples fut en ce moment ébranlé. Il craignit, s’il continuait la guerre, de compromettre tout ce que l’empereur possédait en Italie, et il crut que l’intérêt de son maître réclamait la conclusion de la paix ou au moins une trêve. Il s’était porté à Crémone, un peu au-dessous du point où l’Adda entre dans le Pô, pour y surveiller les mouvemens du duc d’Albany. De Crémone, il dépêcha le commandeur Peñalosa au duc de Sessa, ambassadeur de Charles-Quint à Rome, afin de reprendre les négociations que Clément VII avait essayées sans succès entre les deux princes. « Le seigneur duc, disait-il dans les instructions remises à Peñalosa, doit, sans perdre une heure de temps, amener le pape à l’un des trois partis suivans[59] : 1° une suspension d’armes pour donner le temps de consulter l’empereur et d’attendre sa réponse sur la proposition que le dataire Giberto avoit faite au vice-roi de rendre sa sainteté dépositaire des états de Milan ; 2° une trêve pendant laquelle chacun garderoit ce qu’il possédoit, et les forces que de part et d’autre on tiendroit sur pied seroient limitées ; 3° le dépôt immédiat entre les mains du pape de ce qui étoit occupé en Lombardie, soit par le roi de France, soit par le duc de Milan, avec l’établissement d’une trêve et la désignation du lieu et du moment où s’assembleroient les plénipotentiaires chargés de régler les stipulations de la paix. » Si le duc de Sessa n’obtenait aucun de ces trois points, le vice-roi, usant des pouvoirs dont il était investi, allait, dans l’excès de son découragement et de sa crainte, jusqu’à l’autoriser à céder le duché de Milan. Il demandait seulement que sur les revenus du duché on prélevât ce qui était dû à la garnison de Pavie, on donnât une pension annuelle au duc Francesco Sforza, et l’on détachât 50,000 ducats de rente pour le duc de Bourbon. Lannoy invitait le duc de Sessa à se hâter, parce que le temps lui faisait encore plus la guerre que l’ennemi, et il ajoutait : « Ce qui sera accordé entre le pape et le duc, que le duc me l’apprenne par un courrier qui vienne en volant, afin que je sache comment j’ai à me gouverner. »

Moins découragé que son vice-roi, Charles-Quint venait de lui écrire qu’il ne négligerait aucun sacrifice pour délivrer l’Italie, qu’il avait ordonné l’envoi d’une forte somme d’argent à son armée, que ses navires sur le littoral de la Méditerranée étaient prêts à transporter sept mille fantassins espagnols, qu’il faisait renforcer sa flotte à Gênes, qu’il cherchait à persuader au roi d’Angleterre d’attaquer la France du côté des Pays-Bas en joignant ses troupes à la cavalerie flamande. Cependant, comme les Anglais paraissaient enclins, depuis qu’ils avaient su l’entrée du roi de France dans Milan, à conclure une trêve jusqu’au mois de mai 1526, il autorisait le vice-roi de Naples à la conclure également, s’il le trouvait nécessaire, et il prescrivait au duc de Sessa de suivre les indications du vice-roi, sans attendre de nouveaux ordres[60]. Quelque temps après, l’empereur ayant appris l’accord que le pape, les Florentins et les Vénitiens, ses anciens alliés, avaient fait avec le roi de France, et l’aide en argent et en munitions que lui avait même donnée le duc de Ferrare, il s’en montra très courroucé. Il trouva que Clément VII, qui lui devait son élévation au pontificat[61], était imprudent comme Italien, ingrat comme pape. Il menaça les Vénitiens de les faire repentir plus tard de lui avoir manqué de foi sans motif. Il dit que le duc de Ferrare pourrait bien pleurer un jour l’assistance qu’il accordait aux Français. Il défendit au duc de Sessa de parler désormais de Luther à Rome. Il avait promis, lorsqu’il était satisfait du pape, d’agir vivement en Allemagne contre l’hérésie en progrès, qu’il ne se proposait plus d’y poursuivre alors qu’il était mécontent de lui. Il ajouta du reste qu’il fallait dissimuler en attendant qu’on pût traiter chacun comme il le méritait, suivant qu’il aurait fait le bien ou le mal. Le duc de Sessa devait négocier une paix ou une trêve en se conformant aux instructions du vice-roi de Naples.

Le roi d’Angleterre témoignait plus ouvertement encore son irritation contre le pape ; il envoya le chevalier Gregorio Casale à Rome avec des lettres remplies de plaintes et de menaces. Il blâmait amèrement Clément VII de consentir à ce que l’état de Milan fût laissé au roi de France. Si, dans son mécontentement, l’empereur se refusait à comprimer la croyance luthérienne en Allemagne, lui, dans sa violence, menaçait de l’introduire en Angleterre[62]. Extrême en tout, ce prince véhément, qui avait obtenu naguère de Léon X le titre de défenseur de la foi pour avoir soutenu l’orthodoxie romaine contre Luther, était prêt alors, par ressentiment politique, à se détacher du saint-siège, comme il s’en détacha un peu plus tard sous les emportemens d’une passion déréglée.

Mais bientôt tout changea de face en Italie ; les négociations reprises à Rome n’eurent aucune suite. Le vice-roi de Naples, qui était descendu jusqu’à Crémone dans l’espérance fort vaine de contraindre le roi de France à rappeler le duc d’Albany, revint dans la position qu’il avait un moment quittée. Il y fut joint successivement par les lansquenets de George Frundsberg, de Marx Sittich d’Ems, de l’archiduc Ferdinand et du duc de Bourbon, descendus des Alpes au cœur de l’hiver et arrivés au camp de Lodi du mois de décembre au mois de janvier[63]. Le duc de Bourbon était alors prêt à poursuivre vigoureusement sur le Tessin la guerre qu’il avait voulu, après sa retraite de Provence, transporter dans la vallée même de la Seine. Il avait en effet proposé au roi d’Angleterre de descendre en Picardie au moment où François Ier était avec toutes ses forces en Italie. Il lui avait demandé 200,000 écus d’or pour lever lui-même immédiatement en Allemagne une armée dont il choisirait les capitaines, qui serait toute à sa dévotion, et à la tête de laquelle il pénétrerait en France, entre la Lorraine et la Franche-Comté, et marcherait directement sur Paris. « Jamais, disait-il, il n’y eust plus grande apparence de venir au-dessus du commun ennemy qu’à cette heure, attendeu qu’il est hors de son royaulme, lequel est dépourveu de gens de guerre et malcontent. Parquoy, avec l’intelligence que Mr. de Bourbon y a, il ne peut faillir de faire de grandes choses,… et ne faut point que le roy pense que si Mr. de Bourbon fait son armée à son appétit, qu’il s’en doibve retourner comme il a fait de Provence[64]. » Il avait envoyé Beaurain en Angleterre pour montrer à Henri VIII l’opportunité et la facilité de cette entreprise, et puis il s’était transporté dans le Tyrol auprès de l’archiduc Ferdinand, afin d’en préparer l’exécution, si elle était agréée par Henri VIII. « Sinon, écrivait-il à Charles-Quint, je ne fauldray tout incontinent m’en retourner ici pour vos affaires[65]. » La France avait été assez heureuse pour que le roi d’Angleterre n’adoptât point ces projets d’attaque, qui parurent incertains à sa défiance, coûteux à son avarice. Il ne voulut ni opérer une descente, ni fournir au duc de Bourbon les moyens de tenter une invasion par le chemin qu’il désignait, et où elle n’aurait en ce moment rencontré aucun obstacle de la frontière au cœur du royaume. Le duc s’était forcément résigné, et, sans perdre de temps, avec les troupes que lui avait remises l’archiduc Ferdinand et celles qu’il avait levées pour son propre compte, il était retourné au camp impérial[66].

Dès ce moment, l’armée impériale, renforcée d’au moins quinze mille Allemands, fut presque aussi nombreuse que l’armée française ; elle l’égalait en infanterie, mais elle lui était inférieure en cavalerie et en artillerie. Elle se trouvait dans la nécessité de combattre ; les généraux qui la commandaient ne pouvaient pas la tenir longtemps réunie, ils n’avaient pas d’argent et ne savaient comment s’en procurer ; il était dû aux troupes des sommes considérables, et il fallait 130,000 ducats par mois[67]. Les Espagnols ne recevaient plus rien, et à peine avait-on donné aux lansquenets récemment levés le warlgelt ou arrhes d’enrôlement, sans pouvoir leur remettre un florin de la solde de campagne. Bien qu’ils fussent zélés pour la cause impériale, leur dévouement n’aurait pas résisté au défaut prolongé de paie. Le duc de Bourbon et le marquis de Pescara furent d’avis de les conduire au plus tôt vers le Tessin, afin d’y attaquer le roi de France s’il acceptait la bataille, ou de délivrer Pavie s’il la refusait.

