Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/2/02
François Ier, malgré l’invasion dont était menacé son propre royaume, avait donné suite à l’expédition d’Italie. Retenu à Lyon par la nécessité de pourvoir à la sûreté de sa couronne contre la conspiration découverte du connétable de Bourbon, et à la défense de son pays contre l’agression combinée des Anglais, des Flamands, des Allemands et des Espagnols, il ne rappela néanmoins aucune des troupes qui avaient passé les Alpes. Il les laissa toutes sous le commandement de l’amiral Bonnivet, qui, de concert avec le maréchal Anne de Montmorency, fut chargé de reprendre le duché de Milan. Dans sa passion ambitieuse, François Ier semblait tenir beaucoup plus à s’emparer de la Lombardie qu’à préserver la France.
L’armée envoyée à cette conquête était très forte pour le temps : elle se composait d’environ quinze cents hommes d’armes et de vingt-cinq mille hommes de pied tirés des cantons suisses, du duché de Lorraine, du duché de Gueldre, des provinces les plus belliqueuses de la France, et de quelques petits états d’Italie[1]. Les chefs des divers corps étaient célèbres par leur expérience comme par leur bravoure. Parmi eux se trouvaient Bayard, devenu un homme de guerre consommé ; l’intrépide Jean de Chabannes, seigneur de Vandenesse, frère du maréchal de La Palisse, qui était le digne compagnon de Bayard et partageait son héroïsme ; le capitaine de Lorges, un des meilleurs conducteurs de bandes ; le comte de Saint-Paul, frère cadet du duc de Bourbon-Vendôme ; le Suisse Jean de Diesbach ; les Italiens Federico da Bozzolo, de la maison de Gonzague, et Renzo da Ceri, de la maison des Orsini. Commandée par un habile général, cette armée aurait pu remporter en peu de temps des avantages décisifs ; mais la faveur de François Ier avait mis à sa tête l’amiral Bonnivet, auquel la prise de Fontarabie, en 1521, avait valu une réputation militaire. Courageux sans être capable, présomptueux plus que résolu, Bonnivet descendit, avec son armée, la plaine du Piémont, et parut le 14 septembre sur les bords du Tessin, après s’être aisément rendu maître de toute la partie du duché de Milan située à la droite de ce fleuve.
Prospero Colonna commandait toujours les troupes impériales, qu’il avait jusque-là rendues victorieuses. Seulement ces troupes étaient réduites en nombre, et lui-même, vieux et affaibli, ressentait les mortelles atteintes de la maladie à laquelle il succomba trois mois après. Il n’avait plus à côté de lui l’habile et hardi marquis de Pescara, dont l’ascendant était sans bornes sur les soldats de sa nation, qui le suivaient avec confiance partout, parce qu’ils n’avaient jamais, sous ses ordres, rencontré d’échec nulle part. Le fier Espagnol n’avait pas pu s’entendre avec l’impérieux Italien. Indépendant de caractère, il ne voulait pas se plier à l’autorité d’un chef, et il s’était retiré, aimant mieux être inactif que subordonné, ne gagner aucune gloire que de l’acquérir pour autrui. Si Prospero Colonna était privé de cet incommode, mais incomparable auxiliaire, il lui restait deux Espagnols qui avaient autant de valeur et d’opiniâtreté qu’il avait lui-même de capacité et de science militaires, les capitaines Alarcon et Antonio de Leyva, ainsi qu’un chef de bandes italien, Jean de Médicis, qui, sans égaler Pescara, se rapprochait beaucoup de lui par la fertilité des expédiens et l’heureuse audace des entreprises.
Soit défaut de prévoyance, soit manque de moyens, le général de Charles-Quint et de la ligue italienne avait faiblement mis la Lombardie en état de défense. Ne se sentant point en mesure de disputer à l’armée française la partie du Milanais qui s’étendait à la droite du Tessin, il l’avait fait évacuer par les troupes qui occupaient Asti, Alexandrie et Novare[2], et il s’était posté, avec son artillerie et une douzaine de mille hommes, sur les bords de cette rivière dans le dessein d’en empêcher le passage et de couvrir le reste de la Lombardie[3]. Il croyait pouvoir garder la rive gauche du Tessin contre les Français, qui n’avaient ni ville ni pont pour y aborder ; mais depuis deux mois et demi il n’avait pas plu : le fleuve, ordinairement large et profond, n’avait presque pas d’eau, et se trouvait guéable sur plusieurs points. Arrivés à Vigevano, les Français commencèrent à le traverser, et Prospero Colonna, comprenant qu’il n’y avait aucun moyen d’arrêter leur marche et qu’ils seraient bientôt plus nombreux et plus forts que lui du côté qu’il occupait, se replia en toute hâte sur Milan. Il y rentra avec sa petite armée, que ce mouvement de retraite avait affaiblie presque autant qu’une défaite, et qui trouva dans la ville un découragement semblable à celui qu’elle y portait.
La capitale du duché, que Prospero Colonna n’avait pas pu couvrir, ne semblait pas pouvoir être défendue. Cette grande ville était ouverte sur plusieurs points. Les ouvrages en terre qui y avaient été faits précédemment n’avaient pas été entretenus. Prospero Colonna, croyant que Bonnivet s’avançait à marches forcées avec une armée supérieure et irrésistible, était disposé à évacuer Milan, d’où Francesco Sforza se préparait aussi à sortir. On avait déjà chargé les bagages, et les habitans se lamentaient de perdre leur duc national et de retomber sous la domination française, lorsqu’on apprit que Bonnivet s’était arrêté sur le Tessin. Au lieu de pousser en avant et de prendre ce que les impériaux étaient décidés à ne pas lui disputer, le trop prudent Bonnivet resta plusieurs jours immobile. Il laissa des garnisons dans les principales places abandonnées à la droite du Tessin, établit un pont à Vigevano, et ne reprit sa marche, inhabilement suspendue, qu’après avoir réuni toute son armée[4]. Prospero Colonna et Francesco Sforza profitèrent de cette faute et se servirent de ce délai pour se raffermir dans Milan, qu’ils mirent à l’abri d’une attaque. On travailla jour et nuit à relever les parties abattues des remparts qui couvraient les faubourgs, à fermer les brèches, à rétablir les bastions. La population de la ville, qu’animait de sa présence le duc Sforza et qu’enflammait par ses discours Girolamo Morone, l’habile ministre de Sforza, se montra prête à faire tous les sacrifices, à affronter tous les périls, pour ne pas retomber sous la main des étrangers[5]. Elle prit les armes avec non moins d’ardeur que d’ensemble et seconda puissamment l’armée impériale, forte d’environ douze mille hommes de pied et de huit cents chevaux. Milan était en mesure comme en disposition de se défendre, lorsque le général français parut un peu trop tardivement sous ses murailles. Bonnivet s’en approcha sans obstacle : il plaça son camp au sud-ouest, entre la porte qui conduisait au Tessin et celle qui menait à Rome, il mit en batterie ses canons et sembla résolu à tenter un assaut ; mais sa présence et ses attaques ne causèrent dans la ville aucun ébranlement. Il crut qu’une place fermée, ayant pour garnison une petite armée, et dont les habitans étaient devenus des soldats, ne se laisserait pas prendre de force et fournirait une défense insurmontable. Il avait perdu l’occasion de l’enlever par surprise, il songea à s’en emparer par lassitude, et, au lieu de l’assiéger, il la bloqua.
Bonnivet transporta son camp un peu au-dessous de Milan, entre Pavie et Lodi. De cette position, il intercepta du côté du sud et du côté de l’est toutes les communications avec la place, qu’il se proposait de soumettre en l’affamant. À l’ouest, il tenait le cours du Tessin par Abbiate-Grasso et Vigevano, empêchant ainsi l’envoi des vivres qui pouvaient y arriver de la Lomelline. Il fit occuper au nord le fort emplacement de Monza, où il laissa assez de troupes pour inquiéter Milan dans cette direction et pour s’opposer à ce que des subsistances y parvinssent de la Lombardie supérieure. Il rendit ce blocus encore plus rigoureux en détournant les eaux qui entraient dans la ville et en détruisant tous les moulins qui s’élevaient aux environs. N’ayant pas envahi soudainement le duché, Bonnivet était réduit à le conquérir pièce à pièce. Quatre villes avaient été conservées par Prospero Colonna : Milan, où il s’était enfermé lui-même ; Pavie sur le Bas-Tessin, dont il avait confié la garde à Antonio de Leyva ; Lodi sur l’Adda, et, un peu au-dessous de la jonction de l’Adda avec le Pô, Crémone, où il avait envoyé la garnison d’Alexandrie. De ces quatre points qu’il croyait pouvoir défendre, le prudent général italien espérait reprendre tout ce qu’il livrait aux Français lorsque l’ardeur des Français se serait ralentie, lorsque leurs forces se seraient épuisées[6], et que les troupes des confédérés se seraient accrues.
En même temps qu’il serrait étroitement Milan, Bonnivet ordonna au capitaine Bayard de se rendre, avec huit mille hommes de pied. quatre cents hommes d’armes et dix pièces d’artillerie, sur l’Adda, où il devait être joint par quatre mille Italiens levés la plupart dans le duché de Ferrare et placés sous les ordres de Federico da Bozzolo et de Renzo da Ceri[7]. À la tête de cette petite armée, Bayard devait occuper Lodi et prendre Crémone. Lodi ne lui opposa aucune résistance. Le marquis de Mantoue, général des troupes pontificales, n’y avait pas plus de cinq cents hommes de pied et de cinq cents chevaux. Il ne pouvait pas s’y maintenir avec si peu de monde : il en sortit en se dirigeant vers l’armée vénitienne, réunie à Pontevico sur l’Oglio, et il abandonna Lodi à Bayard, qui y laissa une garnison considérable, commandée par Federico da Bozzolo et qui marcha sur Crémone. Bayard commença le siège de cette place, dont les Français avaient jusqu’alors gardé le château et qui venait de recevoir de Prospero Colonna un puissant renfort. Après s’en être approché suffisamment, il mit ses pièces en batterie et il canonna les remparts de Crémone jusqu’à ce qu’il y eût ouvert une brèche assez grande pour y donner l’assaut avec l’espérance de l’enlever. Ces approches et ces attaques se firent presque sous les yeux de l’armée vénitienne, qui n’était pas à quatre lieues de distance, et qui, n’osant rien tenter ni même rien empêcher, laissait prendre cette importante place du Milanais sans y mettre obstacle.
Bonnivet se croyait sur le point de réussir[8]. La détresse de Milan, où, après la destruction des moulins et l’épuisement de l’ancienne farine, on fut plusieurs jours sans pain[9] ; la tiédeur des Vénitiens, qui ne donnaient aucune assistance à leurs confédérés malgré les engagemens qu’ils avaient pris avec eux ; la lassitude des Florentins, des Siennois, des Lucquois, qui ne fournissaient plus le contingent pécuniaire auquel ils étaient tenus pour la défense commune ; enfin le trépas d’Adrien VI, chef récent de la ligue italienne contre la France, mort le jour même où Bonnivet avait passé le Tessin, plaçaient les impériaux dans une situation fort périlleuse. Réduits en nombre, privés de subsides, n’occupant plus que quelques points du territoire lombard, pressés à Milan par la faim, menacés d’un assaut à Crémone, ils ne paraissaient point pouvoir tenir longtemps encore dans la Haute-Italie. Bonnivet espérait que, faute de vivres, Milan se rendrait, et que, faute d’argent, l’armée impériale se dissoudrait. La nomination du pape futur devait être d’une grande influence sur l’issue de la lutte en Lombardie et la rendre favorable à Charles-Quint ou à François Ier, selon les dispositions politiques du souverain pontife qui serait élu et le temps qu’on mettrait à l’élire.
Le pape Adrien VI était mort le 14 septembre. Il était tombé malade le 5 août, en célébrant la grande alliance de toute la péninsule, dans laquelle il avait été entraîné avec les Vénitiens par l’empereur et par le roi d’Angleterre. Il assista à cette fatigante cérémonie où fut prononcé contre les Français un long discours dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, au milieu d’une accablante chaleur. Il en sortit comme épuisé, et alla prendre son repas dans l’église de Saint-Martin, où il se sentit mal. Une inflammation des plus dangereuses, accompagnée d’une forte fièvre[10], le saisit d’abord à la gorge, et pendant plusieurs jours l’empêcha d’avaler et presque de respirer. Cette inflammation se porta successivement sur diverses parties de son corps, et amena une décomposition précipitée, à laquelle il succomba après de cruelles souffrances. Il périt en quelque sorte de la difficile résolution qu’il avait prise en rompant la paix avec le roi très chrétien. Les longues agitations qu’il avait éprouvées avant de s’y décider le livrèrent ébranlé, et comme sans résistance, à la maladie qui fondit sur lui le jour même où il fit sa déclaration solennelle.
L’ancien professeur de Louvain n’était pas un politique. Bien qu’il eût été précepteur de Charles-Quint et régent d’Espagne, il n’avait pas appris, ce qui ne s’enseigne point, l’art difficile de conduire les hommes et d’exercer l’autorité. Il manquait de caractère. Circonspect jusqu’à la plus irrémédiable indécision, défiant sans être rusé, timide et faible, il avait porté une simplicité extrême, Une piété profonde, une incapacité troublée au milieu de ces astucieux politiques italiens, accoutumés à ne se diriger que par la vue de l’intérêt particulier ou par des maximes d’état. Ce qui avait fait défaut au prince avait également frappé d’impuissance le pontife. Savant théologien, de mœurs irréprochables, d’une austérité chrétienne depuis longtemps inconnue sur la chaire de Saint-Pierre et rare même dans les monastères, animé des intentions les plus droites comme des sentimens les plus purs, il avait voulu empêcher dans l’église la réforme des dogmes en y opérant lui-même la réforme des abus : il le tenta avec le désir sincère de l’accomplir, mais sans en avoir la force. Dans ses projets de limiter la concession des indulgences, d’épurer la pénitencerie et de réduire la daterie[11] de la cour romaine, il rencontra des objections qui l’émurent et des obstacles qui l’arrêtèrent. Prince inhabile et pontife inerte, il indisposa les Italiens et ne ramena point les Allemands.
Il vivait comme un pauvre religieux dans le Vatican désert. Étonné de la magnificence dispendieuse de son prodigue devancier, il avait supprimé dans le palais pontifical une grande partie des emplois qui lui paraissaient onéreux et inutiles[12]. Il y était servi par une vieille femme de son pays et ne dépensait qu’un ducat par jour pour sa nourriture[13]. Il se levait dans la nuit pour dire ses offices, et le jour il se retirait volontiers dans une pièce réservée, où, fuyant les soucis du pontificat, il se livrait à l’étude de la théologie ; mais, s’il aimait les lettres chrétiennes, il portait moins de faveur aux lettres humaines, et sa trop scrupuleuse piété avait repoussé tous les poètes qu’encourageait naguère de ses faveurs le joyeux Léon X. Les arts, qui faisaient la gloire de l’Italie et qui avaient passionné ses prédécesseurs, étaient sans attraits pour lui, et il en regardait d’un œil indifférent les anciennes merveilles comme les chefs-d’œuvre renaissans. Des douze portes qui, du Belvédère de Jules II, conduisaient aux splendides galeries où l’on allait admirer l’Apollon, la Vénus, le Laocoon, il en avait fait fermer onze. Les Romains, insensibles à ses vertus, outrés de sa parcimonie, choqués de la simplicité de ses habitudes et de l’humilité de ses goûts, voyaient en lui un prince sans habileté, un pape sans grandeur, un barbare sans délicatesse et sans générosité. Aussi se réjouirent-ils ouvertement de sa mort, et dans les manifestations de leur allégresse, plusieurs d’entr’eux allèrent jusqu’à entourer de feuillages la maison de son médecin, sur la porte de laquelle ils mirent cette inscription : Au libérateur de la patrie, le sénat et le peuple romain[14] !