Cette ville était toujours étroitement bloquée ; François Ier, enfermé dans ses retranchemens, campait autour d’elle depuis trois mois ; il la croyait hors d’état de tenir plus longtemps, et il s’attendait d’un moment à l’autre à ce qu’elle capitulât. Il la serrait de si près que rien n’y pénétrait ; la pénurie y était fort grande : dès le mois de novembre, on n’y avait plus mangé de viande de bœuf, de mouton, et les bouchers avaient été réduits à abattre les chevaux, les mulets, les ânes, dont ils vendaient la chair sur leurs étaux. Le bois manquait ainsi que le pain, et dans les rigueurs d’un hiver fort rude, on démolissait les maisons et les églises afin de se chauffer avec les poutres, les planches et les boiseries qu’on en tirait. L’argent n’y était pas moins rare, et les lansquenets demandaient incessamment leur solde ; ils étaient prêts à se battre ou résignés à souffrir, mais à la condition qu’ils seraient payés. Antonio de Leyva avait fait monnayer les vases des églises et les flambeaux d’argent de l’université ; il avait levé à plusieurs reprises des emprunts sur les nobles et sur les marchands de la ville, il avait même fondu une magnifique chaîne d’or qu’il avait au cou ; enfin il s’était servi d’une somme de 3,000 ducats que deux Espagnols venus du camp impérial avaient introduite à grand’ peine et à l’aide d’un stratagème dans Pavie, pour distribuer de temps en temps aux troupes une partie de ce qui leur était dû. Il continuait avec ses infatigables soldats à défendre la ville assiégée contre les Français, dont il repoussait les attaques par de continuelles sorties[68]. Malgré la vigueur opiniâtre de sa résistance, il était exposé à succomber d’un moment à l’autre, faute de vivres et même de munitions, lorsque parurent du côté du nord les enseignes des impériaux.

IV

L’armée de Charles-Quint avait quitté Lodi le 24 janvier 1525[69]. Elle se composait d’un peu plus de vingt mille fantassins, d’environ sept cents hommes d’armes en y comprenant deux cents lances qu’avait amenées d’Allemagne le comte Nicolas de Salm, de cinq cents chevau-légers commandés par Castrioto, marquis de Cività-Sant’Angelo, qui tirait son origine de Scanderberg et la faisait remonter aux anciens rois de Macédoine. Elle n’avait que quelques pièces de canon. Sa force était dans les agiles arquebusiers espagnols dont Pescara devait tirer un si grand parti le jour de la bataille, et dans les masses serrées de ses lansquenets, aussi impétueuses qu’inébranlables, sous la conduite de George Frundsberg et de Marx Sittich d’Ems. L’armée, que commandaient le duc de Bourbon et le vice-roi de Naples, s’était mise en marche, suivie de chariots nombreux portant ses tentes, ses bagages, ses munitions et même ses vivres. Elle s’était emparée, sur le Lambro, de la ville de Sant’Angelo, afin de ne pas laisser après elle une garnison ennemie qui inquiéterait ses derrières et troublerait ses approvisionnemens. En peu de jours, le marquis de Pescara avait emporté cette ville d’assaut. Des bords du Lambro, l’armée impériale avait paru se diriger du côté de Milan, comme pour enlever la capitale du duché aux Français et les contraindre, par cette menace, d’aller à son secours en quittant Pavie ; mais François Ier ne bougea point. Aussi les impériaux, arrivés à Marignan, changèrent de route ; ils descendirent vers Belgiojoso et s’avancèrent du côté de Pavie avec le dessein d’en faire lever le siège ou de livrer bataille.

François Ier n’était pas disposé à refuser le combat. Ses forces restaient supérieures aux leurs, bien qu’il eût détaché de son armée le corps dont il avait donné le commandement au duc d’Albany pour l’expédition de Naples. Il envoya l’amiral Bonnivet, le maréchal de La Palisse et Chabot de Brion avec quatre cents hommes d’armes jusqu’à Belgiojoso, afin de surveiller les mouvemens des impériaux. Se portant lui-même de San-Lanfranco à Mirabello, il ne laissa devant Pavie que ses lansquenets et mit le reste de son armée en bataille, prêt à combattre l’ennemi, s’il s’avançait vers la chartreuse à l’extrémité septentrionale du parc. Il passa sous les armes le 1er et le 2 février, et il dormit pendant deux nuits en homme de guerre, comme il l’avait fait autrefois sur le champ de bataille de Marignan[70] ; mais l’ennemi n’avança pas davantage, et, tournant vers sa gauche, il côtoya l’Olonna et alla dresser son camp à l’est de Pavie.

Cette hésitation des impériaux parut une marque de crainte à François Ier, qui, dans le détour qu’ils avaient fait, vit un refus d’en venir aux mains. Il s’entretint de plus en plus dans la pensée de combattre avec la confiance de vaincre, et fut prêt à mettre un succès certain à la merci d’une bataille douteuse. « Nos ennemis, écrivit-il à sa mère avec jactance, sont allés baiser Milan, puis ils ont paru devant Belgiojoso ; mais l’amiral et quatre cents hommes d’armes leur ont fait tourner le nez. Ils se sont logés entre deux canaux, et, à cela, avons bien pu veoir qu’ils ne veulent point manger de la bataille. Suivant l’opinion que j’en ai toujours eue, je crois que la dernière chose que nos ennemys feront sera de nous combattre, car, à dire la vérité, nostre force est trop grosse pour la leur[71]. »

Les impériaux s’étant portés vers le côté de Pavie par où il semblait le plus facile de secourir cette ville et d’en rompre le blocus, François Ier, par un mouvement habile, se plaça en face d’eux. Il avait quitté San-Lanfranco pour Mirabello ; il se rendit alors du château de Mirabello aux abbayes de San-Paolo, San-Giacomo, San-Pietro, etc., qui s’étendaient à l’orient de la place assiégée. Il s’y établit avec la plus grande partie de ses troupes, laissant les Grisons de Salis et les Italiens de Jean de Médicis à la garde des retranchemens occidentaux et du cours du Tessin, tandis que le maréchal de Montmorency demeurait toujours dans l’île du sud et que le duc d’Alençon, avec un corps de fantassins et la plupart des hommes d’armes, occupait Mirabello et l’intérieur du parc. Distribuées sur des monticules, adossées vers le nord aux murailles du parc, touchant au Bas-Tessin vers le sud, couvertes à l’est par la Vernavola, qui coulait dans un lit assez profond avec des rives escarpées, ses troupes, au milieu desquelles il avait dressé son quartier, eurent une position inabordable, qu’il rendit plus forte encore en l’entourant de fossés et en la flanquant de bastions garnis de pièces d’artillerie. Il en fit un vrai camp retranché. Placé entre Pavie, qu’il serrait de près, et l’armée impériale, à laquelle il barrait le chemin, il empêchait l’une d’être secourue, l’autre de l’attaquer lui-même.

L’armée impériale ne pouvait pas essayer de forcer le passage sans s’exposer à une défaite. Ayant franchi l’Olona, dont elle s’était d’abord couverte, elle s’approcha à un demi-mille de l’armée française, et campa à l’abri d’un terrain qui la protégeait contre l’artillerie des bastions. On était si près les uns des autres que les cris des sentinelles s’entendaient des deux parts, lorsqu’on les plaçait ou les relevait. Les artilleurs français et les couleuvriniers espagnols échangeaient des coups de feu des points les plus élevés de leur camp[72]. Les deux armées restèrent dans cette position durant trois semaines, sans que les impériaux pussent secourir Pavie, ainsi qu’ils en avaient eu le dessein, et sans que les Français l’obligeassent à se rendre, comme ils en avaient l’espérance et s’y attendaient à chaque instant. « Pavie s’en va perdue, écrivait déjà François Ier au commencement de février, s’ils ne la renforcent de quelque chose, et ils tournoyent autour pour la faire tenir jusqu’au dernier soupir, qui, je crois, ne sera pas long, car il y a plus d’un mois que ceux du dedans ne beuvent vin, ne mangèrent chair ni fromage[73]. » Les assiégés manquaient même de poudre. Il fallait que l’armée impériale secourût promptement la place pour l’empêcher de succomber et battît l’armée française pour la secourir. Si elle différait de combattre, elle était réduite à se dissoudre[74]. Elle avait épuisé ses vivres et ne pouvait plus rester sous les armes. C’était par un prodige d’habileté et encore plus d’ascendant que Pescara avait obtenu des Espagnols, Frundsberg des lansquenets, qu’ils tinssent campagne, sans recevoir leur solde, jusqu’à ce qu’on eût joint et vaincu l’ennemi. Il était urgent d’en arriver là. Les impériaux s’y préparèrent de longue main, et préludèrent à la grande bataille par une suite d’attaques hardies et d’entreprises heureuses.