Par qui Adrien serait-il remplacé sur le trône pontifical ? Chacun des deux monarques rivaux avait intérêt à faire nommer un pape qui lui fût favorable, et surtout à en faire repousser un qui lui serait contraire. Ils ne négligèrent rien pour l’emporter dans cette lutte électorale, dont les effets devaient s’étendre à la lutte militaire. Trente-cinq cardinaux entrèrent d’abord en conclave ; il en survint ensuite quatre, ce qui porta le nombre des électeurs pontificaux à trente-neuf[15]. Comme il fallait réunir les deux tiers des voix pour être pape, il était nécessaire que vingt-six cardinaux s’accordassent dans un choix commun. Les candidats étaient les mêmes que lors du précédent conclave, et le sacré collège présentait les mêmes divisions[16].
Dès que Wolsey avait connu la mort d’Adrien, il s’était mis de nouveau sur les rangs, cette fois avec une ardeur résolue et confiante. Il avait transmis en toute hâte à l’évêque John Clerk, ambassadeur d’Henri VIII à Rome, son ambitieux désir et l’invitation d’acquérir les suffrages, même en les achetant. « Mylord de Bath, lui avait-il dit, le roi m’a chargé de vous écrire que sa grâce a une merveilleuse opinion de vous,… et ne doute point que, par votre habileté, la chose ne soit conduite au but souhaité. N’épargnez point les offres raisonnables, ce qui est une chose qui, parmi les nécessiteux, est plus estimée d’aventure que les qualités de la personne. Soyez prudent… et ne vous laissez pas séduire par de belles paroles de la part de ceux qui disent ce qu’ils veulent et désirent plus leur agrandissement que le mien. Il faudra user de dextérité, et le roi pense que tous les impériaux seront clairement avec vous, si on peut se fier à l’empereur. Les jeunes gens, qui la plupart sont besoigneux, prêteront de bonnes oreilles à vos offres, lesquelles seront remplies, n’en doutez pas. Le roi souhaite que vous n’épargniez ni son autorité, ni l’argent. Vous pouvez être assuré que toutes les promesses seront tenues, et que le roi notre sire y mettra de la diligence[17]. »
En même temps que Wolsey envoyait à l’ambassadeur d’Angleterre l’ordre d’employer jusqu’à la corruption pour le faire élire, Henri VIII demandait à Charles-Quint d’appuyer la candidature de son principal ministre de manière à ce qu’elle réussît[18]. L’empereur avait plus que jamais intérêt à ménager l’orgueilleux Wolsey. Aussi lui écrivit-il en le flattant : « Monsieur le cardinal, mon bon amy, le roy mon bon père, oncle et meilleur frère, m’a escript dernièrement une lettre de sa main, me priant, autant affectueusement que faire se pourroit, que j’escrivisse à Rome pour vostre élection à pape. Desjà, avant la réception de sa lettre, je l’avois fait, me souvenant de ce que autrefois je vous ai quant à ce promis, et cognoissant le bien que ce seroit pour toute la chrestienté, et aussi pour nos communes affaires, avec la vraie amour que vous avez au dict seigneur roy et à moy. J’ai de rechef escrit comme pour chose que je voudroye le plus[19]. » Loin de souhaiter l’élection du cardinal d’York, qui lui était utile en Angleterre, Charles-Quint voulait celle du cardinal de Médicis, qu’il croyait devoir le servir mieux qu’un autre en Italie. Il donnait des espérances au premier pour ne pas l’indisposer, et il agissait en faveur du second, afin que, lui étant redevable de son élévation, il lui en montrât sa reconnaissance par son dévouement. Avant même la mort d’Adrien, il avait prescrit au duc de Sessa, son ambassadeur à Rome, d’employer, si le pontificat devenait vacant, les moyens les plus propres à y faire arriver le cardinal de Médicis. Le duc de Sessa avait à négocier cette nomination par voie d’influence ou à l’imposer par la force, suivant les procédés auxquels aurait recours le roi de France. « Vous aurez toujours égard, lui écrivait Charles-Quint, à ce que l’élection se fasse avec toute liberté, à moins que, du côté des François, on ne veuille agir par la violence : dans ce cas, vous vous montrerez avec vigueur pour nous, vous aidant à cet effet des vice-rois de Naples et de Sicile et de notre armée, ainsi que de tous les secours et autres moyens que vous aurez à votre disposition[20]. »
Avant que les cardinaux fussent complètement enfermés dans le conclave, le comte de Carpi, représentant de François Ier à Rome, vint se plaindre à eux de l’alliance que le pape Adrien avait conclue avec les ennemis du roi très chrétien, bien que le roi très chrétien n’eût rien fait pour provoquer ses hostilités, et l’accusa de s’être rendu complice de la conjuration du duc de Bourbon[21]. De son côté, le duc de Sessa s’adressa à eux dans l’intérêt de l’empereur son maître, en leur demandant de payer le contingent pécuniaire que le pape Adrien s’était engagé à fournir en contractant l’alliance du 3 août. Ils lui répondirent que le pape Adrien ne les avait pas consultés, et qu’ils n’étaient pas obligés de tenir des engagemens auxquels ils étaient demeurés étrangers. Le duc de Sessa travailla ouvertement et avec ardeur à faire élire le cardinal Jules de Médicis, qui continuerait la politique des deux précédens pontifes. Ce cardinal disposait encore de dix-sept ou de dix-huit voix[22], décidées, à n’élire que lui. Il espérait de plus quelques adhésions qui se déclareraient au moment où elles seraient utiles. Entré cette fois dans le conclave avec la résolution de n’en sortir que pape, il était le principal et devait être le plus opiniâtre des candidats. Il était repoussé par le parti des vieux cardinaux comme trop jeune[23], et par le parti français comme trop espagnol. Pas assez fort pour nommer un pape, ce dernier parti pouvait empêcher l’élection du candidat que Charles-Quint poussait le plus au trône pontifical, et qu’il convenait le moins à François Ier d’y laisser monter. Il agissait de concert avec le cardinal Pompeio Colonna, l’un des membres les plus influens du sacré collège, et qui, bien que du parti impérial, était opposé à Jules de Médicis[24] par une animosité envieuse et si profonde qu’elle semblait insurmontable.
Durant deux mois, les divisions se prolongèrent dans le conclave, où l’on ne parvint pas à s’accorder pour faire un pape. Les jours se passèrent en luttes animées et en scrutins inutiles. Pendant que l’église restait sans chef et que les cardinaux désunis ne se décidaient pas à lui en donner un, le duc de Ferrare, secrètement soutenu par le roi de France[25], s’était emparé de Reggio et de Brescello, et il menaçait Modène, que les papes avaient incorporée au saint-siège. Le plus grand trouble se répandait dans les états de l’église, et le mécontentement était très vif à Rome. Dès le 8 octobre, pour contraindre les cardinaux à une élection plus prompte, on retrancha une grande partie de leur service de table et on réduisit chacun d’eux à un seul mets. Le 14 octobre, les conservateurs de la cité pendant la vacance pontificale, suivis d’une foule de Romains, se rendirent à la porte du conclave, adressèrent aux cardinaux les plaintes du peuple, leur reprochèrent les périls qu’ils faisaient courir aux états de l’église par un interrègne aussi prolongé, et leur dirent qu’il était honteux à tant d’hommes sages, comme ils devaient l’être, de ne pas s’entendre mieux ni plus tôt[26].
Le cardinal Armellino, député par le sacré collège avec plusieurs autres cardinaux, répondit de la fenêtre du conclave qu’ils voulaient nommer un bon pape qui convînt, après Dieu, aux nobles et au peuple de Rome, qu’ils espéraient le faire bientôt et demandaient qu’on eût assez de patience pour leur en laisser le loisir, car si, comme à la dernière élection, on les forçait à précipiter leur choix, ils pourraient bien élire un absent. « Si vous vous contentez d’un tel pape, ajouta-t-il, nous sommes prêts à vous en donner un qui est en Angleterre. » Il savait que les Romains avaient plus que jamais horreur d’un étranger, que rien n’était plus propre que cette crainte à tempérer les impatiences du peuple et à faire accorder du temps au conclave. Il s’éleva aussitôt un grand murmure du sein de la foule, et l’on cria qu’il fallait élire un pape parmi les présens, dût-on prendre une bûche[27].
Les ambassadeurs d’Angleterre, obéissant aux ordres de Wolsey, mais ne rencontrant pas l’appui des agens impériaux, demandèrent au cardinal Jules de Médicis de se déclarer pour le cardinal d’York, s’il ne parvenait pas à se faire nommer lui-même. Pompeio Colonna en fut instruit, et, dans son ardente inimitié, il fit répandre par la ville que le cardinal de Médicis, dont les manèges avaient naguère amené l’élection d’un barbare flamand, travaillait maintenant à l’élection d’un barbare anglais[28]. Il comptait, en le rendant ainsi suspect, le faire plus détester et l’éloigner du trône pontifical, en même temps qu’il empêcherait, par les manifestations de la répugnance publique, le cardinal d’York d’y être appelé.
Les désaccords continuèrent, et il se passa plusieurs semaines encore sans qu’on cédât d’aucun côté. Le mécontentement des Romains s’accroissait chaque jour et allait presque à la sédition. Aux objurgations précédentes s’ajoutèrent alors les menaces. Le peuple se porta en foule autour du palais où étaient enfermés les cardinaux, et il demanda que, conformément à la constitution de Boniface VIII, on les réduisît au pain, à l’eau et au vin[29], afin de les forcer à élire. Rien n’y fit. Les vieux souffrirent cette longue captivité sans fléchir, et le cardinal de Médicis, à la tête des jeunes, attendit avec une imperturbable patience que, par calcul ou par ennui, quelques-uns de ses adversaires, moins persévérans ou moins haineux que les autres, s’en détachassent pour conclure un arrangement avec lui[30]. Ce moment arriva, comme il l’avait prévu.
Le cardinal Colonna savait que le cardinal de Médicis ne consentirait jamais à un choix purement français. Son autorité, qui aurait été compromise dans Florence, son honneur, qui en aurait souffert, sa conduite passée, qui en aurait été démentie, ne laissaient aucune incertitude à cet égard. Il fit dès lors promettre aux cardinaux français que, s’ils ne pouvaient rien pour eux-mêmes, ils consentissent à porter leurs suffrages sur un des siens. Après quelques essais nouveaux et infructueux qui leur démontrèrent que l’appui de Colonna et de ses amis ne suffisait pas même à faire nommer le cardinal Fieschi, le moins repoussé des cardinaux attachés à la France, il les somma de tenir leur engagement, et il leur proposa de donner leurs voix au cardinal Jacobaccio, excellent et savant homme, en faveur duquel il espérait détacher du parti de Médicis assez de voix pour compléter le nombre requis de vingt-six. Jacobaccio était Romain, ami de la maison Colonna, et au fond impérialiste, quoique avec une certaine modération. Les Français se montrèrent d’abord disposés à lui être favorables, mais ensuite les cardinaux nés en France et les cardinaux de la faction Orsini déclarèrent que pour rien au monde ils ne nommeraient un partisan de l’empereur et des Colonna. Il fut alors décidé qu’on promettrait toutes les voix, et qu’au moment de l’élection on en retirerait quelques-unes qui la fissent manquer. On prétendit que Colonna n’aurait pas lieu de se plaindre si, en échange des quatre voix qu’il leur avait apportées, ils lui en donnaient quatorze.
Le cardinal Colonna, se croyant assuré de tout le parti français, alla trouver le cardinal Jules de Médicis et lui demanda s’il avait le dessein de rendre l’élection interminable et s’il voulait demeurer à jamais enfermé dans cette prison. Le cardinal de Médicis lui répondit qu’il resterait dans cette prison et dans une pire plutôt que de consentir à la nomination d’un de ses ennemis et à la création d’un pape de la faction française. Le cardinal Colonna lui dit alors : — « Vous n’aurez rien de semblable à craindre et à vous reprocher. Nous pouvons avoir un bon pape, et un pape impérialiste. Vous ne sauriez vous refuser à sa promotion[31]. » Il lui désigna en même temps le cardinal Jacobaccio, qui devait réunir les vingt-deux suffrages des vieux cardinaux et du parti français, et auquel il ne faudrait plus que quatre autres voix pour être élu. Il les demanda au cardinal de Médicis, qui voulut, avant de les accorder, s’en entretenir avec les siens. Le cardinal de Médicis apprit, par de secrètes informations, que le parti français ne serait point unanime à voter en faveur de Jacobaccio, et lui refuserait trois ou quatre voix afin d’empêcher qu’il fût élu. Dès qu’il fut rassuré sur l’impossibilité de cette élection, que devaient repousser le cardinal Franciotto Orsini et les plus ardens des cardinaux français, il revit Pompeio Colonna. — « Que ferez-vous pour moi, lui demanda-t-il, si je donne au cardinal Jacobaccio les quatre voix dont il a besoin et s’il échoue malgré cette accession ? — Dans le cas où, par un accident quelconque, cette élection manquerait, répondit Pompeio Colonna, qui s’en croyait maintenant certain, je vous donnerai pour vous ou pour un de vos amis autant de voix que vous en aurez donné au cardinal Jacobaccio. »
Avertie des pourparlers de Colonna et de Médicis, la faction française, pour être plus sûre de déjouer l’arrangement conclu entre eux, résolut de retirer au cardinal Jacobaccio autant de voix que devait lui en apporter le parti des jeunes. Aussi, lorsqu’on dépouilla le scrutin, on n’y trouva que dix-huit voix en faveur du candidat dont l’élection était convenue et semblait assurée. À ces dix-huit voix s’adjoignirent par accès les quatre voix du cardinal de Médicis, ce qui n’en fit que vingt-deux. Colonna, outré du manque de parole qui avait empêché la nomination de Jacobaccio, le reprocha amèrement aux cardinaux d’origine française. Ceux-ci s’en excusèrent en disant qu’ils avaient obéi à l’ordre exprès de leur prince, qui leur avait prescrit de ne consentir qu’à une élection conforme aux intérêts de la France. Ils ajoutèrent que le cardinal Jacobaccio était homme de bien et aurait été bon pape, mais non pour le roi leur maître. — « Bien, répondit Colonna, je vous en ferai un de bon pape pour le roy votre maistre[32]. » Il alla trouver immédiatement le cardinal de Médicis, qu’il remercia d’avoir tenu fidèlement sa promesse, et auquel il dit qu’il était prêt à tenir la sienne, et qu’il ne voulait pas d’autre pape que lui. Avec sa voix, il lui donna les voix du Romain Jacobaccio et des Vénitiens Cornaro et Pisani. Il l’aida même à en détacher du parti des vieux cardinaux trois autres qui, réunies à celles qu’il apportait et aux dix-neuf dont disposait le cardinal Jules de Médicis, assuraient sa nomination. La majorité exigée ayant cessé d’être douteuse dans la nuit du 17 au 18 novembre, on résolut de procéder le lendemain à un scrutin qui mît un terme à ce long conclave. Ceux qui repoussaient encore le cardinal de Médicis, devenus certains que son élection se ferait sans eux, jugèrent qu’il valait mieux y concourir que s’y opposer, et ils demandèrent que le scrutin fût différé d’un jour. Dans l’intervalle, ils convinrent de s’associer à la nomination du cardinal de Médicis ; mais comme la plupart d’entre eux avaient juré de ne jamais y consentir, ils entrèrent dans la chapelle du conclave pour se délier les uns les autres du serment qu’ils s’étaient prêté. Ils y appelèrent le cardinal de Médicis, et le soir même du 18 tous les pères du conclave le nommèrent par adoration. Le lendemain matin 19, cette élection fut régularisée par un scrutin solennel, et l’unanimité des voix fut accordée au cardinal Jules de Médicis, qui devint pape sous le nom de Clément VII.
Le nouveau pape, immédiatement après son élection, avait promis de s’unir aux confédérés. Il leur avait envoyé une partie du contingent pécuniaire que le saint-siège, Florence, Lucques et Sienne devaient fournir pour l’entretien des troupes de la ligue italienne[33] et la poursuite de la guerre, qui avait continué en Lombardie. Bonnivet, n’ayant pas su profiter tout d’abord de ses avantages, et au lieu d’attaquer le Milanais avec une impétuosité qui aurait été irrésistible, ayant agi avec une circonspection qu’il croyait savante et qui n’était qu’inhabile, était bien vite arrivé au terme de ses succès. Le corps d’armée qu’il avait envoyé devant Crémone ne parvint pas à s’en rendre maître[34]. Il le rappela dans son ancienne position de Monza, afin de resserrer le blocus de Milan, qu’il espérait toujours contraindre à se rendre. Il pressait cette grande ville de tous les côtés. Il avait fermé les diverses routes par lesquelles des vivres pouvaient y être portés. Ses garnisons à Abbiate-Grasso et à Vigevano sur le Tessin, le corps de Bayard et de Renzo da Ceri à Monza, la troupe de Federico da Bozzolo à Lodi, le reste de son armée campé au sud vers Binasco, interceptaient les communications avec Milan dans les quatre principales directions. Ses chevaux parcouraient l’intervalle qui le séparait de la ville bloquée. Il attendit dans cette position que l’armée ennemie, qu’on ne payait point, se dispersât et que la ville de Milan, où l’on fut réduit pendant une semaine à manger de l’avoine et de l’orge, se décidât à capituler ; mais les rigueurs du blocus n’y abattirent point le courage des habitans, et l’irrégularité de la paie n’y amena point la dispersion de l’armée. On fabriqua des moulins à bras pour moudre le blé qui abondait dans la ville et l’on fit de fréquentes sorties. Bientôt même les manœuvres habiles des confédérés et les rigueurs inaccoutumées d’un hiver qui couvrit de neige les campagnes de la Lombardie ne permirent pas à Bonnivet de se maintenir autour de Milan. La garnison espagnole de Pavie, renforcée par les troupes pontificales que commandait le marquis de Mantoue, fit des incursions vers les derrières de son camp et les poussa jusqu’au Tessin. Bonnivet craignit de perdre les ponts qu’il avait sur cette rivière, par où les subsistances lui venaient des riches contrées de la Lomelline et du Novarais. Afin de les mettre à l’abri d’une surprise ou d’une destruction qui l’aurait exposé lui-même à ce dont il menaçait Milan, il donna l’ordre à Bayard et à Renzo da Ceri de quitter Monza et de se porter à Abbiate-Grasso pour y garder le cours du Tessin et les ponts qu’il y avait jetés. Le corps qui fermait la Lombardie supérieure ayant abandonné Monza, Prospero Colonna occupa cette forte position, et les Milanais reçurent des vivres en abondance par la route ouverte du mont de Brianza. L’amiral, réduit à dégager au nord la ville qu’il tenait bloquée depuis un mois et demi afin de protéger à l’ouest sa propre ligne d’opérations, ne fut pas plus en mesure de l’avoir par famine qu’il n’avait su la prendre de vive force[35].
Bientôt même il ne put plus rester campé au-dessous de Milan. La campagne était couverte de neige ; ses troupes souffraient beaucoup, et sans espérance de réduire désormais, en l’affamant, la ville à moitié débloquée, Bonnivet prit le parti de s’en retirer complètement : il se replia sur le Tessin, dont il occupa les deux rives et où il demeura en force ; mais dès ce moment le but de la campagne était manqué, la conquête du Milanais était devenue impossible. Le mouvement de retraite commencé par l’échec de Crémone, continué par l’abandon de Monza, rendu plus marqué par le déblocus de Milan, ne devait pas s’arrêter. L’amiral Bonnivet était condamné à perdre ce qu’il tenait encore sur la rive gauche du Tessin, et à être enfin dépossédé de toute la partie de la Lombardie située à la droite de ce fleuve.
L’armée impériale, d’abord faible et prise au dépourvu, s’était peu à peu renforcée et raffermie. Le vieux capitaine italien qui la commandait avait succombé le 28 décembre ; mais avant de mourir il avait vu le succès de ses savantes dispositions et de ses fermes mesures. Charles-Quint avait donné l’ordre à Lannoy, vice-roi de Naples, d’aller remplacer à Milan Prospero Colonna, dont la maladie faisait présager la mort prochaine ; il dépêchait en même temps Beaurain au connétable de Bourbon, qui était à Gênes, pour qu’il devînt en Lombardie son lieutenant-général, représentant sa personne, et qu’il commandât à tout le monde, même au vice-roi de Naples[36]. Lannoy avait remonté la péninsule avec quatre cents hommes d’armes et quatre mille hommes de pied, qu’il devait joindre à l’armée de la ligue[37], déjà grossie sous Prospero Colonna des troupes italiennes conduites par Jean de Médicis et des levées faites par Francesco Sforza. Il amenait le marquis de Pescara, qui consentait à servir avec le vice-roi de Naples, dont il reconnaissait l’autorité politique et ne craignait pas la rivalité militaire. Lannoy, qui apportait de sa vice-royauté une somme d’argent[38] à laquelle s’ajoutèrent 65,000 ducats fournis par l’Italie centrale, et 90,000 tirés du Milanais, appela d’Allemagne six mille lansquenets de plus[39]. Il s’était arrêté à Pavie, d’où il ne se rendit à Milan qu’après la mort de Prospero Colonna. Il ne voulut pas entrer dans cette ville et y prendre le commandement des troupes confédérées tant que respirerait encore le consommé capitaine à l’habileté duquel l’empereur son maître était si redevable, qui avait su conquérir le duché de Milan sur les Français et le défendre à deux reprises contre eux. Lorsque l’armée à la tête de laquelle il se plaça, et dont le duc de Bourbon[40] vint bientôt diriger les mouvemens, eut reçu le renfort des six mille lansquenets, elle compta dix mille Allemands, sept mille Espagnols, quatre mille Italiens, huit cents lances et huit cents chevau-légers, outre les cinq mille hommes de pied, Italiens et Espagnols, les cinq cents lances et les six cents chevau-légers qui étaient dans Pavie sous Antonio de Leyva et le marquis de Mantoue.
Dès ce moment, la guerre changea de face. Loin que les Français cherchassent à enlever aux impériaux le duché de Milan, les impériaux se mirent en mouvement pour expulser les Français de la partie du territoire lombard qu’ils occupaient encore. De défensive que jusque-là elle avait été pour les confédérés, la campagne devint offensive. Les Vénitiens, qui étaient demeurés inactifs tant qu’ils avaient cru les impériaux plus faibles, se décidèrent à les seconder dès qu’ils les jugèrent les plus forts. Ils ordonnèrent à leur général, le duc Jean d’Urbin, de passer l’Adda et de se joindre aux impériaux avec les six mille fantassins, les sept cents hommes d’armes et les cinq cents chevau-légers qu’il commandait. Les confédérés réunis, agissant avec ensemble, quoique placés sous tant de chefs, attaquèrent Bonnivet dans les diverses positions qu’il tenait encore, et au moyen d’adroites manœuvres, ainsi que par de hardis coups de main, ils le poussèrent hors de l’Italie.
Bonnivet s’était établi à Abbiate-Grasso, où il avait concentré son armée. Ses avant-postes, à l’est du Tessin, étaient à Robecco, lieu ouvert, malaisé à défendre, et que les impériaux, conduits par Pescara et par Jean de Médicis, n’eurent pas de peine à enlever en y surprenant la faible troupe que l’amiral y avait aventurée. Après l’échec et la prise de Robecco, il ne restait plus aux Français, sur la rive gauche du Tessin, que la ville d’Abbiate-Grasso. Afin de les déloger de cette position, les confédérés passèrent le fleuve un peu en dessous avec des forces supérieures, et ne laissèrent dans Milan que six mille hommes, suffisans pour mettre la ville à l’abri d’une attaque. Ils s’établirent à Gambolo, s’emparèrent du château de Garlasco, et menacèrent de couper les vivres que Bonnivet tirait de la Lomelline.
Bonnivet était comme enfermé à Abbiate-Grasso. Pendant longtemps il avait fait espérer au roi son maître la soumission prochaine du Milanais[41] ; mais depuis qu’il avait commencé à revenir sur ses pas, il lui avait demandé des renforts avec lesquels il put reprendre l’offensive. Il attendait cinq mille Grisons, qui, descendus de leurs vallées sous la conduite de Dietingen de Salis, devaient se réunir vers Lodi à Federico da Bozzolo, et opérer une utile diversion entre l’Adda et Milan. François Ier, entretenu dans la confiance d’un succès décisif en Italie, apprit presque en même temps la position périlleuse où était son favori Bonnivet et les avantages que son ennemi Charles-Quint venait de remporter sur la frontière des Pyrénées.
L’empereur, que le manque d’argent et de troupes avait empêché de pénétrer en France dans l’automne de 1523, n’avait rien négligé pour remettre son armée sur pied. Afin de la renforcer et de la mouvoir, il avait cherché partout de l’argent. Outre celui qu’il avait obtenu des cortès de Palencia, qu’il avait réclamé des ordres militaires de chevalerie, qu’il avait tiré de la cruzade et de l’église, il avait pris toutes les sommes venues des Indes, et dont la plus grande partie était destinée à ses sujets. Il avait écrit à l’archiduc Ferdinand, son vicaire-général dans l’empire, pour qu’il en obtînt de la ligue de Souabe et de l’opulent clergé d’Allemagne. Il lui disait qu’il ne pouvait songer à repousser les entreprises des Turcs du côté du Danube qu’après avoir arrêté celles des Français en Italie, qu’il avait déjà dépensé des quantités innombrables de deniers, qu’il en avait besoin encore, afin de lever de grosses armées de gens de pied et de cheval, et qu’il requérait les Allemands de l’y aider, comme ils y étaient tenus par intérêt et par devoir. Il recommandait en même temps à son frère de faire procéder par la chambre impériale contre le roi François Ier comme usurpateur du royaume d’Arles, « et de faire prononcer la confiscation du Dauphiné, de la Provence, du Lyonnais, des comtés de Valence et de Die, etc.[42], qu’il avait enlevés à l’empire. »
Lorsque son armée fut en état d’entrer en campagne, elle franchit de nouveau les Pyrénées au cœur de l’hiver. L’empereur s’était transporté lui-même de Valladolid à Pampelune et de Pampelune à Vittoria. Son projet était de se jeter en Béarn, de se diriger de là vers Toulouse et de pénétrer en Languedoc. C’était un peu tard pour concourir à l’invasion déjà manquée de 1523, et trop tôt pour seconder l’invasion encore impossible de 1524. Aussi son armée ne suivit point cette marche. Ne pouvant contribuer à l’exécution d’un plan général en ce moment renversé, elle agit à part de la coalition, mais dans l’intérêt particulier de l’Espagne. Commandée par le connétable de Castille, qui en était le capitaine-général, elle entra en France, où elle commit de grands ravages, Elle s’avança jusqu’à Sauveterre, qu’elle prit et rasa. Elle s’empara de vive force de la ville et du château de Bidache, qu’elle brûla. Ostariz eut le même sort, que subit aussi Saint-Jean-de-Luz, après que cette armée dévastatrice se fut retirée de devant Bayonne, qu’elle avait eu l’intention d’assiéger. Le dégât que les Français avaient fait eux-mêmes autour de cette ville aurait exposé à la famine les troupes qui se seraient hasardées à y mettre le siège. N’ayant ni le moyen ni l’espoir de s’emparer de la place forte qui ouvrait la France de ce côté, Charles-Quint songea à reprendre la ville de Fontarabie, que les Français occupaient depuis plusieurs années et qui leur était un pied à terre en Espagne. Vers le commencement de février, son armée parut devant cette place, qu’il investit aussi par mer. Une artillerie des plus formidables, composée de soixante pièces de gros calibre, la foudroya, et fit bien vite taire ses canons et tomber ses défenses. Menacée d’être prise d’assaut, la garnison capitula ; elle rendit la ville, d’où elle sortit librement, vie et bagues sauves, mais en laissant l’artillerie et les munitions au pouvoir de Charles-Quint. Après avoir recouvré Fontarabie et être ainsi rentré en possession de tout son royaume d’Espagne, l’empereur licencia la plus grande partie de ses soldats, que les rigueurs du temps et la disette de vivres sur cette frontière l’empêchèrent de tenir plus longtemps en campagne[43]. Il les renvoya, comme s’il n’avait pas projeté de faire entrer l’armée d’Italie en Provence aussitôt qu’elle aurait rejeté les troupes de Bonnivet au-delà des Alpes, et de renouveler contre le royaume de François Ier l’attaque générale qui n’avait pas réussi l’année précédente.