De leur camp, où ils restèrent établis plus de deux semaines, ils firent pénétrer quelques secours dans Pavie par le côté de l’ouest, un peu dégarni depuis que François Ier l’avait quitté avec la masse de son armée. Antonio de Leyva avait surtout besoin de poudre. Le vice-roi, qu’il avertit de son état de détresse, fit partir dans la nuit du 7 au 8 février quarante cavaliers dont chacun portait un sac de poudre, et qui, après avoir tourné le parc, traversèrent des bois et parvinrent sans en être empêchés dans Pavie[75]. Dès lors Antonio de Leyva multiplia ses sorties, qu’il dirigea surtout contre les assiégeans laissés sur le flanc occidental de la ville et qu’il rendit très meurtrières pour eux. Il en fit une que les circonstances favorisèrent singulièrement et qui permit d’introduire des provisions et des bestiaux dans Pavie. François Ier avait pris à son service des Grisons qui campaient devant la ville bloquée du côté de l’ouest. Pendant qu’ils assistaient à ce siégé, le rusé châtelain de Musso, qui tenait le parti de Charles-Quint et de Francesco Sforza, s’était emparé par stratagème de la forteresse de Chiavanna, clef de leurs vallées sur le lac de Como. Épouvantés de la perte d’une position aussi importante et voyant leurs montagnes ouvertes, les chefs de la ligue grise avaient rappelé en toute hâte leurs compatriotes du camp de François Ier, afin qu’ils accourussent à la défense de leur pays menacé. Les Grisons n’hésitèrent point. Malgré les engagemens qu’ils avaient contractés et la solde qu’ils avaient déjà touchée, moins sensibles à l’idée de l’honneur qu’au sentiment de la sûreté, ils partirent sans se laisser arrêter par aucune représentation, sans écouter aucune prière, et ils laissèrent l’armée du roi affaiblie à la veille d’une bataille. Le jour même où ils quittèrent les retranchemens français pour retourner dans leurs montagnes, Antonio de Leyva sortit de Pavie avec une forte partie de la garnison ; il les attaqua vivement, les maltraita beaucoup sur leurs derrières, et rentra dans la place avec un butin considérable.

Ce ne fut pas le seul affaiblissement qu’éprouva François Ier. Un corps de troupes qui descendait des Alpes pour se rendre à son camp, s’étant arrêté sans précaution sur la Bormida, y fut surpris par les impériaux enfermés dans Alexandrie, battu, dispersé, détruit. Le délaissement des Grisons, la défaite du corps que faisait venir François Ier furent suivis d’une perte plus grave encore ; Antonio de Leyva, dans une de ses sorties, avait jeté le désordre parmi les Italiens des bandes noires et en avait tué un grand nombre[76]. Jean de Médicis voulut prendre sa revanche, et il attira la garnison enhardie dans une embuscade où elle eut beaucoup à souffrir ; mais un coup d’arquebuse lui brisa la jambe et le contraignit à quitter le camp. Sa blessure laissa sans chef la troupe qu’il commandait, et qui se dispersa en partie. Elle priva l’armée de l’homme de guerre qui ressemblait le plus à Pescara et qui pouvait le mieux lui être opposé.

Pescara, depuis qu’il était en face du camp de François Ier, ne lui avait pas laissé un instant de repos ; ses coups de main, bien dirigés,.avaient constamment réussi. Une nuit même, à la tête des arquebusiers espagnols, il avait pénétré dans un des bastions du camp, l’avait pris, y avait tué tous ceux qui le défendaient, et s’était retiré en bon ordre après en avoir encloué les canons, ou les avoir jetés dans le fossé[77]. Cependant, malgré leur présence et leurs succès, les impériaux ne parvenaient pas à délivrer Pavie. Cette ville avait soutenu un siège de quatre mois, et tout y était épuisé ; elle se trouvait hors d’état de résister davantage[78]. Antonio de Leyva le fit savoir aux chefs de l’armée impériale, placée elle-même dans une situation qui ne pouvait pas se prolonger. Il lui était dû beaucoup, et l’on n’avait pu lui donner que fort peu de chose sur une modique somme d’argent que ses chefs s’étaient procurée à grand’peine[79]. Elle tenait la campagne sans solde et subsistait pour ainsi dire sans ressources. Elle ne pouvait pas différer de combattre. C’est ce qu’écrivait à Charles-Quint le vice-roi de Naples, qui avait d’abord voulu traiter avec François Ier par l’entremise du pape, et que le duc de Bourbon et le marquis de Pescara avaient décidé à marcher contre la France. Il disait à l’empereur que livrer bataille, c’était hasarder et sa réputation qui serait compromise, et le duché de Milan qui serait perdu, et le royaume de Naples qui serait envahi, si son armée était battue ; mais il ajoutait que la dissolution inévitable et prochaine de son armée, si elle ne combattait pas, l’exposerait plus sûrement encore à la ruine de sa réputation, à la perte du Milanais, à l’invasion de Naples. Il valait donc mieux courir la chance du combat, puisqu’il y avait possibilité de la victoire[80].

Mais comment en venir aux mains et remporter un succès assez décisif pour acquérir la domination en Italie et se procurer les moyens de maintenir sur pied l’armée rendue victorieuse ? François Ier ne pouvait pas être forcé à combattre, s’il ne le voulait pas. Affaibli par l’éloignement du duc d’Albany, le départ des Grisons, la surprise des compagnies battues à la Bormida, la diminution des bandes italiennes de Jean de Médicis, averti par des échecs successifs, il ne devait pas s’exposer à une bataille. En restant dans son camp fortifié, il était assuré d’y être vainqueur, s’il était attaqué, comme l’avait été Prospero Colonna dans la position retranchée de la Bicocca. Il n’avait qu’à y demeurer immobile pour devenir le maître définitif du Milanais par la dissolution de l’armée impériale. C’est ce que lui conseillait Clément VII, qui était dans la plus grande anxiété depuis que les deux armées se trouvaient en présence. « Le pape, écrivait le dataire Giberto à Hieronimo Aleandro, nonce pontifical auprès de François Ier, craint que le roi de France ne hasarde une bataille et n’y aventure tout. Il y pense nuit et jour, aimant le roi très chrétien comme un vrai fils[81]. » Clément VII faisait supplier François Ier par le comte de Carpi, son ambassadeur à Rome, de se fortifier si bien qu’il ne pût pas être forcé de combattre, et d’attendre ainsi que l’armée ennemie se dispersât faute d’argent, parce qu’elle ne pourrait bientôt plus continuer la campagne. Le roi tint à ce sujet conseil. Les vieux capitaines et les plus sages furent d’avis de ne pas livrer la bataille. Ils dirent qu’en se maintenant dans la forte position qu’on occupait, ou qu’en se retranchant dans la position plus forte encore de Binasco entre Pavie et Milan, au milieu des canaux d’irrigation, on serait certain de vaincre sans même avoir à combattre, et qu’on gagnerait tout sans rien exposer[82]. L’amiral Bonnivet et le maréchal de Montmorency furent d’une opinion contraire. Bonnivet exprima la sienne avec une confiance hautaine, en déclarant qu’il y aurait de la honte à prendre un parti si timide. « Vous proposez, dit-il, à notre brave roi de se retirer d’ici, de lever le siège, et de fuir une bataille qui se présente à nous tant désirée. Nous autres Français, n’en avons jamais refusé, et n’avons accoustumé de faire la guerre par artifices militaires, mais à belles enseignes découvertes, surtout quand nous avons pour général un vaillant roi qui doit faire combattre les plus poltrons. Les rois portent cet heur avec eux et ils portent aussi la victoire, comme notre petit roi Charles VIII au Taro, notre roi Louis XII à Aygnadel, et notre roi qui est ici à Marignan. Et il ne faut point douter qu’en le voyant aller le premier au combat (car il nous montrera le chemin), sa brave gendarmerie n’en fasse de même et ne passe sur le ventre à cette chétive de l’ennemi qu’elle rencontrera. Par quoi, sire, donnez la bataille[83]. » Le discours de Bonnivet entraîna le roi. François Ier, que sa courageuse ardeur disposait à livrer bataille, se décida à l’accepter lorsqu’elle lui serait offerte. Il fit venir de Milan le sire de La Trémouille et le maréchal de Foix avec tout ce qu’ils purent lui amener de troupes, n’y laissant, sous Théodore Trivulzi, que les forces nécessaires à la garde de la ville et à la surveillance du château. Il attendit ainsi de pied ferme que l’ennemi vînt l’attaquer.