Pendant que son armée était en danger et battait en retraite dans la Haute-Italie, pendant que l’extrémité méridionale de son royaume était ravagée par les troupes de Charles-Quint, qui reprenait possession de Fontarabie, François Ier était à Blois, plus livré encore à ses passe-temps[44] et à ses plaisirs qu’occupé de ses affaires. Il songeait moins à aller, comme il en avait annoncé bien des fois le projet[45], commander les troupes dont dépendaient le recouvrement du Milanais et la sûreté de la France qu’à poursuivre les complices du connétable de Bourbon. Il croyait que le complot avait des ramifications étendues, et il voulait connaître tous ceux qui y avaient adhéré, autant pour se rassurer que pour les punir. Il lui importait de découvrir les soutiens cachés de desseins auxquels n’avait pas renoncé l’implacable rebelle que l’empereur avait nommé son lieutenant-général, et qui en ce moment était à la tête des armées ennemies. Aussi pressait-il l’instruction et le jugement des prisonniers arrêtés soit à Lyon, soit dans d’autres parties du royaume, comme ayant pris part à la conjuration. Les commissaires du parlement, qu’il avait désignés lui-même d’après les indications du chancelier Du Prat, procédaient avec des lenteurs qu’il prenait pour des ménagemens. Il s’irritait de la régularité des formes et se plaignait de la douceur des interrogatoires. Aussi enjoignait-il aux méthodiques magistrats, en répugnaient encore plus à employer dans la justice la précipitation que la violence, d’agir vite et de recourir à la torture pour tirer la vérité de ceux qui s’obstinaient à la taire. Interrogés à Loches et conduits ensuite à Paris, les plus considérables des prisonniers n’avouaient rien. L’évêque du Puy et surtout l’évêque d’Autun[46] déclaraient qu’ils ne pouvaient pas révéler ce qu’ils avaient appris sous le secret de la confession. Aymard de Prie, d’Escars et Popillon se disaient étrangers au complot. Le gros de la conspiration avait cependant été découvert par quelques-uns des agens du connétable. Saint-Bonnet, saisi dans sa fuite sur la frontière de la Franche-Comté, avait raconté tout ce qu’il savait[47], et Saint-Vallier lui-même, après de longues dénégations, s’était décidé à convenir des engagemens pris à Montbrison et à faire connaître le traité qui s’y était conclu entre le connétable et l’empereur[48].
Le procès étant instruit vers la fin de décembre, François Ier l’avait renvoyé au parlement de Paris pour être jugé immédiatement. « L’affaire, disait-il, touche grandement nous, notre royaume et la chose publique. Nous désirons qu’elle soit dépeschée en bonne et grosse compagnie, afin que telle punition et démonstration en soit faite, qui soit exemple à tous[49]. » Le parlement, le 16 janvier, condamna Saint-Vallier à être décapité. Il décréta d’une vaine prise de corps tous ceux qui s’étaient évadés en même temps que le connétable ou à sa suite ; René de Bretagne, comte de Penthièvre ; Jean de Vitry, seigneur de Lallière ; Philibert de Saint-Romain, seigneur de Lurcy ; Pompérant, les deux d’Espinat, François de Tansannes, Jean de Bavent, François du Peloux, Bartholomé de Guerre, Beaumont, Guignard, Jean de L’Hôpital. Par des arrêts successifs du 23 et du 26 janvier, Desguières et Brion, instruits de la conspiration et ne l’ayant pas révélée, durent faire amende honorable et être relégués pendant trois ans dans un lieu qu’il plairait au roi de désigner, tandis que Aymard de Prie et Baudemanche furent élargis, sous la condition de rester dans Paris et de se présenter devant les juges toutes les fois qu’ils en seraient requis[50].
François Ier trouva ces sentences entachées d’une indulgence presque factieuse. Elles lui avaient été communiquées à Blois. Il prescrivit d’y surseoir à Paris. « Chancelier, écrivit-il à Du Prat, dites à ceux de ma cour qu’ils n’aient à prononcer les dits arrêts que je ne soye arrivé là et que je n’aye parlé à eux[51]. » Il ordonna de dégrader Saint-Vallier, qui dut être mis à la torture et violemment questionné avant d’être envoyé au supplice. Le duc Charles de Luxembourg fut commis pour lui ôter le collier de l’ordre de Saint-Michel. Accompagné du président Leviste et de sept conseillers, il vint dans la tour de la Conciergerie exécuter les ordres du roi. Saint-Vallier y était gravement malade. En proie à la fièvre, il écouta du lit où il était étendu la sentence qui prescrivait sa dégradation avant son supplice. « Le roi, dit-il, ne peut m’enlever l’ordre de Saint-Michel qu’en présence de mes confrères convoqués et assemblés. » Il protesta contre cette injure. Comme on lui demandait où était son collier, il répondit que le roi savait bien où il l’avait perdu, et que c’était à son service. Il refusa deux fois de s’en laisser mettre au cou un autre qu’on n’y attacha que pour l’en arracher. On fit apporter ensuite dans sa chambre les instrumens de torture, et on le pressa de faire des aveux plus étendus. Le malheureux dit qu’il s’abandonnait à la cour, rappela qu’il avait servi le roi à ses dépens, se plaignit que ses amis le délaissassent en son besoin, soutint qu’il n’avait rien à ajouter à ses précédentes déclarations, protesta vivement contre tout projet d’attenter à la personne du roi ou de ses enfans, et demanda à se confesser et à faire son testament. Après avoir passé une heure avec son confesseur, sommé de nouveau de désigner tous les complices de la conspiration, il permit au prêtre qui venait de l’entendre de révéler sa confession. La torture fut jugée dangereuse et inutile. On renonça à la lui donner et l’on disposa tout pour son supplice.
Saint-Vallier avait fait invoquer la miséricorde du roi par ceux qui pouvaient le mieux la lui concilier. Il s’était adressé, avec de pathétiques supplications, à son gendre, le grand-sénéchal de Normandie, qui avait découvert au roi la conspiration, à l’évêque de Lisieux, qui l’avait le premier révélée, et à sa fille, la belle et célèbre Diane de Poitiers. « Si vous ne pouvez venir jusqu’ici, avait dit Saint-Vallier au grand-sénéchal, je vous requiers en l’honneur de Dieu que vous me veuilliez envoyer votre femme… De vostre costé, écrivez au roi et à Madame tout ainsi que vous le saurez bien faire. J’ai le cœur si serré qu’il me crève. Ayez pitié de moi, car le cas vous touche[52]. » Il avait demandé aussi à Diane de Poitiers, qui devait passer par Blois et y retourner après s’être concertée avec lui, d’avoir assez pitié de son pauvre père pour venir le voir. La grande-sénéchale avait obtenu du roi la vie de son père.
Cependant Saint-Vallier, extrait de la tour de la Conciergerie, avait été mené sur le perron du Palais-de-Justice, où lui avait été lue à haute voix la sentence qui le condamnait à avoir la tête tranchée. Il avait ensuite été placé sur une mule avec un archer monté en croupe derrière lui pour le soutenir. Il fut ainsi conduit à la place de Grève au milieu des arbalétriers, des sergens à verge et du guet. Il était sur l’échafaud tout prêt à y subir sa sentence, lorsqu’accourut, fendant la foule, un archer de la garde du roi qui apportait sa grâce[53]. Cette grâce était accordée, disait le roi dans sa déclaration, aux prières du grand-sénéchal, en récompense surtout du service éclatant qu’il en avait reçu[54] ; mais elle était loin d’être entière. Au lieu d’avoir la tête tranchée, Saint-Vallier était condamné à passer sa vie entre quatre murailles maçonnées, n’ayant qu’une petite fenêtre par laquelle on lui administrerait son boire et son manger. Ce supplice, que la perpétuité aurait rendu aussi cruel pour lui que la mort, ne commença pas même à lui être infligé. François Ier, que les prières de Diane de Poitiers avaient encore plus touché que les instances et le dévouement du grand-sénéchal, étendit la grâce du père à mesure que les sollicitations de la fille acquéraient plus d’empire sur lui. Peu de jours après avoir fait remise de la peine capitale à Saint-Vallier, il prescrivit de surseoir à son emprisonnement, et il envoya bientôt un capitaine de sa garde avec ordre au parlement de lui remettre le prisonnier pour le conduire où le voulait son bon plaisir[55]. Mené dans un de ses châteaux sur les bords de l’Isère, Saint-Vallier y passa librement le reste de sa vie, qui ne se termina que douze ans après[56].
François Ier, qui avait accordé la grâce de Saint-Bonnet à cause de ses révélations, celle de Saint-Vallier à cause des supplications de son gendre et peut-être des influences de sa fille[57], trouva les juges trop indulgens envers quelques-uns des accusés et pas assez prompts à faire le procès à tous les autres. Il vint à Paris pour s’en plaindre. Il se rendit au Palais-de-Justice, et reprocha au parlement de n’avoir condamné Desguières et Brion qu’à une détention de trois années, de n’avoir pas soumis à la question d’Escars, le chambellan du connétable, et Popillon, son chancelier, et de n’avoir pas prononcé contre eux la confiscation. Il ajouta que Brion et Desguières s’attendaient à être pendus lorsqu’ils furent pris, et qu’il ne pouvait pas tolérer de telles voies en des affaires qui concernaient de si près sa personne et son royaume. Il fit, en sa présence, citer à bref délai le connétable de Bourbon. L’avocat-général Lizet demanda que, transfuge du royaume et notoirement criminel de lèse-majesté, messire de Bourbon fût, sous le bon plaisir du roi assisté de ses pairs, princes du sang et membres de son conseil, condamné à être décapité, que ses fiefs fussent réunis à la couronne et ses autres biens confisqués. Les trois délais d’ajournement furent fixés à des termes assez rapprochés.
François Ier fit entendre des paroles hautaines et impérieuses au parlement, qu’il trouvait trop disposé à l’indépendance, et qu’il accusait d’entraver les actes de l’administration royale, et de ne pas pourvoir avec assez de zèle aux plus pressans intérêts de sa couronne et à sa propre sûreté. Le parlement résistait encore à l’exécution du concordat de 1516, qui avait détruit la libre constitution de l’église française ; il avait très mal accueilli l’établissement des nouvelles charges judiciaires que François Ier n’avait instituées que pour les vendre et pour en tirer de l’argent. Aussi le roi le réprimanda-t-il de la lenteur avec laquelle avait été enregistrée la création de quatre maîtres des requêtes, de deux présidens et de dix-huit conseillers, qui devaient lui rapporter, les premiers 60,000 livres, et les seconds 70,000. Il dit que, par suite de ces condamnables retards, et faute de pouvoir recouvrer ces sommes à temps, Milan avait été perdu. « Je n’ai pas cause, ajouta-t-il, de me contenter de pareilles longueurs. Sachez bien que toute l’autorité que vous avez n’est que de par moi, et que la cour de parlement n’est pas un sénat de Rome. » En même temps qu’il restreignait son contrôle politique, il voulut forcer l’action de sa justice. Traitant pour ainsi dire en suspect le parlement de Paris dans le jugement de la conspiration du connétable, il annonça à ses membres qu’il leur en adjoindrait d’autres, tirés des divers parlemens du royaume, afin qu’ils révisassent en commun les procès déjà vidés, et en attendant il prescrivit que les prisonniers ne bougeassent d’où ils étaient.
C’est lors de ce voyage à Paris qu’il apprit la position critique de l’amiral Bonnivet en Italie. Il le crut cerné à Abbiate-Grasso et gravement menacé sur ses flancs et sur ses derrières. Il ordonna une procession générale, qu’il suivit à pied, pour demander à Dieu de dégager son armée de la situation dangereuse où elle se trouvait. Il remercia avec effusion l’Hôtel-de-Ville de Paris d’un prêt opportun de 300,000 écus[58] qu’il lui avait fait, et qui permettait d’assister ses troupes en Lombardie autrement que par des prières. Il demanda par son ambassadeur auprès des cantons huit mille Suisses de plus, et il donna l’ordre à quatre cents hommes d’armes de se réunir sous le duc de Longueville pour aller recevoir ces huit mille Suisses à Ivrée, à la descente des Alpes, et les conduire jusqu’au camp de Bonnivet.
En attendant les secours qu’il avait demandés, l’amiral avait quitté la rive gauche du Tessin. Il avait laissé une faible troupe de mille fantassins et de cent chevaux pour garder Abbiate-Grasso, et il s’était porté avec toute son armée à Vigevano, afin d’assurer ses communications et ses vivres dans la Lomelline. Les confédérés ne l’y laissèrent pas longtemps. Conduits par le duc de Bourbon, le marquis de Pescara et le duc d’Urbin, ils le poursuivirent de leurs incessantes et heureuses attaques. Ils le menacèrent sur sa droite en assiégeant Sartirana, qui fut prise d’assaut avant qu’il pût en approcher, bien qu’il se fût avancé jusqu’à Mortara pour la secourir. Tandis que les confédérés s’emparaient de Sartirana, la garnison laissée dans Milan, suivie d’une foule d’habitans armés, marcha sur Abbiate-Grasso, et l’enleva de vive force. Ne conservant rien à sa gauche le long du Tessin, et pressé de plus en plus par les impériaux, qui le débordèrent vers sa droite, en remontant jusqu’à Verceil, sur la Sesia, Bonnivet, de peur de manquer de vivres à Mortara et d’avoir ses derrières coupés, continua son mouvement de retraite et recula jusqu’à Novare. Il s’y établit, croyant qu’il y serait bientôt joint par les hommes de pied et les hommes d’armes qui descendaient des vallées des Grisons, des cantons suisses et du royaume de France. C’était sa dernière ressource : elle lui manqua. Les Grisons, conduits par Dietingen de Salis, débouchèrent bien vers le Bergamasque ; mais, arrivés à Cravina, où ils espéraient trouver de l’argent pour les solder, de l’infanterie pour les soutenir, de la cavalerie pour les escorter, ils ne virent rien. Federico da Bozzolo n’avait pu sortir de Lodi avec sa garnison et aller à leur rencontre. Jean de Médicis occupait et battait le pays. Les confédérés l’avaient envoyé jusqu’à l’ouverture des vallées des Grisons avec quatre mille fantassins italiens, une troupe d’hommes d’armes et de cavalerie légère, que joignirent les forces vénitiennes, restées sur la rive gauche de l’Adda. Jean de Médicis inquiéta les flancs des Grisons, arrêta leur marche, les contraignit à rebrousser chemin et à rentrer dans leur pays. L’armée impériale, n’ayant dès lors plus à craindre aucune attaque détournée contre Milan, se maintint tout entière à la droite du Tessin. Supérieure en force, encouragée par des succès continus, elle s’avança contre l’armée française, que des échecs multipliés et des maladies contagieuses avaient diminuée et abattue. Elle se plaça à Cameriano, à moins de deux lieues de Novare.
Bonnivet ne pouvait pas demeurer plus longtemps dans cette position. Il n’avait plus d’espérance que dans les huit mille Suisses qui s’étaient mis en route le 12 avril, et qui comptaient trouver au pied méridional des Alpes les quatre cents hommes d’armes destinés à les escorter jusqu’à l’armée française, dont ils devaient renforcer les rangs et sauver les débris. Il quitta Novare, d’où le maréchal de Montmorency, presque moribond, sortit le premier en litière, et il se dirigea vers le haut de la Sesia pour effectuer sa jonction avec les troupes des cantons et les hommes d’armes de France. Il remonta jusqu’à Romagnano, toujours suivi par les impériaux, qui voulaient le jeter hors de l’Italie. Romagnano est sur la gauche de la Sesia, à l’endroit même où cette rivière sort des montagnes et entre dans la plaine du Piémont. Un peu au-delà, sur la rive droite, se trouve Gattinara, où arrivaient les huit mille Suisses, sans avoir été joints à Ivrée par la cavalerie du duc de Longueville, qui, demeuré en arrière, n’avait pas encore atteint les Alpes. Ils avaient continué leur marche, fort mécontens, dans l’intention non de s’unir à l’armée française pour qu’elle reprît l’offensive, mais de protéger sa retraite, de dégager leurs compatriotes et de les ramener dans les cantons. Ils étaient de l’autre côté de la Sesia, grossie par les pluies, qu’ils ne voulaient pas franchir[59]. Ne pouvant décider ce corps auxiliaire à passer la rivière, Bonnivet fut réduit à la traverser lui-même avec l’armée fugitive. Il le fit de nuit avec assez de désordre, et en perdant beaucoup de monde. La Sesia franchie, il se mit en pleine retraite, poursuivi par les corps les plus avancés des impériaux, sous Bourbon et Pescara. Blessé grièvement au bras d’un coup d’arquebuse, il abandonna le commandement de l’armée. Il le laissa au comte de Saint-Paul et au chevalier Bayard, chargés de diriger cette difficile retraite.
Le vaillant chevalier était aussi un expérimenté capitaine. Il se mit à l’arrière-garde avec quelques compagnies d’hommes d’armes et quelques bandes suisses que commandait Jean de Diesbach. Il couvrait la marche de l’armée française, qui se retirait à grands pas. Lorsque les plus hardis des confédérés s’approchaient trop, il les chargeait à la tête de ses hommes et les faisait reculer. C’est à la suite d’une de ces charges que l’un de ses plus valeureux compagnons, le seigneur de Vandenesse, frère du maréchal de La Palisse, reçut une blessure à laquelle il succomba peu de temps après, et que lui-même fut mortellement atteint d’un coup d’arquebuse. La balle lui fracassa les reins. Il se fit descendre de cheval et placer sous un arbre en face de l’ennemi. Il supplia tous ceux qui étaient autour de lui de pourvoir à leur sûreté ; puis, baisant la croix de son épée, après avoir adressé au connétable de Bourbon, qui le consolait, les plus nobles paroles[60], à Dieu les plus touchantes prières, il mourut en humble chrétien, après avoir combattu toute sa vie en héros. La perte du chevalier sans peur et sans reproche, qui avait fait les diverses guerres de Charles VIII, de Louis XII, de François Ier, qui, aussi avisé qu’intrépide et non moins réfléchi qu’entreprenant, était entré le premier dans Gênes, avait décidé par sa bravoure la prise d’assaut de Brescia, avait été l’un des vainqueurs d’Aygnadel, de Ravenne et de Marignan ; la mort de l’incomparable preux par lequel François Ier avait voulu être armé chevalier sur le champ de bataille à la suite de sa première victoire, jeta la consternation dans l’armée et répandit le deuil parmi ses ennemis mêmes[61]. Dès ce moment, la retraite ne fut plus conduite que par le comte de Saint-Paul ; elle s’opéra rapidement sans être trop inquiétée, les confédérés cherchant encore plus à pousser hors de l’Italie les débris de l’armée fugitive qu’à l’anéantir. Les Suisses se retirèrent par le val d’Aoste, et les Français rentrèrent dans leur pays par Suze et par Briançon, où ils trouvèrent, mais trop tard, les quatre cents hommes d’armes qu’amenait le duc de Longueville.
C’était pour la troisième fois que François Ier perdait le Milanais ou se trouvait impuissant à le reprendre. Bonnivet n’avait été ni plus heureux ni plus habile que Lautrec. Les dernières places que le roi tenait encore en Italie se rendirent. Bussy d’Amboise et Federico da Bozzolo capitulèrent dans Alexandrie et dans Lodi, où ils ne pouvaient plus être secourus, et le château de Crémone, qui avait résisté plus de deux ans, ouvrit ses portes. Les garnisons de ces places prirent le chemin de la France, qui allait être exposée à une invasion.
Dans le moment où les deux armées française et impériale étaient à peu de distance l’une de l’autre, occupant le Milanais, la première à la droite, la seconde à la gauche du Tessin, des négociations s’étaient engagées par l’entremise de Clément VII. Le nouveau pape, à l’élection duquel l’empereur avait travaillé avec tant de confiance et le roi de France s’était opposé si vivement, n’avait pas tardé à montrer à Charles-Quint qu’il avait peu à espérer, et à François Ier qu’il ne devait rien craindre de lui. Il changea de sentimens en changeant de position : mais il le fit sans résolution comme sans franchise. Sa politique eût été habile, s’il avait su la rendre forte. Elle était tout à la fois d’un souverain pontife et d’un prince italien. Pape, il aurait voulu pacifier les rois chrétiens pour arrêter les Turcs, qui, s’avançant vers l’Europe orientale, envahissaient la Hongrie, et pour comprimer l’hérésie de Luther, qui se répandait sans obstacle en Allemagne. Chef territorial de l’Italie centrale, il redoutait dans la péninsule la prépondérance d’un des dangereux contendans qui se la disputaient. Il aurait désiré les y contenir tous deux sous la médiation pontificale et sous la surveillance des états italiens confédérés, et empêcher que l’entière défaite de l’un n’y établît la domination absolue de l’autre. La paix en Europe et l’équilibre en Italie furent les grands desseins qu’il tenta par de petites manœuvres. S’il avait été plus hardi et moins artificieux, s’il s’était servi de la puissance dont il disposait, en sa double qualité de pape et de prince, avec la résolution entreprenante d’un Jules II, il aurait pu atteindre le but qui se déroba constamment à ses tortueuses recherches.
Très peu de temps après être monté sur le trône pontifical, Clément VII se détacha de ceux qui l’y avaient élevé et se rapprocha de ceux qui l’en avaient repoussé. Il le fit en usant d’artifice, sans rompre avec les uns et sans s’unir aux autres. Il ne sortit pas brusquement de la ligue que son prédécesseur Adrien avait conclue avec l’empereur, et dans laquelle étaient entrés les Vénitiens, les Florentins, les Siennois et les Lucquois ; mais il ne s’y maintint point. Le premier contingent pécuniaire envoyé, il se refusa à en fournir d’autres, prétendant que le trésor pontifical était vide, et que les états confédérés se trouvaient épuisés. Il ne consentit pas à renouveler la ligue, comme l’en pressait Beaurain, qui, du camp impérial, s’était rendu à Rome par l’ordre de son maître, afin de l’y décider. Il affecta la plus vive reconnaissance envers Charles-Quint, avoua que c’était avec son appui qu’il était arrivé à la dignité pontificale, et dit « que, si étant cardinal il avait été son serviteur, à cette heure comme pape il tenait les affaires de l’empereur pour les siennes[62]. » En même temps qu’il assurait à l’envoyé de Charles-Quint et au duc de Sessa, son ambassadeur, que les intérêts de l’empereur étaient les siens et qu’il n’avait pas de meilleur ami que lui, comme il le verrait bientôt à l’œuvre, il faisait des promesses formelles d’amitié à François Ier. Les représentans de ce prince à Rome, le comte de Carpy et l’ambassadeur Saint-Marsault, lui écrivaient : « Le saint-père assura, avec paroles encore plus formelles qu’auparavant, ne vouloir en sorte que ce soit favoriser vos ennemis, mais estre bon père universel, et rien moins votre ami que d’eux, et entendre travailler au bien de la paix[63]. » Il prétendit avoir refusé aux impériaux et aux Anglais l’argent qu’ils lui demandaient pour la continuation de la guerre en Italie, et d’un autre côté il fit savoir à Charles-Quint qu’il avait rejeté la proposition du roi de France, qui lui offrait de marier son second fils le duc d’Orléans, depuis Henri II, avec sa nièce Catherine de Médicis, en donnant aux deux époux le duché de Milan pour dot. Il affirmait qu’il tiendrait les engagements pris avec l’empereur[64].
Au fond, Clément VII ne voulait se joindre à aucun des deux adversaires : il désirait mettre un terme à la guerre, et il s’établit bientôt en médiateur pacifique entre les belligérans. Il fit partir de Rome, pour se rendre d’abord en France, puis en Espagne et en Angleterre, Nicolas Schomberg, archevêque de Capoue, avec la mission d’y négocier une trêve qui serait un acheminement à la paix. L’archevêque de Capoue et le dataire Giovan-Matteo Giberto se partageaient la confiance du pape, qui se servit tour à tour de l’un et de l’autre suivant qu’il voulait concilier à ses desseins l’empereur, du côté duquel le premier penchait davantage, ou le roi de France, auquel le second était plus favorable. Nicolas Schomberg arriva à Blois le 27 mars. Il resta dix jours à la cour de François Ier, et lui proposa une trêve d’une année. Pendant la durée de la trêve, chacun devait garder ce qu’il possédait en Italie[65]. Celui qui sortirait de ses limites, qui occuperait sur l’autre un territoire fortifié et ne le restituerait pas sans délai, serait l’infracteur de la trêve, et le pape se déclarerait contre lui avec les Florentins et les autres états d’Italie qu’il pourrait rallier. On devait évacuer l’état de Milan après la trêve, dans laquelle seraient compris les adhérens et confédérés des princes qui l’auraient conclue ; elle se prolongerait au-delà d’un an, si elle n’était point dénoncée trois mois avant l’expiration. On lèverait l’argent pour la défense de la Hongrie dès l’admission de cette trêve, dont le pape serait le protecteur et le conservateur[66].
Tout temporaire qu’il était, l’arrangement proposé au nom du pape avait rencontré des objections des deux côtés. François Ier en acceptait à peu près tous les articles, mais il n’avait pas voulu admettre celui qui permettait de comprendre le duc de Bourbon dans la trêve. Charles-Quint à son tour en rejetait d’autres. Il exigeait que le terme de la trêve fût irrévocablement fixé à la fin d’avril 1525, et qu’on supprimât les expressions d’après lesquelles elle semblait devoir être perpétuelle ; que des réserves fussent faites en faveur du roi d’Angleterre, surtout en ce qui touchait la question de l’indemnité ; qu’on révisât l’article qui obligeait à l’évacuation du duché de Milan, de peur qu’à l’expiration de la trêve, les Espagnols ayant quitté les positions qu’ils y occupaient et s’en étant éloignés, les Français, qui étaient dans le voisinage, n’eussent le temps d’envahir cette partie de la Lombardie ; qu’on ne pratiquât pas plus les Suisses et les Écossais du côté des Français qu’on ne pratiquerait les sujets de François Ier du côté des Anglais et des Espagnols[67].
Pendant que se négociait cette trêve, au sujet de laquelle il était si difficile de tomber d’accord, les événemens avaient marché. Loin de réussir dans si mission, l’archevêque de Capoue écrivait au pape qu’aucune de ses propositions destinées à réconcilier les parties contendantes n’avait été acceptée par elles, et qu’il semblait devoir en sortir de nouvelles guerres. Charles-Quint songeait moins à traiter avec le roi de France qu’à réaliser l’ancien projet d’envahir ses états. Les succès obtenus en Italie lui en suggéraient la pensée, et l’armée victorieuse lui en offrait le moyen. « Je vous tiens averty, écrivait-il à son allié Henri VIII, de la bonne opportunité qu’il plaît à Dieu nous donner de pouvoir avoyr l’entière raison de notre commun ennemi… Je vous prie de mettre à effet de vostre costé ce que vous et moi avons dès longtemps désiré, en quoy de ma part je m’efforceray de tout mon pouvoir[68]. »
Si Charles-Quint était lent, il était opiniâtre. Il exécutait ses projets moins bien qu’il ne les concevait, mais il les faisait réussir en y persistant. Dans sa persévérance était une grande partie de son habileté. Comprenant combien il lui importait de ne pas laisser le roi François Ier reprendre possession du Milanais, il avait entretenu résolument, quoique avec beaucoup de difficulté, l’armée d’Italie, jusqu’à ce qu’elle eût contraint les Français à repasser les Alpes. « Cette entreprise, avait-il écrit en Angleterre, est la principale. Notre ennemi y emploie toutes ses forces et en fait plus d’estime que de tout son royaume. D’elle dépend l’entière conservation de nos états de Naples et Sicile et de l’empire ; c’est pourquoi nous sommes contraints d’appliquer à cette entreprise tout autant que nous avons[69]. » Les derniers succès obtenus par ses généraux en Lombardie le décidèrent à poursuivre son rival en France. Henri VIII fut du même avis ; son ambition s’était réveillée avec ses espérances. L’inutilité des efforts qu’il avait tentés l’année précédente et l’énormité des dépenses qu’il avait faites l’avaient un moment découragé. Il revint alors aux anciens projets d’invasion du royaume de France, dont il revendiqua formellement la possession.
Non-seulement les deux souverains alliés rejetèrent toutes les propositions de paix ou de trêve avec François Ier, mais ils conclurent le 25 mai un nouveau traité[70] contre lui. Il fut convenu par ce traité que le duc de Bourbon franchirait les Alpes à la tête de l’armée victorieuse, dont l’empereur et le roi d’Angleterre fourniraient la solde, que le roi d’Angleterre conduirait ou enverrait en Picardie des troupes auxquelles se joindraient trois mille chevaux et mille hommes de pied des Pays-Bas, que l’empereur de son côté pénétrerait en France par le Roussillon[71]. En même temps le premier secrétaire d’état de Henri VIII, sir Richard Pace, que son habileté, éprouvée en plusieurs rencontres, avait fait envoyer récemment encore à Venise, lorsqu’il fallait détacher cette république de l’alliance française, reçut l’ordre de se rendre auprès du duc de Bourbon. Il était chargé d’une mission au succès de laquelle Henri VIII subordonnait sa coopération à l’attaque contre François Ier. Ce que le duc de Bourbon avait refusé à Montbrison et près de La Palisse, en traitant avec Beaurain et avec sir John Russell, devait lui être cette fois demandé péremptoirement[72]. Henri VIII exigeait qu’il le reconnût pour roi, et qu’il s’engageât à lui procurer la couronne de France, dont il s’agissait de déposséder François Ier.