Les impériaux y furent bientôt contraints par la nécessité. Le duc de Bourbon, le vice-roi de Naples, le marquis de Pescara, le marquis de Cività-Sant’Angelo et les chefs des troupes allemandes tinrent conseil le 23 février. Il n’y avait plus de vivres dans leur camp. Il fallait vaincre ou se disperser. Le marquis de Pescara fut d’avis de ne pas différer davantage un engagement devenu indispensable[84], Il dit que, selon le prudent adage italien, cent ans de campagne valaient mieux qu’un seul jour de bataille, parce qu’on pouvait perdre dans une mêlée douteuse ce qu’on était certain d’acquérir par d’habiles manœuvres ; mais il ajouta que, dans l’impossibilité où l’on se trouvait aujourd’hui de tenir plus longtemps la campagne, il fallait hasarder le combat comme l’unique moyen d’arracher à l’ennemi un avantage qu’on serait réduit sans cela à lui céder entièrement. Il proposa d’attaquer de nuit le camp des Français, non du côté qui faisait face au camp impérial et que rendaient inabordable les retranchemens dont il était couvert et les bastions qui le défendaient, mais en tournant vers le nord le parc, où l’on pénétrerait par une brèche pratiquée à la muraille sur un point qui ne serait pas gardé et dans un intervalle assez vaste pour donner passage à l’armée. On obligerait ainsi le roi de France à descendre de ses hauteurs fortifiées dans la plaine du parc afin de fermer l’accès de Pavie, ou à livrer Pavie s’il ne sortait pas de son camp retranché. Le duc de Bourbon appuya vivement l’avis de Pescara, et l’attaque fut décidée pour la nuit du 24 février, fête de saint Mathias et jour anniversaire de la naissance de Charles-Quint.

Antonio de Leyva, instruit le soir même du 23 février de la résolution prise, fut invité à mettre ses cinq mille hommes sous les armes, et, lorsqu’il entendrait deux coups de canon tirés par les impériaux, à seconder leur attaque en faisant une sortie qui placerait les Français entre deux feux[85]. On se disposa à décamper pour être vers minuit à l’extrémité septentrionale du parc, où l’on espérait ouvrir une brèche bien avant le jour. Les soldats reçurent l’ordre de mettre des chemises blanches ou des morceaux de toile par-dessus leurs armures, afin de se reconnaître en combattant dans l’obscurité d’une nuit de février. Pescara faisait dépendre le succès de sa manœuvre de l’audace et de la solidité des Espagnols. Il avait coutume de les instruire de ses projets pour les animer de ses sentimens. Cette fois il jugea plus que jamais nécessaire de les préparer à l’entreprise ardue qu’ils allaient exécuter. Il les assembla, leur dit ce qu’il attendait d’eux et ajouta : « Mes enfans, la fortune nous a placés dans une telle extrémité que, sur la terre d’Italie, vous n’avez pour vous que ce qui est sous vos pieds[86] ; tout le reste vous est contraire. La puissance entière de l’empereur ne parviendrait pas à vous donner demain dans la matinée un seul morceau de pain. Nous ne savons où en prendre, sinon dans le camp français, qui est sous vos yeux. Là tout abonde, le pain, le vin, la viande, les truites et les carpes du lac de Garcia. Ainsi, mes enfans, si vous tenez à manger demain, marchons au camp des Français. » Les soldats espagnols exprimèrent leur assentiment par leurs acclamations. Pescara leur promit la victoire, s’ils ne se débandaient pas pour piller et faire des prisonniers jusqu’à ce qu’ils fussent entièrement maîtres du champ de bataille. « Alors, continua-t-il, tout sera à vous. » Frundsberg harangua aussi les lansquenets ; il les disposa à combattre vaillamment pour l’honneur de l’empire et la délivrance de leurs cinq mille compatriotes enfermés dans Pavie.


V

Au milieu de la nuit, l’armée se mit en mouvement dans l’ordre qui lui avait été assigné ; elle remonta par un circuit vers la partie septentrionale du parc, où plusieurs compagnies de soldats et de pionniers l’avaient devancée, et travaillaient avec des solives, des pics et des pelles à en ébranler et à en abattre la muraille. Celle-ci, beaucoup plus solide qu’on ne l’avait supposé, résista longtemps, et toute la nuit fut employée à y faire des ouvertures suffisantes. L’aube paraissait lorsque le passage devint sur trois points praticable à des bataillons entiers, qui purent le traverser au milieu des décombres et par une brèche de quarante ou cinquante toises. Pescara fit avancer aussitôt le marquis del Vasto avec quinze cents lansquenets et quinze cents arquebusiers espagnols vers le château de Mirabello, afin qu’il s’en rendît maître sur les Français et qu’il se rapprochât de Pavie[87]. Le reste de l’armée impériale franchit ensuite la brèche et pénétra dans le parc, où, au lieu d’une surprise de nuit, elle allait, par une claire et froide matinée de février, livrer une rude bataille[88]

En apprenant que les impériaux s’étaient mis en marche dans la nuit du 23 au 24 février, et qu’ils abattaient la muraille du parc pour s’ouvrir un chemin jusqu’à lui, François 1èr avait quitté ses retranchemens, et il s’était porté à leur rencontre avec son armée[89]. Pendant la nuit même, il donna l’ordre aux hommes d’armes qui avaient leur poste à Mirabello de se replier de son côté. Descendu de son camp fortifié sur la bruyère du parc, il rangea en bataille ses troupes fort nombreuses, et qui semblaient animées de la même ardeur que lui. Le lieu était favorable à celle des deux armées qui avait la plus forte cavalerie et l’artillerie la plus considérable. François Ier avait plus d’hommes d’armes et de canons que les impériaux, sans leur être inférieur en infanterie. Il avait huit mille Suisses, cinq mille lansquenets, sept mille hommes de pied français, et six mille Italiens[90]. Il plaça dans une position dominante et sur la droite, d’où n’était pas éloignée l’ouverture pratiquée dans la muraille du parc, ses pièces bien attelées, sous le commandement du sénéchal d’Armagnac, Jacques Gailliot, grand-maître de l’artillerie, qui devait prendre ainsi l’ennemi en écharpe et le foudroyer. Non loin de l’artillerie étaient rangés, en masses compactes, les lansquenets des bandes noires, à la tête desquels étaient François de Lorraine et le duc de Suffolk, Richard de la Poole. À la gauche des lansquenets, un peu en arrière, se trouvaient les bataillons serrés des Suisses composant le gros de son infanterie. Les compagnies d’hommes d’armes étaient sur les ailes de ces divers corps et les dépassaient un peu, selon la manière de combattre du temps. Le maréchal de Montmorency, rappelé de l’île du Tessin, conduisait l’arrière-garde, composée de soldats italiens et d’aventuriers français. Une troupe assez forte était laissée derrière l’armée pour surveiller Pavie et contenir sa garnison.

François Ier, qui commandait le corps de bataille, était placé dans le voisinage de l’avant-garde, confiée au plus ancien des maréchaux, à La Palisse, qui avait près de lui le duc d’Alençon. Précédant les bataillons de ses Suisses, entourés des grands-officiers de sa couronne et des gentilshommes de sa maison, il occupait, avec plusieurs compagnies de ses ordonnances, une plaine où cette vaillante cavalerie pouvait se déployer à l’aise et fournir des charges à fond. Après avoir rangé les divers corps de son armée dans le meilleur ordre sur cet emplacement, qu’il aurait choisi lui-même[91], s’il n’y avait pas été appelé par les mouvemens des impériaux, François Ier, l’esprit confiant, le cœur joyeux, la lance au poing, attendit, en capitaine qui croyait avoir bien pris ses dispositions et en chevalier qui brûlait du désir de combattre, le moment de fondre sur l’ennemi.