Richard Pace arriva le 16 juin à l’armée impériale, qui était encore à Montecalieri, près de Turin[73]. Il pressa Bourbon de jurer fidélité au roi d’Angleterre et de lui prêter hommage comme roi de France. Bourbon hésitait toujours[74]. Il objectait la crainte, s’il prêtait un pareil serment, qu’on ne le sût bientôt, que le pape Clément VII, en l’apprenant, ne se détachât de l’empereur ainsi que du roi d’Angleterre et ne se déclarât contre eux, que plusieurs de ses amis de France, et particulièrement ceux qui le supposaient enclin à se faire roi, n’en fussent indisposés, et n’interrompissent les pratiques qu’ils entretenaient avec lui. Il demandait donc que ce serment, auquel il refusait de joindre l’hommage féodal, fût différé dans l’intérêt de la cause commune. L’envoyé de Henri VIII ne cessa point de requérir de lui l’engagement formel que réclamait son maître. Il l’interrogea de la part de ce prince sur les forces avec lesquelles il entrerait en France, sur les intelligences qu’il y avait, sur la route qu’il y suivrait et le but qu’il se proposait d’atteindre[75]. Bourbon lui fit connaître l’état de son armée, ne consentit point à découvrir ses relations, qu’il s’était engagé à tenir secrètes, et affirma qu’il recouvrerait avant peu tout ce qui appartenait au roi Henri, à l’empereur Charles et à lui-même. Lannoy, se rendant l’interprète des intentions que Bourbon laissait enveloppées de quelque obscurité et qui n’étaient pas assez claires pour rassurer l’ambassadeur de Henri VIII, ajouta « que le duc entrerait en France pour y couronner la grâce du roi. » Quant à la direction qu’il prendrait, le connétable dit que deux chemins s’ouvraient devant lui, l’un par le Lyonnais, l’autre par la Provence. La ville de Lyon, à ce qu’il assurait, n’était fortifiée que d’un côté, et il ne lui semblait pas plus long d’y aller par la Provence que par le Dauphiné. Tout en comptant sur le duc de Savoie, avec lequel il s’était entendu, qui lui offrait des vivres et un libre passage par ses états, il préférait la voie de Provence. En cinq ou six jours, il pouvait passer les montagnes, et, longeant ensuite la mer avec son armée, que seconderait la flotte impériale, il recevrait des secours et des renforts d’Espagne, traverserait un pays fertile, couvert de villes hors d’état de lui résister et n’en ayant pas la volonté, où il ne rencontrerait que deux places fortes, le château de Monaco, dont les portes lui seraient ouvertes, et la ville de Marseille, qu’il prendrait en l’assiégeant. Si le roi François, qui dans le moment n’avait plus d’armée, en refaisait une et lui offrait la bataille, il l’accepterait, et, après l’avoir vaincu, il s’avancerait vers Lyon du côté où cette ville était sans défense. Soutenant qu’il restait quatre mois pour faire de grandes choses, il dit avec résolution et confiance : « Si le roi veut sans délai entrer en France, je permets à sa grâce de m’arracher les deux yeux si je ne suis pas maître de Paris avant la Toussaint. Paris pris, tout le royaume de France est en ma puissance[76]. » Il demandait que Henri VIII opérât immédiatement sa descente en Picardie, qu’il prit le chemin suivi l’année précédente par le duc de Suffolk sans s’inquiéter des hommes d’armes qu’il trouverait devant lui et qui seraient trop faibles pour arrêter sa marche, ou le chemin de la Normandie, moins bien défendue encore, et qu’il s’avançât en droite ligne vers Paris, faible et facile à prendre. Insistant de nouveau sur l’importance qu’avait la possession de cette ville, il ajoutait : « Paris en France est comme Milan en Lombardie. De même que si Milan est pris on perd tout le duché, de même, Paris pris, on perd toute la France. »
Ce fut quelques jours après que, pressé de plus en plus par l’ambassadeur anglais, le duc de Bourbon consentit à prêter serment de fidélité à Henri VIII. Cette grande trahison envers son pays, qu’il allait envahir, comme envers son prince, qu’il voulait renverser du trône, ne le troubla pas un seul instant. Dévot et vindicatif, il se confessa sans agitation, communia avec ferveur avant de passer la frontière, et il dit à Richard Pace, en présence de quatre de ses gentilshommes : « Je vous promets, sur ma foi, de mettre, avec l’aide de mes amis, la couronne sur la tête de notre commun maître[77]. »
Le besoin d’argent l’avait retenu près de deux mois au pied des Alpes avec l’armée victorieuse. Avant de toucher deux traites, de 100,000 ducats chacune, que l’empereur lui avait envoyées sur Gênes pour payer la solde arriérée de ses troupes, et de pouvoir mettre celles-ci en mouvement, Bourbon avait demandé que l’invasion de la France s’exécutât en même temps par la Provence, le Languedoc et la Picardie, afin que François Ier, obligé de diviser le peu de forces qui lui restaient, fût si faible partout qu’il se trouvât dans l’impossibilité de résister nulle part[78]. « Je suis sur le point, écrivait-il à Charles-Quint, de passer outre en France, suivant ce qu’il vous a plu me mander, ayant espoir que, de votre côté, vous ferez diligence et gros effort[79]. » De concert avec Lannoy, qui devait, du Piémont, pourvoir aux nécessités de l’expédition, et avec Beaurain, qui devait en faire partie, il avait annoncé à Henri VIII qu’après avoir reçu l’argent de l’empereur, il n’attendait plus que le sien pour entrer en campagne. « Nous sommes délibérez, lui disaient-ils, de mener dix-neuf mille bons piétons, onze cents lances, quinze cents chevau-légers, avec l’artillerie équipée de munitions à l’avenant. Nous espérons, à l’aide de Dieu, faire chose à l’honneur, réputation de l’empereur et de vous, et sommes déterminés à y employer corps, biens, le sang et la vie[80]. » Lannoy écrivait peu de jours après au cardinal Wolsey que le roi d’Angleterre pénétrerait sans doute en France avec une armée considérable, et ne manquerait pas une aussi belle occasion de recouvrer ce qu’il appelait son royaume[81]. Enfin Richard Pace suppliait avec instance le ministre tout-puissant de Henri VIII d’agir vite et résolument dans l’intérêt et pour la renommée de leur maître. Il faisait dépendre de lui le succès de l’entreprise, et en mettait le revers sous sa responsabilité dans le cas où il ne prendrait pas les mesures propres à la faire réussir. Il avait la hardiesse de lui dire : « Si vous n’avez point égard à ces choses, j’imputerai à votre grâce la perte de la couronne de France[82]. »
Le connétable de Bourbon traversa les Alpes dans les derniers jours de juin, et pénétra sur le territoire français le 1er juillet[83]. Son armée était moins nombreuse qu’il ne l’avait annoncé à Henri VIII, parce qu’il avait été obligé de laisser de l’autre côté des montagnes toutes les troupes dont il n’avait pas pu payer la solde, et qui devaient le rejoindre plus tard après l’avoir reçue ; mais elle était fort aguerrie. Elle se composait de vieux soldats espagnols, allemands, italiens, qui n’avaient pas quitté le drapeau depuis longtemps, et qui, tout aussi bien conduits qu’intrépides, avaient été également victorieux soit en reprenant le duché de Milan sur les Français, soit en le défendant contre eux. L’habitude du succès leur avait donné une grande confiance, et ils joignaient à la solidité que procure l’expérience guerrière l’élan qu’inspire une constante supériorité. D’habiles et vaillans chefs étaient à leur tête. Le connétable de Bourbon s’était fait suivre du marquis de Pescara[84]. Ce célèbre capitaine n’était d’abord pas disposé à prendre part à une expédition qu’il ne dirigerait point. Il était si propre à commander qu’il ne savait pas se plier à obéir. Le duc de Bourbon flatta son orgueil et le décida à accepter le titre de capitaine-général de l’armée dont il conservait lui-même la suprême direction. Afin de lui complaire encore plus, il donna le titre de capitaine-général des Espagnols au marquis del Vasto[85], neveu de Pescara, cher à son affection, formé à son école, et l’héritier futur de sa renommée et de son habileté militaires. Les lansquenets étaient sous les ordres de deux hommes de guerre éprouvés, les comtes de Hohenzollern et de Lodron, avec lesquels se trouvait le fils du fameux George Frondeberg. Des victoires récentes et successives avaient rendu supérieurs aux bataillons suisses ces corps de lansquenets, dont la valeureuse obéissance était néanmoins subordonnée à l’acquittement régulier de leur solde.
Dès qu’il eut traversé le Var, le connétable s’établit au camp de Saint-Laurent, vers les bords de la mer, pour y recevoir son artillerie, qu’il avait fait transporter sur des navires castillans et génois. Il comptait y attendre aussi la portion de son armée qu’il avait laissée derrière les Alpes[86]. Le château de Monaco, qui dominait un port favorable à des débarquemens de vivres et de canons, et que sa position rendait imprenable, lui avait été ouvert par Augustin Grimaldi, évêque de Grasse et tuteur du jeune Honoré Grimaldi, à qui en appartenait la seigneurie. Ce port abrité devait lui être d’autant plus utile que la flotte française tenait la mer. L’entreprenant Génois André Doria, dont les galères étaient la patrie depuis qu’il avait perdu la sienne, et qui devait conserver à François Ier la supériorité dans la Méditerranée tant que François Ier saurait le garder à son service, avait joint sa petite flotte à celle que commandait le seigneur de La Fayette, que le connétable de Bourbon avait un moment compté au nombre de ses complices. Plus forte que la flotte impériale, placée sous les ordres de Ugo de Moncada, elle avait capturé quelques jours auparavant le prince d’Orange, parti d’Espagne sur un brigantin pour se joindre au lieutenant de l’empereur. Elle attendait dans ces parages les navires ennemis, qui longeaient la côte, et qui devaient porter à l’armée d’invasion des canons, des munitions et des vivres.
L’expédition fut menacée à son début de perdre les moyens sans lesquels elle ne pouvait pas être continuée. Au moment où la flotte espagnole approchait du lieu où Bourbon avait dressé son camp, la flotte française fondit sur elle, et y jeta le désordre et l’effroi. La plupart des navires espagnols prirent le large et retournèrent vers Monaco, où ils débarquèrent l’artillerie ; mais trois galères, dont les mouvemens furent moins prompts ou les équipages plus épouvantés, se jetèrent à la côte, et furent abandonnées avec les pièces qu’elles portaient par ceux qui auraient dû les manœuvrer et les défendre, et qui s’enfuirent vers la montagne. Elles allaient être prises à la vue même de l’armée, ce qui lui aurait été à la fois un détriment et une honte. Le duc de Bourbon, par une résolution soudaine et avec une rare intrépidité, s’y précipita, au risque d’être tué ou pris. Suivi de quelques arquebusiers espagnols, il monta dans la plus exposée des trois galères, et dit à Pescara et à Beaurain d’en faire autant pour les deux autres. « Sauvons, cria-t-il fort haut, l’honneur du camp et de l’empereur ! » Tous les trois s’y jetèrent et y combattirent vaillamment. Pendant le reste de la journée, ils essuyèrent le feu de la flotte française, que les arquebusiers espagnols tinrent à distance, et qui n’eut pas la hardiesse d’aborder les trois galères, ni l’habileté de les couler à fond[87].
Après avoir reçu son artillerie et quelques-unes des troupes qu’il avait laissées en arrière, Bourbon partit du camp de Saint-Laurent, où il s’était arrêté près de vingt jours, et s’avança dans l’intérieur de la Provence. Il ne rencontra de résistance sérieuse nulle part. Vence, Antibes, Cannes, Grasse, Fréjus, Draguignan, se rendirent à lui, ce que firent également Lorgues, Hyères, Cotignac, Brignoles, Trets et Tourves. Lorsqu’il fut à deux lieues d’Aix, les consuls de la ville, qu’avait abandonnée le maréchal de La Palisse en se repliant avec ce qu’il avait de troupes du côté d’Avignon, sommés de rendre leur ville, vinrent lui en porter les clefs et faire leur soumission. Bourbon entra dans cette capitale du pays le 9 août[88], y reçut le serment des magistrats, et prit dès ce moment le titre de comte de Provence.
Sur toute sa route, il ne cessa de presser l’empereur, par les lettres qu’il lui écrivit ou les messagers qu’il lui dépêcha, de mettre en mouvement l’armée de Catalogne, qui devait se réunir à la sienne sur les bords du Rhône. Ce renfort lui était d’autant plus nécessaire pour gagner le centre de la France, qu’une partie de ses troupes n’avait pas encore franchi les Alpes. « Monseigneur, disait-il à Charles-Quint, hâtez-vous, je vous supplie, pendant que le roi de France n’est en gros équipage. Il fait lever avec grande diligence Suisses et Allemands. Si vos Allemands et Espagnols étoient joints avec nous, nous serions suffisans pour combattre toute la puissance du roi de France, quelque nombre qu’il sût avoir, et, avec l’aide de Dieu, qui maintient toujours les bonnes et justes querelles, nous aurions victoire[89]. » Bourbon comptait également sur la diversion du roi d’Angleterre[90]. Wolsey lui avait annoncé, par le chevalier Gregorio Casale, la très-prochaine arrivée de sir John Russell avec l’argent que devait lui fournir Henri VIII[91]. Il avait en même temps chargé Richard Pace de lui dire qu’une armée était prête à descendre sur la côte de France. « Le roi, assurait-il, envoie un grand nombre de chevaux et d’hommes de pied à Douvres pour être transportés à Calais, se réunir avec la cavalerie bourguignonne et les lansquenets des Pays-Bas. Suivi de son armée, il pénétrera en peu de temps, si le cas le requiert, jusqu’au cœur du pays, comme l’empereur doit y entrer du côté de l’Espagne, ce qui fera que, de son côté, le duc de Bourbon trouvera peu de résistance en marchant en avant. » Bourbon s’était avancé sur la foi de la double promesse de Charles-Quint et de Henri VIII ; mais, parvenu à Aix, il n’eut aucune nouvelle ni de l’armée espagnole, ni de l’armée anglaise. Sans avoir reçu de renfort de l’une et appris la descente de l’autre, il eût été téméraire de se diriger vers Lyon.
Dans un conseil où le connétable appela Richard Pace avec le marquis de Pescara, il fut décidé que le chevalier Gregorio Casale serait renvoyé en Angleterre pour demander que les troupes de Henri VIII opérassent sans délai au nord-ouest de la France[92]. Il fut décidé de plus qu’on irait mettre le siège devant Marseille. Plusieurs raisons poussèrent à entreprendre ce siège hasardeux : la nécessité de ne pas rester dans l’inaction en attendant que les Espagnols franchissent les Pyrénées et que les Anglais parussent en Picardie, l’utilité dont serait pour l’empereur la possession d’une ville qui le rendrait maître de ce golfe de la Méditerranée et lui ouvrirait le passage de Barcelone à Gênes, l’affermissement, par l’occupation d’une place aussi importante, de toutes les conquêtes faites en Provence, la certitude de laisser soumis les derrières de l’armée d’invasion et d’assurer ses subsistances lorsqu’elle s’avancerait du côté de Lyon et marcherait sur Paris, l’intimidation que la prise d’une ville bien fortifiée inspirerait à toutes les autres, qui ouvriraient leurs portes afin d’éviter les périls d’un siège et les calamités d’une prise d’assaut ; enfin l’obligation où serait François Ier s’il voulait secourir Marseille, d’offrir la bataille, qui serait acceptée, et l’impossibilité, s’il était vaincu comme Bourbon l’espérait, de couvrir son royaume resté sans défense[93].
Dans la nuit du 14 août, le duc de Bourbon, avec le marquis de Pescara et deux mille Espagnols, alla reconnaître lui-même l’assiette et les défenses de Marseille, qu’il avait déjà fait examiner par deux capitaines expérimentés, qui les avaient trouvées extrêmement fortes. Il en parcourut et visita les dehors avec le plus grand soin, et, malgré les évidentes difficultés de l’entreprise, il n’hésita point à s’y engager[94]. Le 19 août, il parut devant la place, que cerna l’armée impériale[95].
La ville de Marseille se dressait alors sur un coteau assez spacieux et d’un accès difficile. Au sud, elle descendait jusqu’au port, dont elle couvrait tout le bord septentrional, sans s’être jetée encore vers le bord méridional, où s’élevait l’antique abbaye de Saint-Victor. À l’ouest, elle longeait le rivage de la mer, dont les flots la baignaient en plusieurs endroits. Au nord, elle remontait en amphithéâtre au sommet de la colline, que couronnaient ses tours et ses murailles, à douze ou quinze cents pieds desquelles étaient construites la chapelle et la léproserie de Saint-Lazare. Elle formait du côté de l’est une ligne sinueuse qui, de la porte d’Aix, aboutissait en se courbant à l’extrémité intérieure du port. Ni le Cours, extension de cette ligne, ni la Cannebière, suite du port, n’existaient encore. Ainsi resserrée, se déployant en étages sur un terrain montueux que la mer protégeait de deux côtés et qu’entouraient des deux autres des murailles flanquées de bastions, garnies de tours, précédées de fossés, la ville de Marseille pouvait soutenir un long siège, pour peu qu’on lui donnât le moyen et qu’elle eût la volonté de résister.
Or rien ne manquait à la défense ; tous les préparatifs en avaient été faits de fort bonne heure. Dès le mois de juin, avant que les impériaux franchissent les Alpes, François Ieravait envoyé à Marseille le commissaire Mirandel pour la fortifier encore davantage et la mettre à l’abri du danger qui la menaçait. Mirandel fit abattre les deux couvens des dominicains et des frères mineurs, les trois églises de Saint-Pierre, de Sainte-Catherine et de Notre-Dame-de-bon-voyage[96], dont les édifices, rapprochés de la ville, en auraient secondé l’attaque et gêné la défense. Il fit raser et niveler, dans la même intention, les faubourgs, les maisons de plaisance et les jardins qui s’élevaient à un tir d’arquebuse des deux côtés de l’est et du nord, par où seulement la place pouvait être abordée et assaillie. Les Marseillais, avec un patriotique attachement à la couronne de France, à laquelle le pays de Provence n’était réuni que depuis quarante ans, travaillèrent de leurs propres mains à ces démolitions. Ils déterrèrent les morts ensevelis dans les églises et les portèrent processionnellement avec les images de leurs saints et les objets de leur culte dans l’enceinte de la ville et sous la protection de ses murailles. « Il n’y avait ni petit ni grand, dit un témoin de ce triste spectacle, qui ne pleurât[97]. »
Vers la fin de juin et le commencement de juillet, la garnison sortie de Lodi et beaucoup d’enseignes de gens de pied étaient entrées dans Marseille sous le commandement de Renzo da Ceri, et Chabot de Brion y avait été dépêché par François Ier avec deux ou trois cents hommes d’armes. Outre cette troupe régulière, qui s’éleva à environ quatre mille[98] soldats d’infanterie et de cavalerie, les habitans de Marseille furent organisés en milices par leurs viguier et consuls. Huit mille d’entre eux, remplis d’une généreuse ardeur, et enrôlés par quartiers sous des capitaines[99], durent veiller à la garde intérieure de la ville, seconder la garnison dans les sorties et la soutenir dans les assauts. François Ier, comprenant que de la conservation de Marseille dépendait la sûreté du royaume, avait pourvu la ville d’armes et de munitions, ainsi que de soldats. Renzo da Ceri, versé dans l’art des fortifications, aussi ingénieux que brave, très vigilant, et d’une constance inébranlable, avait reçu la principale autorité sur les troupes et devait diriger la défense de la place. Il avait employé le mois de juillet et la première moitié du mois d’août à tout préparer pour repousser l’ennemi[100]. Plusieurs des portes de Marseille furent fermées et terrassées. En avant et en arrière de celles qui restèrent ouvertes, il fit construire des ouvrages destinés à les rendre inabordables. À la porte de la Calade, aboutissant à la pointe orientale du port, et à la Porte-Royale, placée un peu au-dessus et faisant face à l’est, il éleva des bastions entourés de tranchées, garnis de canons et d’arquebuses à croc qui balayaient le terrain, de manière à interdire de ce côté l’approche de la place. Tout le monde concourut avec zèle et par quartier à creuser les fossés, à former les boulevards, à exécuter les travaux qui devaient affermir la sûreté commune. Outre les pièces d’artillerie placées sur les remparts, de gros canons en bronze, disposés sur un monticule intérieur que couronnaient des moulins, hissés sur le clocher de la Major, sur la grande tour construite au sommet du coteau que couvrait Marseille, sur la grande horloge près des Accoules, d’où l’on dominait tous les alentours, battaient principalement la plaine qui s’étendait vers le nord. L’un de ces canons, nommé le Basilic, était monstrueux. Il jetait des boulets du poids de cent livres, et il fallait soixante hommes pour le remettre en place quand il avait tiré. Ayant la mer ouverte et le port libre, pouvant recevoir ainsi des vivres et des secours, protégés par la flotte française, qui, supérieure à la flotte espagnole, stationnait à l’île de Pomègue et devait ajouter ses feux aux feux de la place pour inquiéter l’ennemi, les Marseillais, qu’encourageaient ces puissans préparatifs et qu’animaient les plus belliqueuses dispositions, attendirent sans crainte l’attaque de l’armée impériale.
MIGNET.
- ↑ Mémoires de Martin Du Bellay ; collection Petitot, vol. XVII, p. 423 et 424. Guichardin la présente comme un peu plus forte. L’armée de Bonnivet se composait, selon lui, de « mille ottocento lance, seimila Suizzeri, due mile Grigioni, seimile Fanti tedeschi, dodicimile Franzesi, e tremilo Italiani. » Guicc, lib. XV.
- ↑ Du Bellay, etc., vol VII, p. 426, 428. — Galeazzo Capolla, Delle cose fatte per la restituzione di Francesco Sforza, etc., lib. III. — Guicciardini, Iib. XV.
- ↑ Cronica milanese di Gianmarco Burigozso merzaro, dal 1500 al 1544 ; — dans l’Archivio stlorico Italiano, vol. III, p. 411. — Galeazzo Capella, lib. III.
- ↑ Du Bellay, ibid, p. 427, 428. — Burigozzo, ibid., p. 441. — Guicciardini, lib. XV.
- ↑ «… Fu fatto provisione et de artellaria et de repari alli bastioni ; et la città sempre all’ arma di e notte ; .., et el duca, sempre a cavallo, armato, con li gentilomeni andava per la città, tenendola in arma. » Burigozzo, ibid., p. 441. — Galeazzo Capella, lib. III.
- ↑ « Attendant que nostre armée eust passé sa fureur, et que l’hiver qui estoit proche l’eust mattée. » Du Bellay, Mémoires, p. 428.
- ↑ Du Bellay, ibid., p. 428, 429. — Galeazzo Capella, lib. III.
- ↑ Il en informait François Ier, qui lui écrivait de Lyon le 22 octobre en le complimentant d’avoir resserré la ville de Milan en plaçant des troupes « èz lieux d’où elle avoit aide et secours de vivres, de sorte que par ce moyen me rendrez bon compte de la d. ville de Milan, ou que vous essayerez de la forcer si voyez que par ce moyen-là ne la puissiez avoir. Je suis fort aise du bon espoir que avez de bien tost mettre la d. ville en mon obéissance, car ce seroit le jeu gaigné de l’autre costé, à mon très grant honneur, faveur et réputation, et grande deffaveur à tous nos ennemys tant deçà que delà. » Lettre de François Ier à l’amiral Bonnivet et au maréchal de Montmorency. Bibl. imp., mas. Baluze
- ↑ « Se stette quattro o cinque giorni che non se trovava pane, né alli prestini, ne in altri loghi. » Burigozzo, p. 442.
- ↑ Pauli Jovii Vita Hadriani VI, cap. XVI. Gérard. Moringi Vita Hadriani, c. XXV, p. 76, dans Burmann.
- ↑ Office pour l’expédition et la taxation des bulles et dispenses émanées du pouvoir pontifical.
- ↑ Ranke, Histoire de la Papauté pendant les seizième et dix-septième siècles, t.1, p. 134.
- ↑ Sommario del Viaggio degti oratori veneti, etc. 1523, dans Alberi, Relazioni veneti, etc., ser. II, vol. III, p. 119.
- ↑ « Non defuerunt petulantissimi juvenea qui Joanni Antracino, pontifias medico, portas fronde… protinus exornarent, cum titulo uncialibus literis inscripto in hœc verba : Liberatori patries S. P. Q. R. » Pauli Jovii Vita Hadriani VI, c. XVI.
- ↑ Dépêche de Rome du 2 décembre, écrite par J. Clerk, R. Pace et Th. Hannibal au cardinal Wolsey. — State Paper’s, t. VI, p. 196.
- ↑ Voyez la Revue du 1er avril 1858.
- ↑ Wolsey à mylord de Bath (autographe), 4 oct. 1523, dans Fiddes, the Life of cardinal Wolsey, collections, p. 71 et 72.
- ↑ Dans cette curieuse lettre inédite du 6 octobre, Henri VIII disait à Charles-Quint : « Mon mieulx aimé fils, il me semble convenient vous rcduyre a mémoire les devises qui ont esté maintes fois entre nous pour l’advancement à ceste dignité pappalle de nostre plus entièrement commun conseiller et serviteur mon cardinal d’York… Je vous prye et désire le plus cordiallement que faire puys, comme je croy fermement vous avez fait, devant l’arrivée de ces présentes mes lettres, pour votre part, et comme j’ay fait et feray semblablement de la mienne, soliciter, procurer et mectre en avant ceste matière en si effectuelle manière, qu’elle puisse estre mennée à nostre désire, en quoy faisant, quel honneur, bénéfice, seureté et commodité ensouyvra à nous deux et à nos royaulmes. » — Archives impériales et royales de Vienne.
- ↑ Mus. Britann. Vespas., c. II, f. 226, olographe.
- ↑ Lettres de Charles-Quint au duc de Sessa, du 13 juillet et du 14 décembre 1523. — Correspondance de Charles-Quint avec Adrien VI et le duc de Sessa, p. 192 et 199.
- ↑ Conclave démentis VII, Mss. lat. de la Bibl. imp., no 5157, in-4o, fol. 104 Ve.
- ↑ … L’évêque de Bath et les autres ambassadeurs anglais disent que les trente-neuf voix étaient fort divisées et que « the cardinal de Médices with 17 or 18 m°, for hymself or suche as he shold thynke best… » — Dépêche du 2 décembre à Wolscy. — State Papers, t. VI, p. 196.
- ↑ Les vieux cardinaux, comme dans le précédent conclave, étaient au nombre de plus de vingt, formant un parti qui repoussait la candidature de tout cardinal d’un âge peu avancé. — Voyez la Revue du Ier avril 1858.
- ↑ Relation italienne du conclave dans les Mss. Colbert.
- ↑ Le 27 septembre, Bonnivet écrivait au duc de Ferrare : « Monseigneur, j’envoye présentement à Cremonne jusques au nombre de dix mille hommes de pied, six cents hommes d’armes et une bonne bande d’artillerie, afin de mectre a l’obéissance du roy la ditte ville, et sont chefs de cette emprise messires Bayart et le seigneur Federic de Bauge (da Bozzolo), lesquels sont dejia près du d. Cremonne… J’escriptz promptement au seigneur Renze (Renzo da Ceri) se joindre incontinent avec la force qu’il a avec mes dicts seigneurs de Bayart et Federic, pour, après l’affaire du dict Cremonne vuidéo, marcher tous ensemble droit vers la Rommaigne et vous aider à recouvrer et remectre soubz vostre obéissance Rege et Modene, ainsi que j’ai expresse charge et commission du roy de ce faire. » (Mss. ancien fonds français de la Bibl. imp., no 8569, f. 89.) — Il l’avait même poussé par une lettre postérieure à attaquer Parme et Plaisance appartenant au saint-siège : « J’ay pareillement veu ce que avez escript au duc de Ferrare touchant Parme et Plaisance ; je doubte que, après avoir recouvré Rege et Modene, il ne veuille tirer oultre, qu’il ne voit que ayez pris Milan. » Lettre de François Ier du 22 octobre, dans Mss. Baluze.
- ↑ Conclave démentis VII, Mss. no 5157, f. 117 V°. — Dépêche écrite de Rome le 24 octobre par J. Clerk, Ri. Pace et Th. Hannibal à Wolsey. — State Papers, vol. VI, p. 180.
- ↑ Dépêche anglaise du 24 octobre, p. 180.
- ↑ Même dépêche, p. 182.
- ↑ « Tertio idus novembris populus romanus petiit vehementissimis verbis ut Bonifacii bulla quæ ultra XX dies ipsis tantum panem, aquam, et vinum tradi volebat, observaretur. » — Conclave démentis VII, f. 119.
- ↑ Dépêche de Rome du 2 décembre des ambassadeurs anglais à Wolsey. — State Papers, t. VI, p. 196.
- ↑ Dépêche du 2 décembre, r. 196, 197 et 198.
- ↑ Ces mots sont en français dans la dépêche anglaise, p. 199.
- ↑ « Le pape a envoyé XX mille escus dès que je veins ysy… Les potentats come Florence, Siene, Luques, n’ont volu paie la contribution de ses trois mois courans, le pape a fait que de Florence vient XXX mille ducas…, de Sienne V mille et au plus X, de Lucques V des XV mille des trois mois de la contribution. » Lettre de Charles de Lannoy à Charles V, écrite de Milan le 1er février 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Du Bellay, Mémoires, p. 420 et 430.
- ↑ Galeazzo Capella, lib, III. — Du Bellay, t XVII, p. 439 à 443.
- ↑ « Sire, cant à Mons. de Bourbon, je ly obeiray en la sorte que Beaurain m’a dit et ly ferey tout le service qui me sera possible. » Lettre de Lannoy à Charles-Quint du 26 janvier 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Lettre écrite de Rome le 7 novembre par l’évêque de Bath à Wolsey. — State Papers, t. VI, p. 191.
- ↑ « La povreté de cette armée estoit de telle sorte, que si ne fut argent que appourtay de Naples, la dite armée fust desjà rompue. » Charles de Lannoy à l’empereur, du 20 février. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Lettre de Beaurain à Charles-Quint du 25 janvier 1524. — Arch. Imp. et roy. De Vienne.
- ↑ Le connétable avait écrit de Gênes, lorsqu’il allait partir pour la Lombardie et y agir comme lieutenant-général de l’empereur, au comte de Penthièvre, alors en Angleterre, de presser Henri VIII de faire une nouvelle descente en Picardie, ce qu’il avait demandé à Henri VIII lui-même (lettres du 18 janvier 1524. Mus. Britann. Nero B. VI, f. 52. — Vitellius B. VII, f. 26.) Il écrivit du camp impérial à Charles V, de concert avec Lannoy et Beaurain : « Serions d’avis que deussez requérir le seigneur roi d’Angleterre de descendre en personne le plus tost que faire se pourroit ou du moins envoyer une bonne armée, laquelle tînt le chemin que la dernière a fait, et que de votre part fissez tout votre effort du costé de Perpignan, que vinssez à Barcelone pour vous conduire selon les nouvelles que pourrez entendre, car s’il plaisoit à Dieu que de ce costé votre armée gagnast la bataille de laquelle sommes bien près ou que les Franssois se retirassent, nous marcherions droit par la Prouvensse vers Narbonne, et vous pourriez venir joindre avec votre armée, et seriez puissant assez pour en personne présenter la bataille au roy de France, et s’il ne la vouloit, pourriez venir droit à Lyon. » Lettre du 16 mars 1524. Arch. Imp. et roy. de Vienne.
- ↑ «… Vous espérez dans huit jours après vostre dite lettre de faire parler aultre langage ceulx qui sont dedans Milan et de mectre icelle ville en mon obéissance… » — Lettre de François Ier du 27 octobre 1523. — Mss. Baluze, f. 180.