À la vue des impériaux, l’attaque commença par une vive canonnade. Ceux-ci, en entrant dans le parc, se dirigeaient du côté de Mirabello, où devait aussi se porter, au signal convenu, la garnison de Pavie. Ils s’y rendaient par une marche de flanc impossible à continuer en présence d’une armée prête à les attaquer, et dont l’artillerie les balayait à leur passage. Le marquis del Vasto seul s’était élancé vers Mirabello, et y parvint avec ses trois mille Espagnols et lansquenets, qui n’y rencontrèrent aucune résistance et n’y prirent que des marchands ou quelques traînards laissés par les hommes d’armes dont la masse avait rejoint François Ier. Le sénéchal d’Armagnac tirait à coups pressés sur les corps espagnols et allemands qui avaient franchi la muraille et s’avançaient dans le parc. Il jetait le désordre dans leurs rangs et y faisait des brèches. « Vous n’eussiez vu, dit un témoin de la bataille, que bras et testes voler[92]. » Embarrassés par quelques pièces d’artillerie qu’ils traînaient avec peine à travers des décombres et des fondrières, sans pouvoir s’en servir, les impériaux se jetèrent à la file, et presque en fuyant, dans un vallon qui les abrita contre le canon des Français. Deux compagnies d’hommes d’armes du duc d’Alençon et du seigneur de Brion, qui à la droite flanquaient les lansquenets au service de France, chargèrent leurs soldats débandés et les poursuivirent jusque sur le terrain où ils se mettaient à couvert.

L’affaire prenait une mauvaise tournure pour les impériaux. Au lieu de surprendre, ils étaient attaqués et presque battus. L’occupation de Mirabello devenait superflue, la jonction avec la garnison de Pavie n’y était plus possible, et l’on ne devait pas songer à s’y retrancher, comme le proposait encore le vice-roi. Il fallait livrer aux Français la bataille, que non-seulement ils acceptaient, mais qu’ils engageaient, et la leur livrer en réunissant contre eux toutes les forces impériales, en opposant à leur redoutable impétuosité l’opiniâtreté espagnole, en attaquant leurs pesans hommes d’armes par d’agiles arquebusiers, et en jetant les lansquenets sur les Suisses. C’est ce que saisit d’un coup d’œil l’habile et ferme Pescara, qui, après avoir la veille fait décider l’attaque, en prit ce jour-là la conduite. Il rappela soudainement de Mirabello le marquis del Vasto avec ses trois mille hommes ; il prévint le vice-roi, qui était à l’avant-garde, que le moment était venu de marcher et de combattre ; il pressa le duc de Bourbon, qui commandait le corps de bataille, d’arriver en toute hâte. Lannoy se résigna à attaquer sans beaucoup de confiance. Il fit froidement le signe de la croix, puis, se tournant vers les siens, il leur dit : « Il n’y a plus d’espérance qu’en Dieu ; qu’on me suive, et que chacun fasse comme moi ! » Il donna en même temps de l’éperon à son cheval, et, précédé du marquis de Cività-Sant’ Angelo, qui conduisait la cavalerie légère, il se mit en mouvement avec toute son avant-garde.

François Ier s’avançait aussi, suivi de toute son armée. Il avait laissé en arrière treize enseignes de ses hommes d’armes avec ses bataillons d’hommes de pied, leur recommandant de marcher au pas[93] jusqu’au moment où ils seraient près de joindre l’ennemi et où ils pourraient l’assaillir. À la tête de la vaillante troupe des seigneurs de sa cour, des gentilshommes de sa maison et de deux compagnies de ses ordonnances, il fondit sur l’avant-garde ennemie. Rien ne résista au choc de ses cavaliers pesamment armés. Le roi abattit et tua d’un coup de sa lance le marquis de Cività-Sant’ Angelo[94], dont il dispersa les chevau-légers, et avec son escadron victorieux il repoussa les hommes d’armes de Lannoy et rompit une troupe de piquiers et d’arquebusiers qu’il rencontra sur son passage. En les voyant fuir, il crut le sort de la bataille décidé. Dans son allégresse confiante, il se tourna vers le maréchal de Foix, qui était à ses côtés, et lui dit : « Monsieur de Lescun, c’est maintenant que je veux m’appeler duc de Milan. » Il poursuivit encore un peu les fuyards, puis il arrêta sa troupe pour faire souffler ses chevaux.

Il avait eu la supériorité dans le commencement de l’action, et la victoire semblait se déclarer en sa faveur ; mais bientôt tout changea de face. Les ennemis, ébranlés au premier choc, ne s’étaient point découragés. Ils recommencèrent la lutte avec un élan nouveau, dirigés par l’adroit et indomptable marquis de Pescara, conduits par l’ardent et opiniâtre duc de Bourbon. Les trois mille combattans que Pescara avait rappelés de Mirabello entrèrent alors en ligne sous del Vasto. Ils attaquèrent la gauche de l’armée française en même temps que la cavalerie impériale, ralliée et renforcée, revint à la charge, appuyée de quinze cents arquebusiers que Pescara répandit autour d’elle pour abattre l’effort et diminuer la supériorité de la cavalerie française. De leur côté, les lansquenets de Marx Sittich et de George Frundsberg, formant, sous le duc de Bourbon, le corps de bataille, avaient quitté le vallon où ils s’étaient abrités et avaient marché au combat les rangs serrés. Sittich s’avançait sur la même ligne que le corps des troupes espagnoles, et Frundsberg tenait la gauche de Sittich, quoique un peu en arrière. Leurs bandes reçurent les décharges de l’artillerie française sans pouvoir y répondre, mais cette fois sans en être arrêtées. D’ailleurs les batteries du sénéchal d’Armagnac étaient déjà masquées en partie par les Allemands des enseignes noires, que François de Lorraine et Richard de la Poole conduisaient intrépidement à l’ennemi. Ces lansquenets formaient l’aile droite de l’armée de François Ier et en avaient un peu débordé le centre, qu’occupaient les bataillons suisses. Ils rencontrèrent d’abord les lansquenets impériaux, qui les assaillirent avec le plus furieux acharnement. Sittich, à qui s’unirent les Espagnols, se jeta sur un de leurs flancs, et bientôt Frundsberg, qui venait un peu après, les attaqua sur l’autre[95]. Les lansquenets des bandes noires se battirent bien : aucun d’eux ne recula ; mais ils furent enfoncés malgré leur vive résistance, et périrent presque tous. Leurs deux intrépides chefs, le duc de Suffolk et François de Lorraine perdirent la vie en combattant à leur tête.

Tandis que l’aile droite de l’armée française, qui, par son mouvement, avait paralysé son artillerie, succombait sous le choc des impériaux, le centre éprouvait un sort pareil. Les arquebusiers espagnols y avaient fait de grands ravages parmi la grosse cavalerie des compagnies d’ordonnance, qu’ils attaquaient en tirailleurs agiles et qu’ils atteignaient avec une adresse meurtrière. Leurs coups de feu pressés et sûrs perçaient les armures, abattaient les grands chevaux de ces pesans hommes d’armes, qui ne pouvaient pas les joindre et ne surent pas les repousser. Le désordre se mit dans leurs rangs ; ils se rejetèrent en arrière et rompirent l’ordonnance des Suisses, contre lesquels s’avancèrent et tirèrent alors les arquebusiers espagnols. Ces célèbres bataillons helvétiques ne soutinrent pas la renommée de bravoure et de solidité qu’ils avaient laissé entamer à Marignan, qu’ils avaient compromise à la Bicocca, et qu’ils perdirent à Pavie. Ébranlés par le mouvement de retraite des hommes d’armes, incommodés sur leur flanc gauche par le feu des arquebusiers, assaillis de front par Pescara et Vasto, qui menèrent contre eux leurs troupes enhardies, menacés à leur droite par les lansquenets de Sittich et de Frundsberg, qui s’avançaient après avoir battu les bandes noires, ils ne résistèrent pas longtemps et lâchèrent pied presque sans combattre.