- ↑ Lettre de Charles-Quint à l’archiduc Ferdinand, du 16 janvier 1524, dans Lanz, Correspondens des Kaisers Karl V., t. Ier, p. 80 à 83.
- ↑ Lettres de Charles-Quint, du 2 mars 1524, à l’archiduc Ferdinand et au vice-roi de Naples Charles de Lannoy, auxquels il raconte les mouvemens de son armée, le siège et la prise de Fontarabie, et les causes de la rentrée de ses troupes en Espagne. Dans Lanz, p. 95 à 98.
- ↑ Brion écrivait de Blois le Ier février 1524 au maréchal de Montmorency : « Le roy revint hier de la chasse de St-Laurens-des-Eaux, là où il a couru le cerf deux jours ; du passetemps je vous laisse à penser quel il a esté, car pour demeurer jusques à dix heures du soir sans revenir au logis, il n’y a gens qui l’ayent mieux fait que nous et bien mouillez. » Mss. Clairembault, Mélanges, vol. 36, f. 8789. — Le 19 janvier, le secrétaire Robertet écrivait au même : « Le roy fait très bonne chère. » Ibid., V. 30, f. 8781.
- ↑ Il disait à l’amiral de Bonnivet et au maréchal de Montmorency dans sa lettre du 17 septembre : « Si vous iray-je veoir le plus tost que je pourray, car je ne seray jamais à mon aise que ne soye joint avec vous et mon armée. » Mss. Baluze, f. 244. — Dans sa lettre du 18 janvier 1524, il leur annonçait encore qu’il était disposé non-seulement à leur envoyer des troupes, mais « à les secourir de sa propre personne. » — Mss. Baluze, f. 140.
- ↑ Mss. Dupuy, v. 484, f. 220 V°.
- ↑ Révélation de Saint-Bonnet, ibid., f. 310 à 313.
- ↑ Aveux de Saint-Vallier du 23 octobre 1523, ibid., f. 206 à 211.
- ↑ Lettre de François Ier du 20 décembre. — Mss. 484, fr. 306 V° et 307 r°.
- ↑ Arrêts des 10 et 23 janvier 1524. — Mss. 484, f. 321 à 327.
- ↑ Lettre du 26 février. — Mss. 484, f. 345 V°.
- ↑ Mss. 484, f. 121 r°.
- ↑ « 17 fev. mercredi. Ce jour le seigneur de St-Vallier estant en Grève sur l’eschaffault, prest à décoller, ont esté apportées lettres patentes du roy, etc. » — Mss. Clairembault, v. 30, f. 8797 et Mss. Dupuy, v. 484, f. 339 V° à 342.
- ↑ ». Comme puis nagueres nostre cher et féal cousin conseiller et chambellan le comte de Maulevriers, grand-sénéchal de Normandie, et les parens et amis charnels de Jehan de Poitiers seigneur de Saint-Vallier, nous ayant en très grande humilité supplié et requis avoir pitié et compassion du dict de Poitiers et en faveur et contemplation d’eulx et des services par eux faicts aux rois nos prédécesseurs à nous et à nostre royaulme depuis nostre advenement à la couronne et mesmement puis nagueres le grand-senechal, lequel en monstrant la loyauté, fidélité qu’il nous a et à nostre dit royaulme, nous a descouver les machinations et conspirations faictes contre nostre personne, nos enfans et nostre dit royaulme, et en ce faisant nous a préservé des maux qui par icelles nous pouvoient ensuir, nostre plaisir soit commuer et changer la peine de mort, etc. » — Ibid., p. 342.
- ↑ Lettre de surséance au parlement, quant à l’emprisonnement, du 20 février, mss. 484, f. 343 ; — lettre du 23 mars portée au parlement par le seigneur de Vaulx, capitaine de sa garde, ibid., f. 411, ro.
- ↑ Étienne Pasquier, ordinairement si bien instruit et si exact, en parlant de la fièvre de Saint-Vallier (Recherches de la France, liv. VIII, p. 825), dit que « ce dicton est venu de ce que Saint-Vallier fut saisi sur l’eschaffaut, au moment où il alloit estre décapité et où il reçut sa grâce, d’une fièvre à laquelle il succomba peu de jours après. » Or son testament, fait le 26 août 1530 au château de Pizanson, est dans l’Histoire des Comtes de Valentinois et des Seigneurs de Saint-Vallier, par André Duchesne, p. 103 et 104 des preuves à la suite de l’Histoire généalogique des Ducs de Bourgogne, in-4o, Paris 1628.
- ↑ Voyez les dix-sept lettres autographes qui sont attribuées à Diane de Poitiers dans le Mss.2722, Supp. franc., et que M. Aimé Champollion-Figeac a publiées comme ayant été adressées par elle à François Ier. — Poésies e ! Correspondances de François Ier, in-4o, 1847, p. 217 à 220.
- ↑ « Le jeudi dixième de mars, le roy, estant à Paris venu de Bloys, eut nouvelles par la poste que, le quatrième du dict moys, l’armée qui estoit devant Milan estoit enclose des ennemis… Lors le roy, oyant ces nouvelles, fist faire une belle procession générale à Paris en grande solennité, où il se trouva en personne à pied avec toute la noblesse, etc. » — Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 147, 148.
- ↑ Tous les détails de cette fin de campagne sont tirés des lettres inédites du duc de Bourbon, de Charles de Lannoy et de Beaurain à l’empereur, des 1er, 20 février, 6, 15, 16, 18, 27, 28 mars, 17, 18, 20, 23 avril, 2, 3, 5, 24, 26 mai, aux Arch. imp. et roy. de Vienne ; — de Martin Du Bellay, vol. XVII, p. 441 à 452 ; — de Guicciardini, lib. X ; — de Galeazzo Capella, lib. III ; — de Hottinger, Histoire de la Confédération suisse, etc., vol. X, liv. VII, chap. V, p. 75 à 82, de la traduction de M. Vulliemin.
- ↑ Voyez Symphorien Champier, les Gestes du noble chevalier Bayard, dans les Archives curieuses de l’histoire de France, par Cimber et Danjou, 1er série, t. II, p. 175 à 177 ; — Du Bellay, t. XVII, p. 441 ; — et l’Histoire du Chevalier sans peur et sans reprouche, par le loyal serviteur ; — collection Petitot, t. XVI, p. 124,125.
- ↑ Voici ce que Beaurain en écrivait à Charles-Quint : « Le capitaine Bayart retourna avec aucuns chevaucheurs françois et quatre ou cinq enseignes des gens de pied, si rebouta nos gens et rescouit les pièces d’artillerie que mieulx luy eut vallu laisser perdre, car ainsi qu’il se cuidoit retourner, il eut ung cop de hacquebute duquel il morut le jour mesme… Sire, combien que le dict Sr Bayart fut serviteur de votre ennemy, si a ce esté dommaige de sa mort, car c’étoit ung gentil chevalier bien aymé d’ung chacung, et qui avoit aussi bien vescu que fit jamais homme de son estat, et à la vérité il a bien monstre à sa fin, car ce a esté la plus belle dont je ouys oncques parler. La perte n’est point petite pour les François, et aussi s’en trouvèrent-ils bien estonnez, de tant plus que tous ou la plus part de leurs capitaines sont malades ou blessés. » Lettre du 5 mai 1524. — Archives impériales et royales de Vienne.
- ↑ Lettre d’Adrien de Croy (Beaurain) à Charles-Quint, du 28 février 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Dépêche du comte de Carpy et de Saint-Marsault à François Ier du 3 mars 1524. — Mss. Baluze, f. 52 : « Et aussy despuis, moi Carpy ay esté devers sa sainteté qui m’a dict et répliqué le semblable et qu’elle tiendra sa parole en cela tout autant que s’il s’en feust fait cinquante contrats. » — Ibid.
- ↑ Lettre de Charles-Quint au duc de Sessa, écrite de Burgos le 16 mars 1524. — Correspondance de Charles-Quint avec Adrien VI et le duc de Sessa, p. 201, 202.
- ↑ « Ut quisque de presenti possidet, ita interim possideat » — Lettre du 22 avril, dans les Mss. Brequigny, v. 90, f. 114.
- ↑ Papiers de Simancas, Leg.
- ↑ Simancas.
- ↑ Lettre olographe du 21 mai 1524. — Mus. Brit. Vespas., C. II, f. 320. Charles-Quint excitait aussi, en le flattant, Wolsey ; il lui écrivait de sa propre main : « Monsieur le légat, mon bon amy, j’ay par l’évesque de Badajoz entendu toutes les bonnes choses que le roy mon bon frère et vous lui avez dites touchant le bien de nos communes affaires, desquelles estes le principal conducteur et en qui en avons l’entière confidence, et de ma part me tiens bien votre tenu de la continuelle peine que pour icelles prenez. » — Lettre du 6 mai. Mus. Brit. Titus, B. I, f. 328.
- ↑ Instruction de Charles-Quint à son ambassadeur à Londres, mars 1524. — Mus. Brit. Vespas., C. II, f. 305.
- ↑ Voyez les Mss. de Brequigny, vol. 90, f. 153 à 159.
- ↑ Ibid. Le maintien du traité de Windsor y était stipulé.
- ↑ L’un des articles du traité spécifiait que le duc serait abandonné, s’il ne prêtait pas serment deux jours après en avoir été requis. — State Papers, vol. VI, p. 291.
- ↑ A la date du 16 juin, il écrivait à Henri VIII, de concert avec Lannoy et Beaurain, pour lui annoncer que l’empereur avait envoyé 200,000 ducats, et qu’il en attendait 100,000 de lui. Il ajoutait : « Avons jà équipé nostre armée à l’avenant de nos finances. » Enfin il achevait en disant : « Depuis ces lettres escriptes est arrivé monsr vostre ambassadeur maistre Ricbart, par lequel avons entendu le bon vouloir qu’avez envers nous et de nous ayder en l’affaire de pardeçà de quoy, sire, vous mercyons très humblement. » — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 89.
- ↑ Richard Pace à Wolsey, du 10 juin. Mus. Brit. Vitellius, B. VI.
- ↑ La pièce contenant les questions au nombre de douze et les réponses du duc de Bourbon, datée de juin 1524, est au Mus. Brit. Vitollius, B. VI, f. 82.
- ↑ Mus. Brit. Vitellius, B. VI.
- ↑ Dans une lettre à Henri VIII, du 25 juin, R. Pace lui dit que le duc de Bourbon a prêté le serment de fidélité, mais n’a pas consenti à l’hommage. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 107 à 110.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 31 mai 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 24 mai. — Ibid.
- ↑ Lettre du 16 juin, écrite par le duc de Bourbon, Lannoy et Beaurain à Henri VIII, — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 89.
- ↑ Lettre du 24 juin. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 99.
- ↑ Lettre de Pace à Wolsey du 25 juin. — State Papers, t. VI, p. 314.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 10 juillet. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ « Monseigneur, combien que vous n’ayez rien escrit au marquis de Pescaire de venir avecques moy en cette entreprise, touteffois, voyant que pour vostre service sa venue estoit très nécessaire, je l’en ay prié, luy offrant l’estât de capitaine général de l’armée soubz moy… C’est ung personnaige qui mérite bien ung tel estat. » Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 24 mai, écrite de Chivasso. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du camp de Draguignan, le 26 juillet.
- ↑ juillet 1524. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Dans sa lettre du 10 juillet, Bourbon racontait à l’empereur ce qu’il avait fait très simplement : « Nos ennemis, disait-il, ont contraynt trois de vos galères de se séparer des aultres et vindrent geter en terre vers nous, et ne peurent tant fayre nos dits ennemis que maugré eulx n’ayons sauvé tout ce qui estoit dans les dites galères, combien qu’ils nous saluassent à coups de canon… » Arch. imp. et roy. de Vienne. — Mais Beaurain, dans sa lettre à Charles-Quint du même jour, faisait le récit que je lui ai emprunté et disait : « Si vous eussiez veu mons. de Bourbon, vous l’eussiez estimé ung des hardis gentilshommes qui soient, sur la terre, et voyant toutes les galleres de France qui venoient pour prendre les trois vostres, commanda au marquis et à moy d’en garder chacun une, et qu’il garderoit l’aultre, et pour ce faire nous monstra le chemin, etc. » Ibid.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à l’empereur, du 10 août. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
- ↑ Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint du 20 juillet, écrite au camp de Draguignan.
- ↑ Il écrivait le 10 août à l’empereur : « Les Anglois doyvent estre descendus, car aultrement il feroit faulte en notre affaire. »
- ↑ Il arriva le 26 août. Lettre de Richard Pace, écrite le 31 août du camp devant Marseille. — Mus. Brit Vitellius, B. VI, f. 193.
- ↑ Longue lettre de Richard Pace à Wolsey, écrite le 31 août, du camp devant Marseille. — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 193. — Le même jour 31 août, le duc de Bourbon écrivait à Henri VIII : « Monsieur, je vous supplie très humblement faire avancer vostre armée par-deçà et je mettray peine de ce costé suivant le commencement de vous aller veoir en tirant de Lyon à Paris. » — Mus. Brit. Vitellius, B. VI, f. 182.
- ↑ Lettres de Richard Pace à Wolsey des 26 et 31 août. — Vitellius, B. VI, f. 193.
- ↑ Dépêche de Pace du 31 août. — Ibid.
- ↑ Dépêche de R. Pace du 31 août.— Dans un journal manuscrit du siège de Marseille par Honorat de Valbelle, qui prit part à la défense de la ville, et dont M. Rouard, bibliothécaire de la ville d’Aix, possède une belle copie qu’il a eu l’obligeance de me communiquer, il est dit à la date du 19 août : « Lo camp dcl dich Borbon ambe (avec) lo dich de Pescairo torneron davant Marseilla, los quais foron festegas (furent festoyés) do nostro artillerie et de los galleros que leu tueron plusors de leu gens. »
- ↑ Journal de Valbelle et Histoire mémorable des choses advenues au pays de Provence à l’arrivée de Monsieur Charles de Montpensier, auparavant connétable de France, en l’an 1524, avec le discours véritable de tout ce qui se passa durant le siège mis devant la fameuse cité de Marseille. — Ce récit a été écrit en français au commencement du XVIIe siècle, surtout d’après les Mémoires de Jean Thierry, dit l’Étoile ; il est à la bibliothèque d’Aix.
- ↑ Journal du Siège, etc.
- ↑ Le 1er août, jour où fut faite la revue des troupes. — Journal de Valbelle.
- ↑ « Soubs quatre capitaines enfans de la dite ville estaient de huit à neuf mille combattants bien armés de cuirasses, acquebutes, arbalètes, piques et autres armes nécessaires à la dite défense, rangés en fort bel et bon ordre qu’il faisoit bon voir marcher par la ville, etc. » — Histoire mémorable, etc., d’après Thierry de l’Étoile.
- ↑ « Le seigneur Ransse de Serres, homme fort expérimenté, mit diligence à remparer les murailles, y faire plate-formes, comme aussy fit parachever le grand bolevard dit la plate-forme duquel les murailles ont 28 grands pieds d’espesseur que incontinent fut bien garny d’artillerie. » Histoire mémorable mss. d’après Thierry. — Journal ms. de Valbelle.