François Ier, après avoir fait reprendre haleine aux siens, s’était de nouveau jeté dans la mêlée. Sa lance, qui avait frappé tant d’ennemis, était brisée, et il avait tiré sa grande épée de bataille, dont il se servait vaillamment. Il croyait poursuivre sa victoire, lorsque, se tournant vers sa droite, il vit l’ébranlement et la déroute des Suisses. « Mon Dieu ! qu’est-ce[96] ? » s’écria-t-il tout surpris, et il se dirigea du côté des Suisses pour les arrêter et les ramener au combat ; mais ses efforts, pas plus que les instances de Jean de Diesbach et du seigneur de Fleurange, qui les commandaient, ne parvinrent à leur faire tourner de nouveau les enseignes contre les impériaux. Se plaçant alors à la tête d’une troupe d’hommes d’armes qu’il rallia, François Ier se précipita en désespéré sur la cavalerie ennemie et les arquebusiers qui la soutenaient. Il aurait pu se sauver, il aima mieux être tué ou pris que d’encourir le déshonneur de la fuite. Avec une intrépidité sans égale, il chargea les impériaux, et suivi de tous ceux parmi les siens qui ne voulaient ni reculer, ni se rendre, ni survivre à une défaite, il chercha à les enfoncer. Il y eut en ce moment une mêlée confuse et meurtrière. Tandis que Pescara, qui y reçut trois blessures, avançait toujours, Antonio de Leyva, sorti de Pavie avec ses cinq mille hommes de pied, ses trois cents lances et ses chevau-légers, venait à sa rencontre. Il avait culbuté le corps qui avait été laissé sur les derrières de l’armée française pour le contenir, et il pressait les fuyards entre la garnison encouragée et l’armée victorieuse. Pendant quelque temps, on combattit sans ordre et sans merci. Parmi la grande noblesse française, qui se comporta héroïquement dans cette journée, beaucoup avaient déjà péri, beaucoup plus alors tombèrent morts ou blessés. Le vieux La Trémouille, qui depuis la fin du dernier siècle avait fait toutes les guerres, resta sur le champ de bataille. Le premier des maréchaux de France, le généreux La Palisse, y perdit glorieusement la vie. Le comte de Saint-Paul, cadet de la maison de Bourbon-Vendôme, fut frappé non loin du roi, et le maréchal de Foix reçut à ses côtés une blessure qui l’abattit et qui devait être mortelle. Le bâtard de Savoie, grand-maître de France, et le grand-écuyer San-Severino, chef du parti français au royaume de Naples, eurent, vers la fin de la bataille, le sort qu’avaient eu dans les commencemens le duc de Suffolk et François de Lorraine, morts à la tête des lansquenets. L’amiral Bonnivet alla se faire tuer au milieu des rangs ennemis pour ne pas voir l’armée détruite, le roi prisonnier, et ne pas assister à un désastre dont il était en partie cause[97] .

François Ier combattait toujours. Quoique blessé à la face et à la main, il était retenu par son fier courage au milieu des ennemis qu’il frappait de sa longue épée ; mais son cheval, déjà atteint, ayant été percé d’un coup de lance par le comte Nicolas de Salm, il tomba sous lui et fut entouré d’Espagnols et d’Allemands qui le pressèrent de se rendre. Il s’y refusa en se débattant encore[98]. Serré de près par ceux qui se disputaient sa capture et cherchaient à s’emparer de ses armes, il était exposé au péril de leur rivalité violente, lorsque le vice-roi de Naples, averti, accourut vers le lieu où il était renversé, descendit de cheval, le dégagea, le releva, et, en s’inclinant devant lui, le reçut prisonnier de l’empereur. Objet d’admiration pour sa bravoure, de respect pour son infortune, François Ier ne fut pas mené dans Pavie, où il aurait paru en captif après avoir compté y entrer en maître. Selon son désir, il fut conduit dans le monastère de Saint-Paul[99], placé au milieu du camp d’où la veille il dominait l’Italie, maintenant perdue. Il devait être transporté de là dans la forteresse de Pizzighitone, sous la garde de deux cents hommes d’armes et de douze cents fantassins espagnols, commandés par le sévère et vigilant capitaine Alarcon.

En moins de deux heures, une belle armée, ayant à sa tête un prince valeureux et les généraux les plus braves, avait été battue et presque anéantie. Plus de dix mille hommes avaient péri sur le champ de bataille ou s’étaient, en fuyant, noyés dans le Tessin, dont Antonio de Leyva, à sa sortie de Pavie, avait envoyé détruire le pont. Les meilleurs chefs de guerre, les grands officiers de la couronne, les premiers seigneurs du royaume, étaient tués ou pris. Le plus ancien des capitaines, La Trémouille, qui avait eu la gloire, comme Bayard, d’être appelé le chevalier sans reproche, avait succombé les armes à la main. Trois maréchaux de France, l’amiral, le grand-maître, le grand-écuyer, étaient parmi les morts ou les prisonniers. Ceux-ci furent nombreux et des plus considérables. Le roi de Navarre, le comte de Saint-Paul de la maison de Vendôme, le seigneur de Fleurange de la maison de La Mark, Federico da Bozzolo de la maison de Gonzague, le prince de Talmont, héritier de La Trémouille, le maréchal Anne de Montmorency et le seigneur Chabot de Brion, qui devaient succéder aux charges, à l’autorité ainsi qu’à la faveur du bâtard de Savoie et de Bonnivet, les seigneurs de Lorges, de La Rochepot, de Montjean, etc., partagèrent la captivité de François Ier. Le premier prince du sang, le duc d’Alençon, beau-frère du roi, y échappa seul. S’étant replié de l’avant-garde sur le centre, il avait contribué avec la cavalerie, mise en désordre par les arquebusiers espagnols, à rompre l’ordonnance des Suisses, et avait quitté précipitamment le champ de bataille. Sa fuite, qui fit sa honte, deux mois après causa sa mort. Avec lui se sauvèrent quelques centaines d’hommes d’armes et quelques milliers de fantassins, qui parvinrent à franchir le parc et remontèrent en désordre vers Milan. Ils y portèrent la funeste nouvelle de la bataille perdue. Théodore Trivulzi, à qui avait été laissée la garde de cette ville, en sortit sur-le-champ et prit avec sa troupe le chemin des Alpes ; les vainqueurs étaient embarrassés du grand nombre de leurs prisonniers ; ils renvoyèrent quatre mille soldats français et suisses, qu’ils auraient dû nourrir et dont ils n’auraient rien tiré, en leur faisant promettre de ne pas servir de quelque temps ; mais ils convinrent de ne pas mettre tout d’abord à rançon les principaux seigneurs et les grands personnages du royaume tombés entre leurs mains et de les retenir sous une étroite surveillance.

La défaite de Pavie n’était pas seulement un immense revers, c’était encore un redoutable danger : elle décidait du sort de l’Italie et exposait la sûreté de la France, en rendant certaine la perte de l’une et probable l’invasion de l’autre. L’implacable duc de Bourbon demandait à opérer cette invasion sur-le-champ. À la suite d’une bataille aussi décisive, qu’il avait contribué à gagner comme à livrer[100], rempli d’une joie orgueilleuse, emporté par ses opiniâtres ressentimens, enivré d’ambitieuses espérances, il voulait déposséder au profit de Henri VIII l’infortuné prisonnier de Charles-Quint. Plus confiant que jamais, il renouvela au roi d’Angleterre la proposition de le faire avant peu roi de France[101], en assurant que rien désormais ne s’opposerait à la prise de possession d’un pays privé de chef et dépourvu de défenseurs. En effet, sans roi, sans capitaines, sans armée, sous le coup de ce grand désastre et dans un semblable dénûment, tout était à craindre pour le royaume de France, si l’ennemi se montrait aussi habile qu’il avait été heureux.


F.-A. MIGNET.

  1. Lettre de R. Pace à Wolsey, du 31 août. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 193.
  2. Journal mss. du siège de Marseille par Valbellu. — Histoire mémorable, etc., d’après Thierri de l’Étoile.
  3. « La brèche demeura grande pour lors de cinq cannes (la canne mesurait six pieds) et une canne par le bas. » Histoire mémorable, etc.
  4. Richard Pace à Wolsey, du camp devant Marseille, le 31 août. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 193.
  5. « Quoy Voyant le capitaine Ransse et que les ennemys se préparoient merveilleusement pour batre et invader la ville et parce aussi qu’il sçavoit très bien qu’ils travailloient aux mines pour faire avec poudre choir les murailles, fit abastre et razer, à l’endroit desdits bolevards et remparts, la belle église de Saint-Cannat tout proche les murailles, en outre fit mettre à bas et démolir la grand maison de l’évesché qu’estoit une somptueuse maison de plaisance. » — Histoire mémorable, etc., d’après Thierri de l’Étoile. — Journal du Siège, etc., par Valbelle, à la date du 29 août.
  6. Cet emplacement conserve encore le nom de boulevard des Dames.
  7. Journal du Siège de Marseille, par Valbelle, à la date du 10 septembre.
  8. « Monseigneur…, est venu le chevalier Grégoire, qui a aporté nouvelles que les Anglois sont près à dessandre ayant su mon vouloir ; aussy je despesche aujourd’huy homme exprès pour suplyer le roy d’Angleterre de faire dessandre son armée, etc.. » Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 15 septembre. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  9. Lettres du même au même des 13 et 14 septembre.
  10. Lettre du duc de Bourbon à l’empereur du 15 septembre. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  11. Lettre du duc de Bourbon à Henri VIII du 31 août. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 182.
  12. Lettre du duc de Bourbon au cardinal Wolsey du 19 septembre. — Mus. Britann. Vitellius, B. VI, f. 201.
  13. Mss. Dupuy, v. 484, f. 355.
  14. Le parlement prononça quelque temps après la peine de mort contre les complices du connétable qui étaient hors de France et réunis à lui. Il condamna, par arrêt du 13 août, à être décapités le comte de Penthièvre, Lurcy, dont le corps devait de plus être mis en quatre quartiers, Tansannds, des Escures, Desguières, Pomperant, Simon, Beaumont, les d’Espinat, de Tocques, Louis de Vitry, François du Peloux, Jean de l’Hospital, Bavant Nagu, Ponthus de Saint-Romain. Leurs têtes devaient être mises au bout d’une lance, leurs corps pendus au gibet de Montfaucon, leurs biens confisqués, et leurs fiefs incorporés à ceux du roi.
  15. Lettre du 10 juillet. — Mss. Dupuy, v. 484, f. 484 v°.
  16. Lettre écrite le 10 juillet de Romorantin, Mss. Dupuy, f. 480 v°.
  17. Lettre du 25 juillet, ibid., f. 486.
  18. Mss. Béthune, v. 8569, f. 62.
  19. Journal du Siège, etc., par Valbelle. — Histoire mémorable, etc., d’après Thierri de l’Étoile.
  20. Cette lettre est dans Ruffi, Histoire de la Ville de Marseille, liv. VIII, f. 313.
  21. « Et tant tirèrent les ennemys que la bresche nouvelle fut par le dessus large de douze cannes (soixante-douze pieds). » Histoire mémorable, etc., d’après Thierri de l’Estoile. — Valbelle, dans le Journal du Siège, la fait moins grande. Il dit qu’après huit cent dix-sept coups comptés tirés contre le rempart, les canons ennemis « y feron une brèche de 6 canos et la vieilho bercho que podia estre de 2 canos que ero en tot 8 canos » à la date du 24 septembre. — Un Espagnol qui servait dans le camp de Bourbon, Juan de Oznayo, dit dans sa Relation, publiée au t. IX de la Coleccion de documentas ineditos para la historia de España, que la brèche était moins grande, et d’un accès malaisé, t. IX, p. 418.
  22. D’après le Journal du Siège, etc., par Valbelle, l’Histoire mémorable, etc., et la Relation de Juan de Oznayo, t. IX, p. 418-419.
  23. Pauli Jovii Vita Pescarii, lib. III, p. 363. — Illescas, Istoria pontifical y catholica. Segunda parte, p. 421.
  24. Lannoy écrivait d’Asti le 28 septembre à Charles-Quint que les piétons et les compagnies de gens d’armes que demandait le duc de Bourbon « n’avoient peu passer la montaigne depuis la fin d’aoust à cause que ceulx de la montaigne avoient pris le passage de Tende. » Il annonçait qu’il allait faire forcer le passage, mais c’était trop tard. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  25. Il l’écrivait le 15 août au duc de Bourbon : « Mon bon frère,… j’ay par suyvant vostre advis faict marcher au quartier de Perpignan les Allemands qu’estoient par deçà, lesquels pourront aucunement ayder à divertir la puissance de nostre ennemy. Je suis après pour faire retenir navires pour embarquer eulx ou aultres piétons et les envoyer par delà. J’ay aussi faict assembler parlement en Aragon et Catheloigne par devant nos viceroys pour se servir d’eulx et tirer ce qu’ils pourront tirer soit en argent ou gens. » Papiers de Simancas, série D, liasse 3, no 54. Il écrivait la même chose à Lannoy et lui disait de renforcer l’armée de Bourbon et de faire argent de tout pour lui envoyer 100,000 ducats. Simancas, D. 615. — Il écrivait le 12 août à L. de Praet pour qu’il pressât le roi d’Angleterre afin qu’il envoyât tout au moins 300,000 ducats au duc de Bourbon, comme il le faisait lui-même, pour soutenir l’armée impériale. — Ibid.
  26. Lettre de Charles-Quint au duc de Sessa du 1 octobre 1524. — Correspondance de Charles-Quint avec Adrien VI et le duc de Sessa, p. 209.
  27. Papiers de Simancas. — Série D, liasse 3, no 54.
  28. Lettre de Wolsey à Pace, du 28 mai. — State Papers, t. VI, p. 289-290.
  29. Lettre de Wolsey à Paco, du 31 août. — State Papers, t. VI, p. 334.
  30. Même lettre du 31 août, p. 335 à 342.
  31. Lettre du 10 octobre écrite de Rome par l’évêque de Bath au cardinal Wolsey. — State Papers, t. VI, p. 355.
  32. Lettres de François à Montmorency, 2, 4, 5, 6 octobre 1524. — Captivité du roi François Ier, in-4o, publié par M. Aimé Champollion-Figeac dans la Grande Collection des documens inédits sur l’histoire de France, etc., p. 10 à 19.
  33. Relation de Juan de Oznayo dans la Coleccion de documentes ineditos, etc., t. IX, p. 420.
  34. C’est ce qu’écrit de Rome l’évêque de Bath au cardinal Wolsey, d’après le récit du camérier Bernardino de la Barba. — Lettre du 12 juillet 1524. — State Papers, t. VI, p. 322.
  35. Textuellement tiré de l’Epistre du roy traictant de son parlement de France en Italie et de sa prise devant Pavie, dans Captivité du roi François Ier, p. 117.
  36. Lettre de Lannoy à l’empereur, du 19 octobre 1524. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  37. Lettre de Lannoy à l’empereur, du 19 octobre 1524. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  38. Prise de Milan, récit publié le 28 octobre 1524 par la régente à Lyon d’après les lettres qu’elle avait reçues du roi. — Captivité, etc., p. 31, 32, 33.
  39. Relation de Juan de Oznayo sur toute la campagne et la bataille de Pavie. — Documentes inéditos, etc., t. IX, p. 426.
  40. Du Bellay, t. XVII, p. 458, 459. — « L’amiral Bonnivet, dit-il, du conseil duquel le roy usoit plus que de nul autre. » P. 450. — P. Jovius. Vita Piscarii, p. 368.
  41. P. Jovius, Vita Piscarii, ibid.
  42. Il y a une relation très circonstanciée et très exacte du siège de Pavie par Tœgius, médecin et chevalier. Elle a pour titre : Francisci Tœgii physici et equitis candida et vera narratio dires ac cronicœ Papiœ obsidionis. — Cette relation, fort rare, et dont je me suis beaucoup servi, est dans un volume de la bibliothèque Mazarine, sous le no 17,512, et y forme le 5e traita de la p. 286 à 308.
  43. D’après Du Bellay, qui fit toute cette campagne et assista à la bataille de Pavie. — T. XVII, p. 459, 460. — Toegius, à la date du 28 octobre. — Carpesanus, Commentarii suorum temporum, dans Martenne, t. V, lib. X, § 13, f. 1390.
  44. Du Bellay, p. 460.
  45. Francisais Tœgius, à la date du 30 octobre.
  46. Franciscus Tœgius raconte cette double attaque à la date du 8 novembre ; Voir aussi Du Bellay, p. 460, 461.— Lannoy écrit à Charles-Quint le 25 novembre : « Le mardi ensuivant donna l’assaut en deux ou trois lieux là où il perdit beaucoup de gens. Toutes espies disent que les François y perdirent deux mille cinq cents hommes. » — Archives imp. et roy. de Vienne.
  47. Du Bellay, p. 461, et Franciscus Tœgius à la date du 20 novembre.
  48. Carpesanus, Commentarii, f. 1389, 1390.
  49. Le reçu sur parchemin des 50,000 écus d’or à la date du 26 novembre, signé par le roi lui-même, est dans le mss. no 8569, anc. fonds franç. de la Bibl. imp., f. 89 et 90. — Le reçu de la poudre et des boulets est à la date du 9 décembre. Ibid. — Le duc de Ferrare prêta encore 25,000 écus d’or le 8 février 1525. Reçu signé de François Ier. Ibid.
  50. Lettre de Lannoy à Charles-Quint du 19 novembre. — Archives imp. et. roy. de Vienne.
  51. Lettre de l’évêque de Bath écrite de Rome au cardinal Wolsey le 12 juillet. — State Papers, t. VI, p. 322.
  52. Lettres de Lannoy à Charles-Quint des 19 et 25 novembre et du 2 décembre. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  53. Lettre de Lannoy à Charles-Quint du 10 novembre, d’après ce qu’a écrit le dataire Giberto à Bernardino de La Barba, qui l’a montré au vice-roi. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  54. « Jusques à ceste heure, ne s’en est pu tirer autre chose synon six mille ducas qu’il nous a envoyés secrètement. » Lettre de Lannoy. à l’empereur du 25 novembre ; — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  55. Lettre du conseil des dix au provéditeur-général du 7 janvier 1525, dans Captivité, etc., appendice LXXVIII. — Le 13 décembre, le comte de Carpi écrivait à François Ier : « Sire, loué soit Dieu ! la conclusion a esté prinse avec la seigneurie de Venise et stipulé et fini le contract et signé de notre très saint père, de leur ambassadeur et de moy, comme vous verrez par l’un des originaulx que je vous envoyé. » Archives de l’empire, section historique, f. 964, no 59.
  56.  :: « Car de mes gens souhdain je faiz partir<
    Pour seulement servir de divertir :
    A Naples droit, j’envoyai une bande. »
    (Epistre de François sur l’expédition d’Italie et la bataille de Pavie, dans Captivité, etc., p. 119, 120).
  57. Lettre de Lannoy du 5 décembre à Charles-Quint. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  58. Galeazzo Capella, lib. IV. — Du Bellay, f. 463, 464.
  59. Papiers de Simancas, ser. D., L. 3, no 54.
  60. Lettre de Charles-Quint, du 11 décembre 1524. — Correspondance avec Adrien VI et le duc de Sessa, etc., p. 210 à 212.
  61. Lettre de Charles-Quint au duc de Sessa, du 9 février 1525 ibid., p. 212.
  62. Lettere di Principi, t. Ier, p. 147.
  63. « Sire, des dix mille Allemands que avoie mandés sont venus les six mille. Le reste vient. » Lettre de Lannoy à Charles-Quint, du 2 décembre. — Archives imp. et roy. de Vienne. — Et lettre de Lannoy à l’archiduchesse Marguerite, du 17 janvier 1525, dans Captivité, etc., p. 47 et 48.
  64. Instructions du duc de Bourbon, etc., données le 22 octobre à Pavie. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 217.
  65. Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint du 4 décembre. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  66. Le 5 janvier, il avait écrit de la route même à Henri VIII en lui annonçant ce qu’il allait faire : « J’ay trouvé mons. l’archiduc en si bonne volonté que mieux ne pourroit estre… Il envoie deux mille lansquenets, ensemble trois cents chevaux, le tout à ses dépens, oultre d’aultres bandes d’Allemands que je meine avec moy et en un bon nombre. Monsieur, j’ai sceu par un de mes serviteurs que les Françoys ont dit que je me suis retiré honteusement de Provence. J’y ay demeuré l’espace de trois mois et huit jours, attendant la bataille… La cause pourquoy je me suis retiré n’a pas été de ma volonté. Vous la sçavez par vos ambassadeurs. J’espère donner à cognoistre au monde que je n’ay pas crainte de luy (François Ier), car, au plaisir de Dieu, nous mectrons si près les uns des autres, que à grand peine nous démeslerons sans bataille, et feray en sorte que ni luy ni ceulx qui ont tenu ces propos de moy ne diront point que j’aye peur de m’y trouver. » Lettre du duc de Bourbon à Henri VIII, écrite de Trente le 5 janvier 1525. — Mus. Brit. Vitell. B. VII, f. 4.
  67. Lettre de Lannoy à Charles-Quint, du 25 novembre 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  68. Tous ces détails sont tires de F. Tœgius, qui rend compte jour par jour de ce qui se passe dans Pavie et des sorties d’Antonio de Leyva, du 21 décembre au 22 janvier 1525.
  69. « Et voyant l’estat des affaires et la grosse despense qu’il faut porter pour soutenir cette armée et le bon vouloyr en quoy sont les gens de guerre espagnols et allemands, avons conclud par ensemble de partir les XXI ou XXII de ce moys et nous mettre aux champs pour donner la bataille au roy de France. » Lettre de Lannoy à l’archiduchesse Marguerite, du 17 janvier 1525. — Dans Captivité, p. 47. — Ils ne partirent que le 24.
  70. Lettre du trésorier Babou à la duchesse de Savoie, le 3 février 1525, devant Pavie. — Dans Captivité, etc., p. 62.
  71. Lettre de François Ier à la régente sa mère, du 3 février 1525. — Dans Captivité, etc., p. 59.
  72. Lettre de Lannoy à L. de Praet, du 10 février 1525. — Dans Captivité, etc., p. 63.
  73. Lettre de François Ier a la régente sa mère, du 3 février 1525. — Dans Captivité, etc., p. 59.
  74. Pescara à Charles-Quint, Documentes ineditos, etc., t. IX, p. 482 et 483.
  75. Lettre de Lannoy à L. de Praet, du 10 février, dans Captivité, etc., p. 63. — Tœgius, à la même date.
  76. Tœgius, à la date du 16 février. — Du Bellay, p. 482-483.
  77. Relation, etc., de Juan de Oznayo. — Documentes ineditos, etc., t. IX, p. 446. — Tœgius.
  78. Tœgius, à la date du 23 février.
  79. Lettre du 23 février de l’abbé de Najera à Charles-Quint. L’abbé de Najera était le trésorier de l’armée impériale. — Mss. Bibliothèque de l’Académie d’histoire de Madrid, t. XLV.
  80. Lettre de Lannoy à Charles-Quint, du 21 décembre 1524 et du 25 février 1525. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  81. Lettre du 19 février, dans Lettere di Principi, t. Ier, p. 147.
  82. Guicciardini, lib. XV. — Relation de la bataille de Pavie et de la prise du roi par Sébastien Moreau, référendaire-général du duché de Milan, Captivité, p. 75, 76.
  83. Vie des grands capitaines. — Brantôme, Discours sur Bonnivet.
  84. « Los de Pavia no querian mas sufrir, y todo el ejército moria de hambre. » Lettre de Pescara à Charles-Quint. — Documentes ineditos, etc., t. IX, p. 482.
  85. Documentes ineditos et récit de George Frundsberg dans Brequigny, vol. 90.
  86. Relation de Juan de Oznayo, t. IX, p. 450.
  87. Récit de Pescara dans sa lettre à Charles-Quint. — Documentes, etc., t. IX, p. 483.
  88. Relation de Sébastien Moreau, dans Captivité, etc., p. 77.
  89.  :: «…Au matin ilz firent leur entrée
    Dedans le parc place bien esgalée.
    Et nous aussi jà estions en bataille ;
    Artillerie bonne avions sans faille. »
    (Espitre de François Ier, dans Captivité, etc., p. 120.)
  90. « Le roy m’a dit qu’il avait VIIj mille Suisses, V mille Almans, cette (sept) mille piétons français, et VI mille Italiens. » Lettre de Lannoy à Marguerite d’Autriche, du 25 février 1525, imprimée dans le Bulletin de la Société de l’histoire de France, 2e partie, t. Ier, p. 45.
  91. Lettera del Mt Paulo Luzascho, scritta al sr marchese di Mantua, Picighetone, 2 marzo 1525 ; d’après le récit de François Ier, dans le 6e volume de l’Histoire d’Allemagne pendant la réformation de Ranke, p. 164,165.
  92. Du Bellay, t. XVII, p. 485, et récit de Pescara. — Coleccion, t. IX, p. 483, 484.
  93.  :: « Treize enseignes de gens d’armes de faict
    Feys demourer fermes pour bon effect ;
    Nos Allemans avec eulx je laisse,
    Leur commandant qu’ils marchassent sans cesse
    Au petit pas. »
    (Epistre du roy, etc., dans Captivité, p. 121.)
  94. « S. M. mette in cielo il marchese di S. Angelo, quale ella ammazò con la soe mani. » — Lettera del Mco Paulo Luzascho, citée par Ranke, Histoire d’Allemagne, t, VI.
  95. D’après le récit de Pescara et celui de Frundsberg, dans Coleccion, etc., t. IX, p. 484, et dans Brequigny, v. 90.
  96. Lettera del Mco Paulo Luzascho, citée par Ranke.
  97. D’après les récits divers de Pescara, de Frundsberg, de François Ier, de Du Bellay, etc.
  98.  :: « Et là je fuz longuement combatu,
    Et mon cheval mort soubz moy abatu.
    De toutes pars lors despouillé je fuz,
    Mays deffendre n’y servit ne reffuz.
    Bien me trouva en ce piteux arroy,
    Exécutant leur chef le viceroy.
    Quand il me vit, il descendit sans faille,
    Affin qu’ayde à ce besoing ne faille.
    Las ! que diray ? cela ne veulx nyer,
    Vaincu je fuz et rendu prisonnier. »
    (Epistre de François Ier, dans Captivité, p. 123,124.)
  99. « Rex autem gallorum ad cœnobium divi Pauli, ubi ante conflictum hospitabatur, sic co rogante fuit comitatus. » Franciscus Tœgius, à la date du 24 février.
  100. Lettre de sir John Russell à Henri VIII, écrite de Milan le 11 mars 1525. — Mus. Brit. Vitellius. B. VII, f. 77.
  101. Le duc de Bourbon écrit dans ce sens à Henri VIII le 10 mars. — Mus. Britann. Vitellius. B. VII, f. 76